À propos du film « Tom boy », quelques questions, par Rafaëlle Bernard

par Rafaëlle Bernard, mai 2011.

À propos du film « Tomboy* » où une petite fille d’une dizaine d’année se fait passer pour un garçon, à son arrivée dans une nouvelle résidence.

De ce qui se joue du phallus lorsque le genre est en question chez une petite fille…

D’emblée je proposerai de vaciller autour de ce « qui se joue » : entendre ce qui se joue…comme au théâtre, ou plus sérieusement du côté de l’enjeu ? Mais aussi un peu comme un « je me joue de toi, petit bonhomme… »

Je ferai tout dans le désordre, puisque c’est la panique au tableau de la sexuation…Commençons donc par la chute, qui m’a semblé la plus remarquable, le dénouement ( !). Vers la fin du film, la supercherie est découverte, bien sûr. Il faut alors à cette enfant supporter la révélation aux yeux de tous de son identité de fille. Elle va passer un moment manifestement pénible, humiliée par et devant le groupe de garçons dans lequel elle s’était faite admettre. Un moment de brutalité de la part de ces petits hommes incrédules devant cette fille qui a osé venir marcher sur leurs plates-bandes…Mais de ce fait aussi sec elle ne compte plus…Passé ce moment violent, pffuit, éliminée, « c’est rien qu’une fille ». Et Laure, du coup, pourra leur tourner le dos, il n’en restera pas grand-chose. A moins que ne compte cette blessure d’avoir été si facilement exilée, mais il semble que ce pourrait être quelque chose d’une grande règle du jeu que Laure serait à même d’admettre.

Une réflexion m’était apparue comme une évidence à la sortie du cinéma : à condition que Laure ait les moyens, et cela ne semble pas exclu, au fond, de renoncer sans trop de dégâts à la tentation d’être toute de ce côté-là, si elle choisit finalement le côté « fille », alors on peut dire qu’elle en était déjà indemne, de cette affaire…Tout simplement parce qu’ « elle ne l’a pas », qu’elle le savait quelque part fort bien, et que par conséquent elle n’avait « rien à perdre », ce qui explique peut-être l’excellence de sa  prestation de garçon. C’est si flagrant que sa petite copine, celle-là même qui était si séduite par « Laure-Michaël », et qui se sent un moment flouée à la découverte de « Laure-Laure », me semble reconnaître elle aussi cette force-là, (celle de « ne pas l’avoir » et de ce fait de « pouvoir s’en passer etc… »), en elle-même comme en Laure-Laure. Elle revient vers cette dernière, capable de complicité. Presque elle serait capable, si jeune, de s’avouer clairement que c’était Laure qui l’attirait en Michaël, la faisant se sentir comme qui dirait en terrain ami…Du côté des petits mecs, pré-pré-ados, il en va tout autrement, car  ce avec quoi Laure s’est permis de jouer, c’est plus qu’important, c’est majeur, c’est constitutif. On ne plaisante pas avec le phallus. C’est du sérieux. Faut que ça tienne. D’ailleurs, qu’on puisse jouer avec ça, ça les dépasse, tout simplement, et ils s’en détournent.

Voilà un premier point, mais ce qui reste ensuite c’est la question posée par Laure, et les racines de cette question que l’on peut interroger à la lumière de ce qui est donné à voir de son histoire familiale. Car ce film propose un schéma qui à mon avis appelle des commentaires. Dans ce schéma la mère est une grande femme blonde, nordique et androgyne. Le père, lui, est brun, chaud, plus enveloppant, plus méditerranéen, plus féminin, dirais-je d’emblée. La petite sœur de Laure, Jeanne, ronde et sensuelle, aux longs cheveux bruns, a aussi l’œil humide de son père, c’est déjà une petite femme, elle sait déjà tout du costume à endosser pour faire la femme. Laure, elle, « tient de sa mère », blonde et androgyne comme elle. Il y a ainsi une donne inscrite dans la dualité dans cette famille. Ça marche par paires et le couple parental en est comme effacé. La tentation est forte d’y noter la faiblesse d’une instance tierce qui viendrait remettre de l’ordre dans tout ça. Elle pointe toutefois le bout de son nez par l’intermédiaire du 5ème membre de la famille qui arrive, puisque le petit frère nait vers la fin du film. Il me semble vraiment avoir pour rôle celui de l’ordonnateur, petit trait Unaire en puissance…Dans la métaphore du film bien entendu.

Alors avec quoi Laure est-elle aux prises ? La place d’ainée, possiblement occupée par tant de fantasmes parentaux ? On ne peut s’empêcher de penser que s’y joue en grande partie l’énigme de ce couple où les attributs de genre semblent si curieusement distribués, presque inversés, y compris dans ce moment de maternité (point particulier à reprendre). Laure règle ça dans son corps même. A la faveur d’une transplantation de lieu…Peut-être parce que lorsque les racines s’arrachent et qu’il faut s’implanter ailleurs, on retourne pour une part de soi aux premiers stades embryonnaires…Quelque chose peut se re-jouer; il y a ce possible, et Laure va proposer une nouvelle mise en scène dans ce théâtre de marionnettes que les enfants voient les adultes jouer.

Elle va mettre en scène ce physique si lisse, si incertain, et ce corps non encore marqué par la puberté. Plus facile d’être un garçon, semble-t-il, même s’il faut se jeter dans la mêlée, voire se battre, suffit de fermer les yeux dira-t-elle. Alors que maquillée, c’est un petit clown fragile, elle n’est pas à l’aise avec les oripeaux de la féminité…

Revenons sur ce « Laure tient de sa mère » ; que tient-elle ? Se trouve-t-elle mise par sa mère à une place phallique ? Peut-on se trouver « désigné » par un dire inconscient de la mère à devoir tenir cela ? Son père semble entériner cet état de fait, témoin la scène où il lui apprend à conduire…Comment est-il question ici de la castration ? Celle de la mère ? Mère de qui émane par ailleurs une sorte de tristesse troublante. Simple fatigue de fin de grossesse, du déménagement ? Ou bien autre chose ? Cela restera mystérieux. Mais au moment de la découverte de la mise en scène de Laure, c’est elle qui va agir, sans prendre le temps de consulter son mari, et avec une certaine brutalité. Une attitude masculine, directe, visant avant tout l’efficacité. Il faut tout dire, et clarifier les choses au plus vite, pour ne pas rendre un peu plus tard la situation ingérable. Même si sa position peut se justifier, il manquera le temps de l’écoute. On peut se dire qu’elle aussi règle là quelque chose. Elle tranche dans le vif. Tranchant alors le cou aux interrogations de sa fille sans les affronter…Se joue-t-il quelque chose d’un évitement de la castration ? Ce qu’elle dit à sa fille c’est « ça ne me dérange pas que tu joues au garçon » Est-ce innocent ? Est-ce cela que cette petite fille a besoin d’entendre ? A quoi Laure peut-elle alors se référer pour faire la femme ? Met-elle en scène cette absence ? Cette absence chez le modèle maternel du jeu avec les attributs de la féminité, absence aussi de discours sur cette question ? De cette absence Laure fait-elle un manque ? Elle bouche le trou avec une naïveté maladroite et touchante, allant jusqu’à porter un faux pénis en pâte à modeler. Laure modèle, par manque de modèle, un, une micha-elle… provoquant au final un petit scandale qui montre à quel point elle a besoin que quelque chose soit dit de cette affaire de sexuation qui ne va pas toujours de soi.

*Un film de Céline Sciamma