Quand on demande aux cliniciens « d’exposer » des « cas cliniques » pour rendre compte de leur pratique auprès des financeurs… par Patricia Martineau

Rendre compte d’une activité, assurément ce n’est pas de cela que relève la clinique. Il s’agit davantage de venir témoigner d’une pratique auprès de nos patients. Etant devenu un CSAPA nous sommes donc sensés « prendre en charge» toute personne addictée. Sans doute serait-il opportun de nous arrêter sur ce terme employé à tout va et par tout le monde. Petit retour sur le terme addiction. En droit médiéval inspiré du droit romain, l’addiction est une contrainte par le corps d’une personne qui se trouvant dans l’impossibilité de s’acquitter d’une dette, est alors mise par le juge à la disposition du plaignant .Ici la dimension du corps est prévalente, à savoir que l’addiction implique une contrainte par le corps.et un rapport à l’objet en continu. A ce sujet rappelons à propos des addictions dites sans substance, notamment à internet ou aux jeux en réseau et autres, qu’elles sont à différencier des autres addictions dans la mesure où dans ce cas le corps est hors circuit, c’est-à-dire n’est pas contraint. Il y a une spécificité des addictions que nous perdons de vue en tant que soignants en admettant que nous recevons des « usagers » de produits divers et variés, usagers de drogues notamment, mais là encore pourquoi ne serions-nous pas tous des usagers ? Des usagers des transports en communs, des usagers de l’alcool…. ? Sur quoi allons-nous fonder notre clinique ? Pourquoi ne serions-nous pas tous addictés, en quoi et de quelle place enseignerions nous à nos patients « le bon usage » du produit là où il serait nécessaire qu’ils lâchent l’objet afin d’introduire la dimension du manque.

Repérage. Le petit d’homme au début ne peut qu’être dépendant, totalement dépendant de sa mère ou de toute autre personne qui s’y substitue. Il lui est même fondamentalement aliéné. « (…) dans la relation primitive de l’enfant avec sa mère, la frustration en elle-même n’est pensable que comme le refus du don en tant qu’il est lui-même symbole de quelque chose qui s’appelle l’amour ».[1] La mère est pour l’enfant « puissance de don ». Par exemple, l’objet de la succion, le sein,  quant à ce dernier, aucune nourriture ne peut « satisfaire » la demande du sein. Il devient alors plus précieux au sujet que la satisfaction même de son besoin, dès lors que cette satisfaction ne se voit pas menacée. La condition de l’existence du sujet est la perte d’un possible. Il y a toujours un manque du fait que nous sommes vivants. La faille du sujet ne peut jamais être comblée et plus on tend à l’emplir plus le vide se fait ressentir. Si le lait de la mère nourrit l’enfant, il échoue à  assurer la présence de la mère. Ceci relève du nouage des registres réel, symbolique et imaginaire. Le petit d’homme est avant toute chose serf du langage telle est sa dépendance originelle, il est un parlêtre. La relation à l’objet n’est pas immédiate et ce par le simple fait que le sujet est un être parlant. La jouissance n’a pas à voir avec les aléas divers du plaisir, elle concerne le désir inconscient. Elle ne peut être conçue comme la satisfaction d’un besoin apportée par un objet qui le comblerait. Ainsi L’addiction -s’adonner à – témoigne d’une contrainte par le corps, d’où le danger d’y associer une liste d’objets ou de situations infinies. C’est pourquoi la psychanalyse va s’intéresser à la relation, au rapport au produit plutôt qu’à la liste des objets. Car « peu importe le produit pourvu qu’on ait l’ivresse » ! Ceci nous permet d’aborder la question de la Jouissance. Celle de l’alcoolique comme du toxicomane est Autre, il n’est pas question  de la jouissance phallique. Mais avec l’alcool de retrouver toujours de manière assurée une jouissance toujours à portée de main. « À chaque fois ça marche ». La seule chose qui échoue, qui échappe, c’est l’ivresse, celle du début, puisqu’elle ne peut plus être atteinte, mais peu importe, la quête se poursuit. Car ceci est toujours plus assuré pour l’alcoolique que de se risquer à s’engager dans une relation sexuelle avec un autre. La question de la sexualité demeure inexorablement évincée, évitée, même souvent après les années d’abstinence. En ce qui concerne le toxicomane, de quoi jouit-il ? Certains utilisent le terme de « jouissance de la seringue ». Terme impropre pour qui a une oreille suffisamment aiguisée pour entendre ce dont il est question. Lorsque le toxicomane fait part de sa jouissance, il nous le dit ; il jouit « de se faire un trou ». Curieuse affaire qui la encore nous amène, devrait nous amener en tout cas à ce que le réel au début de la vie doit être troué, et que ce qui va venir border ce trou est le corpus des signifiants, le nouage du symbolique au réel du corps.

Alors, nous pouvons toujours nous féliciter de prendre en charge « toutes » les addictions, dans une position de toute-puissance, en ce qui me concerne, l’exercice de ma pratique clinique que ce soit lors d’entretiens téléphoniques, d’accueil avec ou sans rendez-vous, de soutien psychologique voire de psychothérapie n’est guidée que par un seul fil éthique « La psychanalyse guérit de l’ignorance mais pas de la connerie » Ainsi que Jacques Lacan l’avançait. Et ce afin que peut-être chaque patient puisse trouver non seulement sa vérité de sujet, mais aussi la voie de son désir.

 

[1] Jacques LACAN in Le Séminaire Livre IV « La relation d’objet » Ed du Seuil.