Séminaire de Préparation du Séminaire d’hiver 2016, La technique psychanalytique de Freud 2/3

Rafaëlle Rolain et Lucille Lignée : Préparation du séminaire d’hiver Séance 2

Introduction

Le mois dernier nous avons travaillé sur comment Freud de façon concomitante organise la découverte de l’inconscient avec l’organisation de la cure.

Nous avions vu comment le changement de technique reposait sur l’idée maîtresse qu’il ne fallait pas passer outre la résistance mais au contraire apprendre d’elle.

Aujourd’hui nous allons travailler sur ce que le cadre met à jour : le transfert qui devient la voie royale de l’inconscient mais aussi son plus grand obstacle, la plus grande résistance à l’analyse. Le transfert est à la fois l’effet produit par la situation analytique et son créateur car finalement l’analyse ne commence qu’avec le transfert, il est aussi indicateur des mouvements pulsionnels du sujet. Le transfert est donc un détour incontournable pour atteindre l’inconscient.

Ce qui est révolutionnaire avec la question du transfert c’est l’idée de fausse reconnaissance, car Freud accepte là une idée qui va à l’encontre des hypnotiseurs ou autres maitres-guérisseurs. Freud postule d’emblée l’existence d’un décalage, il soigne parce qu’on le prend pour quelqu’un d’autre, pas pour le médecin qu’il est.

Petit rappel sur l’évolution du concept de transfert

Le transfert = se rappeler sans s’en souvenir, traduction en acte du discours

1888: le transfert = déplacement du symptôme d’une partie du corps sur une autre partie (conversion)

1895 : Etudes sur l’hystérie :

Le transfert est gênant il vient perturber l’analyse du matériel car il vient à la place des associations et réminiscences, c’est une erreur sur la personne, une répétition de ce qui a produit le refoulement et qui fait retour. Le transfert est comme un symptôme auquel il se substitue, c’est un parasite

1900 : La science des rêves :

Le récit du rêve se constitue à partir de restes diurnes sans importance vidés de leurs significations, utilisés par le désir infantile pour réaliser une satisfaction hallucinatoire, les souvenirs préconscients sont utilisés pour mettre en scène l’inconscient. La situation analytique est comme les restes diurnes permettant l’expression de la mémoire inconsciente. L’analysant s’empare d’un petit détail ou du psy pour transférer ce capital infantile du désir. En soi la pensée n’est qu’un substitut du désir hallucinatoire. Le transfert est alors un déplacement du désir de l’inconscient vers le préconscient.

1905 : « Cinq psychanalyses : fragment d’une analyse d’hystérie, Dora » Freud souligne :

«  Que sont ces transferts ? Ce sont des réimpressions, des copies, des motions et des fantasmes qui doivent être éveillés et rendus conscients à mesure des progrès de l’analyse ; ce qui est caractéristique de leur espèce c’est la substitution de la personne du médecin à une personne antérieurement connue ».

1909 : le transfert est l’heuristique obligée de l’analyse et de l’analyste, c’est le moteur de la cure et l’on ne peut retrouver l’infantile que par la manifestation du transfert.

Freud va faire du transfert la voie d’accès principale à l’infantile. C’est un processus par lequel l’inconscient peut se manifester, la division du psychisme fait que les éléments inconscients ne peuvent se manifester que par le biais de pensées préconscientes-conscientes auxquelles ils s’attachent et transfèrent leur intensité d’affect. Il y a la possibilité de transférer sur des pensées conscientes la force des représentations inconscientes refoulées. C’est pourquoi nous faisons sans cesse des choses pour lesquelles nous nous donnons des bonnes raisons de le faire mais ces raisons sont en fait la couverture pour des motifs psychiques inconscients.

LA DYNAMIQUE DU TRANSFERT 1912

Le transfert se produit inévitablement au cours du traitement.

Pourquoi ? Parce que la façon d’aimer et d’être au monde de chaque sujet est singulière en « fonction de ses prédispositions naturelles » (Freud rassure ici les biologistes qui prêchent pour l’inné de la personnalité) « et des faits survenus dans son enfance ce qui produit des clichés qui se répètent plusieurs fois dans sa vie ». Le transfert est un fragment de répétition du passé oublié. Le transfert est libidinal et affectif qu’il soit « le ressort le plus solide » de l’analyse ou « son plus grand obstacle ». Freud introduit un transfert pulsionnel, qui est comme le symptôme et la névrose un moyen de satisfaction pulsionnelle. C’est dans le texte « Remémoration, répétition, perlaboration » que Freud emploiera le terme de névrose de transfert, donc nous n’en parlerons pas aujourd’hui.

La constitution de la vie amoureuse

La libido consciente :

  • une partie des émois parvient à son plein développement psychique

  • cette partie tient compte de la réalité

  • ceux sont des éléments conscients dont la personnalité peut disposer

La libido inconsciente :

  • une partie de la libido a subi un arrêt du développement

  • cette partie est maintenue éloignée de la personnalité consciente

  • elle apparaît dans les fantasmes ou reste enfouie dans l’inconscient

Quand le malade est insatisfait, les deux libidos vont se jeter sur un nouvel objet : le médecin,

le patient intègre le médecin dans une série psychique le patient reporte sur l’analyste ses relations avec père et mère, c’est la reconduction d’un mode de satisfaction libidinale

  • en priorité l’imago paternelle sera le maître étalon mais le transfert peut se faire sur tous les prototypes (maternel, fraternel…) – peu importe si le psy est homme, femme, vieux, jeune – Si l’analyste respecte d’être à cette place de page blanche, de miroir, d’écran vierge alors les identifications successives peuvent apparaître

  • mais la particularité du transfert : il « dépasse par son caractère et son intensité ce qui serait normal et rationnel car il est du à des éléments conscients et inconscients »

Ici Freud propose une définition dynamique du transfert : le psychanalyste se sert d’une disponibilité d’énergie libidinale qui tend à se transférer sur des objets extérieurs.

Questions de Freud :

A-pourquoi les névrosés développent un transfert plus intense que les autres ?

le transfert n’est pas plus fort dans l’analyse : il n’est pas dû à l’analyse mais à la névrose qui repose sur le fait que des pulsions libidinales ont été refoulées dans l’inconscient, le conflit se situe entre le moi et la libido.

Extrait de la conférence 27 des « Conférences d’introduction à la psychanalyse » : « Quiconque a pris par le travail analytique l’entière mesure du fait du transfert ne peut plus douter du type des motions réprimées qui trouvent à s’exprimer dans les symptômes de ces névroses et ne réclame aucune preuve plus puissante de leur nature libidinale. Nous pouvons dire que notre conviction quant au fait que les symptômes ont la signification de satisfactions libidinales de substitution n’a été définitivement assise que du jour où nous avons pris en compte le transfert ».

Cette aptitude au transfert, c’est-à-dire à l’investissement libidinal d’un objet est une caractéristique normale de la vie psychique, elle est seulement amplifiée par la névrose et la situation analytique. L’être humain est un être suggestible, en cela le transfert positif avec l’analyste s’inscrit dans l’ordre de la suggestion.

Freud s’intéresse aux autres pathologies et il se demande même si le transfert est possible auprès de ses patients narcissiques où la libido reste repliée sur le moi sans investir d’objet extérieur.

Toujours dans la conférence 27, Freud confirme la difficulté du travail avec les patients narcissiques qui sont indifférents au médecin : «  ce qu’il dit les laisse froid, ne leur fait aucune impression… ils restent comme ils sont …nous n’y pouvons rien changer ». C’est ce constat qui poussera Freud à distinguer les névroses de transfert et les névroses narcissiques.

Lacan poursuivra ce chemin du travail autour de ces patients dans « question préliminaire à tout traitement possible de la psychose »

B-pourquoi le transfert qui est le plus efficace des facteurs de la réussite, oppose-t-il au traitement la plus forte résistance ? Pourquoi le transfert devient dans l’analyse une résistance ?

On pourrait dire que c’est par sa nature pulsionnelle que le transfert convoque la résistance. Le malade tient au transfert comme à sa névrose, comme une substitution de jouissance pulsionnelle, il aime son analyste comme sa névrose elle-même.

La régression de la libido : chez le névrosé on constate une diminution de la libido consciente (tournée vers la réalité) au profit de celle inconsciente. L’extérieur n’est pas satisfaisant, beaucoup de frustration favorise cette régression. Le travail analytique fait le chemin inverse et tente de ramener cette libido inconsciente vers la conscience pour la soumettre à la réalité.

Freud dira dans la 28ème conférence d’introduction à la psychanalyse en 1915 que la dynamique de la cure repose sur le fait suivant : «  nous interceptons toute la libido qui s’était soustraite à la domination du moi, en en attirant sur nous, par l’intermédiaire du transfert, une partie »

Mais toutes les forces qui ont provoqué la régression se muent en résistances contre nos efforts pour maintenir cet état, cette solution trouvée par le sujet. En fait il y a deux mécanismes en action, une réalité extérieure décevante qui libère de la libido et un noyau inconscient attractif (complexes infantiles) qui ramène à lui la libido libérée. L’analyse vise à diminuer l’attraction de l’inconscient en levant le refoulement des pulsions inconscientes. Tout le travail analytique sera marqué par cette résistance qui produit alors des formations de compromis entre désir de guérir et opposition. Le transfert sera le champ de bataille où le patient va lutter entre continuer à jouir de son symptôme dans la répétition ou en assumer quelque chose.

« Toutes les fois qu’on s’approche d’un complexe pathogène (peu importe si c’est vraiment un noyau important), c’est d’abord la partie du complexe pouvant devenir transfert (pouvant être reportée sur le médecin) qui se trouve poussée vers le conscient justement parce qu’elle satisfait la résistance car le transfert provoque l’arrêt des associations ». Freud parle ici d’idée de transfert et de déformations par le transfert.

Plus la résistance est forte, plus le transfert est massif, intense et long

Pourquoi le transfert se prête si bien au jeu de la résistance ? Pourquoi cette déformation est-elle la plus avantageuse pour la résistance ?

Avec l’obligation de tout dire, le patient pris dans le transfert n’ose plus parler de son amour pour le médecin, il s’arrête de parler. Mais ce n’est pas suffisant pour comprendre car ce pourrait aussi faire l’effet inverse et faciliter la confession.

Les deux types de transfert :

Le transfert négatif : Freud évoque peu le transfert négatif mais il nous invite à travailler cet aspect du transfert.

Le transfert positif : conscient il s’agit de sentiments amicaux banals mais leurs origines inconscientes sont sexuelles, car il n’y a que des objets sexuels dans l’inconscient.

« le transfert sur la personne de l’analyste ne joue le rôle de résistance que dans la mesure où il est un transfert négatif ou bien un transfert positif composé d’éléments érotiques refoulés. »

Ainsi le transfert positif agit comme suggestion et profite au travail analytique puisqu’il place le malade sous l’autorité du médecin, cet amour transférentiel est ce qui servira de levier pour surmonter la résistance au traitement soit la jouissance de son symptôme. Reginald blanchet («transfert et contre transfert ») : « Freud joue donc l’amour contre la jouissance. Lacan (séminaire de « L’angoisse ») soutiendra de même que seul l’amour permet à la jouissance de condescendre au désir. Mais l’amour pour Lacan n’est qu’une partie du chemin pour arriver à désengluer le désir pris dans le symptôme ».

Freud conscient de ce point commun du transfert avec l’hypnose souligne « Ceci rappelle la suggestion mais dans une définition différente. La suggestion est l’influence exercée sur un sujet au moyen de phénomènes de transferts qu’il est capable de produire nous sauvegardons l’indépendance finale du patient en n’utilisant la suggestion que pour lui faire accomplir le travail psychique qui l’amènera à améliorer durablement sa condition psychique »

Le travail analytique est d’analyser le transfert et de le liquider « lorsque nous liquidons le transfert en le rendant conscient nous écartons simplement de la personne du médecin ces deux composantes de la relation affective (transfert négatif et éléments érotiques refoulés) »

C’est quoi analyser le transfert et le liquider ? Est ce vouloir guérir le patient de ses illusions ? C’est à l’initiative de l’analyste. Alors que faire chuter le SSS, « désupposer » l’Autre du savoir c’est du côté du patient.

Pierre-Henri Castel donne dans sa leçon « amour et sexe 4ème séance » (Séminaire de psychanalyse à Sainte-Anne – Année 2007-2008), une vision qui m’a un peu parlé : « L’’interprétation du transfert ne peut être que fausse. Pourquoi ? Parce qu’au moment où vous faites l’interprétation du transfert vous renvoyez le patient à son imaginaire de l’Autre, à ce qu’il a cru capter de sa relation à autrui. Et vous le lui retournez. Faisant cela vous oubliez que la structure même de la parole fait que c’est toujours déjà dépassé à un Autre plus abstrait, qui est là-bas derrière. Par conséquent cette interprétation du transfert dans le hic et nunc entre en conflit avec le fait qu’on ne peut pas aller jusqu’au bout d’un processus analytique et prêter une valeur mutative à l’interprétation de transfert parce qu’elle n’est que modification des images que le patient se fait de l’analyste, cette modification des images le laissant toujours au fond dans une capture imaginaire reconduite au niveau supérieur et par rapport à ce qu’il se figure de l’Autre. Là il y a peut être possibilité d’ouvrir une perspective sur l’abstention lacanienne à l’égard de l’interprétation du transfert »

Freud ne limite pas le transfert à la cure analytique il évoque les deux types de transfert dans les institutions où c’est souvent un transfert négatif qui est mis à jour et qui provoque l’arrêt du traitement par expulsion du patient, le transfert positif est souvent peu parlé.

L’ambivalence pulsionnelle  à l’origine de la couleur du transfert

Transfert positif et négatif travaillent ensemble, sur le même objet qu’est le médecin, cette ambivalence normale est dans la névrose décuplée. En particulier dans la névrose obsessionnelle. Dans la paranoïa il n’y a plus de possibilité d’ambivalence reste seul le transfert négatif qui empêche toute guérison. Ainsi quand le transfert est trop haineux ou trop érotisé il devient difficilement maniable.

Peut-être Freud commence à évoquer cette question du transfert négatif car il s’est confronté à l’homme aux rats (N.Obs) (Cf. l’article de Jacques Natanson « évolution du concept de transfert chez Freud », dans les notes de Freud qui ont été publiées après), et à l’homme aux loups (psychose), c’est quand même dans le champ des psychoses que le transfert négatif apparaît le plus souvent. Mais Freud l’entend du côté de l’ambivalence pulsionnelle : pulsion agressive et pulsion érotiques.

Si Lacan en parle en tout début de sa recherche en 1948 « l’agressivité en psychanalyse », où il évoque la réactivation de l’agressivité dans les névroses, en particulier la névrose obsessionnelle et la difficulté de son maniement car elle est du registre narcissique imaginaire et peut nous enfermer dans cet axe. Mais Lacan mettra de côté le transfert négatif par la suite en travaillant le transfert du côté de l’amour et du SSS, il l’englobera dans le concept d’hainamoration où haine et amour sont synchroniques révélant ainsi l’articulation de l’imaginaire et du symbolique.

Même si haine et agressivité sont à distinguer cette question du transfert négatif, qu’il s’agisse de l’agressivité verbale ou des ruptures d’analyse ou de l’agressivité dont la psychanalyse est l’objet aujourd’hui, (souvent par ceux là même qui ont fait une analyse), pourrait-on en apprendre quelque chose  sur l’intérêt du maniement du transfert négatif et de son analyse? Est-ce que le transfert négatif fait partie du développement de tout transfert (au début pour qu’une demande puisse se construire ainsi qu’à la fin de l’analyse pour se séparer ?)

Conséquences sur le travail analytique :

Le patient pris dans l’intensité du transfert enfreint la règle fondamentale, et n’est plus réceptif aux interprétations du médecin, il s’en fout. C’est le signe que le transfert est bien là. → cette lutte contre les résistance se joue exclusivement dans les phénomènes de transfert

Transfert et rêves : des formations de l’inconscient :

En cela le transfert c’est répéter Comme dans les rêves, dans le transfert les émois inconscients tendent à échapper à la remémoration voulue par le traitement mais cherchent à se reproduire suivant le mépris du temps et la faculté d’hallucination propre à l’inconscient. Pour ne pas avoir à se souvenir, le patient attribue à ce qui résulte de ses émois inconscients oubliés et réveillés, un caractère d’actualité et de réalité. Il veut mettre en acte sans tenir compte de la réalité.

Le transfert est une autre façon de se rappeler qui ne se fait pas intrapsychiquement mais au dehors par le biais de ce tiers qu’est l’analyste. C’est la présence du passé dans la répétition et l’agir sans reconduction dans le passé. C’est à la fois une actualisation et un déplacement.

Le médecin vise à ce que le patient intègre ces émois amoureux secrets et oubliés dans le traitement et dans l’histoire de sa vie, à les soumettre à la réflexion et à les apprécier selon leur valeur psychique. Il faut donc analyser le transfert.

Le transfert est un intermédiaire entre ce qui est inconscient et ce qui doit revenir, c’est un point d’ancrage qui permet que l’idée soit exprimée mais méconnaissable.

Freud ne reprend pas ici la question du contre-transfert il n’en parle pas dans ce texte comme si le contre-transfert était bien distinct du transfert et surtout comme s’il n’était pas un concept théorique.

Observations sur l’amour de transfert (1915)

Dans ce texte Freud est très attentif aux difficultés des praticiens avec l’amour de transfert, il prend cela très au sérieux car c’est pour lui le point central du travail analytique et c’est surtout ce qu’il entend auprès de ses collègues Ferenczi et Jung. Il ne considère pas cela comme une chimère de femme hystérique à la différence des autres mais reste cependant sur le risque d’un passage à l’acte sexuel. Alors qu’on peut aussi s’interroger sur les autres formes où l’analyste répond à la séduction par la séduction en dehors de la génitalité.

On pourrait dire que l’amour de transfert devient résistance quand il est trop érotisé.

Le seul obstacle sérieux est le maniement du transfert.

Si Freud évoque l’amour de transfert c’est qu’il est récurrent dans les cures analytiques, et il pense même que le fait d’avoir évacué longtemps cette question (de par la gêne qu’elle occasionne) est ce qui a entravé le développement de la thérapie analytique. « Cette situation comporte des côtés pénibles et comiques et des côtés sérieux ; elle est si complexe, si inévitable si difficile à liquider que son étude est depuis longtemps devenue une nécessité vitale pour la technique psychanalytique ».

Tout ce qui entrave la continuation du traitement est une manifestation de la résistance en cela l’amour de transfert est la plus massive des résistances et la plus intéressante.

Constat :

Quand il y a amour de transfert le malade :

  • ne parle plus que de son amour

  • demande la réciprocité

  • renonce à ses symptômes ou les néglige

  • se déclare guéri

L’amour de transfert apparaît quand le patient va révéler une partie refoulée importante

L’amour existait avant et c’est pourquoi le malade se soumettait au traitement, mais maintenant il l’utilise contre le travail analytique et la levée du refoulement.

L’amour de transfert a donc deux faces :

Etat amoureux = effort de la patiente pour être irrésistible et briser l’autorité du médecin et obtenir des satisfactions

Résistance : elle se sert de la déclaration d’amour pour mettre à l’épreuve l’austère analyste et agit comme un agent provocateur : elle intensifie l’amour de la patiente pour justifier l’action refoulement.

L’analyste :

il ne doit pas répondre à cet amour non pas pour une affaire de morale qui ordonnerait d’être champion de la pureté des mœurs mais pour des raisons techniques (Freud souligne qu’il ne cherche ni à faire plaisir à la clientèle ni à la morale, il veut faire avancer le traitement psychanalytique et en cela pour lui aussi toutes les difficultés que rencontre les psy sont des outils de réflexion et de mise au travail).

Répondre à l’amour de la patiente serait un triomphe pour la malade et un désastre pour le traitement car toutes les inhibitions et réactions pathologiques se répéteraient sans pouvoir les corriger. Cette relation amoureuse ne provoquerait que du remords et renforcerait seulement le refoulement

En répondant, la patiente aurait traduit en acte, reproduit dans la vie réelle ce dont elle aurait seulement du se ressouvenir et qu’il convient de maintenir sur le terrain psychique en tant que contenu mental.

Les relations amoureuses en général détruisent l’influence du traitement analytique

Le médecin ne doit pas faire semblant de partager les sentiments de la patiente pour patienter jusqu’à une accalmie car le processus thérapeutique repose sur la véracité ce qui origine son effet éducatif et éthique. « Celui qui s’est bien pénétré de la technique analytique n’est plus capable d’avoir recours au mensonge et artifices dont ne saurait se passer le médecin ordinaire ».

De plus comment demander au malade de tout dire si le thérapeute lui ment, ce serait « compromettre toute autorité en nous faisant surprendre en flagrant délit de mensonge »

Enfin sommes-nous sûrs de nos capacités à résister à l’amour de la patiente si on commence à jouer avec des sentiments tendres ?

Le médecin ne doit pas avoir peur, il ne doit pas imposer à la patiente de renoncer, d’étouffer sa pulsion car « tout se passerait comme si après avoir contraint un esprit à sortir des enfers nous n’y laissions ensuite redescendre sans l’avoir interrogé. Nous aurions ainsi ramené à la conscience les pulsions refoulées, pour dans notre effroi, en provoquer à nouveau le refoulement ». Ceci aura des conséquences lourdes puisque la patiente se sentira humiliée et voudra se venger. Il doit se servir de ce qui apparaît ce qui permet de ramener à la conscience les pulsions refoulées

Le travail de l’analyste :

Le psy doit maintenir le transfert tout en le traitant comme quelque chose d’irréel, comme une situation que l’on traverse forcément au cours du traitement et que l’on doit ramener à ses origines inconscientes de telle sorte qu’elle fasse resurgir dans le conscient tout ce qui de la vie amoureuse de la malade était resté secret. Il faut utiliser l’amour de transfert sans le satisfaire. Pour cela une seule attitude : ne pas se départir de l’indifférence que l’on avait conquise en tenant de court le contre-transfert

On pourrait dire que l’analyste doit se prêter au transfert, à cette confusion mais à ne pas y croire

« L’amour de transfert est le fondement de la théorie psychanalytique : pour le médecin il constitue un précieux enseignement et un avertissement salutaire d’avoir à se méfier du contre-transfert, il doit considérer que l’amour de transfert est déterminé par la situation analytique. Pour la patiente elle doit soit abandonner le traitement soit accepter comme destin inéluctable d’être amoureuse de son médecin »

Focus sur le contre transfert :

Ainsi, il ne faut pas croire à l’amour de la patiente qui est seulement un effet du transfert dû à la situation analytique = répondre à l’amour de transfert serait céder au contre-transfert

Freud a formalisé le transfert bien avant le contre transfert, le mot contre-transfert n’apparaît officiellement qu’en 1910 dans « Perspectives d’avenir de la thérapie analytique ». Mais Freud avait largement entendu ces situations chez ses disciples (Biswanger qui veut analyser sa femme, Jung qui tombe amoureux d’une patiente, Sabrina Spilrein qui deviendra psychanalyste et écrira « la destruction comme cause du devenir », Ferenczi avec Gizella qui deviendra son amie et sa fille Elma) et chez lui-même ( !) « moi-même je ne me suis, il est vrai, pas fait prendre ainsi mais j’en ai été plusieurs fois très près et j’ai eu a narrow escape …. » écrit-il dans une lettre à Jung du 7 juin1909. C’est toujours dans cette lettre à Jung que Freud utilise pour la première fois le mot contre-transfert « ces expérience nous aident à développer la peau épaisse dont nous avons besoin pour dominer le contre-transfert lequel constitue un problème permanent pour nous… » Et pourtant Freud lui-même averti, va aussi passer à l’acte en prenant sa fille Anna en analyse entre 1918 et 1922.

Il écrit dans son article de 1910 « d’autres innovations techniques intéressent la personne du médecin. Notre attention s’est portée sur le « contre-transfert » qui s’établit chez le médecin par suite de l’influence qu’exerce le patient sur les sentiments inconscients de son analyste. Nous sommes tout prêts d’exiger que le médecin reconnaisse et maîtrise en lui-même ce contre-transfert. …..nous remarquons que tout analyste ne peut mener à bien ses traitements qu’autant que ses propres complexes et ses résistances intérieures le lui permettent. C’est pourquoi nous exigeons qu’il commence par subir une analyse et qu’il ne cesse jamais, même quand il applique lui-même des traitements à autrui, d’approfondir celle-ci. Celui qui ne réussira pas à pratiquer une semblable auto-analyse fera bien de renoncer, sans hésitation à traiter analytiquement les malades ».

Freud avec cette observation du contre-transfert met en exergue la révolution psychanalytique : le médecin n’est pas hors la situation analytique il en fait partie, le psy est lui aussi influencé par son patient. Cependant pour Freud le contre transfert est un défaut, un phénomène qui empêcherait le travail analytique et que l’analyste doit corriger. Freud développe toutes ces questions dans son article « conseil aux médecins ». L’analyste n’a pas à participer aux émois affectifs du patient. Quand il parle de miroir, Freud indique bien que c’est par l’attention flottante dénuée de toute rumination intellectuelle. Quand Freud utilise la métaphore du récepteur téléphonique, il s’agit bien d’un instrument d’écoute, de décodage et de lecture et non un lieu d’impression directe de l’inconscient du patient.

La priorité de l’analyste est d’écouter librement le patient et pour cela il ne doit pas être pollué ni par son propre inconscient, ni par ses élaborations théoriques. Nous avions souligné la dernière fois que Freud parlé d’inconscient purifié. Pour neutraliser le contre-transfert, il indique à tous les psychanalystes l’obligation d’être analysé et d’être toujours en travail d’analyse. Aussi le contre-transfert n’apparaît pas comme un concept psychanalytique mais comme un résidu du travail non accompli de l’analyste.

A la différence les post-freudiens et surtout l’école anglaise des années 50 vont faire du contre-transfert de l’analyste un instrument majeur de la cure. Il est comme un radar émotionnel qui guide, indique l’inconscient et donc la cure du patient. Il s’agit ici d’une communication d’inconscient à inconscient. Mais surtout on suppose que l’inconscient de l’analyste permet de comprendre l’inconscient de son patient. Ici il y a une vision duelle de l’analyse, où l’analyste et l’analysé sont à la même place organisé par l’imaginaire. Finalement c’est l’analyste qui devient le centre du travail puisqu’il n’a de cesse d’analyser le transfert et le contre transfert : qu’est-ce que le patient à voulu me dire, qu’est-ce que je ressens ?

Lacan s’opposera à cette conception post freudienne du contre-transfert  et revient à une lecture plus orthodoxe : dans « intervention sur le transfert », le contre-transfert est plutôt l’insuffisance du psychanalyste, on se fout de l’inconscient et des problèmes privés de l’analyste dans le temps de la cure, cela relève du travail d’analyse du psychanalyste. En revanche Lacan va opérer des renversements : ce qui était nommé contre transfert par Freud était la conséquence du transfert, Lacan lui dit que le psychanalyste est la cause du transfert, c’est parce que l’analysant se demande « qu’est ce qu’il me veut ? ». Il n’y a plus de transfert qui s’opposerait à un contre-transfert mais un transfert où analysant et analyste sont convoqués ensemble dans leur désir respectif : désir de l’analyste qui est désir de rien et désir de l’analysant ;

Cette stricte diversité des places entre l’analyste et l’analysant, Lacan la dira souvent : l’analyste dans l’analyse n’est pas sujet.

La règle de l’ABSTINENCE :

Le médecin doit refuser à la patiente toute demande de satisfactions qu’elle lui adresse. Il faut laisser substituer chez le malade besoins et désir parce que ce sont là les forces motrices favorisant le travail et le changement. Mais on pourrait aussi dire que Freud indique aussi la règle d’abstinence chez le médecin qui doit s’abstenir de répondre aux demandes sexuelles et amoureuses de ses patientes. Enfin Freud pose déjà l’idée qu’en ne répondant pas à l’amour c’est le désir que l’analyste soutient.

Donc, plus l’analyste est sûr contre toute tentation, plus il arrive à extraire le contenu analytique

Pour la patiente le fait de ne pas supprimer le refoulement sexuel mais de le repousser à l’arrière plan la rassure et elle peut alors mettre à jour de tout le panel de ses désirs et fantasmes, ce qui lui permettra de retrouver les fondements infantiles de son amour.

Comment convaincre la patiente que l’amour de transfert est une résistance qui s’origine dans la situation analytique ? Freud articule les points suivants :

  • si elle était vraiment amoureuse elle se soumettrait à la règle par amour alors que là elle est obstinée, indocile

  • rien ne justifie cet amour dans la situation actuelle : c’est un ensemble de répliques, de clichés de certaines situations et des réactions infantiles

  • quand la patiente repère l’artifice de cet amour, le transfert s’apaise

  • alors on peut découvrir le choix objectal infantile et les fantasmes qui sont tissés autour de lui

Freud après nous avoir montré combien l’amour de transfert est un amour erroné, parasite, névrotique, un faux nouage, revient quand même sur la question : est ce que l’amour de transfert est un vrai amour ou un faux amour ? Et force est de constater qu’il est bien difficile de distinguer l’amour de transfert de l’amour tout court…ce qui nous conduit à la vaste question du lien entre amour et vérité

Spécificité de l’amour de transfert, «  il a tout de l’amour véritable »mais

-il est provoqué par la situation analytique

-la résistance le domine et l’intensifie

-il est encore plus déraisonnable

On y voit clairement les modèles infantiles sinon rien ne le distingue de l’amour normal si c e n’est sa production dans un cadre spécifique : le transfert est une réédition des faits anciens : une édition revue et corrigée de l’infantile. L’amour est transfert.

Aussi ce qu’indique Freud aux analystes « ne pas se prendre pour celui à qui l’amour de transfert s’adresse » pourrait très bien se dire à toute personne qui est aimé.

La technique psychanalytique apprend à la patiente à vaincre le principe de plaisir à renoncer à la satisfaction immédiate en faveur d’une autre plus lointaine et moins certaine, celle de vivre mieux sa vie amoureuse et de gagner en liberté intérieure.

Oui, l’analyste doit manipuler des émois explosifs comme l’amour de transfert pour pouvoir guérir la malade. « De petites explosions de laboratoire ne pourront être évitées vu la nature de la matière avec laquelle nous travaillons », « Être calomnié et roussis au feu de l’amour avec lequel nous opérons, ce sont les risques du métier pour lesquels nous n’abandonnerons certainement pas le métier » dit Freud.

Cette question de l’amour, Freud la repère très bien comme importante, même s’il la traite dans son aspect le plus matériel (le génital). Freud avec les hystériques a très bien perçu cette demande d’être aimé qui est insatiable et donc impossible à liquider ?

Il faudra attendre Lacan pour tirer le fil de cette question de l’amour et lui donner toutes ses lettres de noblesse dans la psychanalyse où il sera question d’amour et plus encore de demande d’amour, demande d’être aimé. Lacan va reprendre cette question de l’amour et du transfert dans son travail sur le banquet. Le transfert est alors défini comme une métaphore de l’amour, «  au commencement de la psychanalyse est l’amour, l’analyse est un procès d’accès au désir qui passe par l’épreuve de l’amour ». Mais cela s’adresse au sujet supposé savoir, « celui à qui je suppose le savoir, je l’aime ».

Lacan va d’abord penser le transfert du côté de l’imaginaire, un phénomène d’imago, un changement de lieu d’une image passant d’une personne ancienne à l’analyste, il est trans-port d’image donc résistance à la vérité. Ensuite Lacan va identifier le transfert à l’acte de parole, un changement de lieu d’inscription symbolique, c’est une répétition symbolique qui appelle à nomination. En cela le transfert n’est pas un obstacle. C’est la complaisance de la langue qui fait coïncider l’actuel et l’infantile.

« L’analyste en tant que SSS ouvre un espace non pas de réinscription du passé mais de réinscriptions des signifiants du passé. Autrement dit ce que fait l’amour de transfert ce n’est pas me faire revivre des formes oubliées d’amour, c’est par amour me donner l’opportunité d’inscrire autrement les signifiants infantiles de mon existence ; de les mettre en batterie autrement et de la faire jouer et opérer dans un espace inouï ; dans un espace au futur… Je crois que l’amour comme supposition de savoir va à ce possible-là. Est-ce une définition profonde de l’amour de transfert, de dire que ça va à quelqu’un qui ouvre cette dimension d’une réinscription possible de la répétition des signifiants qui ont conditionné votre sexualité infantile ? Je dirais qu’il y a une manière de penser l’amour en général comme ça. Qu’est ce qui nous rend profondément amoureux envers tel ou telle ? C’est lorsque nous voyons chez cet être l’opportunité de jouer autrement les signifiants fondamentaux de la sexualité qui nous ont jusqu’ici marqués, que l’Autre se montre ouvert à une réinscription de ce qui se répète et qui ne cesse pas de s’écrire. C’est là qu’est possible une vraie sortie de l’infantilisme de la sexualité adulte. Non pas parce qu’on aurait élucidé en quoi c’est la sexualité infantile qui la conditionne mais parce qu’on pourrait faire jouer les composantes de la sexualité infantile d’une manière inouïe. » Pierre-Henri Castel « Amour et sexe, leçon du 16 janvier)