A-M Dardigna « Les Salons au xviii ème siècle »

SPÉCIFICITÉS DE LA SUBJECTIVITÉ FÉMININE

Marie Charlotte Cadeau – Charles Melman

III

Anne-Marie Lugan Dardigna (2)

Vendredi 13 janvier 2012

Les Salons au xviiie siècle

Les « Salons » du xviie siècle étaient des salons littéraires qui s’étaient développés parallèlement à la vie de la cour, très brillante durant le règne de Louis xiv. La fin du règne, rigide et austère, a été très longue.

À la mort du roi, tout se transforme ! Le futur Louis xv étant trop jeune, le duc d’Orléans devient Régent, et brusquement les mœurs françaises se libèrent avec exubérance comme si cette libération avait été trop longtemps attendue. C’est ce fameux « esprit Régence » où la licence l’emporte partout et l’on pourrait presque dire que le libertinage est au pouvoir. L’exemple donné par le régent lui-même dont les compagnons, vous en avez entendu parler (le film de Tavernier « Que la fête commence ») étaient qualifiés de « Roués », tant leurs crimes et délits en tous genres auraient mérité le supplice de la Roue. Plus que le triomphe des libertins, c’est celui du libertinage car le mot « Libertin » désigne de plus en plus un séducteur coureur de femmes, (sens qu’il prendra définitivement au xixe siècle) sans plus évoquer celui qui lutte pour la liberté de penser contre l’Église. Il ne faut pas croire cependant que tout est possible. Un jeune aristocrate, le Chevalier de la Barre (1766), appartenant à l’une des grandes familles nobles du royaume, fut arrêté pour ses mœurs dissolues, notamment pour avoir chanté des chansons paillardes sous les fenêtres d’un couvent et avoir assisté à une procession de capucins sans ôter son chapeau en signe de respect. Il fut condamné à avoir la main coupée, la langue arrachée avant d’être brûlé vif. Voltaire en a fait une grande cause pour dénoncer la torture et les supplices pratiqués en France jusqu’à la Révolution.

La pratique des Salons continue. Elle n’a jamais cessé. Plusieurs femmes recevaient chez elles, tour à tour, un jour de la semaine – aristocrates fortunées ou très riches bourgeoises – et si elles ne s’occupent plus de la Carte du Tendre, elles s’intéressent aux travaux des philosophes et des savants, favorisant l’éclosion de ce que l’on a appelé la pensée des Lumières. Ceux que l’on a nommés « despotes éclairés » (Catherine II de Russie, Christine de Suède, Frédéric II de Prusse, entre autres) entretenaient une correspondance assidue avec les philosophes français et avec certaines de ces femmes renommées qui les recevaient dans leurs salons. Les hôtels particuliers où ils se tiennent se trouvent maintenant sur la rive gauche (6e et 7e). À la veille de la Révolution, Suzanne Necker, la mère de Germaine de Staël, réunit ses invités dans ce qu’on appelle alors « La Société d’Auteuil », dont Olympe de Gouges fait partie.

Ces femmes cultivées et raffinées, dont les moyens financiers très importants permettent la régularité et la générosité de ces rencontres, contribuent au décentrage définitif de la vie culturelle et intellectuelle de la cour vers la ville. C’est dans les Salons que se retrouvent donc artistes, écrivains, philosophes et scientifiques. C’est là qu’on s’intéresse à leurs idées et à leurs productions et qu’ils peuvent les faire connaître, les confronter et rencontrer les mécènes qui pourront leur procurer les moyens de vivre en les pensionnant, en les hébergeant (comme Mme d’Épinay qui fit construire pour J.-J. Rousseau l’Ermitage de Montmorency), ou pour leur passer commande lorsqu’il s’agit de peintres, de sculpteurs. La cour, désormais – le pouvoir royal – ne tient plus ce rôle et ne contrôle plus directement les intellectuels ni les artistes. Les « Salons » ont en quelque sorte permis et garanti la liberté de penser contre l’absolutisme du pouvoir monarchique, sur la société, ou sur l’Église et son intolérance.

Montesquieu, par exemple, lit de nombreux extraits de ses « Lettres persanes » dans les salons qu’il fréquentait. La liberté de la critique est cependant toute relative puisqu’il fait publier son ouvrage en Hollande et sans nom d’auteur.

La censure en effet continue de s’exercer sous Louis xv : Diderot sera emprisonné à Vincennes pour sa « Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient » et, chacun le sait, Voltaire s’installe à Ferney, à la limite du territoire suisse, pour pouvoir passer à Genève le plus rapidement possible dès qu’un mandat d’arrêt était lancé contre lui à Paris. Enfin il ne faut pas oublier que les persécutions furent multiples contre l’Encyclopédie (dirigée par Diderot et d’Alembert sur une quarantaine d’années – et à laquelle participeront tous les intellectuels et savants de l’époque)

Au début du siècle, c’est à Sceaux, chez la duchesse du Maine que sont invités, dans une atmosphère légère et joyeuse qui contraste avec l’atmosphère jugée sinistre de Versailles, des aristocrates cultivés et brillants, soucieux des arts, des lettres et des sciences. Et Montesquieu, Voltaire, Émilie du Châtelet, Marie du Deffand, le philosophe d’Alembert, entre autres. On y organise des fêtes, on y déjeune somptueusement, on y joue – beaucoup d’argent, comme un peu partout dans les salons parisiens. Mais on y échange aussi et surtout des idées, on s’y rencontre et c’est déjà beaucoup.

Lorsque la duchesse du Maine devient trop âgée pour continuer à recevoir dans son château de Sceaux, le flambeau est repris par Anne-Thérèse de Courcelles, marquise de Lambert, qui reçoit chez elle les mêmes écrivains, de 1710 à 1733, tous les mardis. Il y a également le salon de Madame du Tencin, jusqu’à la mort de celle-ci en 1749. L’un des salons les plus importants fut celui de la marquise du Deffand qui reçoit à partir de 1749 (elle a alors 50 ans) rue Saint Dominique. Julie de Lespinasse, sa nièce, reçoit rue de Bellechasse à partir de 1764, notamment les Encyclopédistes et d’Alembert. On peut citer aussi Marie-Thérèse Geoffrin. Bref, ces salons sont nombreux et certainement peut-on imaginer à chacun une atmosphère particulière en fonction de la personnalité de la femme qui les anime mais aussi des écrivains, des artistes et des philosophes qui le fréquentent. Cependant, il ne faut pas les imaginer ouverts à n’importe qui. On est entre soi, entre gens de bonne compagnie. Mais ce qui frappe – et c’est pour cela que je vous ai donné ces précisions, c’est, pour chacun, leur régularité et leur longévité. Ils réunissent en effet sur de longues périodes – de dix à quarante ans – les mêmes personnes, et ce temps long permet de comprendre le rayonnement qu’ils ont pu avoir et la personnalité de celles qui les faisaient exister. Dans la seconde partie du siècle, le salon de la marquise d’Épinay a joué un très grand rôle, notamment à cause de la personnalité de celle-ci, sur laquelle je vais revenir.

Mon propos consistant ici à suivre le fil rouge que je me suis donné au départ, celui de ce couple impossible de la Femme savante et du Libertin, je reviens sur la Femme savante. Savantes, toutes ces femmes le sont à des degrés divers – elles tiennent une correspondance régulière avec des personnalités de l’Europe entière : écrivains, monarques, diplomates et savants. Elles participent aux conversations et discussions sur tous les sujets débattus dans leur salon, et ont produit, pour certaines, des œuvres admirées à leur époque. Pourtant, être vue comme une « Femme savante » est une sorte de moquerie injurieuse. Je cite les propos de Voltaire prenant la défense, après sa mort prématurée, de la femme qu’il a aimée et admirée durant quinze ans  – il s’agit d’Émilie du Châtelet :

« Jamais une femme ne fut si savante qu’elle et jamais personne ne mérita moins qu’on dit d’elle : c’est une femme savante. Elle ne parlait jamais de sciences qu’avec ceux avec qui elle croyait pouvoir s’instruire et jamais n’en parla pour se faire remarquer. »

Je propose de retenir cette réflexion paradoxale de Voltaire à propos des signifiants : « femme savante » dont il semble que depuis Molière, (peut-être avant ?) le syntagme alliant « femme » et « savoir » fonctionne comme un oxymore, une liaison tellement antinomique qu’elle en devient comique et ridicule voire insultante.

De ces femmes célèbres pour leur personnalité, leur rayonnement et leurs travaux, je vais en retenir deux au profil vraiment remarquable mais très différent : Madame du Châtelet et Madame d’Épinay (Je les évoquerai sans aucune référence au livre d’Élizabeth Badinter, que je n’ai pas lu, choisissant de m’en tenir à ma ligne de départ). Ce qui m’intéresse chez ces deux aristocrates françaises de l’époque des Lumières, c’est que ce sont des femmes savantes dont l’une n’a cédé en rien sur son désir – désir de savoir et désir sexuel : Mme du Châtelet, et l’autre, Louise d’Épinay, tentant de transiger, de trouver un compromis entre le savoir et sa relation à l’autre masculin.

La plus flamboyante est Émilie du Châtelet qui traverse la première partie du siècle (née en 1706, morte à 43 ans, en 1749). Mathématicienne et physicienne, c’est elle qui a traduit Newton en français (Principes Mathématiques) Ses œuvres personnelles ont été publiées à titre posthume :

« Discours sur le bonheur » 1779 (Rivages poche, 1997)

« Doutes sur les religions révélées », adressés à Voltaire, pub. En 1792

Divers opuscules également, dont un sur l’existence de Dieu. Nombre de ses recherches avaient fait l’objet de communications à l’Académie des Sciences où (je crois) elle a été la première femme à être reçue. Elle a dialogué avec les plus grands savants européens : Maupertuis, König, Euler, Réaumur, entre autres – les fondateurs de ce que l’on appellera désormais « sciences exactes ».

Son père lui ayant fait donner l’éducation que l’on réservait jusque-là aux garçons, elle sait le Grec, le Latin, et l’Allemand très jeune, mais aussi le clavecin, la danse, le chant, le théâtre et l’opéra. La curiosité de son intelligence est sans limite et son statut social lui permet d’assumer cette véritable avidité intellectuelle. À 16 ans elle arrive à la cour du Régent (son père tient un poste important dans l’administration du royaume) et elle y mène la vie frivole et extravagante de son âge et de sa condition, adorant collectionner les vêtements, les chaussures, les bijoux. Elle est mariée au Marquis du Châtelet dont elle a 3 enfants. Ce mari est un militaire fréquemment parti en campagne au loin et elle ne le verra pas souvent. Impressionné, semble-t-il, par les qualités intellectuelles de sa femme, il l’a toujours laissée libre d’agir à sa guise. Elle paraît avoir mené en conséquence une vie où son goût et son assiduité pour l’étude ne l’empêchent pas d’avoir quelques amants. On ne peut dire pour autant qu’elle soit libertine car elle n’attend pas la simple jouissance d’une relation… Comme beaucoup de femmes, elle est d’abord liée par ses sentiments. Mais voilà enfin une Femme savante qui ne renonce ni à son corps, ni à la sexualité !

Son père et son mari n’étaient pas les seuls à être fascinés par son intelligence, Voltaire également dont elle est la compagne durant quinze ans (Elle le rencontre à 27 ans, il en a 39). C’est lui qui l’encourage à approfondir mathématiques et physiques, dans lesquelles il la trouve bien supérieure à lui. Il ne cessa jamais d’exprimer la profonde admiration qu’il avait pour elle.

Émilie du Châtelet est morte des conséquences d’une grossesse tardive – suite de sa liaison passionnée avec un dernier amant : le poète Saint Lambert, qu’elle avait rencontré à Lunéville, à la cour du roi Stanislas. Elle a 43 ans lorsqu’elle se trouve enceinte. Elle travaille alors à la traduction des Principes Mathématiques de Newton et comprend qu’elle n’aura peut-être pas le temps de finir cette traduction. Malgré les conseils des médecins, elle refuse de ménager sa santé et travaille avec le plus grand acharnement afin de ne pas mourir sans avoir terminé sa traduction. Celle-ci est enfin achevée juste avant sa mort qui survient peu après à la naissance de l’enfant.

Je cite cette étrange réflexion, d’un certain Collé « Mourir en couches à son âge, c’est décidément prétendre ne rien faire comme les autres ». Je suppose qu’à cet âge, qui était, à l’époque, un âge plus avancé qu’aujourd’hui, les autres femmes devaient s’être retirées de la sexualité. Mourir en couches, affichait une sexualité hors norme, du moins imprudente et régie par la passion plus que par la raison… Femme hors norme qui plaisait ou qui dérangeait, mais qui ne laissait pas indifférents ceux qui la rencontraient. Je reparlerai d’elle un peu plus tard. Il s’agissait là d’un portrait rapide.

La seconde de ces femmes à laquelle je trouve une grande importance est Louise d’Épinay. Louise Tardieu d’Esclavelle de la Live, Marquise d’Épinay, reçoit dans son domaine de Montmorency quelques amis choisis dont Grimm, D’Alembert, Jean-Jacques Rousseau.

C’est la question – assez récente– de l’éducation qui lui tient à cœur, dans le but de donner à ses propres enfants une éducation dont ses parents à elle ne s’étaient pas préoccupés et elle s’en était sentie très négligée. Elle souhaite donner aux siens un moyen de construire leur personnalité. Elle parlait bien entendu de ses préoccupations à ses amis et lorsqu’elle rencontre J.-J. Rousseau en 1749, il lui prête une écoute qui le rend très proche d’elle pendant plusieurs années. Elle est pour lui une généreuse bienfaitrice et lui a une véritable autorité sur elle. Elle est l’auteur d’un premier ouvrage sur l’éducation dont Rousseau s’inspirera largement (pour ne pas dire plus) dans « L’Émile » (1762). Sa réflexion sur ces questions a été longue et sérieuse, approfondie, mise en pratique, avec des échecs mais aussi des réussites sur ses deux enfants. Elle est décrite par ses biographes comme une femme tendre, caressante, ouverte au sentiment maternel. Il y a là un saut qualitatif important dans le rapport aux enfants, si l’on pense que Mme de Sévigné avait envoyé sa fille dans un couvent dès l’âge de 6 ans. Au contraire, Madame d’Épinay s’est faite « l’institutrice » de ses propres enfants et petits enfants en ayant conscience de la très lourde responsabilité qu’elle se donnait. Elle est souvent présentée comme l’une des initiatrices de l’éducation moderne. Ses enfants, même s’ils avaient gouvernante et précepteur n’étaient pas exclus de sa vie quotidienne comme c’était habituellement le cas dans les grandes maisons. Après la rupture avec Rousseau qui s’est éloigné rempli d’amertume et d’aigreur, tel qu’il l’est habituellement avec ceux qui ont été ses bienfaiteurs, elle opère une rupture avec les idées sur l’éducation telles qu’elles sont promues dans l’Émile. Elle abandonne l’idée d’absence totale de contrainte, ayant pris conscience qu’une certaine part de contrainte et de discipline sont nécessaires pour tout apprentissage. Par ailleurs, le rôle qu’elle attribue aux femmes se distingue nettement de la Sophie de Rousseau, entièrement subordonnée à son mari et élevée sans développement personnel, uniquement dans le but de faire le bonheur de celui-ci (Diderot voyait en Sophie : « une sorte de poupée mue par des ressorts dont elle n’a pas la clé »). Ce second ouvrage de Mme d’Épinay a pour titre « Conversations d’Émilie ». Publié en 1773, il s’agit d’un livre où elle a mis toute son énergie, jusqu’à la fin de sa vie. Il consiste en un dialogue mère / fille pour l’éducation de sa petite-fille, qu’elle éleva comme sa propre fille. Cet ouvrage eut un succès considérable. Lors d’une réédition posthume de 1783, il obtient le Prix de l’Académie française et Catherine II de Russie l’adopte pour l’éducation de ses propres enfants. On considère ces textes de Madame d’Épinay comme fondateurs de l’éducation moderne. Ils se rapprochent – semble-t-il – des principes prônés par Fénelon (« Traité sur l’Éducation des Filles » qui sera repris et réédité, lui aussi, durant tout le xixe siècle) (hommes et femmes sont complémentaires : il faut donner aux femmes des notions d’économie domestique et beaucoup de connaissances pour élever leurs enfants, mais les empêcher de lire des romans, éloignés de la vraie vie !) Mme d’Épinay, déclarait nécessaire pour les femmes – une fois remplis leurs devoirs d’épouse et de mère, de se livrer à l’étude, de développer et d’étendre leurs connaissances :

« C’est le plus sûr moyen de se suffire à soi-même, d’être libre et indépendante, de se consoler des injustices du sort et des hommes. On n’est jamais plus chéries, plus considérées d’eux que lorsqu’on n’en a pas besoin. »

Lucidité empreinte d’une certaine amertume. Je crois que nous sommes là de nouveau devant cet étrange paradoxe du « deuxième sexe » qui rend si difficile la situation des femmes. Ces femmes qui n’existent qu’à être reconnues, aimées par un homme, mais qui se rendent compte en même temps qu’elles sont en permanence tenues en lisière, à la marge de quelque chose qui les exclue sans cesse, malgré les efforts qu’elles renouvellent jusqu’à épuisement.

À partir de 1770, Mme d’Épinay tient salon à Paris, où elle reçoit, avec Grimm, (qui était son compagnon) Diderot, d’Alembert, Marivaux, Montesquieu, d’Holbach, pour ne citer que les plus connus, ainsi que des diplomates ou des hommes politiques comme Necker. Elle entretient une abondante correspondance avec Rousseau mais aussi Voltaire, Buffon, D’Alembert, Richardson et Diderot qui l’appréciait beaucoup. Elle s’intéressait à tout : métaphysique, morale, histoire, théâtre, arts, économie politique.

Curieusement, c’est cette femme si ouverte à toutes les curiosités intellectuelles, si pénétrée de l’importance de l’éducation pour l’épanouissement des qualités de chaque individu, et envisageant même que passent par là les métamorphoses sociales – elle a cette belle réflexion prémonitoire : « Les lumières qu’acquièrent les peuples doivent tôt ou tard opérer des révolutions » – C’est donc cette femme qui va restreindre, à propos de l’éducation à donner aux filles, les applications possibles d’un savoir dont elle vante pourtant les mérites ! Selon Louise d’Épinay, lorsqu’il s’agit de l’éducation des filles : « On ne peut que gagner du ridicule à s’afficher pour savante. » Soit, il s’agit d’une formule que nous avons déjà repérée, notamment chez Voltaire, à propos de Mme du Châtelet. Mais la suite, je trouve, est plus étonnante, car elle ajoute : « Je ne crois pas qu’une femme puisse jamais acquérir des connaissances étendues et assez solides pour se rendre utile à ses semblables (…) Tout ce qui touche à la science de l’administration, de la politique, du commerce, doit donc rester étranger aux femmes ou leur être interdit. » (Même les «  belles lettres », la philosophie et les arts !). Ainsi, voilà une femme, qui fait demi-tour après s’être aventurée sur des terres inédites. Il est vrai que sa réflexion et ses travaux sur l’éducation des enfants peuvent être considérés comme étant autorisés aux femmes car ils appartiennent à l’ordre du domestique, de l’intime! Il ne s’agit pas de commerce, de politique, ni d’administration qui concerne le monde extérieur. C’est l’intérieur, de la famille, de la maison auxquels elles sont assignées. (Cf. Fénelon : « les occupations des femmes ne sont guère moins importantes au public que celles des hommes, puisqu’elles ont une maison à régler, un mari à rendre heureux, des enfants à bien élever… » Louise d’Épinay reste sur le pas de la porte, au seuil symbolique de la maison, de la famille. Elle vise à ne pas transgresser ce que je vais appeler « la valence différentielle des sexes » dans toutes les sociétés humaines, en reprenant l’expression proposée par l’anthropologue Françoise Héritier (Cf. son ouvrage « Masculin / Féminin » Éd. Odile Jacob) Elle ne prétend pas être reconnue comme « Une » parmi les Uns. C’est pour cela que je parlais à son propos d’une femme qui essaie de composer avec son statut de femme car on perçoit, sous les interdits intellectuels, une volonté de rester en position féminine de non rivalité avec les hommes. Questions qui n’ont jamais, semble-t-il, arrêté Mme du Châtelet.

Je ne peux pas m’empêcher de voir dans cette limitation du désir intellectuel chez une femme dont nous avons pu observer la très grande curiosité, un signe des contradictions profondes qui troublent la pensée de chaque femme. En tout cas Mme du Châtelet, que j’ai évoquée précédemment, n’avait pas cette censure lorsqu’elle se met à traduire Newton. Écoutons ce qu’elle dit dans son Discours sur le Bonheur  (Rivage Poche 1997), à propos de l’étude  et des femmes :

« (Afin que nous ne dépendions pas des autres) … l’amour de l’étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur. Dans l’amour de l’étude se trouve renfermée une passion dont une âme élevée n’est jamais entièrement exempte, celle de la gloire ; il n’y a même que cette manière d’en acquérir pour la moitié du monde, et c’est cette moitié justement à qui l’éducation en ôte les moyens et en rend le goût impossible.

Il est certain que l’amour de l’étude est bien moins nécessaire au bonheur des hommes qu’à celui des femmes. Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux, qui manquent entièrement aux femmes. Ils ont bien d’autres moyens d’arriver à la gloire et il est sûr que l’ambition de rendre ses talents utiles à son pays et de servir ses concitoyens, soit par son habileté dans l’art de la guerre, ou par ses talents pour le gouvernement, ou les négociations, est fort au-dessus de (celle) qu’on peut proposer pour l’étude ; mais les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de gloire, et quand, par hasard, il s’en trouve quelqu’une qui est née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l’étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état » (pp. 52-53 opus cité)

Je me dois d’ajouter que pour Emilie du Châtelet, le bonheur n’est pas exclusivement dans l’étude, loin s’en faut. Il est surtout dans l’amour, qu’elle place au dessus de tout : « Cette passion est peut-être la seule qui puisse nous faire désirer de vivre » (p. 61)

« Exclusion » et « dépendance » : j’y entends en écho, au fil des siècles et des sociétés, la longue plainte des femmes dans l’Histoire – quand l’Histoire veut bien les entendre. Deux siècles avant, Marie de Gournay, déjà, dans un mémoire adressé à la reine Anne d’Autriche, (« Sur l’égalité des hommes et des femmes »), se plaignait de ce que les filles n’aient pas droit à une instruction de niveau égal à celui des hommes et, dans « Le grief des dames », elle s’adressait directement au lecteur masculin, à celui dont elle souhaitait être « l’alter ego » : « Bienheureux es-tu, lecteur, si tu n’es point de ce sexe qu’on interdit de tous les biens, le privant de la liberté (…) lui soustrayant les charges, les offices et fonctions publics, en un mot lui retranchant le pouvoir en la modération duquel la plupart des vertus se forment, afin de lui constituer pour seule félicité, pour ( seules ) vertus souveraines (…) l’ignorance, la servitude et la faculté de faire ( la sotte ) si ce jeu lui plaît (…) Ta qualité d’homme te concédant, autant qu’on les défend aux femmes, toute action de haut dessein, tout jugement sublime et toute parole de spéculation exquise… » (p. 57, éd. Arléa)

Plainte d’ailleurs prêtée sur un mode à peine plus léger par Molière à Agnès dans L’école des femmes (V, 4).

Comment interpréter ce désir de savoir ? S’agit-il uniquement d’être Une parmi les Uns et donc se condamner à ne plus porter cette « tâche colorée » qui attire le désir ? (Si j’ai bien entendu les conférences de M. Melman) Le désir masculin ne vaudrait-il pas le sacrifice d’un autre sens donné à la vie ? Car toutes revendiquent l’étude comme un moyen de faire face à la vanité du monde, à l’insoutenable de la vie, à « la douleur d’être née » selon l’expression de Mme du Deffand.

Si la plainte est à entendre dans toute son acuité, il faut également tenir compte de sa complexité. Les femmes savantes ou ne voulant pas l’être tout en l’étant, ont-elle envie de se débarrasser de cette altérité qui leur pèse, ou bien souhaitent-elles desserrer le carcan de leur condition de femmes dans une société donnée ? On peut penser qu’une femme comme Marie de Gournay revendique dans l’étude une possibilité d’accès à l’universalité, une possibilité d’être reconnue comme Une, dans « l’amitié » des hommes. Elle ne recherche ni un mari ni des enfants semble-t-il. Elle se revendique comme une femme savante (tout comme Philaminte, Armande chez Molière)… Mais les autres ?

Si l’on se souvient de ce que M. Melman nous a dit lors des conférences du jeudi à propos de la situation des femmes qui n’existent qu’en tant que mères – dans la catégorie des producteurs – nous avons là des femmes, au xviiie siècle, qui ont accompli ce devoir de productrices : elles ont toutes eu plusieurs enfants. Elles ont donc rempli leur contrat vis à vis de leur mari, de leur famille, de leur société.

Au delà, quelque chose manque : une dimension dont on les prive. Les mots font penser tout de suite à cette « instance organisatrice », que M. Melman désignait la dernière fois.

C’est dit avec la plus grande clarté : Émilie du Châtelet, se retrouve en écho dans les propos de Louise d’Épinay : Il ne leur reste que l’étude pour les consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles leur état les expose (E. C.) et les consoler des injustices du sort et des hommes. On n’est jamais plus chéries, plus considérées d’eux que lorsqu’on n’en a pas besoin. (L. E.)

Nous retrouvons ce paradoxe que les femmes ont besoin d’un homme pour exister, d’être unique pour cet homme là – alors que les hommes, eux, ont du mal à supporter une telle situation. Il me paraît intéressant d’interroger la manière dont les hommes qui sont leurs contemporains voient ces femmes-là, en tant que sexe féminin. Quelle image de leur sexe leur renvoient-ils ?

Au xviiie siècle, de très beaux textes, courageux, ont été écrits par des hommes pour prendre en quelque sorte la défense des femmes. Par exemple « Pour l’Admission des femmes au droit de cité », de Condorcet, le traité « De l’éducation des femmes »  écrit par Laclos, l’auteur des « Liaisons dangereuses » Et il y en a beaucoup d’autres. Mais je vais me référer à un texte très court, écrit par le plus célèbre des Encyclopédistes, ami des ces femmes, notamment de Louise d’Épinay : Denis Diderot. Il a donné ce texte pour la « Correspondance » de Grimm et il s’agissait d’une note critique à propos d’un ouvrage qui venait de paraître, d’un certains Thomas, sur les femmes précisément. Diderot n’est pas satisfait par ce qu’il a lu car dit-il « Quand on écrit des femmes, il faut tremper sa plume dans l’arc-en-ciel et jeter sur sa ligne la poussière des ailes de papillons »… Vous avez une idée du lyrisme de ce texte et la certitude que c’est un ami des femmes qui parle…La fougue qui l’emporte est impressionnante car il dépeint l’hystérie avec une grande finesse, notamment le mimétisme hystérique. Il considère que toutes les femmes sont hystériques dans leur jeunesse et deviennent dévotes à un âge avancé. Je vous lis… il présente plusieurs contrastes, en particulier celui de la mise en acte de la sexualité et il compare la jouissance des hommes et celle des femmes :

« La soumission à un maître qui lui déplaît est pour elle un supplice. J’ai vu une femme honnête frissonner d’horreur à l’approche de son époux ; je l’ai vue se plonger dans le bain et ne se croire jamais assez lavée de la souillure du devoir. Cette sorte de répugnance nous est presque inconnue. Notre organe est plus indulgent. Plusieurs femmes mourront sans avoir éprouvé l’extrême de la volupté. Cette sensation, que je regarderai volontiers comme une épilepsie passagère, est rare pour elles et ne manque jamais d’arriver quand nous l’appelons. Le souverain bonheur les fuit entre les bras de l’homme qu’elles adorent. Nous le trouvons à côté d’une femme complaisante qui nous déplaît… Moins maîtresses de leurs sens que nous, la récompense en est moins prompte et moins sûre pour elles. Cent fois leur attente est trompée. Organisées tout au contraire de nous, le mobile qui sollicite en elles la volupté est si délicat, et la source en est si éloignée, qu’il n’est pas extraordinaire qu’elle ne vienne point ou qu’elle s’égare. »

Diderot « Sur les femmes » : (Édition de la Pléiade p. 949)

Il faudra attendre longtemps pour retrouver une telle finesse dans un texte masculin !

Son texte est une suite de contrastes saisissants, soit pour opposer les femmes aux hommes – par exemple dans la mise en acte sexuelle et la jouissance (comme dans l’extrait ci-dessus) soit pour montrer les contradictions qui régissent le caractère féminin ou même encore la capacité des femmes à passer d’une émotion à une autre dans le temps le plus court.

Un peu plus loin il s’écrie : « Ô femmes, vous êtes des enfants bien extraordinaires ! »

Voilà le tableau d’une vie de femme qu’il dresse sous nos yeux : (Opus cité p. 954 et suiv.) :

Il parle de l’enfance où elles sont négligées dans leur éducation, où on ne s’intéresse pas à elles : « (…) les femmes assujetties comme nous aux infirmités de l’enfance, plus contraintes et plus négligées dans leur éducation (…) réduites au silence dans l’âge adulte, sujettes à un malaise qui les dispose à devenir épouses et mères : alors tristes, inquiètes, mélancoliques… (…) Pendant une longue suite d’années, chaque lune ramènera le même malaise. (…) Elle devient mère. L’état de grossesse est pénible pour presque toutes les femmes. C’est dans les douleurs, au péril de leur vie, aux dépens de leurs charmes, et souvent au détriment de leur santé qu’elles donnent naissance à des enfants… (…) L’âge avance ; la beauté passe ; arrivent les années de l’abandon, de l’humeur et de l’ennui. C’est par le malaise que Nature les a disposées à devenir mères ; c’est par une maladie longue et dangereuse qu’elle leur ôte le pouvoir de l’être. Qu’est-ce alors qu’une femme ? Négligée de son époux, délaissée de ses enfants, nulle dans la société, la dévotion est son unique et dernière ressource. Dans presque toutes les contrées, la cruauté des lois civiles s’est réunie contre les femmes à la cruauté de la nature. Elles ont été traitées comme des enfants imbéciles. Nulle sorte de vexations que chez les peuples policés, l’homme ne puisse exercer impunément contre la femme. »

Si bien qu’il ne peut s’empêcher de s’écrier dans la dernière partie de son texte : « Femmes, que je vous plains ! » Et l’on peut être bien d’accord avec lui tant sa plume est trempée dans le malheur plutôt que dans l’arc-en-ciel !!! L’image d’elles-mêmes qui est renvoyée aux femmes est celle d’une enfant folle et toujours malade ! Qui ne souhaiterait fuir une telle condition, à qui ne pèserait pas une telle altérité ?

Il faut noter aussi que les femmes du xviie et du xviiie (et des siècles suivants) ne connaissaient pas grand-chose du fonctionnement de leur corps. Dans l’époque moderne – à partir du xvie siècle, les traités de médecine reprennent la théorie des tempéraments héritée d’Aristote et d’Hippocrate, et les caractères féminins prédisposent les femmes aux pires défauts dans le domaine de la morale. Pour en rester au corps, l’altérité est pensée d’une curieuse manière. Les femmes ne sont au fond que des hommes manqués, construits à l’envers. Ambroise Paré, s’appuyant sur Galien décrit ainsi l’anatomie féminine : « Elle a au dedans deux couillons, deux vases spermatiques et le ventre de la même composition que le membre de l’homme »

Le plaisir sexuel est vu de manière complètement identique chez l’homme et chez la femme : il est marqué par une éjaculation. Il y a là un aspect positif pour les femmes, c’est qu’il vaut mieux se préoccuper de leur plaisir : quand il n’y a pas de plaisir, il n’y a pas de semence féminine, pas d’enfant ! Cependant, la conséquence inverse suppose que se laisser aller au plaisir accroît les risques d’avoir un enfant ! Si l’on veut éviter une grossesse non désirée, il faut être sur ses gardes – en retenant sa respiration par exemple au moment de l’éjaculation masculine…

Ce corps des femmes, on leur en dit toujours plus de mal que de bien, que ce soit de l’autorité des médecins ou des préjugés populaires qui ont perduré jusqu’à il y a peu.

Venons-en au libertin du xviiie

La même année 1787, dans l’imminence du moment révolutionnaire, en 1787, deux romans très différents apparaissent, dont la puissance littéraire et phénoménologique est intacte aujourd’hui. « Justine ou  Les Infortunes de la Vertu » écrit par le marquis de Sade alors qu’il est enfermé à La Bastille par lettre de cachet. Et « Les Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, dernier des romans par lettres de l’époque. Le libertinage dans « Justine » – et quels que soient les talents de narrateur du marquis de Sade – est mené jusqu’aux limites de la négativité. Isolé dans ses nombreux châteaux forts, aux confins escarpés de lointaines provinces, le libertin sadien tire sa jouissance à la fois d’accumulations financières et d’exécutions humaines de masse pour réveiller son apathie et son impuissance à désirer. J’ai parlé d’hystérie avec le texte de Diderot sur les femmes, ici, on peut parler sans trop s’avancer de mise en scène d’obsessionnel…

La jouissance du libertin vient du corps de l’autre réifié, humilié et souffrant – corps masculin et corps féminin toujours mêlés ou plutôt agencés à partir des orifices et des organes en construction mécaniques compliquées qui président à l’orgie.

Le libertin sadien est aussi un grand prédateur (dans tous les textes de Sade et pas seulement dans Justine). C’est un homme excessivement riche et excessivement avide d’accroître toujours plus ses richesses par tous les moyens possibles (surtout criminels). Cette accumulation financière le place à ses propres yeux au sommet d’une hiérarchie des êtres où sa toute puissance et son impunité sont absolues. « Justine… » est un réquisitoire contre les valeurs morales. Bien sûr celles de l’Église, mais surtout contre les valeurs des Lumières. À une époque qui précisément prépare leur destruction, le libertin sadien est arc-bouté sur ses privilèges de classe, avec le souci de conserver un état de fait inégalitaire culminant dans sa forteresse féodale. Il est l’anti-Don Juan. Il ne perd plus son énergie à trouver les mots et les charmes qui séduiront une femme de plus pour la mettre sur sa liste. Le rapt et le viol sont plus efficaces et plus rapides. Il est pourtant très bavard : il parle beaucoup entre deux orgies, mais c’est pour narguer ses victimes et leur démontrer l’inanité et la naïveté des philosophes des Lumières et vanter ses théories prédatrices issues de « la Loi naturelle ». Cela n’empêche pas la valeur de l’œuvre sadienne qui réside dans « ce bloc d’abîme » (A. Lebrun) de l’âme et de la sexualité humaines. Il incarne un état d’esprit contraire à celui des Salons et contraire même à celui des premiers libertins. (Lecture du discours de Dalville à Sophie dans  « Justine ».)

« — Je te mène servir des faux-monnayeurs, catin, me dit Dalville, en me saisissant par le bras, et me faisant traverser de force un pont-levis qui s’abaissa à notre arrivée et se releva tout aussitôt. T’y voilà, ajouta-t-il dès que nous fûmes dans la cour ; vois-tu ce puits ? continua-t-il en me montrant une grande et profonde citerne avoisinant la porte, dont deux femmes nues et enchaînées faisaient mouvoir la roue qui versait de l’eau dans le réservoir. Voilà tes compagnes et voilà ta besogne ; moyennant que tu travailleras douze heures par jour à tourner cette roue, que tu seras comme tes compagnes bien et dûment battues chaque fois que tu te relâcheras, il te sera accordé six onces de pain noir et un plat de fèves par jour. Pour ta liberté, renonces-y, tu ne reverras jamais le ciel ; quand tu seras morte à la peine, on te jettera dans ce trou que tu vois à côté du puits, par-dessus trente ou quarante qui y sont déjà et on te remplacera par une autre.

— Juste ciel, monsieur, m’écriai-je en me jetant aux pieds de Dalville, daignez-vous rappeler que je vous ai sauvé la vie (…)

— …Comment te vint-il jamais dans l’esprit qu’un homme comme moi qui nage dans l’or et dans l’opulence, qu’un homme qui, riche de plus d’un million de revenu, est prêt à passer à Venise pour en jouir à l’aise, daigne s’abaisser à devoir quelque chose à une misérable de ton espèce ? (…) Au travail, esclave, au travail ! Apprends que la civilisation, en bouleversant les institutions de la nature, ne lui enleva pourtant point ses droits ; elle créa dans l’origine des êtres forts et des êtres faibles, son intention fut que ceux-ci fussent toujours subordonnés aux autres comme l’agneau l’est toujours au lion, comme l’insecte l’est à l’éléphant ; l’adresse et l’intelligence de l’homme varièrent la position des individus ; ce ne fut plus la force physique qui détermina le rang, ce fut celle qu’il acquit par ses richesses. L’homme le plus riche devint l’homme le plus fort, le plus pauvre devint le plus faible (…) La priorité du fort sur le faible fut toujours dans les lois de la nature à qui il devenait égal que la chaîne qui captivait le faible fût tenue par le riche ou par le plus fort, et qu’elle écrasât le plus faible ou bien le plus pauvre. » (Donatien, Alphonse, François, marquis de Sade : « Les Infortunes de la vertu »)

Quant au roman de Choderlos de Laclos publié la même année, 1787 : « Les Liaisons dangereuses », le couple de libertins qu’il met en scène, la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont appartiennent tous les deux à une aristocratie de loisir, très riche et très corrompue qui perd ses dernières énergies dans la foire aux vanités mondaines. Ce qu’ils ont gardé de la tradition libertine c’est le goût d’humilier l’autre par la tromperie et la trahison. La manipulation des autres leur procure une double jouissance : sexuelle et d’amour-propre. Le jeu qu’ils jouent avec passion, c’est celui de la séduction, comme un métier, comme un comédien qui se regarde jouer, détaché des émotions et des sentiments qu’il simule. L’autre de la jouissance est une prise, une ligne ajoutée au catalogue, rien de plus. Mais il faut cependant le séduire. Ils sont en cela plus proches de Dom Juan que du libertin sadien.

Ce qui m’a paru intéressant du point de vue de la subjectivité féminine, ce sont les propos de la Marquise de Merteuil dans la lettre 81. (Ne pas oublier que l’ouvrage se veut moral et le titre originel était « Du Danger des Liaisons ». La vie de Laclos a d’ailleurs été à l’opposé de ses personnages. On a pu dire de lui qu’il était « féministe » avant l’heure)

Dans cette lettre, la Merteuil évoque, entre homme et femme : « Une partie si inégale… » pour ce qui est de la carrière libertine ! Elle présente son personnage de séductrice comme une revanche pure sur l’humiliation de sa condition féminine. Sa stratégie est celle d’un renversement des rapports de domination. Elle se décrit ainsi à Valmont : « Née pour venger mon sexe et pour maîtriser le vôtre (…) j’ai su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ». Elle explique comment dans le libertinage à cette époque, seule une femme est transgressive. Et elle a bien plus de mérite que Valmont à être devenue ce qu’elle est, parce qu’elle est une femme. Alors que lui, simplement parce qu’il est un homme, a eu devant lui une carrière de libertin toute tracée pour qui le plaisir de la séduction, la prise, la jouissance, n’entraînent aucun danger, aucun risque. Elle, en tant que femme, a tout à perdre – honneur, réputation, statut social, place dans le monde. C’est d’ailleurs ce qu’elle perdra au dénouement du roman. La Marquise, racontant ses années de formation, affirme avec orgueil : « …Je puis dire que je suis mon ouvrage », et elle a cette phrase que je trouve fascinante par rapport aux femmes savantes que j’ai évoquées jusqu’à maintenant : « Je n’avais pas l’idée de jouir, je voulais savoir… » (176) « J’étudiai nos mœurs dans les romans, nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous, et m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser, et de ce qu’il fallait paraître. »

On le voit, le but de la Merteuil n’a rien à voir avec celui d’Émilie du Châtelet ou de Louise d’Épinay : il est entièrement dans le faux-semblant pervers, et destiné à tromper le monde pour mener sous couverture ses stratégies de séduction. Mais elle a pourtant ce cri de sincérité « …je n’avais à moi que ma pensée et je m’indignais qu’on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté… »

La Merteuil imite de manière inversement symétrique l’attitude masculine des libertins du xviie siècle qui humiliaient les femmes par la trahison et la tromperie afin de se venger des contraintes de la morale monogamique imposée par l’Église. Elle, elle contrôle, manipule, humilie ou ridiculise les hommes pour se venger de sa condition de femme.

Nous sommes loin de la dimension généreuse et gracieuse de Ninon de Lenclos ! Mais Ninon était une exception, la marquise de Merteuil annonce au contraire un profil revendicateur et agressif qui n’est pas sans continuatrices. Le romantisme noir du xixe siècle mettra souvent en exergue cette « Conscience dans le Mal » évoquée par Baudelaire et qui désormais fascine une grande partie de la littérature…

Le libertinage a perdu la clarté des « esprits forts ».

Dans la réalité des Salons du xviie comme du xviiie siècle, j’ai essayé de donner à entendre cette émergence des femmes, sans précédent dans l’Histoire européenne. L’émergence, aussi, à travers la figure du Libertin, d’une affirmation de la sexualité comme désir de vie. Et puis, cette unanime protestation des femmes quant à la condition qui leur est faite. Une protestation raisonnée et dépassée par un désir et un plaisir du savoir qui s’appuie d’abord sur le langage, dans une société de conversation, d’échanges avec les hommes. Les femmes du xviiie siècle ne refusent plus la sexualité, mais accèdent aussi à cette amitié d’affinités intellectuelles dont Montaigne se demandait jadis si elles en seraient un jour capables.

Il me faut pourtant préciser que les femmes sont privées de tout à l’issue de la Révolution : droit de se réunir, droit de prendre la parole en réunion, droit de vote, droit d’exercer les professions et les carrières qui s’ouvriront désormais à égalité à tous les hommes, quelque que soit leur naissance, en fonction seulement du talent et du mérite. Olympe de Gouges – qui avait demandé le droit de vote pour les femmes – est décapitée (Elle était proche des Girondins). Toutes les femmes seront exclues des fameux « Droits de l’Homme » qui ne s’appliqueront pas à elles…

Citons pour terminer les propos du Procureur de Paris de l’époque, se félicitant de l’exécution de plusieurs femmes et évoquant ainsi Olympe de Gouges : « Une virago, la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui, la première, institua des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut politiquer et commit des crimes (politiques). Tous ces êtres immoraux ont été anéantis sous le fer vengeur des lois. Et vous voudriez les imiter ? Non ! Vous sentirez que vous ne serez vraiment intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter elles-mêmes. »

Je n’ai plus rien à ajouter !

Discussion

Charles Melman : Merci beaucoup Anne-Marie. C’est très… si ! c’est toujours passionnant et émouvant, y compris bien sûr dans la façon dont nous en parlons, c’est-à-dire…, comment en parlons-nous ? Nous en parlons comme si au fond nous étions les observateurs surpris, comme si à la limite il s’agissait – je force le trait – de tribus indigènes et dont nous nous étonnons des moeurs. C’est vrai ? [A.-M. L. D. : Hum ! Oui.] On parle comme ça ! Alors que bien évidemment nous sommes impliqués dans chaque histoire et qui témoigne d’une vivacité et d’une force dont je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui nous…, enfin la revendication féministe soit à la hauteur ? La grande affaire des… , le passage que vous nous avez si bien décrit entre les Salons du xviie où il s’agit essentiellement de faire valoir la Carte du Tendre, c’est-à-dire d’introduire un adoucissement, un contrôle des moeurs et aussi d’une certaine manière, il faut bien le dire, une sorte de prévalence du goût de la femme pour la femme, c’est-à-dire que, vous en aviez très bien parlé n’est-ce pas, de l’homme comme quelqu’un qu’il s’agit avant tout de calmer et de contrôler…

Anne-Marie Lugan Dardigna : D’éliminer… enfin oui, de mettre à distance.

Charles Melman :… de mettre à distance, de s’en protéger.

Alors évidemment vous n’avez pas pu parler de Mme de Maintenon, ce qui marque quand même la fin du règne de Louis xiv et la régence pouvant paraître la réaction à cette Mme de Maintenon qui est aussi une figure sensationnelle puisqu’on voit ce Roi-Soleil (de quelle image je pourrais me servir pour qu’elle reste décente ?) enfin, en adoration devant une femme qui le châtre – ah oui ! c’était ça Mme de Maintenon – c’est assez formidable… et qui introduit dans les moeurs de la Cour cette rigueur et qui fonde cette école [A.-M. L. D. : Saint-Cyr.] pour les jeunes filles de bonne famille, école rigoureuse c’est-à-dire presque à l’égal des couvents. Et donc la régence est là dans cette explosion mais avec ces Salons du xviiie, moi il me semble qu’il y a peut-être deux éléments que nous pourrions là distinguer, c’est-à-dire d’abord que le lieu de l’Autre – celui des femmes – est celui du savoir. Le savoir il est là.

Anne-Marie Lugan Dardigna : Il n’est pas chez les philosophes et… ?

— Mais les philosophes sont invités dans ce lieu Autre.

— Ah oui ! Le lieu au sens…, pardon, oui, oui.

— Parce que c’est assez extraordinaire ce territoire des Salons et en tant que ce sont des Salons féminins. Donc le lieu du savoir loin d’être celui de la sottise, de l’ignorance des intérêts réduits à ceux de l’économie domestique, ce lieu de l’Autre va se démontrer comme hébergeant le savoir, vous l’avez très bien dit, contre la Cour. C’est quand même quelque chose de considérable.

— Tout à fait. Diderot en parle, il y a une très belle…, je l’ai supprimée parce que j’avais peur d’être trop longue…, mais à la fin il dit quelque chose qui rejoint ce que vous dites. C’est la seule chose positive :

« Elles nous accoutument encore à mettre de l’agrément et de la clarté dans les manières les plus sèches et les plus épineuses. On leur adresse sans cesse la parole. On veut en être écouté. On craint de les fatiguer ou de les ennuyer et l’on prend une facilité particulière de s’exprimer qui passe de la conversation dans le style. Et il ajoute : quand elles ont du génie, je leur en crois l’empreinte plus originale qu’en nous. »

— Alors justement, est-ce qu’il ne s’agit pas de venir nourrir cette idée que hommes et femmes pourraient inaugurer un nouveau rapport sexuel s’ils se trouvaient en quelque sorte également informés, s’ils bénéficiaient l’un et l’autre de la même culture, de la même éducation, du même savoir.

— Ah oui, d’accord.

— Est-ce que du même coup nous ne serions pas là dans une aimable égalité et permettant du même coup du fait de cette réciprocité des savoirs, non pas de l’ hétérogénéité d’un savoir par rapport à l’autre, mais réciprocité, envisager ce qu’il en serait d’un accord supposé pouvoir être parfait ?

— Excusez-moi, mais…

— Mais je vous en prie.

—… ce qu’elles demandent, elles demandent l’accès au savoir, mais pas pour une égalité. Cette égalité on l’a aujourd’hui quasiment, cette égalité… dans l’accès au savoir, dans l’éducation, mais à cette époque, elles demandent l’accès au savoir comme remède à la souffrance de leur relation à l’autre.

— Oui bien sûr, mais relation réciproque. Il n’y a aucune raison de penser que cette douleur leur soit réservée, c’est une douleur partagée, quelles que soient les apparences.

— Diderot n’a pas l’air de trouver que les hommes ont cette souffrance sur eux ! (Rire)

— Un jour, on pourra reprendre Diderot. En tout cas si vous considérez l’amour de Voltaire avec Mme du Châtelet, vous voyez bien qu’il s’agissait d’un plaisir d’échange, permettez-moi ce mot, entre « confrères » !

— Oui, oui, pour Émilie du Châtelet c’est vrai, et Voltaire, oui.

— C’est quand même ça ! Vous êtes d’accord là ?

— Oui, tout à fait.

— Bon. Et puis d’autre part, alors c’est là qu’il y a quand même un grand ferment révolutionnaire, il faut bien le dire, c’est que, c’est du côté de l’Autre que ce savoir peut faire maîtrise. Je veux dire que la maîtrise se trouve déplacée au lieu de l’autre

— Oui, la dernière fois vous aviez suggéré, parce que grâce à la transcription j’ai pu bien réfléchir sur ce que vous aviez dit, à propos justement… comme si c’étaient les femmes qui étaient responsables de 93, enfin…

— C’est ce qui est, c’est un fil qui paraît tenir celui-là ! Mais oui.

— Ça, ça m’en laisse complètement… Justement j’ai relu sans arrêt ce que vous aviez dit et je me suis beaucoup censurée du coup

— Oh ben j’en suis désolé, je vous assure que la censure ne figure pas parmi mes prérogatives !

— Non, mais je veux dire que j’ai été obligée de réfléchir sans arrêt sur mes propres élans et de les, pas de les censurer, mais de…

— Mais c’est ce qui est très sympathique, la permanence d’élans de la part de celles qui aujourd’hui étudient ces faits et qui participent pleinement à ce qui justement est en cause dans cet univers, c’est éminemment sympathique. Ça montre bien que c’est toujours de la même actualité, même si on peut en parler un peu différemment. Bah oui. Je dois dire qu’on comprend parfaitement qu’il y ait eu qu’une censure royale. La Cour ou les conseillers du roi percevaient parfaitement le côté éminemment subversif de ce déplacement du lieu du savoir et donc de la maîtrise. Moi, il me semble, mais enfin si ça vous étonne, il serait sympathique de poursuivre l’examen des documents pour savoir si ce que je propose se tient.

— Je vous fais confiance sur la réflexion par rapport à moi.

— Oui. Maintenant la question de Choderlos de Laclos (Les liaisons dangereuses) là aussi j’ai été très admiratif devant ce qui semble être, comment dirais-je, comme il se doit votre appréhension qu’on pourrait dire très « morale » de l’affaire, autrement dit quoi : une bande de pervers, hein ? C’est une bande de pervers ! Les Valmont sont deux complices dans la perversion.

— Valmont moins, mais Mme de Merteuil oui.

— On peut y aller ! [Oui, il me semble !] Or, vous avez une lecture possible mais que je ne fais qu’évoquer et dont vous retiendrez ce qui vous conviendra Anne-Marie. C’est quoi Mme de Merteuil dans cette affaire ? Elle dit ceci, c’est que cette pauvre… comment elle s’appelle la victime ? [Mme de Tourvel.] Oui. Cette si gentille femme, tellement dévouée à son mari, ses enfants, confite en dévotion, autrement dit, pardonnez-moi le terme, enfin… la gentille bécasse et encore je suis poli en disant ça ! [Tout à fait.] La gentille bécasse. Il y a quelque part une puissance qui va être celle du désir suscité et qui va la faire sortir de sa médiocrité de petite noblesse pour la faire entrer dans le champ de la passion contre, à son corps défendant c’est bien le cas de le dire, et qui va donc la perdre, ladite passion. C’est ça madame de Merteuil. Elle est l’agent de cette opération.

Marie-Charlotte Cadeau : Pour l’autre femme.

Charles Melman : Oui.

A.-M. Lugan Dardigna : Ah oui ! Pour la Tournel, dans la lettre qu’elle fait écrire…

Charles Melman : Elle est l’organisatrice. Si vous retenez qu’elle est l’organisatrice, parce que la question est de savoir pourquoi est-ce que son roman continue de nous paraître comme le plus beau roman de la langue française, pourquoi, pourquoi est-ce que ça reste porteur d’une… ? Ce n’est pas seulement parce que le style en est superbe, mais c’est parce que ça recèle bien entendu une vérité profonde, essentielle et qui continue de nous concerner. On ne peut pas le voir autrement. Donc, comment ne pas voir, c’est en tout cas ce que je propose dans Mme de Merteuil, cette instance que nous sommes amenés à individualiser et à nommer et qui fait que nous pouvons être mordus par un désir qui nous entraîne en dehors des convenances, hors de tout intérêt, de toute considération de la part d’autrui pour aller jusqu’à la mort. Et comment s’appelle cette instance ?

A.-M. Lugan Dardigna : Le phallus.

Charles Melman : Hé oui, elle s’appelle le phallus.

A.-M. Lugan Dardigna : Tout à fait. Alors la Merteuil l’incarne.

Charles Melman : Ben oui. Elle ne fait que lui donner voix. C’est un phallus qui parle Mme de Merteuil et qui donc fait que les innocences se trouvent blessées et perdues à la condition qu’elles acceptent je dirais le prix de la passion. D’accord ? Ça aussi vous en avez donné la date : 1787. Vous voyez comme nous sommes proches de la Révolution. Combien nous sommes proches de la Révolution c’est-à-dire, si…, – je demande qu’on refuse ce que je vais raconter, comme ça… –, mais devant ce qui était l’assoupissement parfait du pouvoir royal, cette espèce d’enthousiasme fait resurgir dans l’organisation, dans la vie sociale, la dimension de la passion et du désir, mais maintenant démocratisée, à la portée de tous. On va faire rentrer maintenant le tout-venant, la populace… qui va devenir concernée, mordue… Aujourd’hui, la populace est mordue par le libertinage. Le libertinage est devenu démocratique.

A.-M. Lugan Dardigna : … la pornographie.

Charles Melman : La pornographie. Vous voudrez bien entendre mon usage du terme de  » populace » hein, c’est ironique. Mais vous voyez là de quelle manière c’est mettre la passion à la portée de tous, les forces de la passion du désir, et aboutissant évidemment, et c’est ce que vous concluez si bien et si heureusement par le rétablissement d’un pouvoir absolu et qui va remettre les femmes à leur place. Elles en étaient drôlement sorties hein ! Elles s’étaient drôlement émancipées…

A.-M. Lugan Dardigna : Après, avec le code Napoléon qui va…

Charles Melman : Et avec le code Napoléon, ça va, alors là… Il me semble que c’est de ça dont vous nous parlez.

A.-M. Lugan Dardigna : Je crois comprendre… oui, oui, c’est vrai. Cela suppose effectivement de réexaminer des choses.

Charles Melman : Madame.

Marie-Charlotte Cadeau : À ce propos, quel rôle justement jouerait la perversion ? enfin dans la représentation effectivement, l’incarnation du phallus ; la passion avait été décrite par Racine (Phèdre) mais c’est vrai qu’il n’y a pas là… alors où serait justement l’incarnation du… ?

Charles Melman : Mais Racine a été dénoncé, ne l’oubliez pas, par les critiques littéraires, sur le caractère hautement putassier de ses héroïnes. Qu’est-ce qui l’a écrit ? il y a quelqu’un qui l’a dit ça ?

A.-M. Lugan Dardigna : Ce n’est pas « Le Dieu caché » de Goldmann ?

Charles Melman : Ce doit être Goldmann dans Le Dieu caché, ben voilà, c’est ça le dieu caché !

Marie-Charlotte Cadeau : Mais Phèdre, ce n’est pas la gentille qui se fait piéger par la passion, il n’y a pas cette opposition effectivement de Mme de Merteuil et de cette charmante jeune femme…

Charles Melman : Elle ne se fait pas piéger, non, mais elle l’assume entièrement…

Marie-Charlotte Cadeau : … complètement, mais je me demandais en vous écoutant où serait le côté d’incarnation du phallus dans Phèdre. Elle est à la fois les deux presque…

Charles Melman : Oui, c’est intéressant ce que vous évoquez, oui, oui, il faudrait sûrement reprendre cela.

Marie-Charlotte Cadeau : Effectivement, j’adore cette pièce, c’est magnifique !

Charles Melman : Oui, oui. Avez-vous des commentaires après cette brillante exposition et ces non moins brillants commentaires…, avez-vous des remarques ?

Alain Lefèvre : Est-ce qu’on pourrait trouver cela un peu dans le Faust et dans La Peau de chagrin ?

Charles Melman : Dans La Peau de chagrin je ne pense pas. Dans le Faust, c’en est sûrement une modalité, oui. Pourquoi me réveiller ? Pourquoi se réveiller ? Ô souffle du printemps ! Oui, sûrement dans le Faust, je ne dirais pas ça pour La Peau de chagrin qui est simplement la vérification du fait que le sexe va inévitablement à la mort. C’est ça… la constatation millimétrique, chaque semaine… que ça se rétrécit ! (Rires) Hein ? C’est ça ! C’est donc un peu différent tout de même.

Bon écoutez, on s’est passionné, on va peut-être maintenant poursuivre ailleurs. Allez, bonsoir.