La psychanalyse : principes et indications par Joëlle Szymanski-Khalil

LA CURE TYPE

La psychanalyse est une pratique de parole qui a des effets de langage.

Le patient doit parler librement, dire tout ce qui lui vient à l’esprit sans rien retenir. Dire à l’analyste ce dont on souffre apporte déjà un apaisement, mais l’analyse n’est pas une catharsis destinée à quiconque aurait subi un traumatisme ou vécu une enfance difficile.

En séance, une à trois fois par semaine, durant parfois plusieurs années, le patient est allongé pour pouvoir associer plus librement. C’est la règle fondamentale des associations libres qui lui permet de découvrir les origines profondes de ses souffrances psychiques et de les dépasser.

La psychanalyse consiste à remonter le fil de sa vie, petit à petit, en le prenant par le bout qui vient pendant chaque séance : un souvenir, un rêve, une anecdote. Et on associe : à quoi ça nous fait penser, à quoi ça nous renvoie, quelles émotions cela suscite… Les mots réveillent la mémoire et amènent progressivement à la conscience les fantasmes et les scènes du passé qui ont déterminé nos destins. Mais l’analyse n’est pas seulement une remémoration.

On découvre à quel point on est conditionné par des choses d’apparence infime, des choses de l’enfance, des paroles qui nous ont été dites, et l’on revient dessus jusqu’à ce que leur charge pathogène soit réduite. On travaille sur les identifications, (à qui ? pourquoi ? comment ?), sur les satisfactions (pourquoi tenons nous à ce symptôme qui nous gâche la vie ?). On découvre la répétition dans le symptôme : toujours le même ratage de la vie, dans le métier ou dans le couple, et on part à la recherche de notre désir.

Au début de sa pratique, Freud pensait qu’il suffisait d’expliquer au patient le sens caché de ses symptômes pour le guérir ; puis il a compris que la guérison ne survient que si le patient est actif, s’il comprend lui-même l’origine de sa souffrance, c’est pour cela qu’il doit tout dire, sans rien retenir, sans trier les pensées et les images qui lui viennent à l’esprit.

Le travail de l’analyste consiste seulement à aider le patient à dire qui il est dans sa souffrance.  L’analyste n’établit  pas de relations de cause à effet, il ne propose pas une autre version de l’histoire du sujet, il déchiffre les symptômes qui, pris  isolément, semblent irrationnels comme l’ont été les hiéroglyphes avant d’être déchiffrés. (Les vautours, les bonshommes debout ou assis, ne veulent rien dire s’ils sont pris séparément ; le signe « vautour » ne trouve sa valeur signifiante que s’il est pris dans l’ensemble du système auquel il appartient.)

Comme les hiéroglyphes, les symptômes et les rêves parlent un langage codé car ils dissimulent les désirs que nous préférons taire. (Nous réalisons nos désirs dans nos rêves, et nous nous en punissons dans nos névroses.)

Il est difficile d’accepter l’assimilation des symptômes névrotiques à un langage articulé, pourtant c’est bien une analyse de langage qui les résout.

Le cas de Mme Cécilie, patiente de  Freud, est un bon exemple pour montrer le lien entre symptôme et symbolisation : elle souffre de douleurs fulgurantes au front depuis qu’une parente redoutée l’a dévisagée d’un « œil perçant » ; elle présente des névralgies faciales depuis que son mari lui a adressé des paroles offensantes qui lui ont donné un « coup en plein visage ». La psychanalyse ne traite pas le symptôme, mais ce que le sujet en dit, les représentations qu’il en a.

Le récit d’un rêve de  « L’homme aux loups » illustre à son tour les phénomènes subtils de langage dont il s’agit dans l’analyse:– « J’ai rêvé qu’un homme arrachait à une Espe ses ailes. » – « Espe […] qu’entendez-vous par-là ? », interroge Freud. – « Vous savez bien, cet insecte qui a des raies jaunes sur le corps et qui peut piquer… » – « Vous voulez dire Wespe » (« guêpe » en allemand) – « On dit Wespe ? Je croyais vraiment que l’on disait Espe… » – « Mais Espe, c’est moi SP, conclut le patient, S.P., les initiales de mon nom : Serguei Pankajeff. »

Ces exemples font comprendre que l’interprétation c’est uniquement l’équivoque signifiante, l’équivoque grammaticale, logique, homophonique qui permet de déplacer la césure, d’effectuer de nouveaux découpages, de faire apparaître de nouveaux sens comme dans un rébus. (Ex : Un de mes patients utilise le signifiant mal de façon redondante au cours d’une séance, je souligne cela et il déroule une chaine signifiante autour de mâle, ce que c’est qu’être un homme. Une patiente raconte qu’elle a dressé le couvert pour ses invités en se réservant pour elle un set de table transparent ; elle s’arrête sur ce signifiant et déroule une chaîne signifiante où elle est transparente, ce qu’elle associe aux événements qui entourent sa naissance…) Une analyse est faite pour qu’un signifiant maître (S1) ouvre une chaîne signifiante qui aboutira au « non-sens » de ce signifiant maître, dit Lacan.

Ainsi, après l’interprétation le sujet n’est plus le même : quelque chose a bougé dans l’ordre de ses représentations inconscientes, dans les combinaisons des signifiants  propres à sa vie, et il occupe une autre position subjective dans son rapport avec sa plainte.

A l’issue d’une analyse, le sujet a modifié sa position subjective dans son rapport aux autres et à la société par le jeu du langage.

 

Comment comprendre que la psychanalyse n’ait que des effets de parole ?

Ce qui caractérise l’être humain c’est qu’il parle. L’être humain est un « parlêtre » disait Lacan.

Le langage ne surgit pas comme ça. L’homme a à faire au langage dès avant sa naissance ; il est représenté dans un discours, dans un réseau signifiant, qui lui préexiste (la langue maternelle ou le discours de l’Autre) ; l’homme est parlé avant même sa conception et à plus forte raison dès sa naissance. (Cf. les fées qui se penchent sur son berceau ou celles qui prédisent sa naissance).

A sa naissance, l’homme est pris dans le réseau symbolique de la parenté et de la nomination, dans la chaîne symbolique inconsciente qui porte la mémoire familiale, dans l’Autre de  Lacan ; « l’inconscient, c’est le désir de l’Autre ».

Ensuite et pour vivre, le petit homme a besoin d’être reconnu, d’être parlé, et il va confondre les représentations de lui-même que les autres, sa famille, lui renvoient, il va confondre son image, son Moi, avec son être propre.

Le moi n’est pas renforcé par la cure analytique, il est au contraire déconstruit ; le patient fait choir les identifications aliénantes qui le constituent. (Freud : « Où Çà était, Je dois advenir »).

Cf. Serge Leclaire, « On tue un enfant » : la tâche la plus difficile à accomplir est de perpétrer le meurtre de l’enfant merveilleux du désir de l’autre.

La guérison c’est la  sortie de l’imaginaire aliénant, la sortie des filets du désir de l’autre, et l’accession à son désir propre. Un patient est guéri quand il n’a plus ses symptômes, et surtout quand il sait pourquoi il a eu besoin de les avoir. C’est la seule garantie pour qu’ils ne reviennent pas.

L’analyste n’est pas animé par le désir de guérir ; cela ne veut pas dire qu’il se moque de la guérison, (« la guérison vient de surcroit » disait Freud), mais son désir consiste à faire en sorte qu’il y ait analyse. ( L’analyste fait « sinthome » disait Lacan).

Vouloir guérir à tout prix supposerait que l’on sache ce qu’est la « normalité » ou que l’on veuille réduire le sujet au silence. (Introduction à la psychanalyse, Analyse finie et infinie)

La position analytique n’est pas non plus celle de la compassion, de la pitié, de l’aide samaritaine. Si le patient pleure, s’il est angoissé, parfois ça a des bons effets d’esquisser un petit sourire, si c’est bien fait, ça peut lui permettre de se décaler par rapport à sa souffrance.

Le but de la psychanalyse n’est pas d’amener le patient à lâcher son symptôme qui donne du sens à son existence, mais à troquer sa jouissance mortifère contre une force désirante.

Ex : Un patient deviendra comédien pour satisfaire son plaisir oral autrement que dans la boulimie. L’homosexuel qui ne songe pas à changer d’orientation souffre de l’écart entre son mode de jouissance et les idéaux sociétaux. L’analyse lui permet d’assumer sa jouissance et de donner la préférence à sa jouissance sur l’idéal.

Voici ce que n’est pas l’analyse :

Ernst Kris et les cervelles fraîches 1900-1957 (cf. Lacan : Les écrits, Les psychoses)

Un intellectuel était entravé dans sa profession, incapable de publier ses recherches, car hanté et culpabilisé par l’idée d’être plagiaire. Il disait en avoir eu la preuve en découvrant un jour ses idées dans l’ouvrage d’un de ses collègues. Kris s’est procuré et a lu l’ouvrage en question et lui a affirmé qu’il n’en était rien. Durant la séance suivante, le patient lui a raconté qu’en le quittant il était allé au restaurant manger des cervelles fraîches, ce qui est un acting out.

L’acting out c’est ce qui se produit quand on aborde quelque chose dans la réalité et non dans le symboliqueKris a voulu montrer au patient qu’il n’était pas plagiaire et celui-ci lui a répondu dans la réalité de manière incongrue; tout ce que Kris a pu dire n’a rien changé au problème du patient. En privilégiant l’axe imaginaire, Kris a provoqué une réponse sauvage à une intervention sauvage. A l’inverse, l’attention flottante préconisée par Freud sert à privilégier l’axe symbolique, comme dans l’une des 5 psychanalyses :

L’homme aux rats

L’homme aux rats était un grand obsédé, jeune, de formation universitaire, un officier de réserve, qui a demandé conseil à Freud dans une histoire de remboursement de l’envoi d’une paire de lunettes. Le « capitaine cruel » lui avait demandé de payer la somme à un certain lieutenant A. ; le patient savait parfaitement que le lieutenant B avait déjà remboursé la postière qui avait avancé les frais d’envoi. Pourtant le patient se sentait contraint d’obéir, alors qu’il ne le voulait pas. Il s’est présenté à Freud après avoir entendu le « capitaine cruel » faire la description d’un supplice oriental qui consiste à attacher un homme nu sur un seau contenant des rats affamés ; les rats s’enfoncent lentement dans l’anus et le rectum du supplicié. L’homme aux rats racontait le supplice avec une jouissance évidente dont il n’était pas conscient et il était obsédé par la crainte que ce supplice soit appliqué à la dame de ses pensées et à son père, s’il ne payait pas sa dette.

Or, son père était déjà mort depuis huit ans et la dame en question repoussait ses avances depuis plusieurs années. L’homme aux rats n’avait pas fait le deuil de son père, il avait refoulé sa mort si souvent souhaitée. Ses craintes traduisaient donc son agressivité refoulée envers son père et envers la femme aimée.

Lacan a complété l’analyse de Freud en retrouvant dans le symptôme obsessionnel de « l’homme aux rats », les histoires qui ont précédé sa naissance : une dette frauduleuse de son père, militaire, cassé de son grade pour forfaiture, un emprunt qui a permis à celui-ci de couvrir sa dette, la question obscure de son remboursement à l’ami qui lui est venu en aide, et un mariage qui lui a redonné une position tout en trahissant un amour. Toute son enfance, l’homme aux rats avait entendu parler de cette histoire; il ne s’agit pas d’un événement traumatique qui fait retour du refoulé ; c’est l’histoire familiale dramatique qui reparaît dans le symptôme sous une forme méconnaissable ; le sujet la reproduit sans en avoir conscience car elle est transposée comme une écriture dans une autre langue ou en d’autres signes.

L’INCONSCIENT

La théorie de l’ICS est l’hypothèse fondatrice de la psychanalyse. Elle nous apprend que nous ne sommes pas le centre de nous-mêmes, qu’il y a en nous un autre sujet, l’inconscient. « C’est une nouvelle qui n’est pas bien acceptée ! », dit Lacan.

L’inconscient, c’est l’organisation qui gouverne nos pensées, nos désirs, nos actes. Il surgit comme incongru dans le discours conscient que nous croyons maîtriser, ou de manière énigmatique et contre notre volonté dans les rêves, lapsus, oublis, symptômes que l’on appelle formations de l’inconscient. Ce n’est qu’à travers ces formations de l’ics, à travers le retour du refoulé que nous avons accès à l’inconscient, cad au refoulé.

La notion de refoulé est difficile à comprendre car on imagine le refoulement comme une pression  contre un couvercle de cocotte minute.

Refouler ne signifie pas refuser de prendre conscience de quelque chose, d’un instinct sexuel par exemple qui voudrait se manifester sous forme homosexuelle. Ce n’est pas une tendance qui est refoulée, ce n’est pas son homosexualité que le sujet refoule, mais la parole où cette homosexualité joue un rôle de signifiant ; c’est une vérité qui est refoulée, elle devient inconsciente et va s’exprimer dans les formations de l’ics, en langage chiffré.

La vérité n’est pas perdue ; c’est la clé du nouveau langage dans lequel elle s’exprime désormais qui manque. C’est là qu’intervient le psychanalyste. CF. La Science des rêves,la Psychopathologie de la vie quotidienne,  Le mot d’esprit et l’inconscient.

Le terme inconscient fait croire qu’entre le conscient, « ce que nous croyons dire » et l’inconscient, « ce que nous ne savons pas que nous disons quand nous parlons », existe un bord qui les sépare et qu’ils sont répartis de chaque côté de ce bord. Il n’en n’est rien, les manifestations de l’inconscient dans le discours conscient sont en continuité, comme l’envers et l’endroit d’une bande de Moebius ; le passage de l’un à l’autre ne nécessite aucun franchissement de bord. C’est pourquoi le refoulement est inséparable du retour du refoulé.

Lacan a posé l’existence d’un sujet de l’inconscient qui travaille notre parole et nos actes alors que nous pensions les commander. Il appelle sujet divisé ce sujet qui semble s’opposer à lui-même et l’écrit $. Cela ne signifie pas qu’il y a un sujet de la conscience et un double obscur, mais que c’est dans sa pensée et dans ses actes, que le sujet est divisé, clivé.

Il n’est pas possible de séparer, même après une cure psychanalytique, le sujet conscient du sujet inconscient, c’est le même et un autre dans le même temps. Nous aurons toujours un ics !

Freud : L’inconscient c’est la mémoire, c’est même l’oublié ! Dans sa première théorie de l’appareil psychique (cf. lettre 52), Freud présente un appareil qui se comporte comme un bloc magique devant toute perception nouvelle et qui en garde les traces mnésiques.

Dans cet appareil, la même excitation est fixée de façon différente dans 3 couches de la mémoire et les différentes sortes de traces de l’expérience constituent la vie psychique inconsciente.

CS                                                ICS                                                    PCS                        CS

 

W————————-Wz———————Ub————————–Vb——————–Bews

Perception   signes de la  perception    souvenirs de concepts   représentations  de mots

Simultanéité causalité

Représentations à     représentations de la représentation

 

pas de sens                         orientation

pas de contradiction        implique la succession

pas d’ordre dans le temps dans le temps

condensation déplacement permettent le passage d’une représentation à l’autre.

-W : (Wahrnehmung = perception) C’est dans la cs que nous avons d’abord à faire aux perceptions, aux impressions, à la jouissance du corps ; les neurones dans lesquels naissent les perceptions n’en gardent aucune trace car si toutes les traces de l’excitation subsistaient dans la conscience, la capacité du système à recevoir de nouvelles excitations serait réduite. Perception et mémoire, perception et ics s’excluent.

-Wz : (Wahrnehmungzeichen=les signes de la perception) Dans l’ics, au premier niveau, les perceptions s’inscrivent sous forme de signes de la perception, de représentations ; ils sont associés selon des coïncidences temporelles, selon la simultanéité. Donc ici pas de sens, pas de contradiction et pas d’ordre dans le temps.

-Ub : ( Unbewusztsein=l’inconscient) Au niveau de la deuxième inscription inconsciente, les représentations s’ordonnent selon des relations causales, et se transforment en souvenirs de concepts. Vorstellungrepresentanz= représentations de la représentation.

Les associations de causalité impliquent la succession dans le temps, donc une orientation.

-Vb (Vorbewusztsein=le préconscient)  La troisième inscription, est une réécriture avec des représentations de mots, Wortvorstellung.

Les représentations inconscientes sont soumises aux lois du déplacement et de la condensation qui sont des modes de passage d’une représentation à une autre. Dans le travail du rêve la condensation accumule sur un seul élément une suite de pensées,  et le déplacement centre des pensées sur un élément de moindre importance apparente.

-Les traces mnésiques ics ne sont pas des images de la chose, mais des signes sans qualité sensorielle particulière qui peuvent être comparés à des lettres.

-Les contenus des perceptions sont associés pour être conservés et les combinaisons d’inscriptions et de retranscriptions peuvent se faire à l’infini.

-En s’inscrivant l’expérience subit de nombreux remaniements. On ne retrouve plus l’expérience vécue, mais une série de fantasmes qui déterminent la vie psychique.

-L’inconscient avec ses représentations ne peut accéder à la conscience qu’en passant par le préconscient qui lui en permet ou interdit l’accès. Les représentations refoulées par la censure restent inconscientes et sont à l’origine des névroses ( L’hystérique souffre de réminiscences).

Lacan

Pour Lacan qui a dégagé la position primordiale du signifiant par rapport au signifié, (le signifiant ne représentant pas le signifié) et souligné l’importance des symboles, dans l’appareil psychique de Freud :

– Les signes de la perception qui peuvent se lire sont des signifiants!

-Condensation et déplacement équivalent à deux opérations langagières : condensation à métonymie (boire un verre alors qu’on en boit le contenu = lien de proximité), déplacement à métaphore (la bouche d’un fleuve, le cœur d’une forêt = substitution d’un signifiant à un autre).

Elles ne sont pas ordonnées par le temps, et ne connaissent pas la contradiction.

-La trace de l’expérience vécue s’associe avec d’autres traces, d’autres signifiants, en un enchaînement de signifiants qui crée des effets de signification qui n’ont plus rien à voir avec l’événement perçu dans la réalité.

-L’écriture de l’Ics est de l’ordre du jeu de lettres. Les mots sont traités comme des choses par homophonie et assonance ; ils valent par leur tissage et leurs connexions littérales comme en poésie

-L’inconscient est constitué d’un matériel dépourvu de signification.

-L’inconscient est structuré comme un langage, un langage qui a ses lois, sa syntaxe et ses caractéristiques.

-La jouissance est transplantée du corps vers le langage.

-Les formations de l’ics ont bien une forme d’écriture chiffrée. Les phénomènes dont il s’agit dans l’analyse, sont bien langagiers.

 

LE TRANSFERT

Le mot « transfert » vient du latin et signifie translation, déplacement ; il implique le mouvement ( T. de fond, de prisonniers, de marchandise..)  Au sens juridique : placer une personne dans un autre statut.

Le transfert est un phénomène qui s’établit de manière automatique, constante, inévitable, indépendamment du contexte, dans toutes relations, quelles soient professionnelles, amicales, ou sociales. C’est le moteur de toute psychanalyse comme de toute psychothérapie.

Pas de thérapie ou d’analyse sans transfert ! C’est un phénomène inconscient qui consiste en la reviviscence d’affects : le sujet n’a aucune conscience du fait que ce qu’il éprouve dans l’instant, il l’a éprouvé autrefois dans une situation similaire ; il ignore que cet affect n’a rien à voir avec la réalité du cadre dans lequel il se trouve.

En psychanalyse,  transfert désigne le lien qui s’instaure entre un patient et son psychanalyste au cours d’une cure. L’analyste  est dédoublé entre ce qu’il est et ce qu’il incarne pour le patient ; il doit en tenir compte pour entendre son patient. Il n’y a pas d’analyse sans transfert.

Freud

Au début, il était désorienté quand ses patientes se jetaient à son cou, puis il en a fait, petit à petit, un outil essentiel de la relation analytique.

L’analyste est aimé ou haï par le patient qui transfère sur lui des désirs qu’il éprouvait pour son père ou sa mère. Il revit ainsi symboliquement des pans de son enfance et ses souvenirs enfouis émergent. Le transfert est une forme de remémoration qui fait partie du matériel de l’analyse. (A cause du transfert, le patient peut aussi vouloir montrer à l’analyste qu’il est guéri, supposant que c’est ce qu’il attend de lui ; il peut encore résister, rejouer, au lieu d’associer librement.)

Le patient ne dit pas qu’il se rappelle avoir été insolent et insoumis à l’égard de son père, mais il se comporte de cette façon à l’égard de l’analyste ; il répète dans la cure ce dont il ne se souvient pas ; l’analyste n’est pas pris pour le père.

L’analyste accepte le jeu du transfert, ( il ne dit pas  « je ne suis pas votre père » !) mais renvoie l’analysant à son énonciation afin qu’il dépasse la relation imaginaire.

Un analyste doit avoir fait une analyse pour ne pas se croire concerné, pour comprendre que quelque chose se joue ailleurs, et non dans l’« ici et maintenant » ; c’est ainsi qu’on évite la « folie à deux ».

Le transfert a aussi un aspect dialectique qui constitue le véritable moteur de la cure ; au-delà de toute demande de guérison, le patient demande à être aimé, mais il l’ignore. Puis il va penser que si l’analyste accepte de l’écouter, c’est qu’il est digne d’intérêt et d’amour ; il entre en analyse comme en se pensant aimé.

C’est le désir de l’analyste qui permet la mise en place de cette relation amoureuse platonique qu’est le transfert. Mais c’est parce que le psychanalyste ne répond pas à la demande ponctuelle d’amour que le transfert est ouvert à l’analyse. C’est ainsi que l’analyste peut agir progressivement dans le sens inverse du transfert pour détacher l’analysant de l’idéal qu’il incarne et lui éviter de terminer son analyse en étant identifié à lui.

Freud et la découverte du transfert

Breuer avait constaté que sa patiente, « Anna O. » allait bien quand il lui faisait une visite quotidienne, tandis que sa symptomatologie s’aggravait quand il ne passait pas la voir.

Le cas « Anna O. » 1880 à 1882

Bertha Pappenheim, âgée de 21 ans, souffrait depuis deux ans de paralysies et contractures gênantes pour boire et manger et de graves troubles de la vue et du langage, en particulier perte de sa langue maternelle. Elle paraissait parfois d’humeur sereine et d’autres fois très excitée.

Breuer pris l’habitude de lui rendre visite régulièrement et gagna sa confiance. La patiente prit l’habitude de lui raconter tous les désagréments de sa pénible journée ; elle se sentait momentanément soulagée.

Un jour, Anna O raconta dans les moindres détails l’apparition de l’un de ses symptômes qui disparut ainsi. Très intelligemment, elle se mit à raconter l’apparition de chacun de ses symptômes et la souffrance disparaissait comme par enchantement. Breuer réussît en moins d’un an à délivrer Anna O de la plupart de ses symptômes et donna à cette méthode qui combinait l’hypnose à la parole spontanée le nom de « méthode cathartique », tandis qu’Anna O la nommait « talking cure » (« cure par la parole ») ou de « chimney sweeping  » (« ramonage de cheminée »).

Anna O était tombée malade alors qu’elle soignait son père atteint d’une grave maladie à laquelle il devait succomber. Tous ses symptômes relevaient d’un conflit psychique entre son désir de sortir et de s’amuser comme toutes les jeunes filles de son âge, et le devoir de veiller son père malade, sa mère  étant absente à cette époque.

 

Pour revenir au transfert, Breuer était tellement absorbé par ce cas que sa vie de familiale en pâtit. Partagé entre son devoir de médecin et les remords d’inquiéter  malgré lui sa femme, il décida de mettre un terme à la cure de la jeune fille dont l’état s’était considérablement amélioré. Mais le soir où il annonça sa décision à Anna elle fut prise d’affreuses douleurs évoquant des douleurs d’accouchement : Accouchement hystérique d’un enfant conçu de façon imaginaire lors d’un traitement inconsciemment vécu comme un accouplement fantasmatique avec le médecin ; Breuer n’avait rien vu venir. Breuer « se débarrassa du bébé » en racontant l’histoire à Freud ; il présenta Anna comme une grande malade détraquée et garda les détails sur la fin du traitement !

Dans le cas Dora, Freud était encore embarrassé du transfert. Il l’a mis de côté, pour se centrer sur les symptômes, les rêves, les actes manqués, les associations, la sexualité infantile de sa patiente au lieu de le prendre en compte pour qu’il fasse partie du matériel de la cure.

Le cas « Dora »

Dora, Ida Bauer, était née à Vienne dans une famille juive ; elle avait présenté dès son enfance des « troubles nerveux », en particulier des difficultés respiratoires. Quand son père a contacté Freud, elle souffrait de dyspnée, de toux nerveuse, d’aphonie, de dépression et d’humeur asociale, déclenchées par une situation qui  met en scène 4 personnes : son père, un homme talentueux admiré par Dora, sa mère plus effacée, préoccupée de tâches ménagères, Madame K que Dora admire et Monsieur K.

Dora avait refusé de passer quelques semaines comme prévu dans la maison des K au bord d’un lac et ne s’en était expliquée qu’au bout de plusieurs jours : Monsieur K. avait osé lui faire une déclaration. En fait il avait dit que sa femme n’était rien pour lui et elle l’avait giflé. Dora avait demandé à son père de rompre avec les K., mais comme celui-ci entretenait une relation amoureuse avec Madame K., il avait accusé sa fille d’avoir imaginé la scène rapportée.

Durant sa cure avec Freud,Dora raconte un événement antérieur : quand elle avait 14 ans Monsieur K. l’a serrée contre lui et embrassée, elle en a ressenti un profond dégoût et s’est enfuie. (L’hystérique  ressent du dégoût là où il y a excitation sexuelle.)

Freud  a insisté pour que Dora reconnaisse son désir inavoué pour Mr. K. et provoqué l’arrêt du traitement. Il avait été mis à la place de Mr.K et ne s’en était pas rendu compte ; il n’était donc plus en mesure de lui faire comprendre ce qu’elle mettait en acte ; elle s’est vengée de Freud, comme elle voulait se venger de Mr.K. L’élucidation du transfert est indispensable pour éviter les passages à l’acte ou acting-out.

 

Lacan : L’analyste est le « sujet supposé savoir » !

Pour Lacan, il y a transfert parce qu’il y a une supposition de savoir qui est aussi une dialectique. Si le patient s’adresse à l’analyste, c’est qu’il lui confère le pouvoir de savoir ce dont il souffre alors qu’il l’ignore. Plus l’analyste est silencieux, plus il est crédité de ce pouvoir.

Le fait d’avoir à parler devant le silence d’un autre – un silence qui n’est fait ni d’approbation, ni de désapprobation, mais d’attention – est ressenti comme une attente, comme l’attente de la vérité  susceptible d’apaiser ses souffrances. Le patient veut découvrir ce qu’il suppose que l’analyste sait.

Le transfert, c’est l’amour qui s’adresse au savoir, c’est un appel au maître, au père, au lieu où serait garantie la vérité au nom de quoi nous parlons. La cure analytique a pour but de défaire cette attente d’une complétude du symbolique. Elle conduit le sujet à prendre acte qu’il y a un trou dans le symbolique que nul Dieu ne viendra jamais combler. (incomplétude de l’Autre.)

En face, le psychanalyste sait qu’il n’est que « supposé-savoir » et que le savoir est chez le patient. Il suppose que, dans ce que dit le patient, dans son inconscient il y a un savoir sur son symptôme.

Psychose (On a trop longtemps soutenu qu’il n’y avait pas de transfert chez les psychotiques et que ceux-ci étaient inaccessibles à tout abord psychanalytique. Certes, la cure type n’est pas pour eux, mais une prise en charge analytique peut les aider.)

Si le transfert a à voir avec l’amour, celui engagé par le psychotique n’est pas métaphorique, le psychotique aime réellement comme l’indiquent les fréquentes issues érotomaniaques ; il peut aussi haïr réellement d’où les moments intrusifs et persécutifs ; les moindres gestes ou propos peuvent produire des effets destructurants  majeurs. Le psychotique peut passer de la confiance absolue à la méfiance radicale. Il résiste mal au transfert.Le fait qu’une analyse puisse déclencher une psychose est bien connu ; c’est évidemment fonction des dispositions du sujet mais surtout d’un maniement imprudent du transfert.

Le psychotique est le « sujet supposé savoir », l’analyste devient le « secrétaire de l’aliéné ».

M. Czermak : Patronymies

Il donne des exemples de maniements du transfert psychotique :

-l’érotomanie d’un jeune homme sur sa thérapeute qui disait habituellement « Je pars en vacances » et qui dit  « je pars en vacances, rappelez moi en septembre » = déclenchement de la psychose, il n’a pas résisté au transfert.

-Celui qui croit rassurer son patient en lui disant :« Je veille sur vous » ; le patient voit son thérapeute partout, entend sa voix à la radio, à la télé = syndrome de Frégoli chez un psychotique qui n’était pas repéré

-Une psychotique délirante persécutée par son mari et qui menaçait depuis 20 ans de divorcer. Quand l’interne lui dit qu’il est scandaleux de vivre avec un homme qu’on dénonce constamment, elle va se plaindre au chef de service et quelques années plus tard elle continue de se plaindre de son mari et de décrire la vie conjugale qui devrait être la sienne. « Il n’y a que les psychotiques pour faire des vrais couples, des couples en rapport, vraiment unis. »

 

Perversion Pour la psychanalyse, cette notion ne se rapporte pas uniquement aux comportements sexuels ; elle désigne la problématique de personnes qui jouissent de repérer et de toucher chez l’autre la faille, le point d’angoisse. Les pervers peuvent mettre à mal ceux qui s’avisent de les prendre en charge s’ils ne les ont pas repérés comme tels. Dans certaines situations, à défaut de paroles qui font acte, ils peuvent les mener par le bout du nez, car ils jouissent de mettre l’autre en incapacité de faire quelque chose pour eux.

P. Declerck (Les naufragés) donne de nombreux exemples de ces situations où la personne clochardisée jouit de se mettre à nu devant le soignant ou le travailleur social, de mettre à nu le réel de son corps souffrant ou la proximité de la mort, et de toucher ainsi à l’angoisse de l’autre.

INDICATIONS : les principes

 

L’analyse n’est pas réservée à tel ou tel type de pathologie ou de symptôme, pas non plus réservée aux seuls névrosés comme on la longtemps pensé.

Proposer le recours aux médicaments, à telle ou telle thérapie, à la psychanalyse, implique l’adhésion à une certaine vision de l’homme. Donner des antidépresseurs à une personne en deuil au lieu de l’aider à parler, c’est croire ou faire croire aux patients que toute souffrance relève de la pathologie, c’est retirer à l’homme sa qualité d’humain car il n’y a pas de vie humaine sans conflits, sans douleurs et sans épreuves à traverser.
Réduire la souffrance à une série de symptômes, assortis d’une prescription, c’est nier la subjectivité, c’est récuser l’idée que chaque être est unique : on ne soigne pas une angoisse comme on répare une voiture.
Assimiler le psychisme à un réseau de neurones, c’est confondre l’homme avec un ordinateur, en oubliant que ce dernier n’accédera jamais à la capacité de penser.

La psychanalyse est en opposition avec les idéaux pragmatiques et consuméristes contemporains (être adapté, efficace, sûr de soi, capable de gérer ses émotions) ; elle invite à ne pas se contenter du prêt à consommer, à se poser des questions, elle dérange « le bon ordre ».

On a tout dit sur l’analyse, tout et son contraire, qu’elle a pour but d’adapter le sujet à sa vie ou à ses véritables besoins, d’en faire un père parfait, un époux modèle, un citoyen idéal, soit quelqu’un qui ne discute  plus de rien, qu’elle est un moyen de se libérer de toute contrainte, de s’abandonner à tous ses désirs, qu’elle nous modifie, nous dépossède d’une partie de nous-mêmes, etc. On la dit longue, coûteuse, moins efficace que le Prozac…

Elle dure longtemps, c’est vrai, mais chacun décide d’arrêter quand il le veut. Certains le font dès qu’ils sont débarrassés de leurs symptômes, c’est leur droit. Si l’on va jusqu’au bout, c’est long, car quand c’est trop douloureux, le psychisme se protège. Mais l’analyse a une fin.

La psychanalyse coûte cher ; elle coûte une somme d’argent qui est le symbole du prix à payer pour s’en sortir. La psychanalyse suppose un engagement, car elle n’est pas une partie de plaisir. La parole ne suffit pas : dire : “Je soutiens telle cause”, et ne jamais donner un euro, c’est contradictoire. On paye l’analyste aussi pour ne pas être en dette envers lui. Nous avons fait un travail avec lui, nous l’avons terminé, nous pouvons le quitter.

Payer l’analyse ne signifie pas qu’elle soit un objet de luxe. Le prix est décidé avec l’analyste, il n’est pas lié seulement aux revenus, mais au sens qu’il a pour chacun. (pour tel le prix est cher et pour tel autre non). Et puis il y a des psychanalystes à l’hôpital ou en CMP !

Les personnes qui ont fait une psychanalyse ne sont pas débarrassées à tout jamais de toute souffrance. Elles disent seulement comment elles vivent avec elles-mêmes après avoir fait le dur travail de découvrir qui elles étaient.

La psychanalyse ne guérit pas. On guérit ce qui est guérissable.

Le symptôme est ce qui échappe à l’organisation du moi. Il y a symptôme quand le sujet dit que « ça, ça n’est pas moi », et qu’il dit vouloir s’en débarrasser. Dans un premier temps, ça le gêne, il veut s’en débarrasser, dans un second temps, souvent, le symptôme fait partie de lui, il l’aime car il est une solution à son angoisse ; il ne veut plus s’en débarrasser. On ne peut pas dire que le sujet résiste, simule, manipule; ce symptôme peut être ce qu’il a de plus précieux : une identification, un lien à l’autre (après le décès d’un être cher)…

Le symptôme peut aussi procurer une satisfaction substitutive et faire plaisir (Inhibition, Symptôme, Angoisse : la névrose obsessionnelle). Dire que c’est une satisfaction substitutive ne signifie pas que c’est moins de satisfaction. Freud montre que l’on n’arrive pas à les distinguer et Lacan que finalement toutes les satisfactions sont substitutives d’une qui n’existe pas.

Nous allons en analyse pour nous débarrasser de nos symptômes mais, paradoxalement, nous tenons à ces symptômes, parce que c’est la seule chose que nous connaissons de la vie, du monde, du rapport aux autres et à nous-mêmes. La réaction thérapeutique négative tient à l’inconscient du patient, comme pour toute thérapeutique.

Tout acte de soin se confronte à la répétition, à l’instance d’une étrange satisfaction, que Lacan nomme jouissance…

Joëlle SZYMANSKI-KHALIL

Psychologue – Psychanalyste

Membre de l’Association lacanienne internationale