« L’Inconscient » Concept présenté par JC Molinier

Alger, le 27 09 2009

Introduction

Paradoxalement sans doute pour nous c’est pour avoir rendu à la parole toute sa place dans la pratique analytique qu’il fut souvent reproché à Lacan de parler en philosophe. Beaucoup plus gravement ce dernier leur renverra une critique plus serrée : leur approche de la découverte freudienne relèverait quant à elle d’un refus du concept, de ces concepts
fondamentaux dont en ce qui concerne l’inconscient, j’ajouterai « freudien », nous allons
essayer de parler aujourd’hui.
Le propre d’un concept c’est qu’il se modèle d’une approche de la réalité et pour tout dire, si j’ose dire, d’une saisie de cette même réalité : il ne s’achève, ne se réalise, que par un passage à la limite. Comment effectuer ce bouclage par lequel l’ICS se réalise comme concept ? Deux termes sont à retenir comme « à-venir » dans cette élaboration : le sujet et le Réel.

L’ICS structuré comme un langage.

Nous en avons déjà parlé ici…Rappelons seulement que, contrairement à la linguistique, le
sujet parlant pour la psychanalyse n’est pas un locuteur utilisant le langage comme simple
instrument aux fins de communication. Le langage pour la psychanalyse n’est pas d’abord
pour communiquer. Au contraire le sujet parlant est bien plutôt parlé, effet de la parole dans le champ du langage qui lui ouvre ses failles, failles où trébuchent les pas de la parole…L’ICS le voici donc dit « structuré COMME UN langage »…on pourrait aussi ajouter comme l’UN du Langage. C’est sur ce « comme un » qu’il convient d’insister, cet «UN » du langage comme unité négative par excellence car différentielle, oppositive. Cet «UN » renvoie à UNE coupure, c’est l’UN de la coupure… « Comme UN » signifie quelque chose d’ouvert, le « comme UN » nous renvoie vers la langue de chacun dont se constitue pour cet « UN chacun » son Inconscient. Ainsi, aucune langue n’est toute, bouclée, fermée mais reste « ouverte » (au sens d’ensemble « ouvert »). De cette incomplétude se constitue une faille où le sujet « défaillant » se constitue comme effet. A ce niveau nous devons revenir vers ce qui fut évoqué de la structure fondamentale du langage isolée par le linguiste : la coupure signifiante, la pure différence, le + et le -, le jeu de l’absence et de la présence qui trouva son achèvement dans l’analyse phonologique de R. Jakobson. Lacan a pu ainsi soutenir que l’ICS est la CONDITION de la linguistique ; en effet comment, sans cette coupure que l’on peut dire « inaugurale » et qui est bien le fait de l’ICS freudien, la linguistique aurait-elle trouvée la voie d’un développement scientifique original ? C’est bien de là que Lacan, après avoir évoqué les travaux de Levi-Strauss issus eux-mêmes de l’approche structuraliste en anthropologie, ouvre sa propre analyse du concept psychanalytique d’ICS. Il le dégage de l’effet qui pourrait être réducteur de ce que l’on entend dans l’énoncé « L’ICS est structuré comme un langage », nous leurrant à penser partir du langage pour en venir enfin à l’ICS…

Au contraire il s’agit d’enrichir la définition de l’ICS autour de ce qu’il constitue fondamentalement : une coupure dite « inaugurale ». Evidemment cette faille s’ouvre sous les pas du parleur avançant dans le champ du langage : il s’y perd et se perdant il peut arriver que se brouillent les repères du conteur qui devenu compteur en voulant se compter s’embrouille dans ses comptes. Ainsi l’enfant qui dans un test va se compter (« j’ai trois frères…. ») lui-même se divise déjà entre celui qui est compté (« moi » dans l’énoncé) et celui qui compte (le sujet de l’énonciation). Le sujet aura donc, dans ce champ, à se retrouver…C’est donc bien la linguistique qui permet de donner son statut à l’inconscient en lui offrant le modèle d’un jeu combinatoire opérant tout seul d’une façon que l’on dira pré-subjective. Toutefois Lacan ne s’en tient pas là et va beaucoup plus loin en affirmant que l’ICS freudien est bien autre chose. Pour le réaliser conceptuellement il se trouve conduit à se pencher d’abord sur cette « coupure » dont l’étrange nature n’échappait sans doute pas aux linguistes et bien évidemment d’abord à Saussure lui-même. Mais justement Saussure, pas bête mais suffisamment canaille (comme a pu le dire Lacan), s’en détourna comprenant qu’il risquait bien, sinon, de mettre en péril l’édifice qu’il était en train de construire (de même l’approche de la fonction poétique chez Jakobson…). Lacan va donc poursuivre vers cet en deçà de la linguistique en rappelant l’ICS freudien dans la fonction même de la CAUSE.

Fonction de la Cause et Inconscient.

Il va se référer à l’ « Essai sur les grandeurs négatives » de Kant. Ce que Lacan lit dans les
développements du philosophe c’est qu’il y a là quelque chose de l’ordre d’un manque. La
fonction de la cause ouvre une béance, se dérobe à toute prise conceptuelle. Kant évoque dans la notion de cause un concept inanalysable, impossible à saisir par la raison. Question embarrassante donc pour les philosophes et, bien que Kant ait pu tout-de-même l’inscrire dans les catégories de la Raison Pure, elle ne paraît pas pour Lacan, au regard de la psychanalyse, pour autant ainsi rationalisée. Il accentue alors son trait essentiel qui est de se DISTINGUER de la LOI : par exemple de la loi physique de l’action-réaction ; la masse d’un corps qui s’écrase n’est pas la cause de ce qu’il reçoit en retour de sa force mais est intégrée à cette force qui lui revient pour le disloquer. Dans le contexte de la loi la béance est à la fin… Au contraire au niveau de la cause il y a quelque chose qui apparaît d’emblée anti-conceptuel, qui reste oscillant, indéfini. Dès que quelque chose « nous parle», nous paraît « vivant » dans la relation de causalité, comme par exemple les phases de la lune et le rythme des marées, nous percevons très bien simultanément que l’emploi du terme de cause est justifié et à la fois qu’il y a une béance : quelque chose comme un trou, une oscillation entre la cause et son effet. C’est bien dans ce qui « cloche » que Lacan situe, entre la cause et ce qu’elle affecte, l’ICS freudien. L’Inconscient est cette «clocherie»: qu’il puisse déterminer telle ou telle pathologie n’en constitue pas l’essentiel ; ce qui est fondamental c’est la béance qu’il introduit par où la névrose se raccorde à un Réel. Béance…Réel. Nous devons peut-être nous attarder un peu sur cette articulation entre ICS et Réel dont se fait la nature même de la béance en question. Nous sommes partis de la logique du signifiant reposant sur une coupure fondamentale d’où la linguistique a pris son essor en ne pouvant tenir compte de ce qu’elle ne pouvait pourtant ignorer c’est-à-dire cette fonction de la cause véritable cachée en cette faille inaugurale. Son développement scientifique en dépendait : celui d’exclure voire de forclore la question du sujet. Mais de toutes les sciences elle resta le plus susceptible à ses effets. Si la logique du signifiant, la loi de son fonctionnement, se trouve pouvoir par ailleurs décrire l’ordre Symbolique, Lacan introduit là la raison qui l’anime. Il s’agit de cette Autre Dimension, celle du REEL. Le Réel est situé au regard de cette coupure où se trouve une faille, la béance de la cause elle-même, dont se fait le gîte de l’ICS (à l’endroit donc du Réel). Ainsi, au regard de la CAUSE le Réel n’est nullement déterminé et se trouve échapper à l’ordre signifiant qui pourtant s’en soutient…disons qu’il s’en anime. Il est très important de saisir cette articulation au niveau de l’ICS selon Freud. Elle se trouve ici entre les dimensions du SYMBOLIQUE (ordre signifiant) et du REEL (ordre de la faille à l’endroit où s’anime la coupure). Cette béance peut-elle être bouchée ? Est-ce cela la guérison ? Lacan répond déjà qu’il s’agit plutôt, pour la névrose, de devenir autre, peut-être infirmité ou plus exactement une «cicatrice » (c’est le mot de Freud), pas une cicatrice de la névrose mais de l’ICS lui-même. Ainsi ce que Freud découvre dans cette « fente » (comme s’exprime Lacan) dans ce trou ouvert dans l’ordre signifiant c’est quelque chose de l’ordre du non-réalisé. Quelque chose se tient là dans l’aire du non-né, et c’est là que le refoulement déversera toujours quelque chose…
Comprenons bien ce dont il s’agit au niveau de la dimension d’un Réel qui demande à être
réalisé, à advenir. Il ne pourra le faire qu’en entrant dans le jeu du signifiant, dans l’ordre Symbolique. Grossièrement, il doit être « symbolisé », sans quoi bien évidemment on ne peut rien en dire…On sait toutefois que le procès de parole ne pourra se boucler définitivement sur quelque chose qui viendrait enfin boucher cette béance. Elle demeurera, mais entre-temps bien des choses se seront effectuées qui demandaient à être réalisées. On ne peut aller jusqu’au bout, réaliser le fin mot, comme je vous l’avais déjà indiqué lors de l’articulation psychanalyse-linguistique. La langue n’est pas toute. Pour avancer encore un peu sur cette question du Réel il convient de souligner la distinction entre Réel et Réalité. La réalité n’est pas le Réel. Elle est un tissage du symbolique et de l’ imaginaire; chacun a sa réalité, rien d’autre que les fantasmes à partir desquels s’ organise sa perception du monde. On ne voit le monde qu’au travers de nos fantasmes et ce sont eux qui tissent ce voile recouvrant le Réel qui, inaccessible en tant que tel, les supporte pourtant. C’est le voile de Maya si vous voulez qui, dans l’ hindouisme, désigne cette illusion que nous appelons le monde . Retenons que c’est dans cette faille du non-réalisé où gît un réel que Freud situe ce qu’il appelle l’ombilic de l’ICS (renvoyant au Refoulement dit Originaire donc sans espoir d’en venir à bout) ou le nombril des rêves d’où ,écrit-il, le désir sort tel un mycélium. Béance, centre d’inconnu comme ce point sur le ventre de l’araignée d’où sort ce fil dont se tisse sa toile. C’est bien cette dimension de l’ICS, Lacan nous le rappelle, que les analystes ont cessé de lire dans la découverte freudienne: c’était oublié, dit-il, comme Freud l’avait d’ailleurs prévu. Lacan ré-introduit donc, dans le domaine de la cause, la Loi du signifiant autour de l’endroit même où dans l’ordre Symbolique la béance se produit. Il se propose ainsi d’achever le concept d’ICS introduit par Freud en le portant à sa limite. L’ICS au sens freudien se distingue radicalement de tout ce que l’on a pu appeler ainsi, avant, pendant son élaboration et même après. L’ICS selon Freud n’a rien à voir avec ce qu’on peut ailleurs appeler ainsi voire sous les termes de subconscient. Il n’est nullement le gîte d’obscures divinités ni celui, romantique, de la création imaginante auquel s’est rattachée une certaine tradition jungienne. A tous ces ICS conçus dans l’ordre d’une volonté obscure d’avant la conscience Freud va opposer la révélation d’un ICS au niveau duquel ça parle et ça fonctionne de façon aussi élaborée qu’au niveau de la pensée consciente. L’ICS freudien est ce qui s’anime, tente de se dire autour d’une béance, d’une faille inaugurale et constitutive.
Freud est aimanté par les phénomènes de fêlures, de défaillances, dans lesquels il va chercher et découvre l’ICS: rêves, actes manqués, lapsus et mots d’esprit…n’est-ce pas ce qui apparaît toujours sur le mode d’un achoppement, d’un faux pas et c’est là que quelque chose demande à naître, à être réalisé en cherchant encore et encore son issue dans la parole. Ce sera pourtant dans un cadre temporel bien singulier dont la notion freudienne d' »après-coup » donne déjà quelque idée. Car ce qui se produit autour de cette faille est de l’ordre d’une trouvaille qui aussitôt deviendra re-trouvaille . Aussi incomplète, aussi inachevée soit-elle elle s’offre à moi dans la surprise et me touche parfois intensément.
Il s’agit là de la dimension essentielle de l’ICS , cet ordre temporel dont il est fait et qui le caractérise. Freud a pu dire que l’ICS ignore le temps; C’est bien d’ailleurs ainsi qu’il le saisit, sur une scène hors du temps, ne pouvant dés lors le décrire que par un mythe, un mythe qu’il doit inventer: celui du Père de la Horde Primitive. Le meurtre du Père est en effet un acte beaucoup plus qu’immémorial et à situer sur une autre scène, à proprement parler hors du temps et aussi bien à l’origine du temps lui-même et de l’Histoire. Ceci permet d’approcher la dimension du Réel, toujours actuel, hors-temps. Nous avons repris ces termes de béance, de trou, mais le Réel n’est pas de l’ordre du trou lui-même…Peut-être est-il plein, lisse….S’il est à situer au niveau de la béance, dans l’ordre de l’achoppement, de la fêlure, c’est bien au contraire qu’il est en cause dans la déchirure de la parole, dans ce qui va venir trouer le tissu symbolique en train de se tramer dans le jeu du signifiant. Ainsi ce qui va se réaliser en ce point d’achoppement sera peut-être un mot inattendu, un acte imprévisible, un acte manqué. Du non-réalisé, de l’encore-à-naître ce qui surgit dans la surprise comme trouvaille va devenir re-trouvaille c’est-à-dire va apparaître comme venu du passé.
L’encore-à-naître vire à l’encor-né comme Lacan s’en amuse. C’est quelquefois dans l’après-coup un « je l’ai toujours su » qui vient, alors que, justement, nous ne le savions pas auparavant. Ainsi M. Mannoni parlera de l’ICS comme d’un « Savoir qui ne se sait pas ». Et ce n’est pas pour pour toujours que va s’ouvrir la re-trouvaille car, l’instant d’après, cela peut à nouveau se perdre.

Le manque en cause, la discontinuité, la perte.

L’Oubli, la perte. Quelque chose semble effacer le signifiant là même où il se produit dans la surprise. C’est la dimension du manque et de la perte qui, passé l’émoi de la retrouvaille, semble principalement à l’oeuvre. Lacan indexe la perte comme l’un des termes clés de l’ICS freudien. Ainsi parlera-t-il dans les termes d’Orphée du rapport de l’analyste à l’ICS:
Euridyce deux fois perdue. Nous avons parlé du Réel qui, en un sens, peut-être toujours plein, lisse…retrouvons-le dans le terme « Oblivium » avec nous dit Lacan le « e » long de levis, poli, lisse, uni…c’est-à-dire ce qui efface et qui efface le signifiant comme tel. Ceci va instaurer une discontinuité, trait essentiel de l’ICS où se manifeste cette vacillation. C’est bien ce versant de l’oubli chez Freud que les analystes après lui ont justement oublié sans toutefois en venir à l’oubli de l’oubli heideggérien et pas non plus à l’audition d’une célèbre conférence de M. Foucault…passons. Ce qu’ils ont oublié, eux, c’est cet aspect de l’inconscient au profit d’une visée de totalité. Par exemple dans l’idéal de l’amour dit génital où viendrait se rassembler, s’unifier, au niveau de la sexualité la dispersion, le « drive » (in english !), la dérive pulsionnelle antérieure: visée d’accomplissement, d’achèvement, vers l’idéal de l’UN unique, voire celui de l’Union. Et pourtant ça n’arrive jamais, quoi qu’en revendique l’amour, de faire UN avec deux…L’ICS quant à lui se met bien en travers de tout cela: il fait discord, il est discordant et son UN à lui vient d’ailleurs, de là où Freud le découvre. Cet UN là bien au contraire, nous en avons déjà parlé à partir de la linguistique qui l’a dressé dans son propre champ, le définissant de façon différentielle, oppositive et surtout négative. Conforme à la logique du signifiant c’est le UN de la fente, de la coupure. De l’ordre d’une grandeur négative en effet. C’est l’UN de L’UNbewuste dira Lacan (terme allemand désignant l’ICS), l’UN aussi de l’UNbegriff, qui signifie non pas non-concept mais concept du manque. Par lui le fond n’est pas l’absence mais c’est le trait (cet UN là) de l’ouverture qui, jailli dans la surprise, fera après-coup surgir l’absence comme le cri fait surgir le silence. Ce dont il s’agit au niveau de l’inconscient c’est du sujet de l’énonciation (et non des énoncés) qui ne cesse tout autant de se perdre que de se retrouver. L’ICS se manifeste comme ce qui vacille dans la coupure du signifiant dont se fait la coupure du sujet lui-même, du sujet ainsi divisé par le signifiant. Avec l’ICS on a toujours à faire à une moitié, mais toujours l’autre manque: pas d’union possible. Ni UN de l’unique ni UN de l’union. Et c’est toujours en quelque point inattendu que le désir surgit pour un temps seulement car ce sera toujours de façon évanouissante. Quant au sujet de l’énonciation, il n’est pas à confondre bien sûr avec ce qui se désigne comme sujet des énoncés ; sa marque, en leur lieu, apparaît tout autrement : dans le « ne », par exemple, « ne » dit « explétif » en français. « Je crains qu’il NE vienne » : c’est bien ce « ne » qui indexe la présence du sujet de l’énonciation et justement à l’endroit d’un doute, « doute » avec lequel nous allons maintenant poursuivre.

Le sujet de la certitude; le doute, le statut éthique de l’inconscient.

Concevoir ainsi le concept d’ICS autour de la fonction structurante du manque, d’une béance que Lacan dira pré-ontologique, nous rappelle qu’il ne s’agit là ni d’être ni de non-être mais plus fondamentalement de ce qu’il y a de non-réalisé. Le désir rencontre en cela sa limite et c’est dans ce rapport à la limite qu’en tant que tel il se soutient. Ainsi franchit-il le seuil du principe de plaisir dont on sait qu’il est, lui, réglé par l’homéostase (retour de la tension à son niveau le plus bas). Ce désir Freud le qualifiera d’indestructible. Ce qui pose question : en effet la fonction de l’ICS est la fente par laquelle quelque chose est amené au jour (moment d’ouverture de l’ICS) pour disparaître en un second temps (moment de fermeture de l’ICS). Il ya donc une fonction de « battement », un moment d’éclipse entre ces deux temps d’ouverture et de fermeture qui confère à l’ICS ce caractère fondamentalement évanouissant. Par ailleurs ce qui se passe reste inaccessible au principe de contradiction nous dit Freud mais aussi bien à la fonction du temps, plus exactement à la localisation spatio-temporelle ordinaire. Comment donc pouvoir qualifier d’indestructible ce qui n’apparaît que pour disparaître, le désir véhiculant vers un avenir toujours court et limité ce qu’il soutient d’une image du passé ? C’est là la question que Lacan pose à Freud. Ce faisant il est contraint de construire une réponse en accord avec le texte freudien. C’est ce qui le conduira à élaborer la façon dont s’ordonne le temps dans l’ICS. Ce qu’il décrira sous la forme d’un temps logique différent des catégories spatio-temporelles habituelles énoncées par la psychologie. Nous ne pouvons en parler plus longuement ici mais retenons seulement qu’à côté de la durée dont se fait la subsistance des choses nous devons concevoir une autre modalité temporelle, le temps logique, dont se façonne la nature du désir inconscient. Ce battement de l’ICS, cette apparition évanouissante entre le point initial et le moment terminal c’est le temps logique tendu entre l’instant de voir où quelque chose est élidé, perdu et ce moment élusif où la saisie de l’ICS achoppe, ne conclut pas car la récupération est toujours leurrée. Le statut de l’ICS c’est l’évasif, cerné par l’ordre temporel du temps logique mais sont statut véritable pour Freud comme pour Lacan est éthique. Ce qui est, dans nos pratiques, en effet, d’une telle importance qu’à l’oublier notre pratique elle-même se perd. Lorsque Freud avance vers l’ICS, il est prêt, comme il l’écrira dans sa citation en introduction de la Science des rêves, à avancer vers l’enfer…Ne larmoyons tout-de-même pas trop, pris dans le lyrisme de la chose…Car ce qu’il rencontrera en effet d’abord, un peu avant, c’est l’hystérique. Le découvreur ne s’arrêtera pas sur le signe dont elle se trouve marquée : celui de la tromperie. Avançons donc nous aussi vers la question que l’hystérie nous pose quand il est bien évident qu’elle est articulée à la découverte de l’ICS et de la psychanalyse elle-même. Si le statut de l’ICS est éthique et non ontique ce n’est pas parce que Freud l’a défini ainsi mais parce qu’il est lié à la passion qui l’animait. Lié donc à celui qui le découvre au niveau de l’enjeu de son propre désir. Les interrogations sur le désir de l’analyste ne semblent pas proches d’une réponse possible toutefois l’analyse est unepratique qui ne peut oublier que l’expérience ne s’anime qu’à partir du désir, ce dont le praticien en charge de l’orienter doit être suffisamment averti dans le moindre des actes où s’engage sa responsabilité. Cette passion qui animait Freud n’était pas d’abord de l’ordre d’une recherche acharnée de la vérité, vérité qui, avec lui, prendra pourtant un autre tour.
Non…c’est plutôt celle qui lui permet de soutenir envers et contre tous que le rêve est la réalisation d’un désir au moment même où, dans l’introduction du dernier chapitre de la
Science des Rêves, il nous rapporte celui qui paraît le moins propice à l’illustrer: « Père ne vois-tu pas que je brûle? ». Freud n’analyse pas ce rêve, il l’apprécie, le soupèse, le goûte
nous dit Lacan. Je dois dire et je ne suis sans doute pas le seul qu’il n’y a là nul besoin d’analyse pour saisir du moins à certains moments de la vie la portée de ce que véhicule le feu d »un tel rêve… Le Père endormi, alors que son fils mort repose dans la pièce d’à côté, voit son enfant s’approcher de lui et l’entend: « Ne vois-tu pas Père que je brûle? » Et, en effet, alors que la personne chargée de veiller auprès de l’enfant s’est elle-même endormie, les bougies tombant sur le linceul ont mis le feu au lit. Mais c’est sur la scène du rêve que s’offre le mystère le plus angoissant de ce qui unit un père à son enfant mort comme s’exprime Lacan. Autre scène au-delà de toute réalité où vient jouer on ne sait quel secret partagé entre un père et son fils. L’enfant qui brûle des pêchés du Père mais Père pourtant qui soutient la structure du Désir avec celle de la Loi. Le feu nous cache le lieu même de ce Réel d’une rencontre immémorable entre un père endormi et son enfant mort. Freud est au plus près là de ce qui fut sa passion, au plus près de ce qui touche à sa propre relation à la question du Père de laquelle, Lacan le souligne, il ne viendra finalement jamais à bout.
Mais tel que nous l’enseigne le fantôme d’Hamlet, sorti tout droit du lieu de ses pêchés, le Père ne donne pas tout bonnement les interdits de la loi sans poser aussi sur le texte dont se fait l’ICS le colophon du DOUTE. C’est ce qu’avance ici Lacan suivant Freud se détournant du point de fascination que constituait ce rêve. Car ce n’est pas en termes de vérité que Freud poursuit son élaboration mais autour d’une question concernant le fondement de la CERTITUDE. Comment en effet Freud va-t-il fonder une certitude au sein de l’expérience qui est la sienne? Expérience dans laquelle il est possible de faire surgir ce qui ponctue sans cesse le texte de toute communication et qui connote tout ce qu’il en est du contenu de l’ICS en des termes qui pourraient s’énoncer ainsi: « Je ne suis pas sûr, je doute ». Lacan poursuit alors en pointant que c’est bien là, à l’endroit du doute, que Freud trouve l’appui de sa propre certitude. A cet endroit ponctué par le doute il y a bien pour Freud quelque chose à préserver alors que le doute devient lui-même le signe de la RESISTANCE. Lacan souligne alors la convergence de la démarche freudienne et de la démarche cartésienne. Si Descartes nous dit « Je suis assuré, de ce que je doute, de penser » et ainsi que « de penser, je suis » il oublie qu’il ne peut le formuler le « je pense » qu’à nous le dire c-a-d qu’il oublie que son « je pense » ne peut être détaché d’un dire. Si Freud quant à lui soutient de la même façon que là où il doute c’est bien qu’une pensée est présente il convient d’ajouter que pour lui elle est INCONSCIENTE c’est-à-dire qu’elle est bien là à l’endroit du doute mais s’y révèle comme ABSENTE. Et c’est à cette place que Freud appellera le « je pense » où se révèlera le SUJET de l’ICS. Cette pensée toute seule grosse de tout son « Je suis » nous dit Lacan est bien là à condition, pour Freud, que quelqu’un PENSE A SA PLACE. Ce qui joue sur une toute autre portée que le « Je pense » cartésien. On saisit là la différence, le point de divergence entre Freud et Descartes. Freud n’est pas dans la certitude du « je suis » car il n’est pas dans celle du « je pense » et la certitude qu’il retire du doute n’est pas certitude du sujet mais cette autre certitude que dans le CHAMP de L’INCONSCIENT LE SUJET EST CHEZ LUI car c’est bien dans ce champ, que Lacan nomme le champ de l’Autre, que le sujet trouve sa place, son habitat.
C’est par cette certitude que Freud a changé notre appréhension du monde comme Lacan nous le rappelle. Le sujet non cartésien mais freudien, le sujet de l’ICS ne se saisit pas en un « je pense » mais là même où un « ça pense » précède toute certitude.

Tromperie et Vérité.

Revenons donc pour finir vers cette question de la tromperie ouverte par l’hystérie. Nous savons que Descartes a introduit une coupure entre savoir et vérité; la science dès lors a pu se préoccuper de savoir alors que la clé de la vérité Descartes la remet finalement à Dieu: si Dieu nous dit que 2 et 2 font cinq et bien ça fera 5, ce n’est pas ce qui empêchera la science d’avancer…Nous savons toutefois le souci qui fut le sien de devoir établir le fondement de la science, quoi qu’il en soit, sur un Dieu non trompeur. En effet se pourrait-il que Dieu nous trompe ? On sait que la question du Dieu trompeur fut en débat et jusqu’à Einstein qui l’a réactualisée d’une certaine façon dans un échange fameux (le principe d’incertitude semble impliquer que l’Univers obéit au libre jeu du hasard et de la nécessité. Albert Einstein affirma à ce sujet : « Dieu ne joue pas aux dés », ce à quoi Niels Bohr répondit : « Einstein, cessez de dire à Dieu ce qu’il doit faire ! » (selon d’autres: «Comment savoir à quoi Dieu joue? »)). Au niveau de la psychanalyse en tout cas le corrélatif du sujet n’est plus l’Autre trompeur, pour reprendre les termes de Lacan, mais bien l’Autre trompé. Le sujet peut craindre de nous tromper et plus encore que nous puissions nous tromper. En d’autres termes ce que Freud va accentuer c’est que l’inconscient peut aller bien loin dans la voie de la tromperie, par la voie du rêve notamment : sa patiente homosexuelle n’en finit pas de rêver qu’elle désire des hommes…Mais il n’en demeure pas moins qu’il peut répondre à ses détracteurs (« elle vous trompe») que l’ICS n’est pas le rêve. Ce qu’il veut dire, en effet, peut s’énoncer très simplement : si quelqu’un produit l’énoncé « je mens », au niveau de l’acte de parole c’est-à-dire non plus de l’énoncé mais de son énonciation, il est possible de lui répondre que ce faisant il dit la vérité. Le problème donc de la vérité, que nous retrouvons ici, est ailleurs.
Et Freud ne peut s’en laver les mains à la façon de Descartes en en confiant le soin à Dieu lui-même. La vérité est aussi dans ce que souligne Lacan indiquant ce que Freud rate au niveau de son interprétation tant avec la jeune homosexuelle qu’avec Dora. Il s’agit de ce qui se réalise ainsi et que Lacan a bien souvent répété : le désir de l’être parlant c’est le désir de l’Autre (lieu de l’Inconscient du sujet). Au niveau de l’Hystérie pour la jeune Dora il s’agit de soutenir le désir de l’Autre en l’occurrence celui du Père, dont le sien selon la règle dépend ; soutenir ce désir comme insatisfait, ce qui fait la nature du sien. Soutenir le désir comme désir insatisfait est en effet pour Lacan la définition du désir dans l’hystérie. Quant à la jeune homosexuelle son désir, dans la rencontre du désir de l’Autre, s’actualise comme provocation : voilà comment la vérité soutient, quoi qu’il en soit, les formes manifestes de la tromperie. La jeune homosexuelle s’adresse en rêve à Freud sous la forme d’un défi qui se manifeste à la rencontre du désir de Freud lui-même. Mais c’est selon une même structure qu’elle défie celui de son Père en lui manifestant ce qu’elle voudrait sous son regard incarner elle-même : un Phallus idéal qui saurait, lui, comment se tenir à l’endroit de la Dame de ses pensées….
Nous ne pouvons continuer à parler de l’ICS sans nous pencher davantage sur le fonctionnement du signifiant et son articulation à la faille primordiale de l’ordre, elle, du
Réel. Tuché et Automaton, le principe de répétition et la rencontre, c’est ce dont J.Marc vous parlera lors d’une prochaine session.
L’essentiel sans doute aujourd’hui était de situer cette « Autre Scène », celle de l’ICS, sur laquelle Freud s’adressant à nous le fit en ces termes : « Wo es war soll ich werden ». Oublions les traductions douteuses (« Le moi doit déloger le çà »….) pour garder en mémoire le devoir freudien que sa passion peut nous transmettre:
« Là où c’était il me faut advenir »…

Jean-Claude Molinier