Jean-Pierre LEBRUN à propos de : « LA PERVERSION ORDINAIRE Vivre ensemble sans autrui »

SEMINAIRE du 29/03/2008 à Marseille à propos de :

« LA PERVERSION ORDINAIRE

Vivre ensemble sans autrui »

Edition DENOËL

C’est toujours un petit peu délicat de parler d’un livre quand çà fait presque un an et demi qu’il a été édité et deux ans qu’il a été écrit ; depuis il y a déjà d’autres choses qui sont passées ; çà n’annule évidemment pas ceci mais en même temps les questions ne sont plus tout à fait d’office structurées de la même façon. J’avais envie de repartir de la remarque pertinente de Jean-Pierre Rumen qui disait d’une manière très simple que la question de la structure psychique d’un sujet n’est pas d’office la seule question à poser comme telle puisque on peut également se demander que devient tel sujet dans tel contexte? On évoquait évidemment le totalitarisme nazi ; on peut se demander à juste titre dans un système totalitaire analogue, s’il venait malheureusement à se reproduire (ce dont je doute car il ne se reproduit jamais sous la même forme) mais que ferions-nous? Qu’aurions-nous comme possibilités d’intervention?

Mais c’est vrai que ça déplaçait du coup très bien une question que je trouve extrêmement importante et que je vais essayer de résumer comme cela car c’est la question de ce livre et d’autres déjà :

  • quelle est l’incidence du discours social sur la construction de la subjectivité et même parallèlement à çà (question également abordée avec Dany Robert Dufour)

  • quelle subjectivité sommes-nous en train de produire?

Ceci est très bien résumé par Luc Dardenne dans son journal où il pose la question de savoir quelle société produit un jeune homme qui vend son enfant? Voilà, c’est la même chose. Vous auriez tout à fait raison de dire que ce n’est pas nouveau : il y a toujours eu des gens qui ont vendu leurs enfants. Oui mais ce n’était pas Mr et Mme Tout Le Monde, la particularité de ce fameux film « L’Enfant » et d’autres qu’on pourrait très bien rencontrer n’importe où ici en sortant, ils n’auraient rien ni d’un psychopathe, ni de quoi que ce soit, avec en plus des réponses du style : « Ben de toute façon pourquoi tu te fais du souci » dit-il à sa compagne « puisqu’on peut en faire un autre? » Donc voilà, c’est la même question prise par un autre bout.

Moi je la pose un peu différemment maintenant. Je demande (peut-être à la suite justement du travail de scène avec Dany Robert Dufour) :

  • qu’est ce que c’est que cette subjectivité néolibérale?

  • quel est le processus de la subjectivité néolibérale?

Parce que je crois que c’est un peu çà que l’on est en train de vivre et à quels avatars cela risque-t-il de nous emmener, ceci n’étant pas du tout (en tout cas de mon point de vue) un problème de jouer les quelconque Cassandre mais plutôt d’essayer de voir comment à la place que nous occupons soit comme analystes, soit comme (car on est quand même de plus en plus nombreux) psychanalystes (comme référence à la psychanalyse mais qui ne reçoit pas nécessairement des gens en cure) comment peut-on intervenir d’une manière qui soit la plus intelligente possible, la plus rigoureuse, la moins inadéquate. Voilà ; la question est toute bête, elle n’est pas très compliquée.

Or il semble que cela aille de paire avec une autre question que je trouve extrêmement importante qui est de savoir :

  • est-ce que c’est du ressort de la psychanalyse?

J’ai eu des dialogues assez vifs avec des collègues pour qui (je respecte leur position mais ce n’est pas la mienne) le seul enjeu pour la psychanalyse c’est de se poser la question de savoir quelle est la structuration psychique quand quelqu’un vient nous voir et à quoi se réfère-t-il dans son histoire, dans son trajet, dans ses signifiants…Au fond, toutes les questions de modification de société aujourd’hui ne nous concernent pas vu qu’elles risquent de tirer la psychanalyse du côté de la sociologie par exemple voire même de la psychothérapie puisqu’au fond c’est une vrai question dans la mesure où on a affaire à un discours social qui a été structurant, extrêmement organisateur, pyramidal, enfin tout ce que vous voulez, on ne va pas épiloguer là-dessus ; il est évident que s’il y avait des conséquences sur la structure psychique de la majorité des sujets, le fait qu’il n’y ait plus ce type de fonctionnement pyramidal a aussi des conséquences et donc la question peut très bien se poser, on peut très bien dire que le psychanalyste n’intervient que quand le sujet essaye de se remettre en ordre avec son désir (pour aller vite) et il n’a pas à prendre en compte les conséquences de ce que les sujets sont complètement absorbés par exemple dans la jouissance. La dimension de structuration qui est nécessaire, çà relève de la psychothérapie. Je ne suis pas d’accord avec çà. Je pense que l’analyste, à partir du moment où il s’intéresse à ce qu’il en est de la réalité psychique, a bien sûr à prendre en compte où se trouve le sujet, s’il est dans les avatars du désir (bon pourquoi pas) mais s’il se fait que (on le voit émerger aujourd’hui) les sujets sont de plus en plus englués dans leur jouissance, la question se pose quand même et à quoi cela correspond-il? et deuxième question comment intervenir justement?

Alors çà c’est un peu le travail de ce livre dans un premier temps. Alors j’ai aussi écrit ce livre avec l’intention que çà passe la rampe un peu parce que je trouve que c’est très difficile de faire passer la rampe au discours analytique (je ne parle pas du discours analytique au sens lacanien, je parle au sens commun de faire entendre çà un peu en dehors de nos milieux) car je crois que la psychanalyse est quand même un peu en difficulté pour se faire entendre dans d’autres milieux donc c’est une question aussi importante.

J’ai essayé de soutenir çà et c’est vrai en commençant par parler du type de modifications de fonctionnement de la société dans laquelle nous sommes pris que je résumerais très simplement et moi je partage là les positions de quelqu’un comme Marcel Gauchet sur cette question à savoir qu’au fond nous sommes en difficulté avec le fait d’avoir abouti, d’avoir réussi à nous débarrasser de toute intervention hétéronome, de toute intervention d’une hétéronomie dans la constitution du discours social. Désormais c’est nous qui nous occupons de nous même et nous ne nous référons plus à quelque chose d’autre. C’est une opération qui a pris un très long temps donc il ne faut pas croire que parce que çà a été commencé à la Révolution française et aux Lumières çà c’est réalisé immédiatement. Il a fallu attendre pour que çà aboutisse dans l’esprit de chacun dans notre société en tout cas et nous en sommes là aujourd’hui donc par rapport à une société qui est essentiellement organisée autour de l’autonomie et autour de la réussite de s’être débarrassée d’un locataire dont tout lieu d’autorité que vous pouvez écrire avec un « h » ou avec un « a » comme vous voulez. Vous avez la hauteur, le ciel. Le ciel est désormais vide mais la question se pose alors pour moi avec beaucoup d’importance c’est de faire la distinction entre ceux qui estiment qu’ils sont débarrassés de cette hétéronomie et donc ils peuvent se prendre en charge ou ceux qui estiment que justement il suffit d’en être affranchi pour être tranquille. C’est deux voies pour moi tout à fait différentes. Soit on dit : « l’hétéronomie on en est quitte, c’est fini, on est libéré et il n’est plus question que quiconque se mette à cette place là parce que c’est toujours une place dont on abuse, dont on ne fait qu’abuser » ou bien on dit « et bien d’accord, il n’y a plus de propriétaire, plus de locataire principal à cette place mais la place elle est toujours là et non seulement c’est difficile de ne plus disposer de la place reconnue comme hétéronome mais en plus de çà c’est extrêmement compliqué d’arriver à partir du moment où on est tous sur le même pied à reconnaître la pertinence de cette place différente que quand même quelqu’un va devoir occuper ne fût-ce que momentanément pour les besoins de la cause ».

Et je vous signale que c’est tout l’enjeu des deux derniers ouvrages de Gauchet sur le travail de la démocratie puisque c’est la question de la légitimité que l’on voit aujourd’hui à l’œuvre en grande difficulté par exemple dans nos équipes soignantes que nous connaissons bien et où la difficulté est quand même extrêmement présente de savoir comment est ce qu’elle s’organise. Je ne sais pas si vous avez eu écho de ce petit article écrit dans Le Monde par un chirurgien récemment qui s’appelait « La déprime du bistouri » où le chirurgien se demandait comment on fait pour organiser encore une équipe. Il y a eu une émission « Répliques » la dessus qui était intéressante parce que quand Finkielkraut s’est même permis de demander au chirurgien s’il y avait un problème d’autorité, il était tellement embarrassé de répondre oui qu’il s’est littéralement emmêlé les pinceaux pour essayer de répondre oui tout en répondant non. Enfin c’était très compliqué ; il ne pouvait pas reconnaître qu’il y a un vrai problème là. Tous ceux qui travaillent dans les institutions collectives savent bien qu’il y a beaucoup d’intérêt à demander l’avis d’un chacun. Je trouve que c’est un progrès tout à fait intéressant que tout un chacun puisse donner son avis. La question est encore de savoir qu’est-ce qu’on fait quand tout le monde a donné son avis? Et qui décide? Alors je ne suis pas du tout pour que le modèle de hier du patriarcat revienne c’est vraiment pas du tout mon idée. Je dis que de ne pas se poser la question de savoir comment on résout cette question ça c’est nous laisser dans une impasse qui va nous coûter très cher. C’est tout. Il faut la résoudre. Il faut trouver comment on fait avec çà et donc c’est une question.

Alors c’est un peu comme ça que je me permets de lire toute l’évolution du discours social aujourd’hui. La question alors se pose (c’est une construction que je fais là), un peu à l’envers de la clinique dont on part habituellement. La deuxième question est : est-ce que ce type de difficultés a des effets et comment alors sur les sujets au sens général du terme?. Je réponds oui par le biais de l’éducation parce qu’il y a quand même quelque chose de très important c’est ce à quoi se référent des parents pour pouvoir s’autoriser d’occuper cette place d’altérité générationnelle pour les enfants. Cà aussi çà apparaît anodin et banal ; il n’empêche que je suis désolé de vous l’apprendre mais il n’y a pas de traces dans notre histoire d’une société où les parents ne se sont pas sentis spontanément en droit d’être parents . Il n’y a pas de traces de çà! C’est la première fois que çà arrive, qu’un Etat pense à des formations à la parentalité. Alors on peut dire que tout çà c’est anodin, çà n’a pas d’importance ; il n’empêche que quand même qu’est-ce que çà veut dire que çà soit tout d’un coup l’Etat qui s’occupe de çà? Vous savez qu’il y a les problèmes aujourd’hui de l’école qui sont extrêmement importants. C’est le même type de question à mon avis et les problèmes aussi du politique d’ailleurs puisque au fond à partir du moment où nous avons réussi à être ceux qui nous organisons nous-même figurez-vous que le projet politique s’effondre. Il n’y en a plus. Le seul projet politique qu’il pourrait encore y avoir n’est plus de se battre contre l’autre, de s’en prendre à l’altérité, ce serait justement de penser des modalités à partir de nous-mêmes de comment construire un système qui tienne sérieusement la route et qui pourrait permettre de prendre en compte ce que sont les conditions de l’humanité tout simplement.

Alors, c’est l’autre versant , la 3ème partie, j’explique çà par l’éducation il y a une incidence par là puisque c’est comme çà que j’explique la difficulté de certains parents aujourd’hui que nous connaissons tous et que nous avons vu fleurir dans nos consultations de dire non à leur enfants. Je ne crois pas que ce soient de mauvais parents, je ne crois du tout que ce soit de cet ordre là.

De la même façon qu’on pourrait se dire : comment se fait-il qu’il y a aujourd’hui grande difficulté à trouver des directeurs par exemple dans des services médicaux? On ne trouve plus de médecins qui veuillent bien être responsables d’un service. La raison à mon avis est très simple : c’est que cette délégitimation qui est en jeu dans le discours social fait que la personne qui doit s’engager pour faire entendre quelque chose de cette différence générationnelle se trouve en difficulté parce qu’elle n’estime plus (à juste titre) avoir la légitimité pour le faire et donc du coup elle doit puiser dans ses ressources propres au risque d’apparaître comme celui qui impose à l’autre quelque chose alors que justement elle n’est là, elle ne le fait que parce qu’elle ne veut pas avoir d’office la mainmise sur l’autre (çà arrive bien sûr, on le sait mais ce n’est pas cela la majorité des cas), c’est plutôt simplement pour lui faire entendre quelque chose.

Vous connaissez aussi toutes les difficultés des enseignants à devoir supporter le fait de mettre des notes mauvaises, le risque d’avoir les parents à dos…je passe sur le système dans lequel on se trouve et les difficultés pour faire face à ce qui est aujourd’hui la difficulté qui est la nôtre et que nous devons prendre à sa juste mesure.

C’est çà qui m’amène à la 3ème partie de ce livre où j’essaye de me demander mais quelles conséquences cela a-t-il sur le fonctionnement psychique de certains sujets dont on a l’impression aujourd’hui (çà rejoint d’une certaine manière le propos de C. Melman dans L’Homme sans gravité) qu’ils procèdent de cette fameuse nouvelle économie psychique. Je n’aime pas moi personnellement cette appellation parce que j’ai trop l’impression que cette économie a toujours été là mais elle n’avait pas la prévalence qu’elle a aujourd’hui. C’est pas tout à fait la même chose. Cà c’est mon point de vue à moi. L’essentiel de mon propos est de faire émerger alors comment est-ce que ce type de fonctionnement de ce que nous privilégions comme cette subjectivité néolibérale a quand même quelques difficultés et risque d’avoir quelques difficultés à intégrer la notion de l’altérité pour des raisons que nous n’allons pas longuement développer ici. J’ai profité d’un terme introduit par G. Deleuze dans sa préface du livre Vendredi ou les limbes du Pacifique de M. Tournier où il parle de « sans autrui » je trouvais que c’était assez joli pour faire entendre que nous ne sommes pas sans « Autre », il y a toujours de l' »Autre », l' »Autre » langagier est toujours à sa place mais c’est un « Autre » que d’une certaine manière on tolère qu’il ne soit pas habité alors cela rejoint la question que l’on a posé tout à l’heure à mon avis et que je suis en train de travailler puisque j’ai donné d’autres termes, d’autres noms à ce type de subjectivité c’est à dire une subjectivité sans autrui que vous pouvez voir à l’œuvre quand quelqu’un va au bureau de tabac avec un téléphone portable, en train de téléphoner à je ne sais qui, qu’il s’adresse en désignant à la buraliste le paquet de cigarettes qu’il veut, en sortant l’argent de sa poche et en partant comme s’il n’avait rencontré personne. Des exemples comme celui-là il y en a plein d’autres. Donc là c’est une sorte de modalité de fonctionnement où l’altérité, on n’a plus l’impression qu’elle est vraiment là, mais on peut rencontrer cela à plein d’endroits.

Vous rencontrez aussi quelque chose que j’ai appelé la mèreversion mais on pourra y revenir plus loin car je vous dirais ce que je développe depuis là-dessus. Ou alors ce que j’ai appelé aussi les enfants des limbes parce qu il y a quelque chose que vous connaissez sans aucun doute dans l’histoire de la Chrétienté qui était la question de savoir qu’est-ce qu’on faisait avec les enfants qui mourraient sans avoir été baptisés alors çà a été une grande disputatio. Si vous remplacez la frappe du baptême qui introduisait l’enfant dans la Chrétienté par la frappe du symbolique qui est quand même ce à quoi nous sommes tous destinés du fait de notre humanité et bien il y a quelque chose que l’on peut se demander : que deviennent les sujets qui sont dans le symbolique (comme les Chrétiens enfants sont dans la Chrétienté) mais qui ont comme évités de recevoir la frappe de ce que çà signifiait? Autrement dit c’est une grande question de savoir qu’est-ce que deviennent ces sujets-là? Et est-ce qu’aujourd’hui nous ne sommes pas en train de favoriser des sujets pareils? Je pense qu’on en a des exemples d’ailleurs très clairs. Il y a un très bel exemple de çà c’est Ken Park de Larry Clark. Je suis pour la comparaison avec La fureur de vivre avec James Dean où l’un habite son affaire, sa fureur de l’adolescent quand l’autre n’y est plus du tout et devant le réel auquel il a à faire face il laisse tomber les bras et n’habite plus son existence.

Alors de nouveau n’en faisons pas des critères absolus mais ma question derrière c’est : comment ré-intervenir si quelqu’un se trouve dans cette difficulté de pouvoir investir, subjectiver son existence? C’est cela la difficulté et quel doit être notre type d’intervention? Est-ce que l’intervention qui consiste à le laisser venir, à le laisser dire… et bien je crains que ce soit insuffisant à ce moment là c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a un chapitre sur cette question pour autant qu’il n’estime pas que sa tâche analytique se résume au fait de pouvoir remettre le sujet en action avec son propre désir parce qu’à cet endroit là il y a comme quelque chose, une habitation qui n’est même pas au programme.

C’est pour cela que je vais parler de mèreversion pour terminer car c’est un peu le travail sur lequel je suis parti maintenant (ce sera le thème de mon prochain livre après celui sur les institutions) j’appelle cela maintenant l’économie de l’arrière-pays ; je me réfère à ce fameux texte de Freud où il parle en 1931 de la sexualité féminine et où il essaye de montrer que dans le rapport de la petite fille il y a quelque chose qui s’appelle le pré-oedipien et il le compare à une sorte d’équivalence à la civilisation mycénienne qui est derrière la civilisation grecque. Alors mon idée d’arrière pays ça vient du pré-oedipien çà veut dire que ça se mature mais je ne crois pas que c’est une question de maturation c’est vraiment une question de modification de l’économie psychique en passant d’une économie du deux à une économie du trois et comment à ce moment là ce que j’appelle l’économie de l’arrière-pays ie au fond c’est toujours celle qui a commencé par prévaloir pour n’importe quel sujet , qui continue de fonctionner et devient même prévalente avec toute une série de conséquences dont entre autre un symptôme je crois qui est l’envers de l’addiction (car le premier symptôme que ça provoque c’est évidemment l’addiction : un sujet qui est addicté à l’autre, qui est absorbé par l’autre, qui n’a plus cette capacité de s’individuer ou en tout cas qui n’estime pas qu’il va devoir faire le travail) c’est l’absence à soi-même (le sujet peut être tout à fait pour moi ce que Lacan nommait le nommé-a qui est préféré au nom-du –père c’est de l’ordre d’un sujet qui est tout à fait capable de glisser de zapper, qui parle , fonctionne…néanmoins il est comme pas là, il ne s’habite pas il est resté dans les limbes, il a pas vraiment mordu on pourrait dire à la subjectivation) et ça me semble être l’axe sur lequel je vais travailler pour le moment pour essayer de me demander si ce n’est pas quelque chose à quoi nous avons affaire avec l’éventuel surgissement , cela pourrait rendre compte de certaines violences surprenantes inattendues de la part de sujets qui sont tout à fait cools, calmes, du style : la tuerie de Colombine et donc nous revenons à cette question de savoir dans un tel contexte de difficultés sociales générales, il n’y a pas que la question de la structure du sujet, mais comment est-ce que le sujet est aidé ou pas par le discours social à s’affronter à quelque chose à quoi il ne peut pas échapper de s’affronter c’est ce que Freud dans L’avenir d’une illusion appelle le travail de rencontrer l’hostilité « il faut quand même bien qu’on arrête » dit-il « de rester des enfants » et donc d’accepter l’hostilité et donc d’accepter l’altérité de l’autre qui vient vous égratigner, ne pas fonctionner comme vous le souhaitez et vient vous interpeller.

Alors ces questions que je travaille pour essayer de rendre compte de quelque chose qui n’est pas d’office de l’ordre de la psychose, qui n’est pas la névrose comme on l’a toujours connue et que j’ai là appelé perversion ordinaire mais bon je ne tiens pas plus que cela à ce terme sauf à quand même reconnaître que ça a des allures perverses, c’est assez évident, je ne crois pas du tout que ce soit une véritable perversion mais au contraire c’est plutôt une façon de se positionner qui permet d’être effectivement absent à soi-même avec toutes les conséquences que l’on peut en tirer.

Alors ça ramène (je termine la présentation sur ça) justement la question de l’incidence de notre discours social (renvoi à la pièce de Dufour) il y a quelque chose dont je crois qu’on doit prendre la mesure il n’y a pas de société qui ait été plus proche que la notre de pouvoir permettre et même de valoriser le trajet singulier d’un chacun c’est quand même il faut le dire le grand bénéfice de notre démocratie mais il y a quand même là une aporie quelque part car le discours collectif, c’est repris très clairement dans certains textes de Freud, il n’y a pas de sociétés qui n’exige la prévalence du collectif sur l’individuel, il n’y a pas moyen de faire autrement simplement parce que c’est même comme cela dans la langue puisque au fond apprendre la langue dite « maternelle » ce n’est quand même rien d’autre que de passer d’un babil privé à une langue commune à tous donc c’est bien accepter la frappe de la prévalence du collectif sur la singularité du sujet. Pas de société donc qui ne puisse vouloir la prévalence du collectif mais que fait (c’est là l’aporie) une société qui se donne comme objectif de permettre le développement de la singularité, comment est-ce qu’elle fait pour nouer le fait de pousser à la singularité et en même de rester celle qui au nom du collectif limite la singularité? Si elle ne règle pas cette aporie elle s’expose à être critiquée ce que l’on constate dans : « à chaque fois qu’on me limite dans ma singularité, on n’a rien compris à ce que je suis et donc j’ai le droit ou de me déclarer victime ou au contraire de me rebeller contre le sort que l’on fait à ma triste petite personne qu’on n’a pas vraiment pris en considération. » Vous voyez que là on est dans un point très compliqué d’aporie et voilà des choses pour lesquelles nous avons quelques difficultés dont il faudra tenir compte à l’avenir dans nos pratiques au quotidien parce que je rejoins ma question psychothérapie-psychanalyse?,

Je n’ai pas du tout l’impression ni l’intention de penser que la psychanalyse est capable de constituer une conception du monde qui pourrait tout régler ce n’est pas du tout çà, simplement le repérage du canal de la psyché vient quand même bien indiquer qu’il y a des points incontournables. Nous sommes des êtres humains à savoir des sujets qui sont dans une sensorialité continue et qui n’ont d’autres moyens pour se faire entendre que d’en passer par le discontinu de la parole. Cela suppose (c’est très joliment dit en français) de l’inter-dit pas moyen de faire fonctionner les choses autrement et comme dit Freud dans L’Avenir d’une illusion, les interdits, le seul sur lequel tout le monde est d’accord (mais comme vous le savez il y a déjà eu des exceptions) c’est l’interdit anthropophagique (on ne se bouffe pas au sens propre du terme). L’interdit de l’inceste, c’est très fragile, l’interdit du meurtre n’en parlons pas car il y a des endroits où c’est déjà prévu qu’on puisse tuer, alors pour ce qui est de l’interdit de la concupiscence, le vol…ça ne marche pas du tout. Mais l’interdit de l’inceste sur le plan psychanalytique c’est quand même ce que je crois être un invariant anthropologique fort puisque ça équivaut à contraindre le pas de la culture puisque c’est le pas de passer ce que Freud appelle le grand pas de la culture préhension de la sensorialité entre autre de la mère à la préhension par la conjecture, par la pensée de qui est le père. Ce n’est plus le cas aujourd’hui puisqu’on peut connaître avec le même niveau de certitude qui est le père de qui est la mère, donc tout cela est ébranlé mais n’empêche cette question d’essayer de contribuer comme analyste (tâche que l’on peut se donner) d’essayer d’éclairer les variants anthropologiques auxquels nous ne pouvons pas échapper. Ce n’est pas pour autant que nous devons dire comment les agencer. Exemple: les fameux rites de passage que nous connaissons comme ayant existés dans toutes les sociétés qui n’ont d’autres objectifs en fin de compte que d’aider l’enfant en le contraignant, de le contraindre et de l’aider, les tâches sont simultanées, à se séparer de la mère, à quitter le tout premier milieu pour aller prendre sa place dans la société ; c’est ça tous les rites d’initiation et de passage avec une dimension de contrainte tout à fait inéluctable mais pas de contrainte pour mettre la mainmise mais de contrainte pour l’aider à renoncer à ce à quoi il veut renoncer car c’est la seule manière de le faire devenir un sujet désirant. Aujourd’hui nous nous plaignons qu’il n’y a plus de rites de passage, je crois que c’est vrai on est en difficulté avec çà. Mais donc on est en difficulté avec le fait (pour aller vite) d’inscrire l’interdit de l’inceste et il me semble moi dans la clinique que j’entends (qui n’est pas nécessairement la clinique de l’analyste) qu’il y a aujourd’hui de nombreux sujets pour qui l’inscription de l’interdit de l’inceste ne s’est pas faite.

Alors se pose une question : comment est-ce que l’on fait çà, comment est-ce qu’on aide à remettre çà en place, le cas échéant? Si la psychanalyse ne veut pas être rangée dans un tiroir ou dans un musée, il faut qu’on assume ces questions. Je ne prétends pas avoir les réponses finales à tout cela. Je souhaite et en tout cas je fais ce que je peux pour qu’on les pose.