parution : Gérard Amiel, Apprendre à désirer

La place prépondérante du discours de la science dans notre modernité, comme l’amplification des jouissances liées à la consommation nous font oublier la spécificité humaine découverte par la psychanalyse. Si nous sommes avant tout des parlêtres, cet ouvrage l’explicite pas à pas pour les profanes comme pour les initiés et en tire toutes les conséquences. Car le refus de cette prise en compte se paie au prix fort de catastrophes tant individuelles que collectives, dont le retour des idéologies qui ont agité l’histoire du XXe siècle et que l’on croyait définitivement enterrées fait intégralement partie.

Psychanalyste ex-président de l’ALI Rhône-Alpes, psychiatre ex-assistant-chef de clinique des universités au CHU, Gérard Amiel tient un séminaire public depuis trente ans, publie de nombreux articles en revues spécialisées et organise des colloques internationaux.

https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=70871

A lire dans Libération, Louis Sciara et Emile Rafowicz – 15 février 2018

chers amis et collègues,

Veuillez trouver  le lien d’une tribune écrite hier pour le site de Libération par  Louis Sciara et son collègue Emile Rafowicz , Psychanalystes, Médecins directeurs de CMPP, Membre de l’APLP.

Ils y défendent l’importance de la place à laisser à la parole et au langage – et donc à la psychanalyse – dans l’éducation et dans la prise en charge thérapeutique des difficultés que peuvent rencontrer les écoliers et les élèves

http://www.liberation.fr/debats/2018/02/15/non-les-enfants-ne-sont-pas-que-des-machines-cerebrales_1629958

En vous remerciant pour votre attention, la secrétaire de l’Ali-Provence, Nathalie Rizzo-Pignard

Intervention de JP Lebrun à Sainte Tulle (Alpes de Hte Provence) le 18 février 2012

Bien bonjour à vous, merci à Claude Rivet et à tous ceux qui l’accompagnent, de m’avoir invité à venir vous parler  des questions qui m’intéressent, et je vous prie un peu de m’excuser parce que j’ai, sans doute venu du Nord, et heureux de découvrir le soleil l’hiver, pris le rhume voire l’état brumeux et une pré-grippe, je n’en sais rien, donc je suis un peu nébuleux, mais j’espère qu’on finira quand même par traverser, comme disait quelqu’un mettez vous vos phares antibrouillards et cela vous aidera aussi

Ecoutez je vous propose de partir d’une anecdote comme ça qui m’est arrivé il y a quelques jours et qui m’a tout à fait intéressé. J’avais invité une collègue qui s’appelle José  Morel Cinq-Mars, qui vient d’écrire un petit ouvrage que je vous conseille d’ailleurs, qui s’appelle « Psy de banlieue », qui est une psychologue clinicienne d’origine canadienne, et qui rend  compte de comment elle travaille en référence à la psychanalyse, et je dirige moi-même depuis maintenant bientôt cinq ans un séminaire que j’appelle la clinique du quotidien, je ne vais pas développer ça, mais c’est un travail avec des gens qui sont dans les situations les plus concrètes possibles,  et voir comment est-ce que, éventuellement, ils pourraient tirer profit de se repérer un peu par les interventions des analystes, et de l’analyste que je suis, qui est présent à cette affaire, et qui les laissent parler des difficultés concrètes auxquelles ils ont affaire, et comme nous fêtons le cinquième anniversaire de ce séminaire, j’avais invité cette collègue, et je lui ai évidemment proposé de donner  un titre, et donc elle va venir et elle m’a donné un titre vraiment surprenant, qui m’a complètement … mince alors ! Elle y avait pensé elle,  bravo ! Son titre, qu’elle me propose «  la psychanalyse ne vaut que mise au service de tous ». Il fallait y penser à celle-là, boum moi  cela m’a scotché ! Il y a une part de vérité là qu’elle tient et qui m’intéresse vivement. Il ne s’agit donc pas entendons nous bien, je ne lui ai pas demandé ce qu’elle va dire mais il faut éliminer cette idée qu’elle allait nous mettre tous sur le divan ! il ne s’agit absolument pas de ça, mais il s’agit plutôt sans doute de rappeler que si la psychanalyse est à la hauteur de sa prétention, elle ne peut quand même se satisfaire d’être cultivée par un groupe d’initiés aussi brillants soient-ils. Elle ne peut non plus se satisfaire d’un jargon, qui aussitôt bien sûr  la réserve aux dits initiés. Simplement parce que pour moi la psychanalyse ça s’adresse, alors c’est encore un peu gonflé si vous le permettez de le dire comme ça, la psychanalyse ça ne sert  à rien d’autres qu’à s’adresser à l’humanité, à l’humain, à ce que c’est que l’humain, à ce que c’est que ces choses banales, puisque nous en faisons tous partie, de l’être humain, c’est-à-dire de notre commune humanité. Et je profite aussi d’un terme que Lacan a aussi utilisé, puisque d’ailleurs il a caractérisé le nom de la collection que je dirige aux éditions Erès depuis quelques années maintenant que j’ai appelé Humus, parce qu’il y a une formule de Lacan où il dit que le savoir, c’est toujours Lacan avec son côté un peu ésotérique dans sa manière de parler,  mais vous allez bien entendre parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, « le savoir par Freud désigné de l’inconscient  c’est ce qu’invente l’humus humain pour sa pérennité d’une génération à l’autre ». Autrement dit ce que Freud a découvert, l’inconscient, ça ne serait rien d’autre que ce qui s’avère nécessaire en quelque sorte, pour que l’humanité se transmette d’une génération à l’autre. Si donc vous admettez avec moi, ou si vous consentez à la thèse que je soutiendrai que la psychanalyse ça ne s’adresse à rien d’autre, ça ne parle de rien d’autre que de la spécificité de l’humain, je pourrai quand même ajouter que sa spécificité c’est d’essayer de le dire, ce qu’il en est de l’humain, parce que, elle n’est pas la seule à essayer de le dire, il me semble que l’art se trouve dans le même rapport, elle le conceptualise, elle essaie en tout cas de le dire avec une rigueur analogue à celle que l’exigence scientifique aujourd’hui promeut à juste titre, exige même à juste titre. Alors qu’est-ce qu’elle dit cette psychanalyse, pour que j’ai la prétention de soutenir qu’elle s’adresse à l’humain, à ce qui est humain, ni plus ni moins. Et bien précisément elle dit que la condition humaine n’est pas sans conditions, c’est que c’est une condition spécifique. On pourrait d’ailleurs dire finalement, contrairement à mon titre là donné au livre, on pourrait écrire que la condition humaine n’est pas sans une seule condition. C’est un peu gonflé de le dire comme ça, mais ça change un peu les choses aujourd’hui. Au fond il n’y a qu’une condition. C’est quoi cette condition ? Et bien cette condition qui est par ailleurs  tellement fondamentale, qu’elle va aussitôt en enclencher toute une série d’autres, cette condition je la dirais bien, pour autant que je tends par là, que c’est l’interdit de l’inceste. C’est au fond le seul invariant anthropologique que vous trouvez toujours dans toutes les sociétés humaines, peu importe comment, mais vous le retrouver, Levi Strauss a organisé son travail pour distinguer le passage de la nature à la culture. Vous savez aussi que par exemple, une anthropologue qui l’a suivi au Collège de France, qui est madame Françoise L’Héritier, qui reprend la question de l’inceste, de deuxième type, comme elle dit, donc elle trouve un autre type d’inceste. Il y a donc toujours cette condition qui semble bien nous caractériser, qui est que il faut dire non à l’inceste. Mais qu’est ce que c’est que l’inceste ? Alors  justement au niveau anthropologique, vous voyez qu’il s’agit d’une série de liens que l’on interdit, qu’il faut interdire, qui du coup en permettent d’autres – comme toujours quand on interdit quelque chose, ça permet dans le même mouvement de permettre d’autres choses – donc s’interdire les femmes du clan, ça oblige à aller voir dans le clan d’à côté. Mais ce n’est pas ça que comme psychanalyste j’appelle l’inceste. Ce n’est pas non plus ce que les juristes aujourd’hui appelleraient l’inceste et qui d’ailleurs, comme vous le savez, les embarrassent aujourd’hui, les juristes puisqu’ils ont même été questionnés par l’évolution de la société, au point de se demander s’il ne fallait pas introduire la loi de l’interdit de l’inceste dans la loi. Ce qui entre nous soit dit devrait nous faire entendre qu’il y a quelque chose là qui est en train de chanceler, faute de quoi on ne se poserait pas  des questions pareilles. Ca chancelle là. Ce n’est pas encore ça non plus pour le psychanalyste comme le dirait l’interdit de l’inceste. Je prends la définition d’une collègue, qui est appréciable, qui dit que l’inceste, qu’est ce que c’est que l’inceste, elle répond : c’est la transgression de l’interdit. C’est une collègue de notre association. Alors elle a raison sauf qu’elle met l’interdit avant l’inceste. Or justement le problème, si je dis que c’est radical, que c’est un invariant anthropologique, il faut au moins accepter que  l’inceste ça peut exister et qu’en principe, il faut au moins le couvrir par un interdit. Donc vous voyez que cette définition ne convient pas du tout, de dire que c’est la transgression de l’interdit, je dirai que c’est pour un psychanalyste déjà bien installé dans le langage, la parole et qui n’a plus affaire qu’aux symptômes, qui viennent rappeler  que ça ne marche pas toujours vraiment bien mais en attendant il est déjà bien inscrit dans les choses. Je préfère une autre définition qui d’ailleurs est déjà évoqué par un terme que vous devez avoir entendu, parce qu’aujourd’hui, il faut donc reconnaître qu’on parle souvent non pas d’incestueux, mais que Récamier qui est un post freudien, a introduit le terme d’incestuel, vous entendez souvent dans la clinique, des gens au quotidien qui parlent que ce n’est pas incestueux, ils ne suspectent pas qu’il y a un inceste, la réalisation d’un acte sexuel entre des gens pour qui c’est prohibé, pas du tout, mais ça colle tout le temps, c’est incestueux, ou c’est incestuel, c’est un mot qu’on utilise aujourd’hui beaucoup, et je pense que c’est tout à fait à juste titre. Et ceci m’amène à serrer la définition que je trouve personnellement la meilleure pour un psychanalyste de ce qu’est l’inceste, mais entendez, qui d’officine va supposer que c’est vraiment l’élément,  condition même de notre condition humaine, c’est une définition que donne d’une autre collègue qui s’appelle Irène Diamontis et qui dit : « Par incestueux il faut désigner ce qu’il y a de non séparé dans le psychisme du sujet ». Ce qui il y a de non séparé. Vous avez là en principe, comme je vous vois tous et comme nous sommes tous séparés, nous ne sommes pas dans le fusionnel. Mais il pourrait très vite arriver qu’en allant dans le café du coin, en sortant, ce que je vous souhaite, au bistrot après, la discussion banale qui se passe autour de la table là, bien pas bien, etc… il se peut très bien qu’il y ait une sorte de consensus qui se dessine à propos de ce que vous racontez, on  s’étripe là dessus, et puis on va pas chercher à savoir. Le non séparé ça a rapport avec ça, c’est à dire tous ces moments où on n’assume pas entièrement la dimension de solitude radicale qui est la nôtre. Nous sommes malheureusement comme vous le savez, né seul, et nous mourrons seul. La seule différence c’est que en principe quand on naît seul c’est en principe avec quelqu’un, et après on est seul. Mais c’est bien les actes les plus importants se font seuls, donc autrement dit être séparés ça peut servir  à ne pas faire l’impasse sur ce trait qui nous caractérise qui est la solitude, donc c’est ce qu’il y a de non séparé, donc l’interdit de l’inceste en tant qu’il est nécessaire de mettre en place dans le psychisme une séparation d’avec l’autre. Et vous comprenez alors très bien, qu’une autre collègue qui fait une analyse tout à fait pertinente, « la loi de la mère », Geneviève Morel, qui a été une des premières à mon avis à dire tout haut ce que l’on savait mais qu’on ne savait pas vraiment, à savoir qu’il est toujours nécessaire de se séparer de la mère, pas parce que  maman n’est pas bien, c’est pas parce que papa est mieux, c’est simplement parce maman métaphorise en quelque sorte, ce dont j’ai à me séparer pour pouvoir fonctionner comme sujet. Et je vous signale d’ailleurs que cela implique que la mère va même profiter, on espère d’ailleurs, si elle ne le fait pas c’est pas bon signe pour l’enfant, c’est pas les meilleures conditions, on espère qu’elle va se satisfaire, qu’elle va trouver une jouissance, la sienne propre, dans le rapport qu’elle a à son enfant, mais qu’elle va en même temps tolérer, accepter que cet enfant-là se sépare de cette jouissance, pour pouvoir trouver la voie qui lui permettra de trouver, de frayer son désir propre. C’est tout simplement comme cela que ça marche. Et comme vous entendez tout de suite si vous suivez l’idée, et bien oui, dans ce cas-là il y a quelqu’un qui intervient, qui est connu, c’est le papa qui aide à se séparer de la maman, etc… Et bien figurez- vous que ce n’est pas d’office le cas, voire même on pourrait dire aujourd’hui que ça c’est la solution oedipienne classique à savoir celle où vous pouvez compter sur un autre que la mère pour aider l’enfant à se séparer de la mère. Mais si vous n’avez pas à disposition cet autre que la mère, cela ne change rien, il faut quand même se séparer de la mère. Voyez que cela change un petit peu la donne, du coup vous semblez avoir perdu un appui, souvent important d’ailleurs, mais que le fait que vous perdez cet appui ne change absolument rien au travail qui est à faire. Et quand je dis ne change absolument rien cela n’est pas tout à fait juste, car cela le rend un peu plus délicat, plus difficile, et on va expliquer un peu pourquoi, et cela va avoir un certain nombre de conséquences dont je dirais volontiers qu’elles sont aujourd’hui la caractéristique même de ce qui nous arrive, la spécificité de la clinique contemporaine, est une clinique à mon avis,  qui émerge parce qu’elle doit éponger les effets de ce que la solution oedipienne classique, celle qui comptait sur un père pour se séparer de la mère, ne fonctionne plus pour des raisons sociales. C’est comme cela que je le dirais. On éponge vraiment les effets de ça, et on ne sait pas très bien ce que cela induit, c’est ce que je vais développer et élucider si vous le permettez. Mais je reviens d’abord à ce point, donc l’essentiel, le point essentiel, fondamental de la condition humaine, c’est ce désasujettissement de l’Autre, de l’Autre maternel en l’occurrence, le premier Autre, qui soutient, nécessairement, obligatoirement, comme disait Winnicott il n’y a pas de nourrisson tout seul, ça n’existe pas, il meurt tout de suite. Donc il faut un Autre qui lui donne des soins, qui va même y trouver une satisfaction, une jouissance, qui va en parler, qui va parler de lui, qui va s’adresser à cet enfant-là, et à partir de là les choses vont se mettre en place. Mais il faut que du point de vue du sujet, si on veut endosser la condition humaine, et bien  il faut que le sujet, comme on dit en termes de vélo, il faut qu’il fasse le trou, qu’il fasse une distance. Pourquoi bon Dieu de bon Dieu de bon sang, pourquoi vous m’embêtez ou pourquoi est ce que  je vous embête avec la question de l’inceste, comme étant ce qui est fondamental. Et  bien  peut être bien que vous ne vous en êtes jamais aperçus mais cette capacité qui nous est propre,  il n’y a que les humains qui soient des êtres parlants, je ne vais pas vous parler de la parole chez les bonobos, on va y venir si vous le voulez , mais en fait tout le monde est bien d’accord, il y a peu de choses sur lequel tout le monde est d’accord, mais tout de même nous sommes tous bien d’accord pour dire que le langage humain, ce n’est pas le langage animal, ce n’est pas la même chose. Il y a quelque chose de caractéristique au fait de parler. Et bien si parler est notre lot, ce qui d’ailleurs permet pleins de choses, entre autre de nous retrouver, ici à Ste Tulle un samedi matin, alors qu’il fait beau dehors. Si il n’y avait pas la parole on ne serait pas là. Donc, cette parole qui nous caractérise, que nous soyons d’ailleurs capables de parler ou que nous soyons sourds muets, cela ne change rien à l’affaire,  bien que nous parlerions autrement, il y  toujours cette capacité de parole, d’être parlant, ce parlêtre, comme disait Lacan, c’est cela qui spécifie l’humanité, et bien figurez-vous que ça c’est tout à fait corrélé à cet interdit de l’inceste. Et c’est pour ça que c’est fondamental. Autrement dit la capacité de faire le trou, de se désasujettir de l’autre, de ne pas être scotché, ne pas lui être collé,  ne pas lui être collabé, ne pas être enfermé dans sa jouissance, tout ça va exactement dans le même mouvement que le fait d’assumer sa capacité de paroles, chose qui est bien sûr physiologiquement tout à fait, virtuellement repérable chez chaque enfant, sauf anomalie, mais qui a besoin d’un trajet, un trajet plutôt long d’ailleurs, parce que je vous signale car ça prend à peu près le tiers de l’existence, pour arriver à faire qu’à un moment donné, un sujet puisse endosser sa parole, c’est à dire profiter du trajet qu’il a fait pour pouvoir soutenir une parole qui ne se légitime de rien. Les seules vraies paroles que vous  prononcez sont celles qui ne se légitiment en fin de compte de rien. Sauf du fait que vous les dites. Si vous dites « je t’aime » à quelqu’un, vous aurez beau faire la liste des choses pour lesquelles vous avez bien raison de l’aimer, mais cela ne suffira pas. Il faudra quand reconnaître que c’est parce que vous lui avez dit « je t’aime » que la phrase tout à coup vous a fait complètement chaviré et que cela a pris une autre tournure. Se légitimer de rien, c’est se légitimer du trou, c’est se légitimer de l’absence, c’est se légitimer du vide. Chose que nous ne faisons pas tous les jours je vous signale,  nous nous limitons en général parce que ce n’est pas sans angoisse avant, et ce n’est pas sans angoisse après,, alors plutôt avancer comme ça, et on fait le moins possible, juste  ce qu’il faut pour avancer, ou alors on passe du côté de la création, car c’est risquer cela tout le temps, c’est cela  aussi. Ca me rappelle toujours de dire que le seul savoir qui est un savoir analogue, c’est le savoir analytique, le  savoir de Freud est un savoir, moi ça me fascine toujours, c’est un savoir qu’il tiré d’où ? De lui, de sa tête,  vous vous rendez compte qu’on est là,  un siècle et demi après, en train de travailler les questions qu’un bon monsieur médecin viennois tout à fait banal, tout à coup a dit bien c’est comme ça. Il n’y a rien qui justifie l’inconscient nulle part, il  ne peut pas le prouver et pourtant c’est un savoir à partir de rien. Il y a parfois des choses que vous savez vous, du fond de vous et que vous avez l’impression que celles-là vous ne les lâcherez pas parce que c’est fondamental pour vous, c’est comme ça, c’est ce petit bout de Réel que vous avez attrapé avec votre organisation à vous, aussi limitée, extraordinaire, peu importe, hop vous l’avez attrapé, et ça vous ne le lâcherez pas. Cela peut se réduire à des choses parfois simplistes, du type de « moi je veux vivre à Ste Tulle et je reste à Ste Tulle », cela peut être ça. Ca peut être autre chose, ça dépend. Mais le psychanalyste est un petit peu comme ça, malheureusement pour lui, comme il n’y a que Freud qui a inventé et depuis,  on répète souvent ce que disent les autres. Moi aussi, du coup ça n’a plus la même valeur. Mais enfin on espère quand même avoir retrouvé ce point où on pourrait dire quelque chose, qui en fin de compte se justifie, s’explique, on peut très bien tout déplier, mais quand même la légitimité finale vous ne la trouverez que dans le fait que ce monsieur là le dit. Si je vous dis ça, il y a un corollaire à ce que je dis, c’est que ce vide, l’interdit de l’inceste – parce que ça fait du vide, et le langage a besoin de faire du vide, on ne parle pas la bouche pleine. Vous savez que dans toutes les langues du monde on dit maman avec mmmm. Parce que maman, le premier mot, est la seule chose qu’on peut dire la bouche pleine, mais papa ça va pas. Faut faire du trou pour dire papa, et maman mmm, ça peut marcher.  Il y a un trajet, il y a quelque chose, il faut installer le trou, il faut qu’il y ait du creux, il faut qu’il y ait du vide. Autrement dit il faut qu’il y ait l’absence au cœur du système, et pas la présence. C’est l’absence qui est au cœur du système. Ca peut être intéressant de repérer ça. Ca veut dire que la présence bien sûr, le langage d’ailleurs ça n’est rien d’autre qu’organiser  la dialectique de la présence et de l’absence. Vous faites venir ici monsieur Sarkozy si ça vous plait, ou bien monsieur Holland, si vous préférez, il suffit que je l’évoque pour qu’ils soient ici. C’est un truc fantastique qu’on peut par la parole faire venir des gens, les rendre présent à nos esprits alors qu’ils sont absents, ça se paye d’un prix. Et le prix que nous payons, c’est que si vous avez affaire à quelque chose qui est présent, et bien ce sera toujours frappé d’absence. Autrement dit vous avez un ou une copine, ou un mari, ou une femme, ou tout ce que vous voudrez, enfin un autre qui est là tout le temps présent, et bien il faudra bien vous y faire que la présence que vous aurez de sa part, elle sera truffée d’absences. Autrement il ne sera pas exactement, il ne répondra pas exactement à vos attentes, et le malentendu est d’emblée là, et autrement dit  le non rapport est là, et sauf d’être amoureux un petit peu, et comme on sait ça tombe très vite, et après il faut faire avec les moyens du bord, c’est-à-dire avec le fait qu’il n’est jamais là où vous attendez exactement que l’autre est. Et tout va dans le même sens. Y a que les gens qui sont addictés qui pensent que l’objet va les tenir entièrement à les satisfaire , mais les autres savent bien que même si ça vous intéresse d’avoir un objet, je ne sais lequel, la voiture la plus mirobolante, le dernier appareil, je ne sais lequel, maintenant je ne peux même pas suivre, et bien cet appareil là de toutes façons une fois que vous l’aurez, ou  vous ne l’aurez peut être même pas encore que vous aurez déjà envie d’un autre. C’est ça être frappés d’absence, donc l’absence il faut la mettre au cœur du système puisqu’au départ on part de la présence, la mère est présente, et il faut mettre l’absence au cœur du système. C’est pour cela d’ailleurs que très souvent, très longtemps, et encore toujours aujourd’hui  mais d’une autre façon, que père et mère faisait entendre, pôle de l’absence le père, pôle de la présence, la mère. Il ne fallait pas je vous signale  être psychanalyste pour avoir découvert ça. On le dit, là, comme cela  ça simplifie, mais je vous lis une petite phrase de Marcel Proust, qui à cet égard est terrible parce qu’à cet égard il a tout compris, « comme tous ceux qui possèdent une chose, pour savoir ce qui arriverait s’ils cessaient un moment de la posséder, il avait ôté cette chose de son esprit, en y laissant tout le reste dans le même état que quand elle était là. Or l’absence d’une chose ce n’est pas que ça, ce n’est pas un simple manque partiel , c’est un bouleversement de tout le reste, c’est un état nouveau, qu’on ne peut pas prévoir dans l’ancien». C’est joliment dit comment l’absence va complètement remanier, une fois que vous mettez l’absence au creux de la psyché, tout le système va être remanié, et du coup, vous pouvez avoir une série, lire une série de conséquences à cette condition, la seule condition qui est l’interdit de l’inceste, faire du trou, mettre l’absence au cœur du système et du coup toute une série de conséquences qui s’ensuivent, qui sont aussi les conditions de la condition humaine. Exemple, la certitude qui est la vôtre que vous n’en avez pas, elle ne sera jamais que division, elle ne sera jamais que incertitude. Exemple, il y aura des places différentes, en l’occurrence par exemple c’est moi qui parle c’est vous qui vous taisez, mais tout à l’heure peut être qu’on va changer, mais il y aura des places différentes. Exemple, il y aura de la coupure. Si il y a de l’absence il y a de la coupure, vous ne pouvez pas  tout le temps être là dans la continuité, il y a bien des moments où vous devez accepter que ça coupe. Exemple vous allez devoir en passer par la contrainte de comment la langue fonctionne, sinon vous en resterez au babil que vous aviez avec papa maman, il faudra bien à un moment donné que vous acceptiez d’entrer dans une langue qui vient d’ailleurs. Personne ici n’a la prétention j’imagine, d’avoir inventé le français, la langue vient du dessus, et comme je rappelais ce que disait Lacan tout à l’heure à propos de l’humus humain, l’inconscient, c’est un savoir humain universel, c’est ce qui passe d’une génération à l’autre, et bien la langue passe d’une génération à l’autre. On est dans le même mouvement de transmission, et bien voilà donc comment on peut dire que la présence jusqu’il y a peu semble avoir été identifiée culturellement par la mère et c’est logique puisque l’enfant dans un corps à corps avec la mère, bien sûr, et la dimension de l’absence était plutôt prise culturellement par la polarité du père. Ca semble avoir été vrai depuis 25 siècles, et il semble bien que cela ne soit plus le cas. Qu’est ce qui s’est passé ? Et bien il y a 25 siècles effectivement, on a décidé, vous pouvez en trouver les traces dans une tragédie grecque, je ne vais pas le développer, qui s’appelle l’Orestie, il a été décidé que l’enfant était d’abord l’enfant du père. Que la mère n’était que le réceptacle, je suis désolé, mesdames, mais c’est ainsi que les anciens grecs pensaient la chose. Et en lisant bien les textes, si vous avez l’occasion de le faire, vous verrez que l’intérêt n’est pas du tout de discréditer la mère, l’intérêt de l’opération était de faire entendre par le biais de la prévalence  du père sur la mère qu’il fallait asseoir  la prévalence de l’absence sur la présence, autrement dit la  prévalence du langage, c’est-à-dire la prévalence de ce qu’est notre condition humaine.  C’est noir sur blanc dans les écrits de l’Orestie, d’Eschyle, on ne va pas développer maintenant, cela nous amènerait trop loin, mais c’est écrit noir sur blanc. Même tragédie d’ailleurs où on va installer d’ailleurs où on va installer les lois de la parole, mettre la démocratie en place, tragédie aussi repérée comme la première fois que l’on met en place la justice humaine. Et bien la justice humaine et la démocratie, figurez vous ont été mises en place dans le même mouvement, que la reconnaissance nécessaire de la prévalence du père sur la mère, non pas parce que papa est mieux que maman, mais simplement parce qu’il s’agissait que l’enfant devienne un enfant inscrit dans le langage. Et que c’était cette capacité langagière là qui le caractérisait, et qui nécessitait que l’enfant ne reste pas collé à la mère, ne lui reste pas assujetti, mais que précisément, il fallait à un moment donné que le système social, prenne cet enfant, l’enlève de sa mère, et le fasse aller trouver sa place dans le social. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les tribus africaines où vous avez des enfants qui restent jusqu’à 8-10 ans accrochés à la mère, mais à un moment donné il y aura des rites d’initiation, il y aura des choses prévues dans la culture qui vont faire que c’est terminé maintenant là, et attention ce n’est pas du tout la même chose que ce qui  se passe aujourd’hui, parce que précisément dans ce contexte là, même si l’enfant veut rester très longtemps lové dans, près du corps maternel, il est déjà prévu au départ qu’il va falloir à un moment donné y renoncer. Qu’est ce qui se passe aujourd’hui ? Et bien ce qui se passe aujourd’hui, ce n’est pas compliqué à comprendre. Nous avons tout une évolution sociale dont je ne vais pas citer tous les éléments, parce que sinon on n’en sort pas, mais enfin quand même une des choses qu’il faut retenir, fondamentale, c’est que nous avons quitté un monde organisé, un lien social organisé sur le modèle d’une pyramide, quitté un monde organisé sur le modèle d’une prévalence reconnue au sommet de la pyramide, quitté un monde social où l’on parle du désenchantement du monde, quitté un monde social où c’est Dieu qui est plus ou moins celui que le roi vient à soutenir la représentation, et que sais je encore. Bref on a quitté ce monde organisé sur le modèle de la religion c’est-à-dire avec la reconnaissance comme allant de soi de quelqu’un qui est en légitimité d’imposer quelque chose à l’autre, sans que ce ne soit pour autant de l’autoritarisme, ce qui ne veut pas dire pour autant que certains n’en ont pas abusé et profité de la légitimité qu’ils avaient pour imposer non pas ce qui est nécessaire, mais en ont profité pour asseoir et assurer leur propre jouissance. Ca c’est toujours le risque, mais il n’empêche que le modèle de ce qui avait été mis en place, c’est une prévalence de cette place là qui équivaut à la prévalence du collectif sur le sujet et sur l’individu. Et qui va donc s’imposer à lui d’une manière tranchée, d’une manière nette parce qu’il n’aura pas d’autre issue que de devoir faire sa place à l’exigence de celui ci, celui qui est à cette place de légitimité. Et dans ce contexte là il intronisait, introjectait, il assumait en quelque sorte les exigences de la génération d’avant, et cela transmettait un système. Or là dessus nous sommes en difficultés à partir de quoi ? Mais à partir de deux choses fondamentales à mon avis. La première qui est l’évolution démocratique qui désormais aujourd’hui a privilégié de manière radicale, l’égalité des conditions, comme doctrine, c’est-à-dire nous sommes tous sur le même pied. Donc il n’y a plus de légitimité à avoir cette différence de places. Mais s’il n’y a plus de légitimité à avoir cette différence de places, il n’y a plus non plus légitimité à avoir autorité, il n’y a plus non plus légitimité à vouloir imposer à quelqu’un qui reste plus proche de la mère, ou plus proche de la présence, ou qui ne veut pas, il n’y a plus de légitimité pour lui imposer l’absence. Et nous sommes dans ce contexte-là aujourd’hui. Je ne vais pas développer énormément mais je voudrais quand même que vous entendiez un tout petit peu le trait concret de cette affaire, le trait concret. Dès qu’aujourd’hui qu’il y a quelqu’un, vous savez qu’il y a aujourd’hui (un) sociologue qui a participé au Conseil constitutionnel en France, et  qui a fait un exposé l’année passée à Montpellier tout à fait intéressant où il disait que ce qui l’affligeait beaucoup c’était la position de méfiance généralisée aujourd’hui.  Nous nous méfions de quiconque serait une position d’autorité, nous nous méfions de quiconque occupe une place différente. Nous nous méfions de quiconque, car s’il occupe cette place là, il pourrait bien s’en servir pour… donc vous avez là quelque chose d’extrêmement puissant qui est en train de fonctionner, c’est que le nouveau modèle social démocratique qui est mis en place et qui a toute sa légitimité évidemment, mais ce nouveau modèle, il est difficile, ou compliqué de ne pas se satisfaire uniquement de débusquer celui qui s’autorise de la place qu’il occupe pour abuser, de ne pas se contenter de cela, mais de devoir aussi faire la place aussi au fait que désormais il faut  bien se demander comment on va faire prévaloir quelque chose qui relève du collectif, alors que dès qu’il y a quelqu’un qui se prévaut d’une place différente des autres, il est évidemment dans une position un peu antagoniste avec l’égalité des conditions qui a été décrétée. C’est une vraie difficulté, entendez bien ce que je dis, il  ne s’agit pas ici de vouloir à tout prix rétablir l’ancien machin tout ça, non, il s’agit de repérer que la mutation sociale, la mutation du lien social dans lequel nous sommes pris, a comme logique de rendre de plus en plus difficile pour certains sujets, de pouvoir occuper une place différente des autres parce que d’emblée ils vont être suspectés de revenir au modèle ancien. Et il faut donc qu’on se débarrasse aussitôt de ces gens-là. Ce n’est pas possible, on doit aussitôt les surveiller. Dans les faits concrets, ça va très loin, car ce faisant il ne faut pas vous étonner que l’élève à qui on dit il faut aller au tableau, il faut expliquer, « est ce que tu as compris le problème là », bon, pourrait très bien répondre à l’enseignant « t’as pas à m’obliger. Pourquoi est ce que tu me forces ? » Ce qui veut dire ceci, c’est que là où avant vous aviez, vous connaissez le coup, de la contestation, c’est normal,  un adolescent il ne veut pas, vous avez aujourd’hui la possibilité, et ce n’est pas la même chose la contestation et la récusation, il a aujourd’hui la légitimité pour lui de récuser quiconque viendrait lui demander, l’obliger le contraindre, tout cela avec des termes entre guillemets, c’est calme, cool, mais il faut quand même le faire. Il a la légitimité de venir récuser ça. J’ai vu hier par hasard, et je ne vais pas développer, ce serait m’aventurer dans un terrain très glissant, l’histoire du maire et de la gifle, c’est quand même très embêtant pour moi la façon dont c’est formulé comment ce monsieur le maire, le propos du père, que j’ai entendu hier soir à la télévision, le propos du père est de dire « il n’avait pas à être au-dessus des lois ». Mais son fils non plus ! Alors  qu’est ce qu’on fait, comment on fait, comment on s’en débrouille ? Voyez on aurait quand même pu faire un jugement qui aurait été de dire « monsieur le maire vous avez été un peu excessif, on ne fout pas une gifle à un enfant parce qu’il vous conteste un peu méchamment, mais vous vous n’avez pas non plus à le contester de la sorte». Il y aurait pu avoir un propos un peu nuancé un peu plus fin. Non on va dans le sens de… évidemment ! Vous voyez bien ce que ça veut dire. Ca veut dire que le père de famille aujourd’hui vous voyez, vous connaissez tous ça, ce qui fréquente l’école connaisse bien ces parents aujourd’hui qui vont se précipiter, dès qu’on a touché à quelque chose de leur enfant, dès qu’on leur a dit il a une mauvais note, moyennant quoi il y a une légitimité de plus en plus grande à récuser toute intervention qui devrait en principe devrait aider, aider parce que contraignante. C’est ça qui est paradoxal. Pour aider aujourd’hui tout le monde est là pour ça, vraiment si c’est dans l’amour, mais pour contraindre, pour exiger, là vous allez devoir vous lever un peu plus tôt et vous allez surtout très vite être mis à mal par quelqu’un qui va vous dire « mais de quel droit est ce que tu exige cela ? » qu’est ce que c’est que cette histoire ? Qu’est ce qui se passe ? » . Et donc vous allez vous trouver acculé où ? A mon trou de tout à l’heure, c’est-à-dire que si vous n’avez pas en vous les ressources costaudes, suffisamment pour dire « écoutes, moi je suis enseignant je ne suis pas là pour t’imposer quoi que ce soit, la question n’a rien avoir avec ça. Mais ma tâche est que tu saches lire et calculer, et avec ce que tu fabriques là, ça ne marchera pas comme ça ». Si vous ne pouvez pas soutenir ça très sereinement en plus, alors que lui il a essayé de vous faire sortir, si vous sortez de votre rôle parce que vous vous emportez alors vous êtes foutu. Parce qu’évidemment, il y a cette jouissance à imposer, c’est scandaleux, mais ça devient très compliqué, cette inversion de légitimité est quelque chose de très très grave dont les effets sont anodins, mais ont la fonction de l’effet papillon, c’est-à-dire qu’ils se répandent de manière  extraordinaire. Donc on est là  avec une grande difficulté, de tant en tant  ce que je dis là je le vérifie de temps en temps dans les réactions parmi vous parce que forcément, je suis en train de dire que le vieux modèle  est le bon et le seul bon. C’est pas ça du tout que je dis, je dis que nous avons quitté un modèle, nous ne l’avons plus, nous n’avons même plus aujourd’hui chez les parents, le fait de pouvoir se soutenir de mère et père comme figures culturelles de ce qu’il y a à faire dans la dialectique présence/absence. Ca n’est même plus là puisque le premier Autre ce peut très bien être un homme, alors vous allez l’appeler mère peut-être, mais quand même c’est pas si simple, autrement dit, le grand changement qui a opéré, c’est que aujourd’hui aussi bien, homme/femme, mère/père, des deux côtés, ils se sont mis comme  du même côté, à savoir aider l’enfant à grandir, et la tâche de devoir limiter, de devoir introduire l’absence, c’est là qu’on espère bien qu’il va pouvoir la découvrir par lui-même, mais plus personne ne veut être celui qui va endosser l’effet que cela va avoir sur lui, le fait de le marquer de l’absence. Ce qu’on constate évidemment c’est que dans ce contexte, l’enfant évite soigneusement évidemment de se consacrer à l’absence. Et autre chose aussi, on constate que dans ce cadre-là, la génération supérieure, la génération du dessus, se décharge d’une tâche pourtant essentielle qui est de soutenir la haine qui ne peut que surgir au moment où vous allez lui témoigner que dans la présence que vous êtes pour lui, il y a de l’absence qui est inscrite et que c’est bien de ce côté là aussi qu’il faudra qu’il assume la tâche qui est la sienne. Et bien vous allez avoir quelque chose de très difficile, une grande difficulté à le soutenir vous, à le faire accepter, vous allez vous trouver dans une très grande difficulté.

 

Aujourd’hui, au fond, la famille protège bien souvent, l’enfant de la vie hostile qu’il va rencontrer. Vous allez me dire c’est normal elle est tellement hostile. C’est  vrai mais ça ne va pas l’aider de le laisser croire qu’il y aurait moyen d’éviter l’hostilité. Donc ce passage à la récusation va être quelque chose qui va manifestement venir rendre difficile le fait de soutenir cela pour la génération du dessous. Ce n’est pas tout. Il y a une deuxième force terrible qui est en jeu. C’est que  si je viens de vous dire que l’interdit de l’inceste, l’inceste est ce à quoi il faut renoncer, l’inceste est ce qui  va faire trou, ce qui va organiser l’appareil psychique, c’est ça qui est fondamental, c’est la condition même. Mais l’ensemble du discours néo libéral, et même hyper libéral, ne vous fait absolument pas entendre que ce trou, cette absence est au programme, c’est l’inverse. Le point central que cela veut dire, mettre l’absence au centre, ça veut dire  un trait caractéristique de notre humanité, à savoir que pour ce qui est de l’immédiat vous repasserez. Plus jamais un être humain ne sera dans le Réel brut, plus jamais, il ne sera confronté à une immédiateté totale. L’immédiateté autrement dit, elle est frappée d’un impossible, puisqu’il ne peut plus passer que par cette dimension langagière, ça n’est que là qu’il peut passer, et dans cette dimension langagière, elle s’organise selon certaines formalisations qui fait que l’immédiat, il  n’y a plus accès. Alors l’impossible immédiateté c’est un autre mot pour désigner ce que le psychanalyste appelle la castration symbolique. C’est la même chose. Et bien donc cela veut dire que, vous allez pas me dire que aujourd’hui, ce n’est pas le tout tout de suite qui est valorisé. Vous ne pouvez pas dire qu’aujourd’hui, l’impossible immédiat est sans arrêt contourné, on exige la transparence. On va tout de suite dire que n’importe quoi qui n’est pas tout à fait éclairci, comme l’opacité, on va exiger de vous une communication franche directe et totale. Enfin à tous les niveaux on va faire, non pas aller dans le sens  d’introduire cette dimension de consentement à la perte de l’immédiat, mais on va  au contraire, vous laisser croire que l’immédiateté peut être contournée, peut être accessible, et que cette nécessaire médiation que vous impose le langage, il y a moyen de l’escamoter. A ce moment-là vous avez donc tout un discours social, qui ne présentifie plus au sujet la castration. Il ne présentifie plus au sujet que c’est comme ça la condition humaine. Et l’effet de cela c’est quoi ?  Et bien l’effet de cela c’est que l’enfant, le jeune, l’adolescent, n’est plus obligé d’intérioriser ce qui devrait être présentifié par le discours social. Il peut se contenter de glisser, de zapper, d’être, ce que j’appelle moi, absent à lui-même, il est là, sans être là, ce que les enseignants connaissent bien chez des élèves, à savoir cette présence qu’ils sont là, mais ils sont complètement ailleurs, ça ne les intéresse pas vraiment, ils veulent pas vraiment endosser. Parce que c’est comme si on leur disait ce n’est pas nécessaire. Alors si ce n’est pas nécessaire pourquoi je le ferai. Ils sont plutôt invités dans une position de déni. Ils sont plutôt invités à dire, oui je sais bien que c’est comme ça que ça devrait marcher mais en même temps…

Donc la possibilité, de prévalence, de faire prévaloir, ce qui est frappé par la dimension de l’absence est à la fois rendu difficile parce qu’il n’y a plus la légitimité de la place pour en témoigner, et en même temps c’est subverti par le fonctionnement même du discours social qui vient à tout moment vous donner des moyens pour contourner, éviter de ne pas devoir prendre en compte cette dimension. Le portable, le portable c’est magnifique, le portable si vous voulez éviter la coupure, si vous voulez éviter de faire le travail de séparation, il y a le portable. Il paraît que selon notre collègue qui m’a dit hier qu’il y avait plus de portable que de brosses à dents. C’est extraordinaire ! Bon le portable, vous connaissez bien le système du portable, vous connaissez bien les parents, les enseignants qui veulent lutter, pour faire en sorte qu’au moins le portable ils ne puissent pas répondre pendant la scolarité. Tout ça c’est assez, autrement dit aujourd’hui l’immédiateté est au programme social.  On est sous la tyrannie de l’immédiat. On a aussi d’autres espoirs illusoires, comme par exemple celui qui est que le collectif pourrait être la somme de toutes nos singularités. Ca c’est vraiment l’idéologie ambiante la plus extraordinaire !  La dimension du collectif pourrait être, nous sommes la France ou la Belgique, peu importe, et bien le collectif ça ne serait rien d’autres que la somme de tous vos desideratas mis les uns à côté des autres. Comme si ça n’allait pas susciter des conflits, comme si c’était possible, comme si en fin de compte le collectif n’avait d’autres fonctions que de pourvoir aux appétits de notre volonté propre, chacun y est pris. Surtout dans les démocraties, le sujet, il est bien obligé d’endosser, à la fois ce qu’il  veut lui, et à la fois la dimension du collectif. Faute de quoi c’est impossible.  Vous voyez bien comment du coup on est dans une sorte de déni ou démesure, le déni aujourd’hui est une figure extrêmement puissante parce que, vous le savez sans doute aussi, c’est souvent ce qui est utilisé lorsque la mort se rapproche. Qui ne connaît pas quelqu’un qui, au moment où tout le monde sait qu’il a un cancer, et qu’il n’en a plus pour longtemps, va vous parler de n’importe quoi sauf de ça. Il va faire comme si ça n’existait pas. Donc le déni a une fonction. C’est une défense inefficace pour la réussite de l’opération, mais c’est une défense très efficace pour la psyché. On n’est pas obligé de se farcir la difficulté, mais malheureusement à long terme c’est une défense tout à fait inefficace.

Alors je vais pas m’étendre. Je ne sais pas si je vais arriver à vous le rendre. Il me semble que le discours social aujourd’hui au fond est complètement piégé parce qu’il est privé de cette place de légitimité pour pouvoir imposer quelque chose au nom du collectif. Et du coup il n’a d’autres issues que d’inventer des systèmes par lesquels il va quand même faire fonctionner le collectif, mais en masquant qu’il continue à tirer les rennes, à tirer les ficelles.

Vous avez ça, dans le fameux – Lacan avait parlé à un moment donné qu’il n’y avait pas du Nom du Père, mais qu’il y avait du nommé à. Alors c’est une très jolie formule que j’aime bien chez Lacan, je vous dis ce que cela veut dire. Quand vous avez quelque chose qui est soumis au  Nom du Père, cela veut dire que vous l’avez fait vôtre, d’une certaine manière, vous avez la possibilité  de le faire vôtre, vous avez à en endosser les conséquences. Tandis que le Nommé à vous n’êtes pas obligé. Il suffit que vous soyez en ordre, que vous donniez l’apparence que ça marche, c’est bien, et ça suffit. Et bien c’est un tout, petit peu ce qu’il se passe au niveau de ce qu’exige le social aujourd’hui, qui n’exige plus, qui n’arrive plus à exiger une normativation. Mais qui veut par contre une normalisation, c’est à dire une normalisation sans normativation. Il veut que ça soit normal, il veut que les comportements soient corrects, mais il  n’a pas besoin d’exiger que le sujet introjecte cette affaire. Du moment que,  l’interdit du meurtre ça ne l’intéresse plus, ce qui compte c’est qu’on ne tue pas. Alors quand même cela ne se fait pas, là dessus on est d’accord et tout le monde est d’accord là dessus, voilà on va tous se serrer les coudes. On va être sévère là. Et là il y a toute une stratégie extrêmement fine dont par hasard, je vous renvoie à un livre que je trouve tout à fait sympathique à cet égard là « petit traité de la bêtise contemporaine » suivi de « comment redevenir intelligent ». C’est de Marilia Amorim qui est une psychologue sociale, qui n’est pas une psychanalyste, bien qu’elle soit attentive, elle prend d’autres appuis. Elle étudie des choses très simples, comme les  notices de médicaments, comme ce qui est écrit sur les boîtes de consommation, comme  ce qui est écrit dans le métro. Alors je vous donne l’histoire du métro parce que je la trouve très bonne. Il y a quelque temps sur les vitres des portes de la ligne 13, du métro parisien ont été déposés des autocollants colorés portant des messages adressés aux voyageurs avec des consignes de sécurité habituelles. Avant on entendait la voix du conducteur qui disait : « Faites attention à la fermeture des portières s’il vous plait ». Ensuite pendant quelques mois, chaque voyageur a pu lire sur la porte, « les portes s’ouvrent,  je laisse descendre ». Ca paraît anodin, mais c’est essentiel. Elle étudie ça avec beaucoup de finesse. Qu’est ce que la différence entre un conducteur qui vous rappelle, par son énonciation, qu’il faut bien faire attention, et un énoncé construit comme celui-là ? « Les portes s’ouvrent, je laisse descendre ». Elle appelle ça les énoncés fusionnels, c’est-à-dire un énoncé qui vaut pour tous et dont on suppose qu’immédiatement vous allez y adhérer. Vous voyez bien que dans ce contexte là on ne demande plus que vous respectiez quelque chose, que vous assumiez quelque chose, d’un ordre une exigence une énonciation du conducteur de la rame prévient en quelque sorte, faites attention, c’est une voix qui vous dit que c’est vous qui devez faire attention. Ici nous sommes d’emblée pris dans l’ensemble et ce qu’on ne vous dit pas c’est qu’on se fiche carrément de vous, on en a plus rien à cirer, on veut simplement que vous passiez au bon moment par la porte. C’est tout. Voilà le type d’énoncé qu’elle étudie avec beaucoup de finesse. Alors évidemment comme elle dit cela rend bête, parce que au bout d’un moment on est complètement bêtifié par ce type d’énoncés. Surtout que c’est très, moi j’appelle cela l’entousement dans la perversion ordinaire. Il s’agit d’obtenir un sentiment collectif, uniquement par une horizontalité, en croyant qu’on peut complètement se débarrasser de la dimension de la verticalité.

Les conséquences de tout ça au niveau du collectif, c’est très impressionnant. Parce que ça veut dire que dans un contexte pareil, le sujet n’a plus à disposition de pouvoir supporter un conflit.  Parce qu’il est pris dans une sorte d’obligation, c’est l’exagération du politiquement correct dont on parle aujourd’hui. Il est complètement noyé. Il n’est pas séparé. On revient à la question d’être séparé. Il n’est pas vraiment séparé. Il est entousé. Il n’a pas pu assumer la séparation d’avec l’Autre pour pouvoir être dans la ligne de ce qu’il faut. Dans ce cas-là évidemment aussi il ne sait pas comment traiter la violence. C’est pour ça  d’ailleurs qu’aujourd’hui comme vous le savez, on interdit plus, mais on empêche.

Ce n’est pas la même chose. Interdire cela demande de nouveau que vous introjectiez l’interdit, tandis que empêcher, ça veut dire que je vais être là, ou bien que je mets l’équivalent de ce que je suis, là, pour faire en sorte que vous n’alliez pas plus vite qu’il ne faut. Vous pouvez donc aujourd’hui à force de casse-vitesse et d’appareils  neufs finir par rouler dans les limites des vitesses prévues. Mais entre temps, vous avez pu complètement laisser tomber le processus introjecté qui dit non, il faut quand même tenir compte de cette limite. Vous êtes chaque fois tenus par rames. Autrement dit cela veut dire que le discours social aujourd’hui espère obtenir par un supplément de présence, ce qu’il  ne peut en fait obtenir, ce qu’il ne va jamais savoir obtenir par le traitement de l’absence. Il faut être plus présent, de plus en plus présent. Et le terme d’absence ne l’intéresse pas parce que lui il va introduire la séparation.

Alors les conséquences de tout cela sur le sujet individuel de la parole, c’est terrible. C’est terrible parce que ça veut dire quoi pour ce modèle-là ? Cela veut dire que la compétition intrapsychique, qui est notre lot à tous, entre une modalité de fonctionnement de type de la jouissance où nous sommes happés par l’autre, et une autre dimension qui est plutôt l’installation d’un désir, ou des bribes,  voilà quelque chose qui aujourd’hui fait que le sujet est laissé abandonné à cette compétition intra psychique. Alors qu’en principe, le travail de la culture qui passait par d’une génération à une autre, a comme objectif d’essayer de l’inscrire davantage du côté du désir, à donner l’avantage au désir plutôt qu’à la jouissance. Mais ici comme la génération qui doit faire ce travail là,  se trouve complètement mise à mal, elle est chancelante, parce qu’elle ne sait plus très bien comment elle doit assumer cette affaire, au nom de quelle légitimité elle peut encore le faire. Ce qui n’est pas au clair avec le fait que de finalement c’est à partir du trou qu’elle peut l’assumer, enfin tout ce je vous l’ai dit auparavant. Cela laisse probablement toute une génération  en train de se trouver à devoir régler elle-même cette compétition intrapsychique. Et je vous assure que quand vous demandez aux enseignants aujourd’hui qu’est ce qu’ils voient, qu’est ce qui caractérisent comme évolution dans les quelques années, la plupart vous réponde la diminution du temps de la capacité d’attention. Pourquoi ? Parce que ce qui n’est pas mis en place au moment d’empreinte, au moment important à cet endroit-là, après vous le rattrapez très difficilement. C’est dans le moment précisément de la petite enfance que vient se mettre en place là cette manière de venir donner avantage à la question du désir pour autant qu’on respecte le renoncement à l’immédiat, tout ce que j’ai dit, que j’ai résumé finalement sur le terme d’interdit de l’inceste, au sens où je l’entend bien sûr 1 :03. Et bien c’est dans la mesure où ça c’est soutenu par la génération du dessus, que l’enfant se trouve  favorisé dans ses capacités, qui seront celles d’écrire, de lire et de calculer. Mais si à ce moment là il est laissé livré à lui-même, le temps d’empreinte étant dépassé, il va se retrouver avec un appareil psychique, qui pourrait peut être vraiment être modifié. D’où c’est vrai nous discutions hier de l’influence des neurosciences dans l’affaire, et bien cela ne m’étonnerait pas, et cela n’étonnerait pas non plus les neuro scientifiques un peu sérieux , de se dire mais qu’il y a des neurones qui fonctionnent un peu différemment. On va mettre des voies privilégiées qui vont précisément faire l’économie de ce travail. Et une fois que c’est mis en place, c’est difficile à rattraper. C’est bon pour les psychothérapeutes. Mais pour le reste c’est autre chose. Donc on se trouve d’une certaine manière, et c’est d’ailleurs très intéressant, parce que j’avais pensé, toujours trouvé très intéressant le travail de Serge Leclaire en son temps qui avait écrit un livre qui s’appelle « démasquer le Réel » et où il racontait l’histoire de 3 cas cliniques, de sujets qui pour des raisons familiales, s’étaient  retrouvés sans l’interdiction de l’inceste. Il a des formules et des pages superbes sur ce que doit mettre en place la mère, qui ne doit pas être une mère m e r, mais plutôt un père c’est à dire qui doit parvenir, la mère étant la première qui, à partir d’une absence de limites, doit mettre des limites. C’est elle qui va faire ce boulot là, qui doit être bien sûr soutenu par le père, mais c’est surtout son travail à elle. Lorsque ce n’est pas fait, comme le dit Serge Leclaire, ces sujets sont condamnés leur vie durant à inventer la limite, à la mettre sans arrêt sur pied d’une manière qui ne tiendra jamais puisque c’est eux même qui l’avait mise. La difficulté est là, c’est que si vous devez la mettre vous même elle n’a pas vraiment d’assise. L’assise de la limite doit être dans un ailleurs. Pour que ça tienne dans la langue. Et bien cette hypothèse de Serge Leclaire, je crois qu’on peut aujourd’hui pour moi l’étendre au social. C’est-à-dire qu’on peut dire que ce  n’est plus pour des raisons familiales  que certains n’ont plus les capacités à poser des limites et à s’en soutenir, mais qu’ils sont condamnés sans arrêt devoir l’installer, et je vous assure ce n’est pas rien quand un sujet est en proie à ça, et aujourd’hui c’est pour une raison non plus familiale, mais pour des raisons sociales que cela pourrait se passer. C’est pourquoi j’insiste beaucoup, parce que j’aime bien montrer comment cela pourrait se passer, j’aime vraiment beaucoup d’avoir trouvé dans un texte de Lacan,  dans cette lettre à Jany Aubry, il écrit à Jany Aubry pour lui dire ce que au fond les psychanalystes d’enfants doivent attendre de la psychanalyse Et il commence par rappeler qu’il y a deux sortes de symptômes au fond dit-il. Il dit que le symptôme peut représenter la vérité du couple familial, c’est le cas  le plus complexe et le plus ouvert à nos interventions dit il. Et l’articulation se réduit beaucoup quand le symptôme qui vient à dominer ressorti de la subjectivité  de la mère. Ici c’est comme corrélatif d’un fantasme que l’enfant est intéressé. En fait Lacan fait une distinction entre le symptôme de l’enfant qui relève du couple familial et le symptôme de l’enfant qui relève seulement de la subjectivité de la mère. Et bien sûr tout ce que je vous dis doit vous rendre facilement pensable que nous faisons de plus en plus des enfants seulement de la mère. C’est-à-dire d’enfants qui n’ont plus justement référence à un couple, mais que la structure de la famille monoparentale n’est pas qu’une notion sociologique. Au fond nous avons affaire aujourd’hui pour moi à l’émergence de la clinique du monoparental. Une clinique de la famille que j’appelle bi-monoparentale même si ils sont deux mais qu’ils sont deux non articulés, ils sont deux fois un, à qui nous avons affaire. Et ça veut dire quoi ? Et j’en reviens à ce que je disais au début,  la mise en place de l’écart, l’inscription de l’interdit de l’inceste, se fait alors sans l’appui de cette référence paternelle.  N’en faites pas tout de suite quelque chose de dramatique d’office. J’insiste simplement pour dire que le sujet n’a plus qu’une solution , c’est de lui-même mettre la barre sur l’Autre, de lui-même prendre la mesure de ce que l’Autre n’est pas le non castré qu’il pourrait penser. Mais ce travail-là c’est un travail qui pour certains sujets est très difficile à faire. Il y en a d’autres qui y arrivent, voire s’ils ont l’impression d’être aussi dépendants de l’Autre sans cette possibilité de pouvoir s’en dégager, de se construire dans cette absence à soi-même, qui va leur permettre, autrement dit, de trouver une défense extrêmement efficace, dans le fait de ne plus être assujetti  à l’Autre. Mais moyennant quoi, il y a le prix de cette absence à eux-mêmes qui ne leur donne pas le sens pour trouver leur propre désir. C’est la difficulté. Je trouve beaucoup de jeunes aujourd’hui qui sont en difficultés de cet ordre là. Ils n’ont pas vraiment les modalités pour inscrire ce qu’ils doivent faire, ils ne savent d’ailleurs pas ce qu’ils veulent, absolument pas, mais ils sont dans un état qui les rend – parce que c’est ça la caractéristique d’être soumis uniquement à la mère, vous êtes dans un rapport uniquement à la mère, mais entendez non pas comme la méchante maman, c’est pas ça, mais entendez comme le premier Autre auquel on a affaire, et dont je n’ai pas pu me dégager encore, dont je suis encore non séparé de ce premier Autre, et bien dans ce contexte là il se trouve très passif, il se trouve dans une très grande passivité, parce que d’une certaine manière ils ont récusé la dimension de l’activité, qui pouvait être un engagement phallique, on peut dire comme cela qu’ils allaient y trouver une issue, mais ils sont complètement noyés dans une position où figurez vous ils ont un très grand avantage parce que ils n’ont même pas à faire un effort pour être ce qui comble l’Autre, il suffit qu’ils soient là. Alors ça c’est vraiment la position fantastique, voilà du coup s’installe comme ça une passivité assez conséquente,  ils peuvent , et vous en voyez des traces tout le temps – je ne sais pas si vous avez déjà repéré par exemple dans notre discours social aujourd’hui récuse le terme de père ou le terme de mère pour parler sans arrêt de papa et de maman. C’est la maman de monsieur Sarkozy. C’est le papa de celui-là. Or c’est très joli ces termes là. Ca veut donc dire, que le social est en train aujourd’hui de se tromper, c’est comme s’il devenait l’extension du privé qu’il n’était que l’extension du privé. Or le social c’est une rupture avec le privé. Moi j’ai eu je me rappelle bien , ma belle-fille un jour avait dit que mon petit-fils qui avait 4 ou 5 ans, en se promenant dans la rue, rencontre un autre petit copain, et à ce petit copain il s’adresse et en montrant sa maman et il dit « voilà ma mère » ! Boum !! Le coup a été dur pour la maman en question, elle a pris un coup, mais voilà c’est  ça le truc et en même temps c’est un coup heureux. Elle savait bien ce que cela signifiait. Il avait déjà pigé quelque chose. Et bien aujourd’hui vous voyez que même dans le discours social, c’est maman qui triomphe, c’est-à-dire des propos d’enfants. On parle beaucoup aujourd’hui de la difficulté des enfants qui parlent mal. Mais ça n’est autre chose que l’extension du parler privé dont il s’agit dans le parler public. Cette génération va devoir travailler à restituer la manière de devoir parler public, c’est drôle, on est vraiment dans ce monde là où c’est le privé qui va finir par devenir le public par inflation comme la grenouille qui fait le boeuf, non le public vient faire rupture, et si vous n’avez pas cette possibilité  d’accéder à cette structure qui est reconnue, vous n’arriverez pas à avoir accès à quelque chose qui est de l’ordre public. D’où l’intérêt de ce que dit Lacan de la langue, de la Lalangue.

Il y aurait des tas de choses à dire là dessus. En tout cas je pense que, et je ne vais pas en rajouter beaucoup plus, on peut en discuter si vous voulez, je vais peut être m’arrêter là, il me semble que c’est déjà long assez. Ca va ? Je voulais simplement dire que vous voyez pourquoi, je dirai volontiers je crois que si vous voulez supporter ce que je vais dire sans vous en offusquer trop, je pense que nous sommes au delà de toutes les crises que nous devons traverser,  nous sommes dans une crise de l’humanisation. N’entendez pas crise comme catastrophe, crise comme le gouvernement belge qui met 545 jours à se constituer, c’est ça que je veux dire comme crise. Nous ne savons plus comment il faut humaniser, parce que nous avons perdu tout une série de repères, et nous ne nous mettons pas à la hauteur de ce qui est exigé pour l’humanisation. En revanche nous dénions la démesure du social dans lequel nous sommes et nous risquons donc beaucoup de ne pas aider les gens et la génération d’après, à s’humaniser, et ça donnerait à ce moment là une terrible vérité à ce que Morgan Scortèse a mis dans son roman « Tout tout de suite », qui  raconte littéralement l’histoire du gang des barbares, il a mis en exergue cette phrase de James Semprun que je vous cite de mémoire où il dit que les écologistes ont le grave souci de quelle terre allons-nous laisser à nos enfants, mais il dit qu’il y a encore une question beaucoup  plus grave, quels enfants allons-nous laisser à la planète. Je vous remercie.

 

 

 

Sur le « fantasme » du Président Schreber – par Choula EMERICH

Freud ne pose pas le même diagnostic pour la première et la seconde maladie du Président Schreber et nous allons en examiner le pourquoi.

La première maladie de Schreber s’étale sur une année environ, de l’automne 1884 à la fin de 1885. Il a alors été hospitalisé durant six mois, et sur cette maladie Freud pose le diagnostic de névrose hypocondriaque grave.

Une fois guérie, elle fut suivie de huit années que Schreber qualifie lui-même de très heureuses, et  durant lesquelles il dit avoir été comblé d’honneurs.

Une seule tache assombrissait ce tableau : la déception de son espoir d’avoir des enfants.

Au mois de Juin 1893 on annonça à Schreber sa future nomination à la présidence de la cour d’appel de Dresde. Il y prit effectivement ses fonctions le premier Octobre 93.

C’est durant ces trois mois d’intervalle, que se manifesta pour lui, pour la première fois, entre veille et sommeil, ce « fantasme » que Freud qualifie de désir féminin : « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement ».

Que Schreber en appelle à la beauté pour qualifier son « fantasme », est de nature à nous inquiéter, s’il nous revient en mémoire la phrase de Lacan dans son séminaire « L’éthique de la Psychanalyse » : « la beauté est le dernier rempart que le sujet élève contre la mort ».

Freud ne s’y trompe pas, ce « fantasme » signe l’entrée dans la psychose du Président Schreber, toutefois, il souligne également l’incidence conjointe de deux autres facteurs :

—  sa nomination au poste de Président de la cour de justice de Dresde.

— son impossibilité d’accéder à la paternité.

Si Katan voit dans le « fantasme » de Schreber » la manifestation des tendances homosexuelles contre lesquelles le Moi de Schreber lutte et échoue.

Freud est loin de se ranger à cette simplification. Il ne manque certes pas, d’aborder cette question de la fonction et de l’incidence de la pulsion homosexuelle de Schreber. Mais lorsque Freud parle de la pulsion homosexuelle de Schreber qui se traduit par ce « fantasme » : « Qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement », c’est pour ajouter immédiatement, que s’il y a effectivement pour Schreber, une régression de la libido, ce n’est pas seulement une régression sur un objet homosexuel.

Cliniquement cette même régression se constate aussi bien dans les névroses que dans les perversions. Il ne s’agit pas pour Schreber d’un passage de l’objet d’amour qui était pour lui sa femme à celui du professeur Flechsig, l’objet de ses préoccupations homosexuelles.

Du dire de Freud,  il s’agit chez Schreber, de la manifestation d’une régression de la libido plus rétrograde, qui recule jusqu’au temps du narcissisme, temps où c’est le sujet et seulement le sujet qui reste investi comme objet.

Pour Freud, ce temps du « fantasme » Schreberien est, non pas un temps d’investissement d’un objet d’amour homosexuel,mais un temps de désobjectalisation.

C’est un temps où Schreber abandonne tous ses investissements libidinaux antérieurs, et où c’est son propre corps qui devient pour lui, l’objet de toutes ses interrogations et de toutes ses attentions.

Nous repérons qu’ici se pose, pour Freud la difficile question de la fonction de l’objet dans la psychose, et il ne s’y dérobe pas.

Il constate que cette fonction de l’objet, propre au fantasme du névrosé, vole ici en éclats.

Dans la psychose, l’objet ne peut plus s’appréhender comme suscitant l’amour ou le désir, puisque c’est le rapport même à l’objet qui a chu.

Et Freud repère bien qu’en lieu et place de ce rapport à l’objet se substitue une économie libidinale extrêmement complexe, mouvante, qui se manifeste sur deux plans :

—  dans l’imaginaire, par l’éclosion d’un délire,

—   et sur un autre plan, dans un autre lieu, que Lacan nous a appris à nommer le    Réel, l’apparition des voix de l’hallucination, où « ce qui a été aboli du dedans, revient du dehors ».

Et c’est, nous dit Freud, dans ce temps de désobjectalisation, que pour Schreber s’installe ce fantasme de désir féminin. Et il voit dans la survenue de ce fantasme, l’expression du profond conflit moral, dans lequel se trouvait alors Schreber.

Comment  Schreber aurait-il pu accepter sans révolte, l’idée qui s’imposait alors à lui, mais pour lui injurieuse, de sa transformation en femme ?

Comment aurait-il pu accepter l’idée de son éviration alors qu’il trouvait tellement plus digne d’être un homme ?

Mais, nous dit Freud, pour que puisse s’accomplir le dessein de Dieu, à lui révélé, s’imposa à lui l’idée délirante que son éviration devenait un mal nécessaire pour pouvoir devenir la femme qui manquait à Dieu, afin que rédempteur, il puisse engendrer une nouvelle humanité.

Il cesserait alors d’être immortel, et ayant accompli son destin de femme, il pourrait enfin mourir et gagner une félicité éternelle.

Freud nous restitue, par sa lecture attentive, le processus de Cottardisation alors à  l’oeuvre dans le discours de Schreber qui se manifeste dans sa croyance délirante d’être immortel. Mais c’est Lacan qui nous aura appris à repérer dans ce « fantasme » l’amorce de ce que sera la pente transsexuelle, dans toute psychose avérée.

Et Lacan s’en explique : il ne s’agit pas dans ce « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement » du fantasme hystérique du conducteur de tramway qu’il rapporte dans son séminaire « Les structures freudiennes des psychoses » et qui s’articule dans un :

« suis-je un homme ou une femme » ou « qu’est-ce qu’être une femme » ou encore

« quelle est la fonction du père dans la procréation » ?

Schreber ne se demande pas, dans son délire, qu’est-ce qu’être une femme ? Il le sait et il se doit d’être une femme pour l’ordre d’un nouveau monde.

Et pour ce qui est de la fonction du père dans la procréation, c’est à Dieu qu’il la délègue, puisque c’est précisément dans cette fonction qu’il échoue. Et c’est en ce temps que s’impose à lui ce « qu’il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement ».

Ce dit fantasme ne fut pas pour Schreber sans conséquences immédiates :

D’une part, cela l’obligera à un réaménagement complet de sa vie quotidienne par rapport à laquelle il va se trouver en défaut: il ne peut plus travailler, il ne peut plus dormir, il ne peut plus vivre avec sa femme. Et cela nécessitera un nouvel internement.

D’autre part, cela le conduira nécessairement à une complète réorganisation de son monde signifiant, comme en témoignera son rapport  la grundsprache et l’obligera à se forger une nouvelle conception du langage, du monde, des hommes, de Dieu et de son corps.

Le « fantasme » de Schreber s’éclaire alors d’une toute autre façon que le fantasme d’un névrosé.

Le fantasme permet à un névrosé d’osciller entre deux places S et a, pour soutenir sa position de désirant, chacune de ces places s’accompagnant d’une perte. Ou le parlêtre se soutient de sa division subjective mais alors il perd le rapport à l’objet qui cause son désir, ou il consiste en cet objet a, mais alors il se perd comme sujet divisé.

Dans les deux cas, s’il y a une perte Symbolique, c’est toutefois de son désir dont il s’agit.

Lorsque tel de mes patients se plaint du fantasme qui le porte à toujours se trouver partagé entre un ici et un ailleurs, lorsqu’il se plaint de toujours s’imaginer être, entre un homme et une femme, que ce soit dans l’exercice de sa sexualité avec sa compagne ou dans la course aux bains douche où dans l’anonymat de l’obscurité et de la vapeur il peut se laisser prendre sexuellement par un quelqu’un dont il ne veut rien savoir et surtout pas le nom, après quoi court-il ? si ce n’est après le fantasme d’être entre son père et sa mère pendant l’accouplement, ce qu’il peut énoncer sans en entendre l’incidence sur sa position subjective, à savoir : aurait-il à se compter comme homme ou comme femme ? Aurait-il à condescendre à une jouissance phallique toujours en défaut ou à renoncer à cette jouissance phallique  pour s’engager sur la pente d’une jouissance Autre, infinie, qu’il voit étalée, depuis sa prime jeunesse, chez son père héroïnomane, toujours à la limite de l’overdose ?

Ce n’est pas du tout de cela dont il s’agit dans le « fantasme » schrebérien. Il aurait lui, trouvé la réponse à cette question. Il n’y a pas, dans l’énoncé de Schreber  trace d’une attention que lui porterait un semblable, ici en place d’Autre réel, que ce soit le père , la mère ou une femme.

Ni petit autre ni grand Autre tels que nous pouvons les déplier dans l’écriture du fantasme d’un névrosé.

Nous nous trouvons avec l’énoncé de Schreber face à ce qu’il appelle, lui-même, une idée, que nous, nous pouvons qualifier de délirante.

« Qu’il serait beau d’être une femme en train de subir l’accouplement »  est un énoncé qui porte trace de nulle angoisse, de nulle division.

C’est un énoncé où il semble que pour lui, tout serait à gagner à s’imaginer soi-même  cet objet autre, une femme passive et toute jouissance  dans une situation où l’initiative viendrait d’un grand Autre qui serait Dieu, puisque c’est lui qui veut cela de Schreber.

Sauf, que pour y accéder, il y aurait pour Schreber, à concéder une perte, non pas symbolique mais dans le Réel, perte de ce sexe qui le fit homme et apte à l’exercice et au désir sexuel.

Car, c’est à devoir renoncer à la jouissance phallique, et à la possibilité de pouvoir se compter comme homme, que le conduit ce dit fantasme, avec comme bénéfice, si c’en est un, celui de pouvoir s’adonner à la béatitude, à la volupté de pouvoir se contempler, seul, face au miroir, le buste nu et paré de colifichets.

Il n’a plus besoin de l’autre, il lui suffit, dit-il, grâce à la volupté spirituelle qu’il a accumulée,

« du moindre effort d’imagination pour se procurer un bien-être sensuel, donnant un avant-goût assez net, de la jouissance sexuelle de la femme pendant l’accouplement ».

Telle est sa jouissance : jouissance d’une image travestie contemplée, volupté spirituelle sensuelle, c’est son propre corps qui devient alors cet objet a.

Non pas corps narcissique investi par Eros et le Phallus, corps glorieux ou défaillant selon les circonstances, mais corps enveloppe, contours, pensée, corps qui se doit d’être autre qu’il n’est, afin de pouvoir susciter, non pas le désir de l’autre sexe, mais le désir de Dieu.

Ce que nous appelons alors fantasme dans la psychose paraît alors rassembler la concaténation de certaines idées-forces  qui se déploieront ultérieurement dans les moments féconds du délire : idées mystiques, de mégalomanie, pente à la Cottardisation  ou au transsexualisme.

En cela, ce dit « fantasme » se rapproche étonnamment de la structure des phénomènes élémentaires mis en lumière par de Clérembault et peut- être gagnerions nous en sa compréhension à le considérer ainsi, et comme une des modalité d’entrée dans certaines psychoses.

Charles Melman dans Les structures lacaniennes des psychoses, aborde la question de ce « fantasme » schrebérien.

Il en fait une image qui surviendrait dans un temps où pour un sujet le fantasme se défait, donnant ainsi à entendre, ce qui, de ce fantasme, en serait la vérité scellée.

Il perdrait alors sa valeur de fantasme, pour devenir un voeu du sujet, vœu qui pourrait alors se déplier : « qu’ il serait beau d’être une femme subissant l’accouplement », qu’il serait beau que l’Autre ne soit pas un lieu vide, qu’il serait beau de pouvoir jouir de son propre corps, féminisé.

Ce que Lacan conceptualisait comme « le pousse à la femme » à l’oeuvre dans la psychose.

Toute l’évolution de la maladie de Schreber confirme le bien-fondé de cette interprétation et nous ne pouvons qu’y souscrire entièrement.

Remarquons cependant que lorsque le fantasme se défait dans la névrose, et c’est cliniquement fort fréquent, cela n’entraîne pas le même genre de conséquence.

Lorsque la jeune homosexuelle, au bras de sa dame, croise son père, nous sommes là également dans un temps de défection du fantasme, qui entraîne lui,  un passage à l’acte, une éviction du sujet de la scène, pas l’éclosion d’un délire.

Cela ne nous soulage donc pas d’avoir à rendre compte de ce qu’on appelle fantasme dans la psychose. Car nous avons aussi à  remarquer leur étonnante fixité aussi bien dans leur énoncé que dans leur maintien dans la durée, et ce, contrairement à la labilité du fantasme dans la névrose par exemple dont l’énoncé se modifie au cours du travail analytique, fantasme qui peut même être abandonné au profit d’un autre fantasme mettant en cause un autre type d’objet a.

Nous savons que chez Schreber, cette idée délirante, qu’il s’agisse de l’énoncé même de son « fantasme » ou de sa conséquence directe, son rôle de rédempteur, ce sera le seul point délirant qui restera après ce qu’il sera convenu d’appeler sa guérison.

Nous avions constaté cette même fixité de l’énoncé et cette même persistance d’une idée délirante chez certains patients que nous avons entendus à Sainte Anne.

Par exemple, cet énoncé : « je suis une femme. Dans mon quartier tout le monde m’appelle Amanda ».

Et si ce patient, se faisait appeler Amanda, et se disait femme, il pouvait avec ses allures tranquilles, faire son marché, en plein été, en grosses chaussures de montagne et en bonnet pointu à pompons rouges : nul besoin de mascarade, nul besoin de jouer à la femme, la femme, il l’était.

Certains propos de Schreber sont aussi interprétés par Freud comme des métaphores.

Par exemple, il voit dans les « les oiseaux du ciel » évoqués par Schreber, une allusion aux jeunes filles de Vienne, écervelées et piaillantes, nous dirions en français, des étourneaux.

Si ces oiseaux viennent à fonctionner sur un mode métaphorique, ne serait-ce pas du côté de celui qui entend et non pas du côté de celui qui parle ?

Cela m’a amenée à questionner le terme de « métaphore délirante » que Lacan utilise pour qualifier le « fantasme » de Schreber.

Si la fonction de la métaphore c’est de produire du sujet, ce terme n’est-il pas malvenu à propos de la psychose ?

En effet, son « fantasme » n’entraîne pas pour lui une création de sens ou une nouvelle signification. Il ne prend pas non plus valeur d’interprétation, toutes ces incidences seraient à repérer dans le registre du Symbolique.

Or, ce qu’énonce Schreber ne peut s’entendre dans le registre du Symbolique. Les conséquences de son énoncé c’est dans le Réel que pour lui, elles interviennent ou qu’elles auraient à intervenir : il  s’affuble réellement de colifichets devant son miroir, il attend réellement son éviration par les rayons divins, il se dit la femme de Dieu, ce n’est pas du « discours courant,  ni de la ritournelle » : cet énoncé est le point pivot autour duquel s’organisera tout son délire, tout son rapport au langage et à la jouissance.

Alors, si le terme de « métaphore délirante » ne convient pas mieux que celui de « fantasme » pour qualifier ce type d’énoncés, comment les nommer ?

L’appellation de « phénomène élémentaire » rend mieux compte de la différence de clinique, dans ces deux champs de la pathologie que sont la névrose et la psychose, mais  cet énoncé représente seulement  un des éléments co-variants de la structure psychotique.

Nous pourrions reprendre le terme que proposait Charles Melman  et les appeler des vœux.

En effet, le vœu fait partie du champ de tout parlêtre, qu’il soit délirant ou pas, et sa connotation liée au souhait, au désir, le rend propre  à rendre compte des divagations humaines.

Je pourrais également proposer les termes de « point fixe » en tant que le point fixe vient organiser pour un sujet  la représentation du monde sur laquelle il peut certes s’appuyer mais aussi se fourvoyer.

Ces différentes nominations présenteraient l’intérêt de mieux traduire la réalité clinique que ces énoncés nous soumettent. En cela, elles me paraissent plus satisfaisantes que le terme de fantasme qui parle lui, des névroses ou des perversions. Ces nominations, plus affinées, nous invitent à plus de justesse dans notre lecture de ces problématiques énoncés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La question de l’acte en psychanalyse : passage à l’acte et acting out par Choula EMERICH – Janvier 2004


 

C’est une question très délicate qui est rarement reprise par les psychiatres ou les analystes alors que c’est une problématique journalière de notre pratique de cliniciens, parce qu’en réalité nous avons longtemps manqué de concepts théoriques pour pouvoir en rendre compte sur un mode différentiel.

En effet comment traduire le « Agieren » de Freud qui recouvrait des choses aussi différentes que des actes se passant dans et hors de la cure, ces actes pouvant être aussi bien des agir conscients que inconscients.

Cela noyait la question de la spécificité de l’acte parce que ou tout devenait un acte et alors comment avoir une prise clinique sur l’évènement ou la clinique ne retenait le terme d’acte que pour la tentative de suicide qui comportait en fait la disparition de l’acteur.

La littérature anglosaxone a retenu comme traduction pour cet agieren le terme d’acting out qui maintient l’ambiguité sémantique du Agieren freudien dans la mesure où il dit tout à la fois le fait d’agir de bouger de faire une action, le fait de mettre pour un acteur la scène sur la scène. Il inclut par là même une monstration mettant le corps en cause, permet également la distinction langagière aisée entre l’acting in et l’acting out. Donne à entendre également quelque chose de la sexualité puisque « to act out » signifie aussi en langage argotique éjaculer.

La tradition française a rendu le Agieren freudien par le terme de passage à l’acte à propos d’un cas devenu princeps sous le titre de « la jeune Homosexuelle » mais la complexité des Agieren qui y sont à l’œuvre ont amené Lacan à réintroduire le terme d’acting out car dit-il il n’en n’a pas trouvé en français une traduction qui le satisfasse. Et son commentaire de cet article de Freud va lui permettre de distinguer ces deux types d’Agieren que sont pour lui le passage à l’acte et l’acting out.

Je reprends très brièvement ce qui a amené cette patiente chez Freud  après une série d’Agieren :  une jeune femme de la bonne bourgeoisie viennoise s’est éprise d’un amour platonique et violent pour une demi-mondaine, qui flattée, l’y encourage sans pour autant lui accorder la moindre faveur. La jeune fille s’exténue, tel un chevalier servant auprès de sa dame et se promène au vu et au su de tous bravant l’interdiction de son père.

Ce qui devait finir par arriver arriva. Au bras de sa dame elle croise un jour son père qui la toise d’un regard courroucé, elle s’arrache alors du bras de sa compagne et se précipite sur les rails d’un petit chemin de fer qui traverse la ville en cet endroit.

C’est à propos de cet acte que Freud parle de passage à l’acte. Il dit  elle se laisse choir, dans un « niedercommen lassen » littéralement se laisser tomber mais aussi en langue populaire, accoucher, mettre bas.

Il faudra attendre la reprise de ce cas par Lacan  dans son séminaire « La relation d’objet » en 57, pour que commence à se dégager un nouvel éclairage de ce que c’est qu’un acte, dans la comparaison des positions subjectives de Dora et de la Jeune homosexuelle, principalement dans l’analyse de leur position respective à l’égard de leur père. Dora dans son tout amour pour lui, la jeune homosexuelle dans sa récusation. Vous entendez qu’il s’agit dans ces deux situations de la position de ces deux jeunes femmes à l’endroit et du phallus et de la castration.

Ce sera toujours de cela dont il sera question quand nous aurons à examiner la question d’un acte.

Je me suis demandé quelle porte d’entrée serait la meilleure pour vous rendre compte de ce qu’ en analyse nous appelons un point d’acte.

Ne manquons pas d’entendre la cocasserie de la langue ou de l’inconscient, — laissons pour l’instant cela en suspens –, qui, lorsque nous voulons dire, temps où pour un sujet s’impose un acte, se donne à décoder dans un même mouvement :  comme, surtout pas d’acte, ou comme actualisation nécessaire d’un acte.

Et bien nous sommes là au vif du déchiffrage de ce que c’est qu’un acte en psychanalyse.

Promenons-nous encore un peu dans la clinique freudienne.

Je rapportais en privé à une personne ici présente comment Freud s’était trouvé confronté à cette question de l’acte dès le début de sa pratique.

Il recevait une belle, riche, intelligente et jeune hystérique de la bourgeoisie viennoise et à la fin de la séance de travail cette jeune femme lui saute au cou dans une invite sans aucune ambiguïté. Contrairement à Breuer, Freud n’a pas  cru à l’irrésistibilité de son charme et il lui a simplement demandé à qui s’adressait cette fougue.

C’était un acte.

C’était aussi sa première interrogation sur  la naissance du transfert.

Nous sommes dans cette brève narration devant un foisonnement d’actions. Comment allons nous les cataloguer ? Ont-elles le même statut ? S’agit-il d’actes et si oui lesquels ?

L’acte inaugural, celui de Freud, d’avoir accepté d’entendre une femme avec l’a-priori que les souffrances, nous disons symptômes, qu’elle présentait relevaient non d’une folie, mais d’une autre logique qu’il tentait de découvrir espérant de ce déchiffrage la sédation des symptomes.

Et nous savons comment Freud a payé dans sa vie le fait d’avoir osé poser cet acte : son isolement intellectuel y compris avec ses plus proches collaborateurs, également la nécessité pour lui d’avoir à toujours à se justifier,  mais aussi les fins de mois difficiles alors qu’il aurait pu continuer au moins un temps, sa brillante carrière de scientifique reconnu et honoré. Un acte, ça entame, ça ne laisse pas à la même place.

Comment entendre l’acte de la jeune femme ? Elle parle, elle attend de celui à qui elle s’adresse la prise en compte de ses difficultés, leur compréhension. Pouvons-nous nous étonner que devant le sérieux, la ténacité que met Freud dans cette écoute de ce dont jusqu’alors le médical se moquait, simulatrice disait-on et du côté du clergé sorcière appuyait-on.

Comment s’étonner que de cet homme elle s’amourache, qu’elle s’abandonne à lui ?

Névrose de transfert disons-nous.

Mais s’abandonner à l’autre, dans cette précipitation, je dirais dans la hâte, pour renvoyer à la nécessité d’un temps logique, est-ce un acte ? Le Sujet est-il là dans la position de  pouvoir en rendre compte, de cet acte l’assumer ? Quand le sujet ne le peut pas, quand le sujet est absent de son acte, quand cet acte, consciemment il ne peut le revendiquer, s’en dire l’auteur, nous disons qu’il y a passage à l’acte.

A l’acte de Freud, sa belle patiente répond par un passage à l’acte.

Nous savons que Breuer a été vite effrayé d’avoir accepté de devenir l’amant d’une de ses patientes, qu’il s’en est dépétré en l’adressant à Freud, et en allant faire un enfant à sa femme en Italie, pendant que sa patiente se débattait dans une grossesse nerveuse que Freud a bien sûr mis du temps à comprendre, puisqu’il en faut du temps pour dire  et comprendre les choses quand un sujet est pris dans ce genre de piège.

Et que fait cette patiente lorsqu’elle promène par la ville son ventre, gros de son désir à elle et sans qu’elle le sache ? Elle promène son acting-out : elle donne à voir à l’autre ce qu’elle même ne comprend pas, ce qui ne fait même pas question pour elle, et dont elle ne pourrait même pas comprendre que l’autre puisse la questionner la-dessus.

Si la patiente de Breuer avait fait un acte, elle aurait pu se dire « bon, j’ai pris un rateau, la vie continue » et faire son deuil tranquillement ou pas, pour avoir été éconduite.

Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Elle a réagit au niveau de son corps, dans une incompréhension totale de ce qui lui arrivait. Ne pouvant mettre des mots, une articulation signifiante disons-nous, elle fait un acte, un semblant d’acte, elle devient grosse de ce que son corps ne peut dire par le langage.

Elle fait une décompensation psychosomatique. Mais elle aurait pu aussi bien faire un passage à l’acte ou entendre des petites voix. Quelque chose qui pour elle n’a pas été symbolisable fait pour elle retour dans le Réel, comme le dit Lacan à propos de la psychose, dans le Réel de son corps.

Cette question de la différence entre un passage à l’acte et l’acting out, Lacan commence à la travailler dans son séminaire sur l’Angoisse en 62, et dans La logique du fantasme en 67, mais ce ne sont encore que des avancées dont il nous laissera la charge de les reprendre  dans notre clinique.

Marcel Czermak dans Patronymies, J.M. Forget dans Ces ados qui nous prennent la tête,  moi-même dans quelques articles avons essayé, pour notre compte de nous tenir au clair avec ces questions.

Car n’allez surtout pas croire que cela ne concerne  la psychanalyse qu’en ses débuts. Ce genre de problématique jalonne notre clinique au quotidien. Je vous  livre quelques vignettes cliniques tirées de ma pratique  :

Tel, ce jeune adolescent, venu me consulter parce qu’il avait une trop grande propension à être dans la lune. Planer lui semblait infiniment plus terre à terre que le rude plancher des vaches. Jusqu’au jour où il me rapporta le souvenir suivant :  il est en vacances avec ses parents, dans un club, il a 3ans et demi. Ses parents le couchent exceptionnellement tôt et il leur demande s’ils vont sortir le soir et le laisser seul. Ils lui assurent que non qu’il peut dormir tranquille. L’enfant s’endort et bien sûr il se réveille dans la nuit. Il constate que ses parents ne sont pas là. Qu’il est seul et que la porte est fermée à clef. Il entend au loin le bruit de la fête, la musique, il ouvre la fenêtre, il se jette du 2ème étage.

Il ne peut, vingt ans plus tard, rendre compte de son acte. Il ne le comprend pas. Il se pose la question d’une tentative de suicide et y répond que non. Effectivement il n’y était pas. A un stimulus une réaction automatique. Il ne peut pas sortir par la porte soit, il sort par la fenêtre. Nous avons là un acte sans sujet. Une réponse automatique.

Cela conditionnera tout son rapport à la parole de l’Autre, à sa bonne ou à sa mauvaise foi, et l’enracinera  dans un monde virtuel que seuls, la musique hard et le sheet viendront habiter. Pas d’ami, pas de compagne, pas de maître. Véritable électron libre sans attache symbolique, son monde : la fumette.

Et pour bien vous rendre compte de la différence de position subjective dans un passage à l’acte et dans un acting out, je vous livrerais la réponse d’un autre de mes patients, à 7 ou 8 ans, qui s’est trouvé devant la même situation.

Il se retrouve en pleine nuit, seul, la maison vide et la porte fermée à clef. Quelle est sa question devant sa porte fermée et dont il se souvient parfaitement 25 ans plus tard : « comment ils ont pu me faire çà, à moi ».

Il est allé se réfugier sous des coussins et contre le radiateur du salon, sa cachette préférée où il avait l’habitude de déchiffrer ses premiers livres d’enfant. Il les a attendus et leur a fait une scène quand ils sont rentrés.

Mais aujourd’hui, il dit n’avoir jamais compris leur acte, acte pour lequel il leur en veut toujours. A cet acte, il y avait répondu sur le mode d’un acting out.

Mon autre patient, lui s’était  éjecté par la fenêtre. Ce que nous pouvons entendre comme un « si, je ne compte pas, s’il me croît mort, et bien je vais leur donner raison, je me décompte »

Et il n’est pas dit qu’il n’y ait pas eu là des petites voix pour le lui souffler. Il s’en est tiré avec quelques fractures.

Mais éclairant me paraît aussi le commentaire que ses parents ont fait de cet acte après l’avoir vertement engueulé : c’est malin, tu t’es pris pour superman ou quoi ? »

Nous entendons dans leur réponse à cet acte que la position  de cet enfant était pour eux pleinement articulable si pas articulée. Faute d’avoir pris au sérieux l’acte de leur fils, ils l’ont niedercommen lassen, nierdercommen lassen qui continue de le promener tout au long de son existence, même si son analyse poursuivie fort courageusement et pendant fort longtemps lui a permis de tenir un semblant de place dans le social où il est aujourd’hui, gérant d’un magasin de chaussures.

Nous avons là l’illustration de ce que dans le passage à l’acte, c’est comme objet a dans le réel que le sujet s’évacue, alors que dans l’acting out c’est comme – phi, comme phallus imaginaire qu’il se met dans une parade. Ex :  Comment ont-ils pu me faire çà, à moi, brillant phallus ramené à ma position de n’être pas tout pour l’autre.

Lacan nous dit dans son séminaire sur l’angoisse :  « c’est toujours dans sa propre chair qu’on a à payer ses dettes ».

Une autre de mes patientes, allemande, après dix ans d’analyse environ réussit à me raconter ce souvenir : elle se revoit, bloc d’angoisse mutique et hébétée, terrée sous les escaliers intérieurs de sa maison, les russes sont rentrés  et sous ses yeux cachés, ils violent sa mère. Rien n’est dit, rien n’est dévoilé, ni du côté de la mère ni du côté de la petite fille, la maman ne saura jamais que sa fille a assisté à la scène,  mais quelque temps plus tard elles se promènent ensemble dans les rues de Berlin. Les chars russes sillonnent la ville. Elle s’arrache à la main de sa mère et va se précipiter sous les roues du char. Elle a entre 3 et 4 ans. Sa vie n’a été sauvée que de justesse.

De cela, elle non plus, elle ne peut pas répondre.Ca ressemble dit-elle à une tentative de suicide mais en est-ce une ? Pour elle c’est indécidable.

Il est très difficile de tenter d’articuler les questions qui se sont posées à elle sous cet escalier, mais nous sommes en tous cas sûrs de sa réponse : un russe, çà éjecte l’autre de sa position de sujet.

Mais il y a par contre quelque chose qu’elle peut après son travail sur cette impulsion, c’est son mot,  repérer c’est que chaque fois qu’elle doit dire une chose qu’elle sait, croit ou imagine être importante, sa phrase commence toujours par « c’est curieux ». Et qu’à partir de là elle a pu déchiffrer autrement son symptôme qui consistait à ne pouvoir regarder les gens qu’au niveau du sexe, alors qu’elle était professeur dans une très grande école. Cette manifestation de son symptôme est alors complètement tombée.

Bien sûr continuera pour elle à prévaloir la problématique du regard et cela nous amène à la question de qu’est-ce qui tombe et qu’est-ce-ce qui reste d’un symptôme quand il est passé au crible de l’analyse.

Ce sont deux exemples d’amnésie infantile levée par le travail de l’analyse, et où, si la question du passage à l’acte est manifeste, celle de l’acte reste problématique dans la mesure où, ni l’un ni l’autre, alors que devenus adultes, n’ont pu répondre du pourquoi de cette précipitation, ni s’en reconnaître consciemment les auteurs. Si je devais traduire leur embarras je l’exprimerais ainsi : çà s’est fait sans eux, ils n’y étaient pas.

Comme quoi un sujet peut avoir à pâtir d’une situation dont il est l’acteur sans pouvoir s’en reconnaître comme l’auteur.

Mais ce qui m’apparaît le plus clairement dans mes questionnements sur la question de l’acte c’est à quel point un acte de quelque nature qu’il soit, est toujours lisible dans une articulation signifiante coincée dans la position subjective d’un sujet dans on rapport à l’objet a et au phallus imaginaire.

Je dis coincée parce que relevant pour le sujet, sur un point précis, d’un défaut de symbolisation voire d’une forclusion qui font retour dans le réel.

Je vous livre encore un autre exemple qui me paraît  intéressant également car il fait jouer la question de l’acte avec un tiers terme.

Une jeune femme en analyse chez moi depuis un certain temps pour une phobie de l’orage totalement paralysante est venue pendant un court laps de temps à ses séances accompagnée de son fils de 7-8 ans, qui l’attendait dans la salle d’attente. Elle l’élevait toute seule étant divorcée.

Un jour elle me raconte en riant aux éclats une bonne blague : son fils a pris l’habitude de faire du strip-tease pour ses petits camarades dans un scénario très précis : il monte sur une table et les enfants autour de la table le regardent s’exhiber et doivent applaudir

Je lui demande ce qui la fait rire, qu’est-ce qu’elle trouve de si drôle là-dedans. Elle est interloquée parce que je n’en ris pas et que j’ai probablement dû faire un peu la grosse voix, à mon insu.

La séance d’après elle revient, encore accompagnée de son fils qui va patienter dans la salle d’attente. Seulement après la séance et qu’ils soient partis, je me rends compte qu’il est venu avec des ciseaux ou un cutter et qu’il a coupé le tapis de la salle d’attente sur 7-8 cm. Peu après, il revient avec sa mère , salle d’attente, séance pour la maman. A la fin de la séance je dis à la maman de m’attendre elle, dans la salle d’attente parce  que j’ai 2 mots à dire à son fils. Là encore elle est estomaquée, mais accepte. Je fais donc rentrer le gamin dans mon bureau et je lui dis : «  je sais que tu as coupé le tapis de la salle d’attente, je sais aussi que tu as de l’argent personnel sur un livret de caisse d’épargne, alors, sache qui si jamais tu abîmes à nouveau quoi que ce soit chez moi, je te ferais tout payer y compris le tapis qui vaut très cher ».

Quand la mère m’a demandé ce que j’avais dit à son fils je lui ai dit de le lui demander. Il n’est plus jamais revenu dans la salle d’attente.

La mère n’a probablement pas su ce que j’avais dit à son fils mais je n’ai pas su davantage ce qu’elle avait pu elle, lui raconter, sur le fait qu’il se montre, et que cela  entraîne qu’il fasse cet acte de vandalisme. Coupure dans le réel.

Si cet exemple m’a paru intéressant c’est qu’il illustre bien pour nous la fonction, le rôle que peut tenir un partenaire dans le déclenchement d’un passage à l’acte : je fais la grosse voix auprès de la maman, la mère reste coite mais c’est le fils qui me répond sur le mode « tiens, encaisses », alors je lui ai parlé de gros sous.

Et ce qu’il y a encore de plus intéressant c’est que ça a donné semble-t-il, un coup de frein non seulement à son exhibitionnisme, çà j’en suis sûre mais aussi,  mais est-ce lié ? à sa façon  d’utiliser l’autre au profit de sa propre jouissance et ce bien sûr sans que l’autre y ait son mot à dire. Il n’était plus seulement ce que Freud appelait un «  petit pervers polymorphe », il était déjà dans une position subjective où il savait jouer avec l’angoisse de l’autre pour en tirer bénéfice. La phobie carabinée de sa mère lui ayant probablement ouvert les oreilles sur l’instrumentalisation qu’un sujet peut opérer sur l’autre.

Je vous livre encore brièvement un exemple qui pour moi a fait date dans ma clinique. J’étais jeune analyste et je venais de changer dans mon cabinet mon divan. J’avais installé un divan flambant neuf, marron et au pied et à la tête quelques rayures oranger. Je reçois une patiente, en travail chez moi depuis deux ou trois ans. A peine allongée elle lance à la cantonade une bordée d’interjections sur le choix, le confort, la couleur des divans et le fichu goût des analystes. Je laisse passer et quand elle commence à me chauffer les oreilles je lui lance un « et quoi d’autre », qui un instant lui coupe le sifflet, mais très vite elle se remet à son travail là où elle avait laissé les choses la séance précédente. Salutations.

La séance suivante, c’est moi qui suis pour le coup estomaquée. Elle vient s’allonger sur le divan, dans un ensemble marron et oranger, on n’aurait pu mieux, assorti au divan. Séance, salutations.

C’est moi qui me suis précipitée chez mon contrôleur car je pigeais qu’il s’était passé là quelque chose, qui, pour moi, faisait embarras. Je lui dis ma difficulté et c’est là où j’ai entendu pour la première fois nommé ce qui s’était passé : je m’étais trouvée en face d’un acting out de ma patiente, et bien m’en avais pris de n’avoir pas pipé mot, car tout cela s’était fait à son insu et n’aurait pas été pour elle symbolisable.

Après avoir essayé d’illustrer pour nous une approche de ces questions d’actes, en vous donnant quelques exemples connus ou miens, je vais me risquer en m’appuyant sur eux à attraper les choses par un biais plus théorique et commencer par énoncer qu’un acte pose toujours, pour un sujet, la question de son rapport ou de son absence de rapport à une articulation signifiante ; un acte, çà dit comment le sujet est pris dans le signifiant.

L’acte est d’emblée pris dans le langage, articulé ou articulable – il faut pouvoir s’en dire l’auteur, en dire son pourquoi et son comment – Un acte est toujours pour un sujet l’effet de sa prise dans le signifiant  — il doit pouvoir par le langage en rendre compte.

L’acte est toujours noué à la parole.

« L’acte nous dit Lacan est en lui même la double boucle du signifiant »,. Il est fondateur du sujet, en tant que le sujet est toujours ce signifiant représenté auprès d’un autre  signifiant. Il est sujet pris dans le langage, parlêtre dit-il. Il est sujet pris dans l’acte de parler, parler ne voulant pas seulement dire prononcer des mots mais aussi prendre en compte sa parole dans son ambiguité, son équivoque et dans ses trous, et pouvoir, dans un même mouvement prendre également en compte la parole de l’autre dans sa propre ambiguité, son équivoque et dans ses propres trous.

Vous entendez combien ces tours et détours impliquent de nécessaires répétitions et c’est probablement pour cela que Lacan nous dit qu’  « il est impossible de définir un acte, autrement que sur le fondement même de la répétition ».

Freud introduit pour la première fois dans l’  « Au-delà du principe de plaisir », le concept de répétition. Il l’introduit comme un forçage pour donner son statut définitif au sujet de l’inconscient.  Cette contrainte de la répétition il l’appelle pulsion de mort.  La vie se définirait comme l’ensemble des forces où se signifie que la mort serait pour la vie son rail, son sens. Le mécanisme de la répétition serait donc ce qui conduit un sujet le plus rapidement possible à sa mort. Son principe directeur  unirait l’identique avec du différent, croyant voir dans ce différent, de l’identique. Quelque chose de différent viendrait à s’inscrire pour un sujet sur le mode de l’identique, avec le poinçon de la première fois.

C’est le trait unaire qui joue le rôle de repère symbolique de ce un comptable. ex : Comment rendre compte  du « je préfère planer » de mon patient ? Je vous en livre une des lectures :  pourquoi me mettre dans le monde de la bagarre phallique alors que je ne suis pas sans savoir que la mauvaise foi de l’Autre me tient à l’écart des échanges symboliques qui régissent le monde humain ?

Ou encore : comment me lancer dans la conquête de l’Autre sexe alors que je ne sais pas où et à quoi me soutenir de ma place d’homme ? Comment me compter comme un quand pour l’Autre je ne compte pas ?

Ce un basal, ce un comptable, ne s’instaure que de la répétition elle-même. De l’insistance de la répétition où pour l’autre je comptais ou ne comptais pas.

Mais nous avons ici quelque chose de plus à repérer dans la mise en place du mécanisme de la répétition. Une situation, pour qu’elle puisse se croire fondée de se répéter, donc de se repérer par le sujet comme identique, cette situation implique des coordonnées d’identité signifiante qui viennent pour le sujet à fonctionner comme signe de ce qui doit être répété. Mais, se répétant elle devient situation répétée et comme telle, elle est perdue comme situation d’origine. Il y a quelque chose de forcément perdu de par le fait même de la répétition. Ce quelque chose de perdu donne le sens même de ce qui surgit sous la rubrique du refoulement.

Il est bien évident que c’est le travail de dix ans d’analyse qui a pu permettre à ma patiente allemande de se ressouvenir de ce qui était là depuis toujours mais qu’elle croyait ne pas savoir. Par quel tissage de son discours ce souvenir a-t-il été raccroché ?

Il n’est pas sans intérêt d’apprendre qu’entre temps elle était elle-même devenue mère d’une petite fille qu’elle avait dû accoucher par césarienne parce qu’  « elle ne voulait pas accoucher comme sa mère ». Elle n’a pas été sans entendre ce qu’elle disait, parce que sa deuxième petite fille, quelques années après avoir commencé son analyse, elle l’a accouchée par les voies basses et sans aucun problème ni pour elle ni pour l’enfant.

Ici aussi se posait pour elle la question de « comment mettre bas ».

Cela pose toute la difficulté de comment faire advenir du différent, là où le sujet se croît dans du même. Comment faire advenir du un comptable là où l’union et la passion ne savent compter que jusqu’à 1 ?

Lacan disait qu’il fallait toujours prendre un soin extrême lorsqu’un patient se trouvait dans cette zone du «  niedercommen lassen ». Le passage à l’acte ou l’acting out n’en sont jamais très loin. Et c’est quelque chose que j’ai toujours pu vérifier dans ma pratique.

Constatons donc que c’est dans un même mouvement que se met en place pour un sujet,  et le forçage du mécanisme de la répétition – forçage qui est dû à l’erreur du sujet de considérer comme du même ce qui est différent — et ce qui en découle du fait de la perte qu’elle inclut, soit le refoulement.

Cette même question du forçage nous la retrouvons aussi dans le déclenchement du passage à l’acte et de l’acting out. Mais dans le cas de l’instauration de la répétition, le forçage est celui du sujet qui se trompe en identifiant à une fois première les situations qu’il croit repérer comme identiques. C’est donc un acte du sujet. En est-il de même pour le passage à l’acte et l’acting out ?

Dans le passage à l’acte et dans l’acting out, les exemples que je vous ai cités nous le montrent :  le forçage vient de l’Autre.

C’est parce qu’il trouve la porte fermée à clé que le jeune patient s’éjecte par la fenêtre.

C’est parce qu’elle a assisté au viol de sa mère que la jeune enfant se précipite sous les roues du char.

Il est intéressant de noter que ce forçage venu de l’Autre, entraîne pour le sujet un acte automatique dont lui même est absenté.

C’est parce que j’ai tenté de poser une loi symbolique à sa mère que le jeune gamin va découper mon tapis. Là, le passage à l’acte se fait, dans un calcul, mal intentionné à mon endroit, mais réparateur pour la mère. Son passage à l’acte vise  mon intervention qui avait pour but de poser un interdit sur sa jouissance, alors que cet interdit, sa mère ne l’avait pas posé. De quoi est-ce que je me mêlais ? C’était de sa part, la réponse du berger à la bergère et il n’est pas exclu, qu’interrogé, il aurait su lui, pourquoi il avait fait cet acte, même s’il avait pris le parti de se taire.

Evidemment je faisais un forçage et d’une certaine façon, je ne l’avais pas volé, qu’il découpe mon tapis. Mais comment aurais-je pu soutenir mon acte d’analyste si je n’avais pas pris ce risque de dire qu’il y a certaines choses, qui, si on les prend à la légère, ne sont pas sans conséquences dans une organisation subjective ? Ca pouvait légitimement n’être pas à son goût. D’où il s’illustre que lorsqu’on fait un acte on ne peut pas s savoir ni où ni comment çà va répondre.

Affaire de style, bien sûr, chaque analyste a le sien.

Pour l’acting out également je reprendrais cette question du forçage.

La patiente de Breuer que montre –t- elle avec ce ventre enceint de son désir méconnu ? Sinon qu’elle a été par la conduite de Breuer éjectée de la position d’objet cause du désir qu’elle avait représenté pour  cet homme ? et pour pouvoir supporter cette place d’éjection que montre-t-elle sinon son désir inconscient d’avoir été traitée par lui, comme lui même avait traité sa femme en lui faisant un enfant ?

Et que montre notre jeune homosexuelle lorsqu’elle se promène avec sa dame sous les fenêtres du bureau de son père ? et que lui dit-elle dans sa monstration, si ce n’est qu’elle peut se mourir d’amour et sans contre partie, et donner par cet amour à cette catin qu’elle vénère, la place que son père ne lui a pas, à elle, donnée : celle d’être reconnue par lui comme une jeune femme désirable, certes, mais surtout désirante.

Dans l’acte nous dit Lacan, un sujet n’en existe pas moins comme divisé. Nous pouvons ici mesurer la différence entre un point d’acte, où le sujet pour divisé qu’il soit, n’en n’assume pas moins les conséquences de ce qu’il a mis en œuvre. Ex  Même si son acte lui demeure incompréhensible, ma patiente reconnaît s’être jetée sous les roues du char. Elle conçoit, dans l’après-coup, et après tout ce temps d’analyse, qu’un lien ait pu exister pour elle entre ce qu’elle a vu et ce qu’elle a fait.

Mais dans le temps du passage à l’acte la division subjective n’était pas opérante parce que l’acte s’est fait sur un mode automatique : se précipiter.

De même, le jeune adolescent, lorsque, enfant il a vu que la porte était fermée, il est sorti par la fenêtre.

Dans ces deux cas, le terme même de T.S. est récusable, bien que la mort réelle  du sujet aurait pu s’ensuivre, car dans cet acte le sujet n’y était pas.

Mais plus qu’à la définition même de l’acte, Lacan se préoccupe des suites que cet acte entraîne dans les mutations mêmes du sujet. Un acte c’est ce qui rend un sujet autre que ce qu’il était. Un acte peut évidemment changer tout le cours d’une vie.

Toujours à propos de l’acte j’aimerais relever un autre élément dont il n’est pas aisé de mesurer l’importance clinique. Il s’agit du type de négation opérant dans la notion d’acte. Lacan souligne qu’il  s’y agit toujours de déni, de Verleugnung. « Le déni est toujours ce qui a affaire à l’ambiguïté qui résulte des effets de l’acte comme tels ».

Vous avez pu constater que dans tous les actes que je vous ai cités, dans aucun d’entre eux,  il n’y a eu, une acceptation, une reconnaissance de l’acte sans embarras. D’une quelconque façon, ou  le sujet n’y était pas, ou il  s’y reconnaissait peut-être, ou était dans un démenti total par rapport à lui.

Qu’il s’agisse dans l’acte, du même mode de négation que celui opérant spécifiquement dans la perversion  nous renvoie à la double difficulté inhérente à tout acte. A savoir qu’il pose un avant et un après, mais aussi qu’ il nous oblige à la question de savoir si un acte n’est pas toujours lié à la question de l’objet  et de l’aliénation du sujet. Quand j’avance la question de l’objet j’entends, de l’objet tel que nous le rencontrons en psychanalyse, c’est-à-dire, l’objet a, cause du désir.

Et puisque les points d’acte sont au carrefour de ce qui est symbolisable ou pas pour un sujet, nous devons interroger à chaque fois, le rapport de ce point d’acte et à un énoncé et à une énonciation, comme possible ou impossible, avec les conséquences que cela  entraînent. Nous entendons par là que la question de l’acte concerne tout le rapport du sujet à la parole et au langage.

Que le sujet se trouve porté par cette division subjective et nous serons dans les aléas d’une parole, certes embarrassée, mais capitonnée. Mais que le sujet en soit délesté et nous le trouverons comme la proie des signifiants déchaînés, en un discours courant dont lui-même est exclu puisque comme sujet il n’y est pas advenu.

Lorsque Lacan nous parle de l’acting out comme « d’un équivalent psychotique », il dit dans sa leçon du 11 Janvier 56 « l’acting out est un équivalent de type hallucinatoire, délirant » qu’est-ce que cela implique ?

Un court-circuit du capitonnage qui laisse le sujet sans mots, c’est-à-dire dans l’impossibilité de se compter comme sujet dans une assomption énonciatrice ? Probablement, notons alors que cette fonction a été antérieurement opérante pour ce sujet  même si ponctuellement, elle ne l’est plus.

Cela nous conduit à constater que tous les cas princeps cités d’acting out sont tous référés à des cas de névrose Dora, la jeune homosexuelle, la patiente entre Breuer et Freud, le patient de E. Kriss –celui qui allait raconter à  son analyste qu’à la fin de ses séances il allait manger son plat préféré : des cervelles fraîches – ou ma patiente au tailleur marron.

Dans l’acting out comme équivalent psychotique le sujet se trouve être le siège d’une conduite inconsciente qui lui échappe complètement, qui lui est indialectisable, conduite dont il ne saurait rendre compte, sauf à en rajouter.

Il ne s’y agit pas d’une méconnaissance qui dans le transfert pourrait s’analyser et se résoudre par la levée du refoulement.

Il ne s’y agit pas non plus d’une forclusion dans la mesure où dans d’autres situations ce même sujet reste soumis à la castration. Il s’y agit d’une pseudo castration entraînant une conduite pseudo délirante, comme dans un délire ou dans un néologisme, où le sujet est ponctuellement incapable de rendre compte  ce qu’il  agit.

Alors, qu’est-ce qui, dans l’organisation psychique, pousse un sujet à dénier l’acte qu’il vient de faire ? Qu’est-ce qui fait que, de cet acte  il puisse être ou en partie ou totalement exclu ?

C’est ici que se pose la question de l’aliénation du sujet .

A quelle aliénation est soumis un sujet lorsqu’il se trouve précipité dans le passage à l’acte, ou quand dans l’acting out, il se montre sur la scène oedipienne, phallus imaginaire dévoilé, et sans en avoir lui-même la moindre conscience ?

J’ai repris brièvement la question de l’aliénation dans ce que Lacan appelle le choix forcé du sujet. Dans certaines situations, le sujet peut se trouver devant une fausse alternative qui se présente selon la loi classique du : ou bien ou bien, mais dont le choix, la décision impliquent pour lui sa vie ou sa mort. Ce n’est pas fromage ou dessert, c’est par exemple la bourse ou la vie, la liberté ou la mort.
Mais c’est aussi bien, la haine dans le regard de son père et le niedercommen, pour la jeune homosexuelle, ou encore, si pas  la porte, alors la fenêtre, pour mon patient  adolescent, ou encore le viol et les roues du char pour ma jeune patiente allemande.

Nous mesurons bien que dans ces situations parler de choix  est irrecevable car le sujet se trouve subjectivement confronté à un pseudo choix : c’est parce qu’elle ne peut pas  affronter ce qu’elle lit dans le regard courroucé de son père que la jeune homosexuelle a sauté  par-dessus le parapet. Plutôt rien que çà.

C’est parce qu’il ne peut symboliser le mensonge de ses parents que le jeune adolescent s’est précipité par la fenêtre. Si pour eux je ne compte pas, à quoi je peux me raccrocher ?

Le sujet se trouve donc condamné ou à ne pas penser ou à ne pas être. Mais qu’il puisse ou penser ou être, ou ne pas penser ou ne pas être, est entièrement déterminé par le choix qui se joue pour lui dans l’inconscient, dans son assise subjective. Il ne peut inconsciemment que s’appuyer sur le fait que pour lui, se soit inscrit ou pas, un rapport à l’Autre un tant soit peu pacifié, c’est à dire un rapport au phallus et à la castration qui lui permette subjectivement de se compter comme un un, et non pas comme un objet ou un appendice accroché au corps ou au désir de l’Autre.

Du côté du «  je ne pense pas » le sujet ne consiste plus qu’en cet objet de rebut qu’il n’y a plus qu’à laisser tomber puisque que ce qui lui donnait la brillance phallique qui faisait qu’il pouvait s’en soutenir est tombé, dans la lecture qu’il fait de la place dévoilée  qu’il occupe pour l’Autre.

Vous voyez que nous sommes là dans des situations extrêmement compliquées.

L’intérêt de vous donner à entendre ce qui se passe dans ce choix forcé, c’est que nous pouvons mesurer que, dans les 2 types de choix il y a une perte obligée pour le sujet :

Qu’il choisisse de vivre alors il se condamne à ne pas penser, qu’il choisisse de penser alors c’est de sa vie dont il se sépare.

Dans les deux cas, la vérité de l’aliénation ne se montre que dans la partie perdue.

Au niveau de l’acte, il y a forcément, nécessairement, quelque chose à perdre et peut être est-ce pour cela, que faire un acte nous coûte toujours autant et que nous nous donnons constamment la possibilité de l’éviter, en nous collant à la Verleugnung, à la perversion.

Alors, tâchons d’articuler tout cela à notre question de départ :

Du côté du je ne pense pas, nous aurons un je qui va s’exclure dans le passage à l’acte . S’il n’est pas fatal, le travail de l’analyse pourra tenter de se poursuivre dans l’orientation du Wo es war, soll ich verden. Là où c’était, le çà du je ne pense pas, doit advenir le je du je ne suis pas de l’inconscient. C’est à dire que là où çà parlait comme pure parlotte, comme « saute par la fenêtre » en ce lieu doit advenir le je d’une énonciation inconsciente, où le sujet prend à sa charge ce qui se trouve être dit, avec les effets de division qui en découlent pour lui : par ex. :

J’ai le droit de penser que mes parents ont failli à la parole qu’il m’ont donnée et de savoir que cela ne sera pas sans conséquence dans notre relation à venir, et de comprendre du même coup ,qu’il n’y aura plus jamais pour moi la possibilité de croire en la parole de quiconque comme en une parole d’évangile.

Du côté de l’acting out du « je ne suis pas », nous aurons un je exclu de son rapport à l’être, au phallus et cela se traduira par une monstration sans sujet : Je promène et sans que je le sache mon ventre gros, de mon désir d’enfant de cet homme qui ne peut l’assumer.

Je dis à mon analyste en lui racontant mon repas, que de cervelle fraîche, il en faudrait un peu plus dans ses interprétations,

Je montre, sans le savoir, dans mon tailleur marron la rivalité que je ne peux assumer dans les mots dans mon identification à l’analyste, mais aussi, le désir que je ne peux pas dire, que je saurais infiniment mieux qu’elle, quoi ? décorer bien sûr,

Ce n’est que dans l’après coup de l’analyse que le patient pourra ou non y revenir et tenter d’en produire une dialectisation  en assumant la division subjective qu’alors il ne pouvait affronter.

Nous constatons, que dans ces 2 cas d’aliénation du sujet , passage à l’acte et acting out, ce qui conditionne cette aliénation, c’est l’élimination fut –elle ponctuelle, du grand Autre. Etre aliéné c’est être hors du seuil.

L’élimination de l’Autre veut dire ici qu’il n’y a plus de discours phalliquement orienté, hors du seuil, qu’il n’y a plus rien d’assumable pour le sujet concerné.

Nous comprenons mieux, comme analyste, pourquoi dans l’acting out notre liberté de manœuvre est extrêmement réduite soit,  permettre un lieu pour qu’une parole se tienne même si déplacée, dans tous les sens du termes, puisqu’il s’y agit et du phallus toujours incongru et d’une parole à côté.

Dans le passage à l’acte, l’automaticité et la rapidité de l’acte semblent rendre même impossible, dans le temps de l’acte, toute action thérapeutique. C’est seulement quand l’issue n’a pas été fatale que les lignes qui le sous-tendent peuvent s’en reprendre.

Ainsi ce que j’ai tenté de donner à entendre au gamin qui avait découpé mon tapis.

C’est après des années de travail que ma patiente a pu accoucher « comme sa mère ».

Comme j’espère vous l’avoir donné à entendre c’est tout le champ de notre clinique qui est concerné par cette question de l’acte, j’espère donc seulement nous avoir ouvert quelques avenues pour la suite de nos réflexions et je vous remercie de votre attention.