Marc Darmon : Lalangue et l’élangues

Colloque «Pawol pa ni Koulé»

le 27 Octobre 2013 en Guadeloupe

( transcription, non relue par l’auteur)

Lalangue terme introduit par Lacan dans les années 1970 pour dire ce qu’il entendait au niveau de la structure de la langue, pour insister sur ce qu’il a toujours souligné finalement, càd tout ce qui est à l’origine de la linguistique, et qui est éliminé par le linguiste __ on aura un débat avec les linguistes présents __ , càd tout ce qui concerne la proximité, le voisinage entre signifiants, les voisinages littéraux dont on fait usage dans l’interprétation en analyse, donc des voisinages littéraux qui n’ont pas forcément à voir avec l’étymologie. Donc ce qui à mon sens est nommé lalangue par Lacan, concerne tout ce qui souligne ce voisinage, ce réseau entre signifiants par rapprochements littéraux.

Lacan comme l’a rappelé Jeanne Wiltord hier, donne quelques exemples de lalangue, par certaines équivoques, que Lacan rappelle souvent :

càd la proximité de « veut » et « voeux »,

« deux » et « d’eux »,

« nom » et « non ».

Bien entendu, ces exemples ne sont pas pris au hasard, puisque chacun d’eux souligne les ressorts essentiels pour l’analyste, càd ce qui concerne le désir, le rapport sexuel, et le rapport entre la négation et le nom.

Alors lalangue c’est aussi comme on l’a souligné hier, ce qui se constitue dans le rapport à la mère. Lacan est venu à dire que pour l’enfant, c’est la mère qui incarne lalangue. Mais c’est aussi ce qui se constitue du fait des femmes, ce qui se dépose comme alluvion, comme concrétion __ je cite sans vérifier__ de l’activité inconsciente d’un groupe, d’un ensemble de femmes.

Il y a un passage dans le séminaire Le Sinthome, p.153 de notre édition, où Lacan curieusement exerce une répartition sexuée en ce qui concerne la constitution de lalangue : « l’homme est porteur de l’idée de signifiant ; et l’idée de signifiant se supporte dans lalangue, de la syntaxe, essentiellement. Il n’en reste pas moins que, si qq chose dans l’Histoire peut être supposé, c’est que c’est l’ensemble des femmes qui, devant une langue qui se décompose, le latin dans l’occasion __ puisque c’est de cela qu’il s’agissait à l’origine de nos langues __ que c’est l’ensemble des femmes qui engendre ce que j’ai appelé lalangue.

C’est ce dire interrogé sur ce qu’il en est de lalangue, sur ce qui a pu guider, guider un sexe sur les deux vers ce que j’appellerai cette prothèse de l’équivoque __ car ce qui caractérise lalangue parmi toutes, ce sont les équivoques qui y sont possibles __ , c’est ce que j’ai illustré de l’équivoque de deux, d-e-u-x, avec d’eux, d apostrophe e-u-x. Un ensemble de femmes a engendré dans chaque cas lalangue.»

Alors c’est cette phrase qui m’a amené à dire hier que finalement on pourrait la remplacer « la langue » en deux mots, par lalangue en seul mot. C’est ce que dit Lacan, dans les occurrences de la langue , « désormais j’écrirai lalangue en attaché ».

Alors les équivoques qui sont possibles, càd ce qui caractérise une langue par rapport à une autre langue, une lalangue par rapport à une autre lalangue, c’est les équivoques qui y sont possibles. Alors il y avait dans l’exposé de Roberte Copol-Dobat hier, qq signifiants comme « roter » , « tirer », etc. des signifiants qui sont les mêmes en français et en créole , et qui recouvrent des significations distinctes, càd des distinctions qui existent dans certains signifiants proches en français, on ne retrouve pas les distinctions en créole, càd qu’il n’y a pas les mêmes voisinages-signifiant en français et en créole.

Alors il y a l’exemple chez Freud du jeu entre les langues, avec certaines conséquences, je pense en particulier à cet exemple qu’on trouve dans un article de 1927 sur le fétichisme. Càd un sujet fétichiste qui a eu un objet fétiche tout à fait original, puisqu’il s’agissait d’une certaine « brillance sur le nez », glanz en allemand, voilà c’était son objet fétiche. Et Freud explique que cette brillance sur le nez avait en fait une relation avec ce qui était inconscient, qui reposait donc sur une homophonie entre langues, puisque ce sujet avait été élevé dans les premières années de sa vie en Angleterre et il avait partiellement oublié la langue anglaise après avoir vécu en Autriche, et la phrase inconsciente comportait le mot  glance  en anglais, càd qu’il s’agissait de « jeter un regard  sur le nez », le nez étant le substitut du phallus de la mère, que ce sujet tenait à préserver par son déni.

Donc c’est un exemple où lalangue anglaise contre lalangue allemande. Donc on peut supposer qu’il y avait certains éléments de lalangue anglaise chez ce sujet lorsqu’il était enfant, qui ont été refoulés et ont donc témoigné de ce refoulement, de ce déni de la castration de la mère.

Ce qui m’amène à parler du rapport entre les langues. Alors il y a un autre terme que Lacan introduit dans le séminaire Le Sinthome, il l’introduit à la suite d’un article de Philippe Sollers dans la revue Tel Quel « Joyce et compagnie », vous savez que le séminaire Le Sinthome est consacré à Joyce, et P. Sollers écrit  « Joyce n’écrit pas lalangue (en seul mot au sens de Lacan) , mais l’élangues ».

L’élangues , Lacan joue sur la coupure, sur le pluriel, et Lacan en a une lecture tout à fait particulière puisqu’il souligne l’élation, l’élation càd l’humeur qui caractérise ce qu’on appelle la Manie. Donc il rapproche ce travail de Joyce dans Finnegans Wake sur cette création de mots-valise, de l’élation maniaque, donc de ce qu’on rencontre dans la Manie, avec les jeux de mots, les coq-à-l’âne, la fuite des idées. Et effectivement on trouve chez Joyce dans Finnegans Wake des constructions faisant intervenir plusieurs mots, des condensations de mots.

Je vous en donne deux exemples : le mot « SINSE » qui n’existe pas dans la langue anglaise, et est fabriqué à partir de trois mots

« SINCE », depuis,

« SENS », sens,

« SIN » , le péché, et qui commence le mot « Sinthome ».

Vous voyez Joyce fabrique à partir de ces trois mots un autre mot, un néologisme, et nous laisse interpréter ce raccourci, ce que cette création de « SINSE » signifie. Ici, par exemple, on peut dire « la faute originaire donne sens à l’histoire ».

Il y a un autre mot que je peux vous donner comme exemple : « TRANSCRAPT »,

qui contient « TRAUM » allemand , le rêve,

« TRAUMA » , le traumatisme,

« SCRAPT », où l’on peut lire la condensation de  « SCRIPT » et de « RAPT».

Alors il est un peu plus difficile de trouver une signification à ce terme condensé, mais on peut toujours en trouver une.

Cette construction de signifiants, ces constructions de néologismes à partir de 3 signifiants, est assez systématique chez Joyce, où il parle de trifide tongue, de langue trifide. Où l’on peut entendre terrific et trifer, se moquer.

Mais il y a des exemples encore plus intéressants, comme celui que Marc Morali nous a rappelé hier : « Who ails tongue coddeau a space of Dumbillsilly » , phrase qui a l’orthographe anglaise et qui homophoniquement s’entend en français. Qui est fabriquée en partie avec des mots anglais « who », « ails » ( qui souffre ), « tongue », alors il y a un mot complètement inventé « coddeau » , puis « space », « of », et « Dumbillsilly ».

Alors « Dumbillsilly » c’est le terme vraiment intéressant, puisqu’il y a la fois 3 termes :

« DUMBILLSILLY »  imbécile, muet malade sot

C’est intéressant car Joyce arrive à fabriquer un mot d’orthographe d’anglaise, fabriqué de mots qui ont des significations voisines, càd « stupide, malade, …. », et qui par par homophonie signifient « un imbécile » en français. Joyce parvient à condenser, non seulement au niveau du signifiant mais au niveau du signifié.

Alors ce n’est pas sans lien avec ce dont Roberte Copol-Dobat nous a parlé hier, càd

« KAS-KA-LIÉ », avec ce signifiant on peut dire que la petite Leslie est une élève de Joyce, puisqu’elle parvient à fabriquer un mot qui peut signifier  en créole guadeloupéen et en français . Comme l’a souligné Charles Melman, elle parvient à fabriquer un mot hybride entre deux langues, la langue du père, le créole guadeloupéen, et le français, et c’est la mère qui donne son interprétation également. Mais il n’est pas dit que la coupure pour entendre « escalier » en tant « qu’est-ce qu’a lié ? ».

Alors ces réflexions de Lacan sur lalangue et l’élangues, me sont utiles pour aborder la question du bilinguisme. Et du bilinguisme entre deux langues proches. On peut se poser par exemple la question de la frontière. Vous savez il y a un chapitre de Saussure sur les langues voisines. Qu’est-ce qu’une frontière entre deux langues proches ? Il existe un concept en Topologie qui peut nous être utile, c’est le concept de frontière asymétrique. En Topologie la frontière est définie comme l’intersection de deux ensembles adhérents, je ne vais pas rentrer dans les détails, mais disons que la frontière en Topologie peut ne pas être considérée comme une simple ligne. Mais concerne des points qui sont dans le voisinage de cette ligne, et la chose intéressante c’est qu’on peut avoir deux conceptions de ce qu’est un ensemble adhérent, différentes selon qu’on prenne le point de vue  d’un ensemble, ou le point de vue de l’autre ensemble complémentaire. Càd que la frontière n’aura pas la même épaisseur si vous voulez, vue d’un ensemble et vue d’un autre.

Et nous nous appuyons sur le séminaire le Sinthome, pour nous risquer à montrer ce que pourrait être le noeud du bilinguisme créole-français :

On a d’abord deux langues, deux lalangues qui peuvent être représentées par deux cercles, deux ronds. La question c’est de savoir quelle relation se produit, car on a bien l’impression qu’il ne s’agit pas de deux ronds totalement indépendants, tout en étant totalement indépendants. Càd chaque lalangue a son système de réseau, de voisinages, de passages obligés différents de l’autre. Pourtant il y a des rapports lexicaux, et des distinctions syntaxiques. Donc comment ces deux lalangues sont-elles en relation ? A la fois d’un point de vue indépendant, et d’un autre point de vue enchaîné :

Alors il y a ce nœud que Lacan appelle un faux-trou. Alors deux lalangues, mais organisées en faux-trou. ( Comme dans Le Sinthome, p.154 )

Ce faux-trou se constitue à condition qu’un troisième élément vienne réaliser le faux-trou, alors ça peut être une droite, ça peut être un autre trou, enfin il faut que qq chose vienne réaliser ce faux-trou. Et le nœud à partir de là tient, avec une certaine solidarité entre les éléments du faux-trou, ici le rond noir, et le rond rouge.

Vous voyez comment le nœud présente à la fois des ronds indépendants, et pourtant dans un lien réciproque. A partir de là on peut décliner toutes les possibilités, càd qu’elle est la relation d’un rond à l’autre, la réciprocité, on peut imaginer toutes sortes de situations. Et il y a en particulier deux occurrences où l’un des ronds prend un sens particulier chez Lacan, càd lorsque l’un des ronds est chargé de la nomination, ou lorsqu’il est chargé du symptôme.

Voilà, je vous livre cette hypothèse à la discussion.

( applaudissements)

Roberte Copol-Dobat : Merci Marc Darmon pour cette magnifique démonstration. Effectivement pour penser le sujet bilingue à partir de ce nœud, on ne voit pas de diglossie là-dedans, mais juste un sujet qui essaie de se situer, et comment le sujet bilingue arrive à se débrouiller avec lalangue.

Marc Morali : Merci pour cette mise au point sur ce thème, où tu as déplié lalangue et l’élangues, dans laquelle Lacan s’essaye à mettre en place ce qui devrait être une continuité ou pas, entre les langues. Alors bien sûr cela pose un certain nombre de questions extrêmement complexes, d’abord une première remarque à propos de Dumbillsilly , qui prépare d’une certaine façon ce que tu dis à la fin, cette tentative sur laquelle je vais te poser une question si tu veux bien. Dumbillsilly renvoie à ce travail extraordinaire sur lalangue qu’avait fait Lewis Carroll dans Alice aux pays des merveilles, avec Humpty Dumpty, ce qui pose vraiment la question : « est-ce qu’on franchit le miroir ou pas ? » Dans quel espace se déploierait cette phrase, est-ce qu’elle se déploie dans un espace de la spécularité, càd où qq chose serait une image, ou est-ce qu’elle se déploie dans cet espèce de continuité qui serait ce que Lacan appelle très poétiquement « un miroir sans surface ». Imaginez vous que le monde soit un miroir sans surface, dans lequel on n’aurait aucun franchissement repérable de ce qui séparerait l’espace réel, de l’espace virtuel.

Ce qui pose déjà d’emblée dans ta démonstration, c’est ce que je me suis dit, la question de comment se déploie, dans quel espace se déploie ce mot de Dumbillsilly.

Alors tu nous proposes ce schéma, et j’aimerais te poser la question suivante : Est-ce que tu pourrais assez rapidement nous donner quelques éléments supplémentaires, pour penser deux choses : d’abord qu’est-ce que c’est qu’un faux-trou, puisque s’il est faux, c’est qu’on suppose qu’il y en a des vrais, et on suppose que ce n’est pas pareil d’orienter sa vie autour d’un faux-trou ou d’orienter son existence de parlêtre (càd celui qui tire son existence de son rapport à la parole, càd à la lalangue) autour d’un vrai trou, ce qui n’a pas les mêmes conséquences.

Deuxième chose, et c’est qq chose qui m’a semblé vraiment fondamental, c’est que ce faux-trou pour tenir a besoin, tu as employé le mot « le réalise », càd donnerait son poids de consistance.

Est-ce que tu pourrais déplier un peu cela ?

Marc Darmon : Alors sur la question de l’espace, dans quel espace se trouve Dumbillsilly ? Joyce le situe dans l’espace de la nuit, la nuit du rêve, puisque Finnegans Wake est une sorte de rêve-fleuve, qui revient tout le temps sur lui-même. Donc dans cet espace du rêve il peut y avoir ce type de condensation de signifiants, de plusieurs lalangue. Lacan ajoute qq chose avec son terme « d’élation », càd ce peut être l’espace de la Manie, avec cette jouissance très particulière __ et peut-être qu’il retrouve donc la jouissance de l’enfant en termes de lalations__ , cette jouissance particulière liée à la jouissance de la lettre.

Alors le faux-trou eh bien, vous avez les ronds indépendants, et chacun de ces ronds comporte un vrai trou, dans la mesure où le trou est cerné par qq chose. Dans le nœud (fig VIII-18) il y a toujours ces vrais trous, pour chaque rond, mais les ronds sont agencés de telle façon qu’il semble y avoir un trou au milieu, c’est le faux-trou !

Or ce faux-trou se réalise à condition de le traverser par, par exemple une droite infinie. C’est curieux, c’est un trou qui est réalisé non pas par qq chose qui le cerne simplement, puisque ce qui le cerne se défait, mais il est réalisé par ce qui vient le traverser, par une consistance qui vienne le traverser. Cette consistance serait une droite, ou l’un des deux autres éléments du nœud borroméen.

Marc Morali : C’est formidable parce qu’en t’écoutant, tu ouvres des pistes par ton exposé, je voudrais juste indiquer : la première est la question de la frontière, qui nous rappelle d’où vient Lacan, quand il dit cela. Eh bien il vient de cette extraordinaire expérience, du littoral, càd d’une autre catégorie de frontière, qu’il découvre au retour de son voyage au Japon. Càd que c’est effectivement la rencontre d’une langue étrangère, qui ne fonctionne pas comme la nôtre, à propos de laquelle il se pose la question : est-ce que les Japonais sont analysables  ou pas?

Tout d’un coup il va découvrir qu’il existe un autre type de frontière, que celui qui consiste à passer une ligne, c’est celle du littoral, où deux éléments hétérogènes fabriquent entre eux une frontière mouvante, qui n’est ni à l’un, ni à l’autre, en évoquant une espèce de transition, quand je dis transition vous entendez « objet transitionnel ».

Deuxième chose, avec « TRANSCRAPT » , qui pourrait se traduire de la façon suivante, de façon très poétique: « le vol des idées ». Alors bien sûr le vol des idées est un symptôme psychotique, mais sans être psychotique qu’est-ce qui fait que la nuit sans être fou, on peut laisser nos idées voler, s’envoler, se libèrer de la pesanteur du sens et de notre corps, et en même temps dans un espace qui n’est pas celui du délire. Et elles répondent quand même à qq chose qui dans le rêve trouve son assise dans …….C’est extraordinaire.

Roberte Copol-Dobat : Tout signifiant, tout mot qui apparaît suppose la possibilité que ce mot puisse ne pas exister, donc déjà là c’est forcément troué. Et l’association qui s’est faite entre les trois signifiants : celui qu’amène l’enfant « KAS-KA-LIÉ », celui que j’amène , et celui qu’amène la mère, cela fait discours tout à coup. Et avec ce discours se crée un nouveau trou, càd que personne ne sait de quoi il s’agit, de quoi on parle. Est-ce que ce serait cela le faux-trou ?

Marc Darmon : Non c’est le vrai. (inaudible) L’enfant a fabriqué qq chose, on pourrait dire qui se substitue à qq chose qui viendrait vérifier le faux-trou. C’est comme ça que je verrais la chose, il fabrique qq chose pour faire tenir, ce qui sinon s’avère être un faux-trou.

Leslie fabrique qq chose qui relève à la fois de ce Babel antérieur, et elle fabrique qq chose qui permet au nœud de tenir, à condition qu’il y ait quelqu’un pour entendre.

Jeanne Wiltord : Faire entendre ce kas-ka-lié , la mère n’entendait pas jusque-là, et c’est à partir de ce que Roberte tu as pu de faire entendre qq chose, que la mère elle a pu entendre et dire « moi aussi j’entends ». Ce n’était pas en miroir avec toi, mais elle a entendu.

Marc Morali : Si je peux me permettre de réintervenir, il y a dans cet exemple qq chose qui me paraît invraisemblablement illustratif : jusque là j’avais entendu qq chose dans le dire, notamment dans ce que Joyce appelle « la mise en énigme », ……. Càd que lalangue porte une dimension d’énigme, encore faut-il la faire résonner. Quand en disant Kas-ka-lié , ça fait pas énigme, ça fait énigme joycienne, mais qu’est-ce que vous lui dîtes  à cette enfant ? Qq chose d’extraordinaire, vous lui dîtes « j’entends qq chose du créole » __ entendons « créole » là comme un lieu __ , ça vient du créole, mais qu’est-ce qui vient du créole, qq chose qui est dans l’antécédence et qui nous permet d’entendre kas-ka-lié . Kas-ka-lié est la réponse du sujet à un savoir qui précède kas-ka-lié. Kas-ka-lié ne prend son sens que de qq chose qui écrit en même temps ce qui précède. Mais n’entendez pas cela chronologiquement au sens de la montre, c’est une espèce de précession logique, càd que ça se constitue dans le même moment, l’endroit d’où kas-ka-lié prend son sens.

Càd qu’à cet endroit-là il n’y a pas de S2 qui précéderait le S1 kas-ka-lié, mais que se constitue dans votre remarque, au moment de votre remarque « j’entends qq chose du créole », càd que nous partageons là, et la conception et la fabrique de ce qui à ce moment-là fait interprétation, que se déplie cet écart entre S1 et S2 , càd que d’une certaine façon vous lui dîtes « il y a un sujet supposé au savoir » (inaudible) .

Kas-ka-lié n’est que la réponse à un savoir auquel je prête un sujet.

Savoir ce que veut dire kas-ka-lié comme demande.

Jeanne Wiltord : Qu’est-ce qui vient réaliser le faux-trou ?

Marc Darmon : Ce qui le réaliserait, on pense au phallus. Cela pourrait être aussi un autre faux-trou constitué par le Réel et l’Imaginaire.

En qq sorte cette enfant fabrique un mot avec les deux lalangues pour les faire tenir, mais c’est dans un temps antérieur pourrait-on dire, c’est parce qu’il y a votre réponse et celle de la mère que le nœud se constitue.

Marie-Line Louise-Julie : Monsieur Darmon, vous avez dit que lalangue est ce qui se constitue du fait des femmes, d’un ensemble de femmes, et dans l’exemple de kas-ka-lié , il se trouve que c’est dans un instant t que qq chose s’est noué pour cet enfant, et si je puis me permettre il se trouve que ce sont deux femmes qui ont entendu qq chose de lalangue. Lalangue concerne le rapport à la mère si j’ai bien compris, le corps de la mère, de ce qu’elle a pu apporter de sa propre lalangue aussi.

Marc Darmon : Lalangue se constitue par le dépôt, l’accumulation de ces expériences. Lacan insiste pour dire que c’est le travail des femmes. (M-L Louise-Julie : Alors, serait-ce du tissage ?) Certainement. Lacan ajoute qq chose de plus, càd que si on réparti syntaxe et lexique, c’est une hypothèse, il y a une nécessité de mise en ordre syntaxique qui relèverait des hommes. Mais c’est très curieux, puisque par ailleurs et l’on voit bien dans ce cas en particulier, que ce sont des femmes qui souvent transmettent la coupure.

Claude Rivet : Merci Marc Darmon pour cet exposé très éclairant, je voulais vous poser la question : ce qui réalise la condition de cette mise en place de ce faux-trou, est-ce qu’on peut dire que ce serait d’une certaine manière une interprétation au sens analytique ? Càd qq chose qui fait que c’est entendu par l’Autre, et que c’est repris dans une langue et dans l’autre ? Le fait que Roberte le reprenne en créole, l’entende, et que la mère le reprenne dans lalangue française, ça fait une interprétation. (Marc Darmon : oui) Et cette interprétation serait cette condition dont vous parliez, pour que le faux-trou se mette en place.

Marc Darmon : Dans ce cas oui, c’est assez lisible. C’est une interprétation dans des circonstances tout à fait particulières, c’est une interprétation à trois.

Claude Rivet : Ça fait un nouage. C’est entendu dans une langue et dans une autre, et l’Autre à ce moment-là vient prendre consistance dans les deux langues.

Marc Darmon : Absolument. Il s’agit d’un tissage où chaque élément vient prendre consistance.

Marc Morali : Je voulais juste faire une remarque madame (Marie-Line Louise-Julie) par rapport à ce que vous avez dit. S’il suffisait juste de mettre des femmes autour de la petite, ça se saurait__ votre remarque touche à une question à laquelle je rajouterais juste mon grain de sel __ , ce ne sont pas des femmes qui étaient autour de cette enfant : c’était une analyste. Dire à cette petite « c’est du créole », c’est un acte, un acte qui forge en prêtant un sujet à un savoir qui antécède la demande, qui forge la possibilité de ce nouage. S’il suffisait d’être une femme, le monde serait sans doute beaucoup plus pacifique. Merci.

Roberte Copol-Dobat : Ce qu’à dit Marc Darmon me permet de comprendre plusieurs mots qu’elle a dit après, donc elle a mis de la syntaxe, elle a dit « IGABE », après elle a parlé.