La question de l’humain, l’humain à la question – mai 2017

Le groupe de travail de L’Isle sur la Sorgue inscrit à L’Association Lacanienne Internationale Provence  a organisé une journée avec Bernard Brémond et Jean-Pierre Lebrun  le 6 mai 2017 sur « La question de l’humain, l’humain à la question »

 

La question de l’humain, l’humain à la question….

La psychanalyse a subverti la question du sujet en faisant objection à la croyance en une unité qui ferait l’in-dividu. Ce qui nous spécifie en tant qu’humain est, en effet, lié à la division subjective opérée par le langage.1

Un vent sociétal propageant insidieusement une incitation à dénier cette division (entre dire et dit, moi et je, forme et fond, même et autre, ….), ,  ne souffle-t-il pas de plus en plus fort ? N’y a-t-il pas danger d’immobiliser les points d’articulation d’où sourd l’humain de l’homme ?

Cette évolution contemporaine de la vision du sujet ne peut-elle pas nous faire courir le risque d’ontologiser deux sujets, l’un conscient purement normalisable (voire « artificialisable ») puisque comportemental, et l’autre animé par son inconscient, à forclore donc, puisqu’insaisissable. ?

Les passages à l’acte ne seraient-ils pas une tentative de déroger à cette part inssaisissable, légitime, universelle au fondement de la construction du sujet, tout en la jouant sur la scène de la réalité ?

Quel lien le sujet2 dont se préoccupe la psychanalyse a-t-il avec le sujet de la science quantifiable et évaluable ? Avec le sujet de la philosophie pensable ? Avec le sujet du droit, codifiable ? Avec le sujet citoyen, politique…. ? N’ est-il pas au cœur de chacun d’eux et ne s’éprouve-t-il pas dans l’acte où il joue sa responsabilité ?

La question de la responsabilité3 , indissociable de l’éthique, engage une réponse qui se doit de ne pas méconnaître la part d’inhumanité qui nous habite. Cette part maudite parce que mal-dite est au cœur d’une quête entre le possible de l’objet et son impossible accès.

Soutenir que l’éthique est au cœur du sujet, n’est-ce pas reconnaître que dans la rencontre avec l’énigme de l’autre, c’est le » manque à être » qui est engagé et qui témoigne de l’indicible…qui « fait » sujet ?

Pourquoi la faille du sujet, le mal-dire…deviendrait-elle faute ? Sommes-nous fautifs de l’impossible de l’univers symbolique à endiguer un réel qui ne cesse de nous échapper ? S’il n’est de portée symbolique du meurtre (« le mot est le meurtre de la Chose ») que par le jeu de la métonymie et de la métaphore, que se passe-t-il lorsque le mot se réduit à la seule métonymie ou quelques fois à une métaphore délirante ?

Cette part d’impossible ne risque-t-elle pas d’être statufiée par une injonction objectivante de jouissance -aussi bien sous ses formes modernes d’efficacité que de rentabilité ? Et, ce dans une tentative pathétique de maîtriser ce qui échappe.. ? Il semblerait que le procès d’advenue subjective, mis à l’épreuve, se rejoue sur la scène sociale…

Comment en cette place de sujet répondre à cette tentative d’objectivation ? De quelle responsabilité sommes nous chargés ?

Le sujet a-t-il encore un droit de réponse ? Comment répondre sans méconnaître la présence énigmatique et inquiétante de la Chose au cœur du semblant d’objet et les mots pour la dire ?

Peut-on faire l’hypothèse que dans notre société, le langage ne soit plus lesté de cette négativité inhérente au symbolique ? Ne revient-elle pas sous forme de nihilisme ?

N’est-ce pas ainsi que se transfère sur l’autre cette part négative non portée par le langage au lieu d’en reconnaître l’altérité instituante.

Et pourtant, des modalités d’accueil subjectif pullulent : développement de la communication, des lieux d’écoute, des stages de développement personnel. Notre monde présente ce paradoxe : entendre ce sujet tout en barrant les manifestations de son existence. Le développement des moyens de communication et des lieux d’écoute ne s’apparentent-ils pas quelquefois davantage à l’injonction de « parler » à tout prix (cellules de crise, groupe de paroles…) ?

Qu’en est-il du sujet soumis à ses propres injonctions de devoir en dire?

Exister comme sujet, n’est-ce pas…… n’être pas complètement assujetti à l’objet (qu’il soit de jouissance, d’angoisse, d’information, de connaissance, de science…), et ainsi laisser place au lien entre humains dans la reconnaissance d’une altérité qui échappe ?

Malgré ce souffle discréditant, la psychanalyse tente de faire entendre cette nécessaire place vide de sens, vide de connaissance…………. Ceux qui en sont les praticiens n’ont-ils pas une part de responsabilité ? N’ont-ils pas, en insistant sur l’importance du ratage, raté une articulation ? N’ont-ils pas leur responsabilité dans cette situation, de n’avoir pas assez renoué, articulé, le sujet de l’inconscient et les autres états du sujet? N’y-a-t-il à reconsidérer autrement la question de la jouissance dans son articulation au désir ?

Ces constats ne doivent pas nous contaminer mais nous inciter à questionner nos pratiques. N’avons-nous pas à mobiliser autrement les modalités d’accueil des demandes jusqu’à ce que se joue le « je « sur la scène du transfert ?

Des mouvements humanitaires, humanistes sont de plus en plus « chargés » de « sauver » une humanité qui se sauve …

Comment médiatiser le vent transhumaniste qui soulève la question de ‘l’homme augmenté » ?

Dans cette tendance au déni de ce « vide » instituant l’humain, qu’advient-il du respect des droits et devoirs de l’homme ?

Qu’est-ce qui fait autorité aujourd’hui ?

Ces questions nous ont animés ……… et seront abordées lors de cette journée avec Bernard Brémond et Jean-Pierre Lebrun.4

1 En effet, à l’orée de l’existence, l’impulsion du désir de l’a/Autre, donne corps au langage. Cet avènement nous divise entre

  • Un corps affecté de jouissance

  • La possibilité verbale

  • L’impossible à dire

L’articulation de ces trois axes constitue le complexe du sujet dont l’être ne se saisit que de n’être pas. Cependant le sujet ne cesse d’engager la question de ce qu’il est dans son rapport à l’Autre/autre :

  • Là, il s’éprouve dans l’acte de parole qui en retour l’institue comme sujet/parlêtre.

  • Là, il trébuche (irruptions de formations de l’inconscient)

2 L’étymologie latine « sub-jectus », ce qui est jeté, établi, dessous_ qui s’entend comme sous une autorité, soumis à une autorité_ nous ouvre la voie : le sujet, d’être en dessous, ne se voit pas , ne se saisit pas, ne peut se localiser ni s’appréhender.

L’étymologie grecque nous propose le terme « hypothésis » qui qualifie, lui, le sujet dont on parle.

On retrouve une correspondance avec le latin par « hypo » , dessous et « thésie » la chose établie, posée.

Le sujet serait alors hypothèse…

Ces deux étymologies nous évoquent un sujet à la fois invisible, irrationnel, hypothétique et aussi dépendant, soumis à la langue, apparaissant comme pur effet du langage.

Le mot « humanitas » au XIIè siècle, exprime l’idée de « corruptabilité » en opposition à la « déité » Ce retour étymologique n’est pas sans évoquer le nécessaire « train du langage » pour parler de cette question quels que soient le champ référentiel (science, technologie, philosophie……)

3 Responsabilité vient du latin « res/pondere », peser la chose : mais de quelle Chose s’agit-il d’accuser réception?

4 Après avoir commencé sa formation à l’Ecole Freudienne de Paris ( de J. Lacan), Bernard Brémond , psychologue clinicien, psychanalyste, a participé à la fondation de plusieurs associations analytiques qu’il a quittées quand il s’est avéré qu’elles s’engageaient dans une voie qui n’était pas celle de la dynamique instituante pour laquelle elles avaient été fondées. Son investissement actuel se limite désormais au Groupe d’Etude du Trait du Cas et au Mouvement Pourtour.

Jean-Pierre Lebrun est psychiatre, psychanalyste à Namur et Bruxelles. Directeur de trois collections Humus, Psychanalyse et écriture et Singulier-pluriel aux éditions Erès, il a publié de nombreux ouvrages . Il s’attache depuis fort longtemps à une réflexion sur le lien social à partir de sa formation et de son expérience de psychanalyste. Cela l’amène à reprendre un certain nombre de questions, aussi bien du côté de la clinique que de ce qui structure la société.