Danielle Roussel – Retour sur le séminaire d’été 2020 – L’Éthique Jacques Lacan

 (Les passages en italique sont empruntés au remarquable travail de Pierre Bruno.)

J’ai choisi pour ce retour du séminaire d’été sur L’Ethique, d’en passer par la question de la seconde mort (et de la frontière).

En m’appuyant en particulier sur le travail de Pierre Bruno, faisant un lien avec les textes précédents et suivants, et sous l’éclairage précis et constant des conclusions de Marc Darmon.

De cette relecture, passant d’un intervenant à l’autre, il en résulte par l’écriture la proposition de l’assertion d’une sorte de dialogue entre les auteurs.

Tout d’abord, le séminaire introduit l’éthique selon Freud et Lacan dans la direction de la cure.

Pierre Bruno en différencie les conséquences dans ce qui est pour Freud le passage d’une rive à l’autre et pour Lacan le pari sur le littoral.

La différence tient à une métaphore, par quoi le franchissement et l’entre deux terres ne sont pas les mêmes, la condition littorale étant liée à la lettre, référencée d’ailleurs au texte de Jacques Lacan lituraterre.

Il s’agit là d’une évolution de l’Ethique, et Marc Darmon de rappeler que Freud en son temps n’était pas un progressiste.

D’après Pierre Bruno, à l’instance de la lettre, Lacan évoque le littoral comme un lieu d’aucune trace qui ne soi d’avant.

Comme nous le suggère les mots, qui sont la signature des choses.

Comme la lettre, en répartissant d’un côté un sol ferme, de l’autre une infinité  océane, soit un espace supplémentaire d’où se révèle la possibilité de l’invention d’une écriture.

La lettre est plus radicale, la lettre fait trou.

Ce trou témoigne d’un savoir en échec, qui n’est pas l’échec du savoir.

L’inconscient invente, il change de forme et nous en avons eu la parfaite démonstration avec la clinique de Juliana Castro, qui dans l’évocation de l’orifice bouché d’un syndrome de Cotard, parle d’un patient, qui à partir de sa souffrance, écrit par une évolution en formes, comme une invention d’une écriture, des lettres sur la feuille (propos de Marc Darmon).

Pierre Bruno, dans son travail, insiste d’ailleurs sur la frontière asymétrique avec le littoral, frontière qui est la lettre.

L’image du littéral convoque la mer comme une étendue d’eau, mais cette mer n’est qu’une moitié de mer.

La moitié manquante, on peut l’imaginer et c’est bien la fonction du fantasme qui comporte une rive, un autre côté.

Si le littoral dessine du bord que l’on quitte, le bord de la filiation une terre ferme, il n’ouvre pas pour autant sur un autre bord.

Comment alors s’orienter ?

Sinon à tenir le symptôme, c’est en ce sens que la lettre est une conséquence du signifiant (sans être le signifiant).

Peut être dite littorale en déterrant le trou du savoir que la jouissance viendrait combler.

Limites, frontières à traverser inatteignables, de lettres mouvantes que l’insconcient invente, modifie, transforme.

Marc Darmon, parle de cette transformation par l’anamorphose, décrite par Lacan comme l’espace du tube miroir, là où elle se forme la figure du trou et le vide de la chose.

Ainsi la réflexion sur la perspective et l’étude du plan projectif, est l’étape suivante et référence topologique chez Lacan, à partir du Graphe comme première topologie.

Marc Darmon indique la récurrence du signifiant « topologie » dans notre séminaire d’été, et de préciser qu’il existe plusieurs topologies, que s’agissant du travail exposé par Tatanya Pitavy, nous étions dans une topologie de la frontière, ce qui vient  largement interroger le désir, notamment dans la cure.

De cela, Pierre Bruno, nous dit que pour qu’il y est analyse, de ce désir,  il faut quand même en avoir rencontrer les impasses, conditions et limites, sans quoi, nul ne peut soutenir le sien.

Ainsi donc le travail de Pierre Bruno situe la topologie comme un lieu du désir.

Marc Darmon ajoutera, que le Désir est ce qui aura été préalablement refusé.

Nous déduirons donc, que d’être inconscient est donc déjà une impasse, avec limitation et frontière.

D’une rive à l’autre, d’un séminaire à l’autre, Pierre Bruno nous embarque sur le radeau de la malédiction des hommes, celle d’être né de père et de mère.

Passant par Antigone, il relate la question des générations, de la filiation et du poids de la dette.

Quel désir pour Antigone ?

Un désir de mort, un pur désir de mort ou encore un désir pur ?

Elle ne cède rien pas même devant la mort, déjà morte avant de mourir.

Céder sur son désir se paye de la culpabilité, tragédie ou bien culpabilité, voilà le choix originel auquel nous force le désir.

Pierre Bruno citant Lacan « Antigone viole les limites de l’acmé », le désir est toujours un malentendu car il est le crime du grand Autre …

Pierre Bruno, indique que l’idée de la seconde mort, Lacan l’a prélevé chez Sade.

Alors de l’une à l’autre, quelle est donc cette seconde mort qui viendrait suppléer ou absoudre la première ?

Au dela de la mort biologique, Sade vise par la seconde mort à annihiler l’être de sa victime, en supprimant l’évènement de sa naissance.

Sur son testament, il ne voulait ni inscription ni stèle d’aucune sorte, afin d’en masquer le lieu. (Voir travail de Mme Esther Thellermann / Lacan avec Sade pour une Ethique de la Psychanalyse).

« Mé Funai » ou « plutôt ne pas être né » …

Tragédie oedipienne que d’être né de père et de mère se paye de la tragédie, nul ne   peut y échapper, tel est le prix.

Prix qui se paye par la culpabilité quand on cède sur son désir.

Monsieur Bruno en fait le détail pour Antigone, dont le point de départ  de la tragédie est nous dit il, d’assurer toute la charge de sa filiation :

Etre,  « un être de symptôme », ne s’arrêtant pas là puisqu’ allant jusqu’aux limites de l’acmé.

Pierre Bruno nous dit que Créon invente pour Antigone la seconde mort.

Ensevelie vivante, pas morte mais coupée des vivants, elle mourra de sa mort physique, l’ensevelissement ayant eu lieu avant la mort.

La perpétuation de son être au moyen de rites funéraires devient alors sans objet.

Est ce pour autant une seconde mort ?

Pierre Bruno, répond à cela par la démonstration contraire :

En rendant un hommage funéraire à son frère au prix de sa propre mort, elle a imprimé son être de façon ineffaçable.

Aucune condamnation ne peut venir annihiler la naissance d’Antigone refusant de laisser ne plus être ce qui au dela de la réalité biologique est venue à l’être par le signifiant, à partir de rien.

Elle ne cède pas sur son désir au prix de sa propre mort, en ce sens elle est du côté d’un désir pur, désir des cathares (Catharsis selon Lacan).

Voilà donc le franchissement de la limite de la seconde mort, où Antigone raye son être, et connaît son acmé en cet espace de l’entre deux morts, où sa vie perdue n’est déjà plus.

Sa mort, elle peut la voir, la vivre même, sous la forme de ce qui est perdu.

Avec une seule trahison une limite est franchie, sans retour possible.

Et dire alors, que  ce qu’il s’agit dans une cure, c’est bien de se coltiner cette question de la limite en se coltinant aussi la deuxième mort.

Comme nous le dit Pierre Bruno, aucun analysant ne peut tenir son analyse jusqu’au bout s’il cède sur son désir, c’est à dire s’il n’est pas prêt à affronter le crime du grand Autre.

Mais ce désir sans lequel l’analysant ne peut aller jusqu’au bout n’est pas celui qu’il trouve éventuellement à la fin sous la forme du désir de l’analyste, qui comme Lacan la souligné n’est pas un désir pur.

Cette vue de Lacan a des conséquences sur sa conception de la fin d’une analyse.

Avec ce séminaire sur L’éthique, il ressort qu’une analyse s’inscrit en faux contre la théorie aristolicienne du bonheur ou la théorie médicale de la thérapie.

Se coltiner la seconde mort, c’est affronter celle qui est au dela de la mort biologique ou en deçà de ce qui pose la question à l’analysant, ce par quoi le langage l’a fait être.

« Plutôt ne pas être né », MÉ FUNAI.

De ce désêtre le sujet se découvre à nu et Lacan déploiera cette dialectique en sa proposition sur la passe 7 ans après.

Le vœu de ne pas être né, ne peut boucler la fin d’une analyse.

La conséquence de ce vœu est de s’exaucer à la révélation que ma mort même ne peut entamer la vie, sauf si je m’obstinai à ne pas être né, c’est à dire à appliquer à moi même cette seconde mort.

Le crime du grand Autre parental est d’avoir fait naitre quelqu’un qui n’étant rien avant de naitre, ne pouvant désirer la seule chose désirable, à savoir la vie.

Conséquences (réflexions personnelles).

Tout d’abord celles de la fin de l’analyse, convoquant un désir, qui ne serait aussi pas toujours sans conséquences.

Mais aussi, faisant retour à Antigone, comme ANTI et GONE, l’anti semence, sans mari, sans enfants, mais pas sans frère !

Car au crime du grand Autre, il faut aussi rajouter celui premier de l’humanité : le fraternel, d’Abel et Caïn :

– « Suis je le gardien de mon frère ? Qu’as tu fais ?  J’entends la voix du sang de ton frère crier de la terre jusqu’à moi. » GENESE  4.10 (La voix du sang).

Monsieur Bruno, dans son évocation littoral de Lacan, m’aura fait entendre comme un coquillage à l’oreille, le bourdonnement de la voix du sang, dont l’image serait celle d’une Antigone épousant la fraternité.

Et de rappeler dans son texte « Un enfant, un mari ça se remplace, pas un frère », aussi, il faut entendre là, que d’habiter ou non une filiation, on ne peut décider de la place qu’on occupe dans celle ci.

On n’y peut rien changer, d’être seul ou frère parmi les frères.

On n’y peut rien changer, d’être le premier ou le Next -> le prochain.

Antigone n’a t-elle pas pour frère, celui qui partage les mêmes origines incestueuses ? Une fratrie embarquée sur le même bateau.

N’a t elle pas pour père, celui qui né de sa mère est aussi un frère ?

Quel est donc ce prochain ? Quel sort lui est réservé ?

Telle est la question soulevée par Charles Melman.

Avec la participation à un échange sur le populisme comme la confirmation en acte de ce séminaire sur l’Ethique.

Participation que ne manquera pas de pointer Marc Darmon, sur ce que serait les conséquences politiques liées à une éthique de la psychanalyse … conditions littorales et littérales comprises.

Danielle Roussel