CONSTRUCTION PSYCHIQUE DE LA FEMINITE Du « pénis rabougri » au « pas tout » On ne naît pas femme, on le devient

Enseignement de l’ALI- Provence – Ghislaine Chagourin – Année 2010-2011

Séminaire sur la féminité, la maternité et leurs articulations au «pas tout » et au phallus

séance du 15 novembre 2010

 

 Le thème de ce séminaire m’a été inspiré par les journées de Mars 2010 sur l’Unité spirituelle de la Méditerranée. Unité spirituelle supposée autour des 3 monothéismes dont nous avons pu constater qu’elle restait problématique sauf sur ce qu’il en est de la jouissance : « jouissance objectale d’un côté, narcissique de l’autre »1 comme a pu le dire Charles Melman en conclusion des journées. Donc frontière entre « Islam » et « Occident » par outrance de consommation d’un côté et outrance narcissique de l’autre indiquant que l’altérité et la borne phallique ne jouent plus leurs rôles et que les lois du langage ne sont plus repérées comme structurales ni déterminantes dans la constitution du sujet. Ce qui rend difficile voire impossible tout discours entre les deux rives. Pour ma part, il m’a semblé que si l’altérité et la borne phallique ne jouaient plus leur rôle c’est que dans le social, quelque chose autour de la question du féminin fait problème. Car comment entendre cette « jouissance objectale » sinon comme une jouissance sans limite, organisée hors borne phallique autour d’objets de consommation qui ne causent plus le désir mais poussent à l’addiction par exemple. Et comment entendre la « jouissance narcissique » autrement que comme une jouissance qui ne fait aucune place à l’Altérité et donc au féminin. Pourtant Lacan avec le « pas toute » de la position féminine nous a montré que l’Un ne va pas sans l’Autre sans que cela se réduise à une complémentarité imaginaire mais tient de la logique de la sexuation à savoir que , comme a pu le dire Charles Melman lors des mêmes journées, « le petit a, c’est ce qui fait que le Un n’est pas Tout»2c’est aussi ce qui permet d’échapper au tout phallique du totalitarisme ou au pas du tout phallique de la psychose. Alors, qu’en est-il aujourd’hui de la féminité et de son articulation au masculin ? Pour cela je vous propose 4 volets que j’ai découpés ainsi :

1/ Lundi 15 novembre : une séance introductive sur Construction de la féminité (outils de base de Freud à Lacan)

2/ Lundi 17 janvier : Rencontre du féminin à l’Adolescence avec S. Lesourd. Clinique

3/ Lundi 21 mars : Féminité et maternité, avortement et déni de grossesse. A partir de l’affaire Courjeault et autres exemples cliniques

4/ Lundi 16 mai : Féminité, matriarcat, patriarcat, NEP. Conséquences cliniques et politiques du pas tout.

Freud a découvert l’inconscient et la psychanalyse en travaillant avec des femmes et notamment des femmes hystériques. Il s’est intéressé à la féminité et a tenté d’en percer les modalités de construction psychique tout en parlant de « continent noir » et en disant que « l’énigme de la femme » dont les hommes parlent serait en fait l’expression de leur bisexualité. Comment entendre cette bisexualité qu’il dit plus importante chez les femmes? Mais il ne s’estimait pas très satisfait de ce qu’il avait réussi à théoriser notamment du fait que c’était, « incomplet et fragmentaire » et que « cela (ne) rend(ait) pas toujours non plus un son agréable ». Freud a donc essayé de dire la féminité alors qu’avec Lacan, on verra que ce qui se passe du côté des femmes si ça ne peut pas se dire, ça peut s’écrire. Lacan va aussi « sortir les femmes du préjugé freudien qui fait d’elles des hommes castrés » (une femme n’est pas un homme castré. Elle est pas-toute, nuance, Virginia Hasenbalg, 2010). Lacan éclaire les travaux de Freud sous une autre lumière qui prête moins le flan aux accusations de phallocratisme de misogynie ou de réductionnisme à l’anatomie qui ont été faites à Freud pas plus tard qu’avec Onfray. Dans Encore, Lacan lui-même disait concernant « la chère femme » que « Freud [qui] ne lui fait pas la partie belle » mais il le prend au sérieux sur ce qu’il a pu entendre dans sa clinique et dans le lien social.

Comment se construit cette féminité selon Freud ? Il a mis en évidence une sexualité infantile organisée autour de ce qu’il appelle le primat du phallus tant chez le garçon que chez la fille. Concernant ce primat du phallus il avoue ne pouvoir bien le décrire que chez le garçon ce qui est à entendre comme un universel mais qui est descriptible pour « pas tous ». La sexualité infantile est donc une sexualité qui vise à une satisfaction (le développement de la fonction sexuelle, 1938) et non à la reproduction et qui intéresse le devenir et l’organisation des pulsions sexuelles dès les premières années de la vie (jusqu’à 5 ans environ). Ainsi, il y a 3 stades d’organisation de cette sexualité infantile: le stade oral, le stade anal et finalement, le stade phallique. Le processus d’organisation de la sexualité est dit diphasé par Freud (le développement de la fonction sexuelle, 1938) car la phase infantile est suivie d’une phase de latence (eu égard à la sexualité) et l’organisation se parachève à la puberté avec l’accès à la génitalité et à l’opposition masculin-féminin. Serge Lesourd qui fait une lecture lacanienne de Freud a repris cela en disant que l’adolescence est ce passage où l’adolescent, garçon ou fille, devrait rencontrer « cette part de lui-même ignorée dans son enfance, le féminin ». Nous y reviendrons. L’adolescence consistant en une réorganisation de la sexualité qui avant était régie par une « libido d’essence mâle » comme a pu l’avancer Freud quand il dit que le stade phallique est un moment déterminant pour la construction du sujet en tant que sexué car dans cette phase : « un seul organe génital, l’organe mâle joue un rôle » (L’organisation génitale infantile, 1923). Au stade phallique: le pénis et le clitoris fonctionnent de la même façon (tumescence, détumescence) mais Freud rapporte que le clitoris est perçu comme un « pénis rabougri » (l’abrégé de psychanalyse, 1938). Freud dit qu’au stade phallique, « l’organe génital féminin semble n’être jamais découvert » (L’organisation génitale infantile, 1923) et que « la petite fille est un petit homme » (La féminité, 1933). Sur le plan clinique on vérifie bien qu’une petite fille ignore tout de son vagin y compris au sens anatomique. Si tel n’est pas le cas et qu’elle a par exemple des gestes obscènes sans pudeur, on retrouve, des abus sexuels ou des situations dans lesquelles la petite fille a pu voir des films pornos par exemple ce qui ne l’empêche pas d’avoir des théories sexuelles infantiles dont le vagin est forclos. La méconnaissance du vagin n’et pas à rabattre sur une question anatomique, c’est plutôt lié à l’idée que tout le monde a un phallus y compris la mère. Par ailleurs, quand Freud parle de l’organe mâle, il faut entendre le phallus au sens de symbole et non pas au sens de la réalité anatomique, au sens de pénis comme c’est souvent entendu et comme les travaux de Freud l’ont donné à entendre. Au point qu’Onfray, à la suite de nombreux autres détracteurs, traite Freud de misogyne notamment sur le fait qu’il ait dit en 1912 « le destin c’est l’anatomie » (du rabaissement généralisé de la vie amoureuse, 1912).

Comment Freud explique que seul le phallus joue un rôle ? Cela vient de ce que pour la fille comme pour le garçon, le premier objet d’amour c’est la mère et que le garçon ou la fille ont ce même désir inconscient de faire un enfant à la mère ou d’en mettre un au monde pour elle, cela étant plus prégnant chez la petite fille précise Freud (désir d’enfant qui n’est pas à confondre avec le vœu conscient de vouloir un enfant). Sur le plan clinique, il est effectivement très fréquent de recevoir aux urgences des enfants (filles et garçons) se plaignant de maux de ventre incompréhensibles pour les pédiatres et qui sont l’expression de ces vœux inconscients. Ces maux de ventre surviennent par exemple au moment de la grossesse de la maman ou après la naissance d’un petit frère ou d’une petite sœur. J’ai même rencontré une petite fille de 5 ou 6 ans qui avait développé une phobie des insectes qui était l’expression d’un tel vœu : elle avait peur de voir sortir une « phasme » de sa manche, équivalent imaginaire d’un accouchement. Bref, Freud avait bien entendu que les enfants ont un désir tout sexuel à l’égard de la mère bien qu’il ne s’agisse pas d’un désir sexuel au sens adulte et génital. La mère est d’autre part elle-même perçue comme détentrice d’un phallus, ce qui correspond à une théorie infantile, quelque soit le sexe, de la possession universelle du phallus. On conçoit qu’un tel propos pris au niveau anatomique puisse attirer les critiques. Au point qu’Onfray, toujours, met ces développements sur le compte des relations « tortueuses » de Freud aux femmes : relation incestueuse à sa mère puis à sa fille Anna, adultère avec sa belle soeur. Alors que l’on doit entendre cela comme la question de ce qui fait universel et du rapport que l’on entretient à cet universel.

Comment la fillette va devenir une femme dans ce contexte phallique décrit par Freud ? Il précise que c’est plus compliqué pour une fille de devenir une femme que pour le garçon de devenir un homme car elle doit accomplir 2 tâches de plus que le garçon et c’est l’attachement tendre préoedipien qui est déterminant pour l’accès à la féminité, c’est-à-dire l’attachement premier à la mère puis l’oedipe. Ce que Lacan a repris sous l’angle des premières interactions avec le grand Autre maternel (ou ses substituts) et notamment avec le stade du miroir.

Quelles sont ces 2 tâches supplémentaires, décrites par Freud, qui incombent à la fillette?

1ère tâche supplémentaire : elle doit changer de zone directrice: c’est-à-dire passer du clitoris – qui fonctionne au stade phallique comme un petit pénis – au vagin. « Le clitoris doit céder sa sensibilité, et du même coup son importance, au vagin, totalement ou en partie » (La féminité, 1933). Sur le plan clinique, beaucoup de femmes disent n’avoir d’orgasme que clitoridiennement et se demandent si c’est bien normal, si elles ne sont pas frigides. En tout cas, la formulation freudienne sonne comme un traité d’anatomie qui convoque l’imaginaire, càd la question de l’image corporelle que Lacan a repris avec le stade du miroir. Si on l’entend sur un plan plus métaphorique, on retiendra l’idée de la nécessité d’un passage d’une position phallique à une position Autre qui échappe en partie à la dialectique phallique (quelque soit le sexe anatomique) pour accéder à la féminité.

2ème tâche supplémentaire, elle doit changer d’objet d’amour, et aussi de sexe d’objet d’amour, c’est-à-dire passer de l’attachement préoedipien à la mère à l’attachement au père. Ceci se fait, dit Freud, quand elle s’aperçoit que la mère est castrée et qu’elle réalise son « infériorité » sur le garçon en cela qu’il est détenteur du pénis et pas elle. Elle se considère alors castrée comme la mère (Freud parle de « castration accomplie »). Voilà en quoi Freud fait d’une femme un homme castré. Ce terme « d’infériorité » de Freud n’est pas à prendre comme la preuve de sa misogynie mais comme le témoignage de ce qu’il a entendu et que l’on entend toujours dans l’inconscient sous diverses formes et quelque soit le sexe: mépris des femmes pour les hommes et pour les femmes, mépris des hommes pour les femmes, manque d’estime personnelle et de confiance en soi des femmes etc. Freud précise que la fillette tient sa mère pour responsable de ce manque de pénis et de sa castration ce qui va provoquer sa haine à l’égard de sa mère. Elle va alors succomber à « l’envie de pénis » qui, dit Freud, « laisse des traces indélébiles » dans son psychisme et n’est que très difficilement surmontée. Cette envie de pénis, ce pénisneid, est ce qui la fait entrer dans l’oedipe (la fillette rentre dans l’oedipe par la castration) et va éventuellement la conduire à la féminité. Du coup cela pose le problème du déclin de l’oedipe pour la fille : en effet comment renoncer au pénisneid sans sortir de la féminité? Freud disait qu’il n’y avait pas de motif de destruction de l’oedipe chez la femme alors que chez le garçon, le complexe d’oedipe disparaît sous l’effet du complexe de castration par la constitution d’un surmoi.

L a petite fille dispose de 3 façons pour réagir à cette « envie de pénis »:

1/ la blessure narcissique est telle qu’elle va rejeter l’amour pour sa mère, et refouler ses aspirations sexuelles, c’est l’inhibition sexuelle ou la névrose,

2/ elle peut développer ce que Freud appelle un fort complexe de masculinité càd refuser de renoncer à une sexualité phallique. Cela peut parfois déboucher sur une homosexualité manifeste ultérieure ou constituer le lit d’une homosexualité secondaire par régression à ce complexe de masculinité,

3/ La voie féminine normale est lorsqu’elle se tourne vers le père comme détenteur de ce pénis dont elle a envie. Elle ne deviendra femme que lorsque cette envie de pénis se sera muée en désir d’enfant (qui existait déjà avant) et que pour atteindre son but, elle s’identifiera à la mère. Càd en acceptant la castration de la mère, en la voyant comme celle qui a pu obtenir le pénis du père (qui a causé son désir) c’est-à-dire comme une femme. Cette identification pose de nombreux problèmes sur le plan clinique. Freud dit que peut-être l’envie de pénis même quand elle est remplacée par le désir d’enfant reste un désir masculin et que c’est peut-être un désir féminin par excellence ! Cela est intéressant car nous verrons avec Lacan qu’une mère est dans un rapport particulier au phallus.

Dans tous les cas, pour Freud, les avatars ultérieurs de la féminité sont des séquelles de la période masculine antérieure et de l’envie de pénis qui en résulte. Pour lui c’est donc l’envie de pénis qui règle la sexualité féminine. Cette envie de pénis peut se présenter sous diverses formes qui vont du désir inconscient de posséder soi-même un pénis à l’envie de jouir du pénis dans le coït ou encore, par substitution, au désir d’avoir un enfant. Bref, la féminité rime avec une certaine insatisfaction que seule la maternité peut venir alléger puisqu’elle correspond à une appropriation du pénis à travers l’équivalence symbolique enfant-pénis. Avec « l’envie de pénis », Freud témoigne de ce qu’il a entendu dans la clinique mais se fourvoie dans une impasse imaginaire qui rejoint celle couramment répandue (toujours de nos jours) qui confond différence de position et différence de valeur ce qui effectivement est difficilement surmontable. Confusion qui se forge sur une notion de complétude de type « tout » ou « nul » que la psychanalyse grâce aux mathématiques et à Lacan a pu relativiser. Toutefois, par l’emprunt de ces diverses formes, on voit bien qu’avec Freud, le pénis s’élève déjà à la valeur de symbole. C’est en effet autour du symbole phallique que s’organise la sexualité humaine, cela vaut pour tous. Ce « tous » est important, il induit un universel sur le plan logique. C’est ce que nous amène Lacan qui pour sa part et dans un esprit d’élargissement de la notion de sexualité va proposer le terme de sexuation. C’est-à-dire la façon dont dans l’inconscient, au-delà de la sexualité biologique, les 2 sexes se reconnaissent et se différencient. Cette question de la sexuation relativise la notion freudienne de l’envie de pénis puisque Lacan va encore accentuer la dimension de symbole du phallus. Lacan dans le séminaire Encore va proposer des formules de la sexuation qui supposent au moins comme préalable une redéfinition du phallus, ou de la fonction phallique, et une interrogation sur sa dimension d’universel. Puisque ce tableau montre comment le sujet a à se déterminer par rapport au phallus, à la castration et à la jouissance. Phallus ici est pris au sens de fonction phallique ou plus exactement de fonction de la castration. Elle porte symboliquement sur le phallus en tant qu’objet imaginaire (pas réel ou anatomique).

Position masculine le sexe anatomique

Position féminine le sexe anatomique

___

x Φx

x Φx

___ ___

x Φx

___

x Φx

$

Φ

s (A)

a La

Les quantificateurs :

: il existe

: quelque soit, pour tous

x : un être parlant, on voit que cette lettre se situe aussi bien d’un côté que de l’autre du tableau ce qui traduit bien que Lacan se démarque de l’idée d’une essence, d’une nature masculine ou féminine.

Φ: grand phi, fonction phallique, phallus symbolique

$ : le sujet de l’inconscient, le sujet divisé

Certaines formules sont surmontées d’une barre pour indiquer la négation de la formule. Le haut du tableau donne plutôt la répartition collective entre hommes et femmes alors que la partie basse est plutôt éclairante des relations privées entre un homme et une femme.

DU CÔTE HOMME:

Haut du tableau : 1ère ligne à gauche:

On peut lire: Il existe un x tel que non phi de x. Autrement dit: il y a un x qui n’est pas soumis à la castration, à la fonction phallique. c’est à dire que du côté homme, tous partent, tous s’ordonnent à partir d’un ancêtre, d’un père non castré. C’est le père de la horde primitive de Freud, c’est le père mort. C’est à dire que c’est ce père symbolique, tyrannique, qui a l’origine des temps régnait sur une horde de femmes dont il était le seul à avoir la jouissance, le commerce sexuel. Ses fils, sous peine de mort, n’avait pas droit aux femmes. un jour, ils se révoltèrent, tuèrent et mangèrent le père afin de pouvoir jouir des femmes. Mais ils furent vite pris de remords et se rendirent vite compte qu’ils se déchireraient à leur tour entre eux pour pouvoir jouir des femmes. Ils firent alors un pacte, celui de s’interdire – au nom du père mort – la jouissance des femmes du père afin de pouvoir vivre en paix et en communauté. C’est ce pacte qui rend possible la civilisation, la vie en groupe et plus largement en société. Ce pacte symbolique, c’est la castration, c’est l’interdit de la jouissance des femmes du père et donc de la mère mais il autorise une jouissance bornée par le phallus. Du côté homme c’est donc le passage pour tous, sauf un, le père, par la castration qui va permettre au sujet d’accéder au commerce des femmes et à la jouissance des biens. C’est en acceptant un interdit qu’il y a autorisation à une certaine liberté sexuelle.

Haut du tableau : 2ème ligne à gauche traduit cet universel de la castration du côté homme: quelque soit x, pour tous x, phi de x:. Il faut en passer par la castration. pour avoir le droit d’être un homme. Ces 2 formules indiquent que l’exception paternelle confirme la règle universelle phallique.

Dans le bas du tableau à gauche: Lacan place le sujet en tant que divisé, ce qui veut dire en tant qu’aux prises avec son inconscient et son désir.

C’est aussi là que trône le grand phi, la fonction phallique, la référence phallique. Du côté homme, on se prévaut de cette référence. Du côté homme, c’est le phallus qui fait la bannière sous laquelle on se rassemble.

On comprend bien alors la crainte que peut avoir un être parlant dans cette position, de ce côté ci du tableau, de le perdre (c’est imaginaire). Ce qui fait dire à Lacan, qu’un homme « n’est pas sans l’avoir ». Le défaut est du côté de l’avoir.

Dans le bas du tableau, il y a aussi cette flèche qui part du S barré vers l’autre côté du tableau, le côté féminin, vers le a. Dans le discours psychanalytique, cette flèche écrit la formule du fantasme. C’est à dire qu’un sujet en position masculine va trouver ce qui détermine son désir du côté féminin. C’est ce qui fait dire à Melman « le petit a, c’est ce qui fait que le Un n’est pas Tout»3.

DU CÔTE FEMME:

De ce côté pas d’ancêtre, c’est ce que l’on peut lire sur la première ligne des formules (en haut à droite): Il n’existe pas de femme qui échappe à la castration et à la fois, la 2ème ligne nous indique que « pas-tout » x est soumis à la fonction phallique. Ce « pas-tout » est à entendre comme cela: du côté femme on est pas entièrement soumise à la dialectique phallique, quelque chose y échappe. Et ceci est un grand apport par rapport à l’universel phallique de Freud. La dialectique phallique ne pèse pas de la même façon selon que l’on se tient du côté homme ou du côté femme.

C’est à dire que la castration est abordée de façon singulière du côté femme. On le conçoit puisque la petite fille aborde la castration, sous l’angle imaginaire de la privation et de la frustration, cette privation est attribuée à la mère phallique avant d’être transférée sur le père. A son propos, Lacan dira, une femme « est sans l’avoir » mais « n’est pas sans l’être » dans le sens où elle va être un semblant de phallus pour un homme puisque ne l’ayant pas, elle va faire fonction de signifiant du désir en tant qu’objet a.

Il n’y a donc pas de bannière sous laquelle puissent s’inscrire les femmes, c’est ce que traduit le « La »: « La femme n’existe pas », elle n’a pas vocation à faire universel.

le bas du tableau à droite : Comme on vient de le dire, une femme va faire fonction de signifiant du désir, c’est à dire que le « a » va s’inscrire de son côté. Elle va incarner pour un homme ce qui cause son désir. Alors bien sûr cela ne veut pas dire que pour être du côté femme il faut être l’objet d’un homme. Mais du côté femme, il y a ce qui détermine le désir d’un homme. Alors vous me dirai mais une femme, elle fantasme aussi ! Oui mais fantasmer pour une femme, c’est se glisser dans le fantasme d’un homme. Sinon c’est fantasmer comme un homme et on sort du côté femme du tableau. Etre femme c’est toujours pour un homme sinon la question ne se pose pas. D’où le fait que l’on puisse dire pas l’Autre sans l’Un.

Le point suivant dans le tableau côté femme c’est le S (A). C’est quelque chose de nouveau par rapport à Freud. Cela vient de ce fait qu’une femme n’est pas toute dans la dialectique phallique. Du côté femme, il y a un signifiant du manque. C’est à dire que c’est en tant que manquant qu’une femme va avoir à faire au phallus.

On voit bien les 2 flèches qui partent du « La » barré: d’un côté; elle franchit la ligne, elle va vers le côté homme, pour un accès au phallus, à la jouissance phallique et de l’autre, elle a à faire au phallus en tant que manquant. C’est à dire qu’elle va avoir accès à ce que Lacan a appelé la jouissance Autre. Cette jouissance est typiquement féminine. Un exemple de cette jouissance: la jouissance des mystiques.

Il faut bien percevoir qu’il y a des passages d’un côté à l’autre du tableau, on ne cesse de naviguer d’un côté à l’autre, ce n’est pas figé. Il n’y a que des semblants d’hommes et de femmes. D’autre part, il permet de repérer qu’on ne peut pas parler de rapport sexuel, rapport pris au sens mathématique, on ne peut parler que de fornication puisque « la femme n’existe pas ». Pour faire rapport, il faut 2 entités. Seul prévaut le phallus. Par contre il y a un rapport entre un avoir phallique et un être phallique: un homme pour une femme est celui qui détient le phallus, une femme pour un homme est le phallus mais de façon imaginaire. Ce qui nous différencie, les hommes et les femmes c’est plus en terme de jouissance : La jouissance sexuelle est une jouissance de type phallique, à laquelle ont accès les hommes et les femmes, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre du tableau. La jouissance Autre est une jouissance typiquement féminine, uniquement du côté femme, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des hommes au sens anatomique qui y aient accès.

1 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

2 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

3 Charles Melman, Galéjades, conférence faite lors des journées de l’ALI des 13 et 14 mars 2010 à Marseille, « l’Unité spirituelle de la Méditerranée est-elle plus essentielle que l’apparence de sa diversité »

La rencontre du féminin

Enseignement de l’ALI- Provence – Ghislaine Chagourin – Année 2010-2011

Séminaire sur la féminité, la maternité et leurs articulations au «pas tout » et au phallus

Séance du 17 janvier 2011

La féminité ne peut pas se transmettre mais elle s’invente au singulier à partir de cette rencontre

La dernière fois, vous m’avez demandé si la féminité pouvait se transmettre. Aujourd’hui, je vais tenter de répondre à cette question. Je partirai de ces propos de Vannina Micheli-Rechtman, qui nous rappelle que si, comme l’a énoncé Lacan, « La Femme n’existe pas », « alors chaque femme, une par une aura à inventer sa propre solution afin de suppléer à ce défaut du symbolique, donc à inventer sa propre façon d’être une femme »1. Je partirai aussi de ces propos de J.P. Lebrun : « le féminin n’est pas la propriété des femmes. Car effectivement, dès qu’il s’agit de dire le singulier , de créer, c’est le féminin qui est à l’œuvre »2. Ces propos qui pointent la nécessité d’une invention, d’une création, au singulier, écartent toute possibilité de transmission et relativisent la place de l’anatomie. En tout cas, concernant la créativité je ferai cette petite parenthèse clinique : si la créativité, notamment artistique, relève du féminin et s’entend aussi bien dans les paroles et les actes d’hommes que de femmes, on comprend mieux pourquoi il est souvent si difficile de s’appuyer dessus que ce soit pour gagner sa vie ou pour être socialement reconnu, c’est encore plus marqué du côté des femmes. Sans doute faut-il que cette créativité vienne se crocheter au phallique pour avoir une chance d‘émerger socialement.

Je me suis ensuite demandée comment se faisait cette rencontre du féminin pour les deux sexes et le rôle qu’elle jouait dans cette invention d’une solution pour chacune? Freud nous a légué que l’instauration de la vie sexuelle est diphasée, qu’elle débute avec la sexualité infantile et se parachève à la puberté avec l’inscription dans l’inconscient de l’opposition masculin-féminin et la génitalité. En d’autres termes, pour Freud, la différence des sexes comme logique organisatrice de la sexualité ne se parachève qu’à ce que nous appelons aujourd’hui l’adolescence. Comme nous l’avons vu, avant cela, la différence des sexes est connue des enfants mais dans un registre binaire « châtré, pas châtré » ou autrement dit « avoir, ne pas avoir le pénis » donc selon une référence toute phallique, une construction préœdipienne qu’il faut bien qualifier d’imaginaire.

Grâce aux avancées de Lacan nous pouvons dire que nous ne naissons pas homme ou femme, que nous naissons tous au phallique tout aliénés au désir de la mère. Ensuite Freud disait que nous devenons homme ou femme en nous identifiant à notre sexe selon notre position eu égard à la castration en fonction de notre sexe anatomique. C’est ce qu’il a développé avec le complexe d’Oedipe. Mais je pense aussi que cela dépend de la façon dont nous allons rencontrer le féminin. Ce qui va permettre de passer à une logique de l’être et de l’avoir et introduire le pas tout dans le meilleur des cas.

Pour rappel, le devenir femme pour Freud revient, sous l’effet de l’angoisse de castration, à passer du clitoris au vagin (passage d’une logique phallique à une Autre logique ?) puis de la mère au père et à l’homme (changement de sexe de l’objet d’amour mais selon quelle grammaire ?) et à transformer l’envie de pénis en un désir d’enfant. Toutefois avec cette lecture, l’acmé de la féminité se situe dans la maternité ou dans un désir de maternité càd dans un registre résolument phallique; Freud le dit d’ailleurs lui même puisqu’il note l’équivalence phallique de l’enfant, encore plus s’il s’agit d’un garçon. Il est vrai que dans de nombreuses cultures, mettre au monde un enfant mâle est le sommet de la consécration pour une mère.

Dans un article paru dans le JFP n° 32 sur l’Anorexie Boulimie, Vannina Micheli-Rechtman dit que si Freud a eu l’air de réduire la position féminine à la maternité, c’est qu’il faut le resituer dans son époque dans laquelle, la maternité était le seul substitut phallique socialement toléré pour une femme. Mais le fait que les femmes puissent aujourd’hui avoir accès à des substituts phalliques autres que les enfants « ne règle pas pour autant la question du manque phallique sur le versant de l’être »3 nous dit-elle. Ce qui laisse entendre que pour une femme cela va se jouer dans le registre d’être le phallus, nous y reviendrons. Ainsi, Freud rate la question du désir féminin hors de la mère, de ce qui du féminin échappe au phallique. Si le mérite de Freud a été de replacer les femmes dans le champ de l’humain en les incluant dans l’universel phallique, il ne leur fait pas la part belle quand il s’agit de décrire quelques uns de leurs traits (La féminité, 1933). Traits dont il avoue lui même qu’il est difficile de savoir s’ils relèvent d’une spécificité de la fonction sexuelle ou de l’influence du dressage social. Je vous propose qu’en fin d’exposé nous y revenions pour en discuter. Parmi ces traits relevons :

  1. un degré élevé de narcissisme qui fait que pour une femme être aimée est plus fort qu’aimer

  2. une vanité corporelle exacerbée par l’envie de pénis en dédommagement de son infériorité sexuelle initiale

  3. la pudeur qui est une façon de masquer le défaut de pénis et l’aptitude au tressage et au tissage qui poursuit le même but par métonymie

  4. un choix d’objet qui se fait sur « l ‘idéal narcissique de l’homme que la petite fille aurait souhaité devenir » ou d’après le père s’il y a eu fixation à cet attachement

  5. un sens de la justice et de la morale moindres du fait de la prédominance de « l’envie » dans sa vie psychique et d’un surmoi moins rigide

  6. des intérêts sociaux et une capacité de sublimation pulsionnelle moindres que chez les hommes

  7. une psychorigidité psychique plus précoce que chez l’homme

    Si ces traits restent à analyser à la lumière du pas tout de Lacan et des discours qu’il a formalisé, ils posent déjà à ce stade la question du type de lien social que peut entretenir une femme ? Car si elles aspirent à être aimées mais ne savent pas aimer, ne pensent qu’à leur apparence, à leur image et à cacher leur manque de pénis, qu’elles n’envisagent une relation à un homme qu’à travers un idéal narcissique, qu’elles sont injustes, immorales, non altruistes et psychorigides,

    comment peuvent elles venir se rattacher à un collectif, faire institution si elles incarnent le singulier ? Vannina Micheli-Rechtman, nous amène une première réponse et dit que la façon féminine d’être dans le lien social serait à travers l’amour, à travers le maintien de liens amoureux pour pallier à l’a-socialisation qui découle du discours de la science. Cela contredit Freud qui disait l’amour très asocial (repli amoureux) et les femmes moins versées dans les sublimations et les investissements sociaux que les hommes du fait d’un surmoi moins développé. Qu’en est-il ?

    Il est intéressant de noter que les institutions de femmes, c’est une entité clinique que Freud n’a jamais analysé, on peut se demander pourquoi, alors qu’il a parlé d’institutions d’hommes à travers l’armée ou l’église et des phénomènes de groupe autour d’un idéal du moi qui fait trait d’identification. Mais y a t-il institution de femmes ? Les premières qui me soient venues à l’idée sont les ordres religieux de femmes puis les prisons de femmes. Mais sont-elles autre chose que des institutions phalliquement organisées et regroupant des femmes. La seule institution de femme à laquelle je puisse penser et qui se développe aujourd’hui est celle de la famille matrocentrée.

    Car force est de constater qu’aujourd’hui les femmes fuient l’institution traditionnelle familiale en même temps que la violence conjugale se développe – c’est la plupart du temps elles qui demandent le divorce. Ces femmes forment de plus en plus souvent des familles dites monoparentales dans laquelle la relation à la mère devient prévalente. Au point que Ch. Melman parle de l’émergence d’un matriarcat. Ne serait ce pas l’effet de ce que dans l’institution familiale traditionnelle beaucoup de femmes n’y sont prises en compte que pour se faire traiter comme des hommes pour être maltraitées et battues et ce malgré tous les discours féministes? La question mérite d’être posée. J.P. Lebrun, dans La condition humaine n’est pas sans conditions, avance même que notre société n’aime pas les femmes, malgré les discours féministes, car elle aime les mères. Il semblerait intéressant d’être plus précis quand on parle d’une féminisation de la société.

    Autre point sur lequel Freud ne s’est pas étendu : comment un garçon va passer de sa mère aux femmes ? Il précise simplement que le garçon n’a pas à changer de zone génitale directrice ni de sexe d’objet d’amour et que c’est la menace de castration qui l’amène à renoncer à la mère. Mais Freud ne dit pas grand chose sur ce qui va le pousser à désirer du côté des femmes. Dans la logique freudienne, un garçon doit passer du désir incestueux pour sa mère à un désir pour une femme qu’il fait mère. Comme si vis à vis d’une femme il ne faisait que répondre à un désir d’enfant. Si dans la clinique on rencontre encore des hommes qui s’empressent de faire un enfant à chaque femme qu’ils rencontrent, cela ne semble pas épuiser la question. Pas plus que le fait que de plus en plus de femmes ont un enfant avec chaque homme qu’elles rencontrent. Reste à savoir si et comment pour un homme une femme peut être autre chose qu’une mère, y compris pour lui, ou une putain avec qui il fornique. Cette difficulté expliquerait la banalité clinique de la misogynie ou de l’homosexualité avec leur corollaire de violence tant sociale qu’individuelle.

    Comme l’écrit Ch. Melman, « le narcissisme du mâle l’amène facilement à dénigrer la femme, et quand il y renonce , c’est pour se faire son enfant »4ou encore « il est évident qu’à aimer le pouvoir du Un et à le respecter je ne peux l’aimer que dans le partage avec un partenaire semblable, identique lui même et qui vient rappeler la toute puissance de ce Un. Il y a là une forme d’homosexualité que vous connaissez et qui ne passe pas par une féminisation quelconque. Forme d’homosexualité adepte du culte, de la force, de la violence et du totalitarisme. D’ailleurs tout totalitarisme est une forme comme une autre d’homosexualité et vous voyez là où ça s’est produit les femmes être transformées ne serait ce que par le costume etc »5. En effet, l’actualité du monde avec les exactions des divers totalitarismes notamment envers les femmes sont tout à fait éclairantes sur ces impasses toutes phalliques. Une autre impasse toute phallique est celle du Don Juan puisqu’il s’agit là de trouver La Femme en tant que phallique. Dans notre social actuel nombre de femmes se plaignent de la lâcheté et de l’inconsistance des hommes qui semblent avoir renoncé au phallus, nombre d’entre eux étant passés dans un pas du tout phallique dont on sait la prédilection pour la toxicomanie et qui n’est pas à confondre avec un positionnement dans le pas tout mais plutôt du côté d’une jouissance Autre qui fait question. Ce qui fait que l’articulation de l’Un à l’Autre n’est plus toujours possible. C’est dire que la rencontre du féminin fait toujours et encore difficulté. Grâce à l’ouverture fantastique qu’apporte J. Lacan avec la logique du pas tout phallique les femmes peuvent sortir de l’enfermement dans lequel les laissait l’envie de pénis freudien et les hommes peuvent sortir du tout phallique.

    Pour ma part, il me semble que ce passage de la mère aux femmes pour un homme va beaucoup dépendre de la façon dont la mère se positionne elle même eu égard à la féminité et aussi du cas que le père fait de cette féminité. Lors de journées d’Espace Analytique à Paris intitulées Quel homme, Markos Zafiropoulos disait que la mère primordiale est du côté du réel, d’un rapport corps à corps avec l’enfant et qu’elle va partir en fragments (objets a) pour faire place à la mère symbolique. C’est-à-dire que peu à peu par l’entremise du langage, elle va devenir sans corps pour l’enfant et continuer à exister parce qu’un père prend le relais. J.P. Lebrun dans La condition humaine n’est pas sans conditions dit la même chose en ces termes: « c’est à la mère de faire ce travail qui consiste à transformer un rapport de corps à corps en un rapport qui passe par le langage » (p. 171). Cette place de la mère va être prépondérante aussi pour que la fille puisse construire sa féminité même si on ne peut pas parler de transmission. Claude Noëlle Pickman dit que le féminin ne renvoie jamais à un originaire d’avant le langage de type « sensoriel » sans mot ou « archaïque d’un corps à corps » mythique avec la mère.

    Cette rencontre du féminin, de l’au-delà phallique à travers la logique du pas tout va avoir lieu pour le garçon et la fille lors du passage adolescent sur les bases de ce qui s’est passé pour eux dans l’enfance. Ils vont rencontrer « cette part [d’eux mêmes] ignorée dans leur enfance, le féminin »6 comme le dit S. Lesourd à qui je me réfère pour les développements suivants.

    Il développe que l’adolescence est ce passage où il va s’agir de s’inscrire dans un lien social sous un signifiant partiellement autre que celui sous lequel l’enfant l’était dans le roman familial. Il va devoir découvrir un signifiant qui le représente dans le social. Afin que l’adolescent et l’adolescente puissent se construire une place structurale qui soutienne le rapport aux autres dans le lien social, il faudra qu’ils reconnaissent la place symbolique du phallus et qu’ils rencontrent chacun le féminin en soi. Il me semble que ceci est aujourd’hui complexifié par le fait que dans le social la valeur primordiale du phallus n’est plus soutenue ce qui peut faire croire à l’adolescent comme à l’adolescente que le phallus lui même n’est qu’un leurre et n’est pas symbolique alors même que ce n’est que par la destitution du phallus imaginaire de l’enfance qu’ils vont être confrontés à la jouissance Autre et à la position féminine. Jean Christophe Brunat dans son article le cours du phallus avance que « le phallus n’est plus en position d’exception, le seul à organiser notre social. Nous voilà passés d’une société toute phallique à une société pas toute »7. Là encore ne faut-il réfléchir avant d’en déduire que nous allons vers une féminisation de la société ?

    Jusqu’à l’adolescence, Freud nous a appris que le féminin est exclu de la construction de l’inconscient, ce qui d’un point de vue logique veut dire que jusque là, il n’y a rien qui vienne objecter à l’idée même d’un tout, de l’universel du phallus. Claude Noëlle Pickmann dit que le pas tout c’est ce qui sur le plan logique va permettre d’objecter à l’idée même d’un tout8. S. Lesourd rappelle qu’à partir de cette rencontre du féminin, l’adulte, homme ou femme, sera confronté au manque dans ses 3 registres:

  8. Symbolique : il n’y a pas de vérité absolue

  9. Imaginaire : il est impossible d’avoir le phallus en son nom propre

  10. Réel : il n’existe pas de rapport sexuel

    Comment peut se faire cette rencontre avec le féminin, avec l’Autre sexe ? Pour S. Lesourd, elle se fait, tant pour le garçon que pour la fille, à partir du bouleversement du corps pubertaire et des effets qu’il va produire sur l’image narcissique du corps telle qu’elle s’était construite lors du stade du miroir mais c’est aussi et avant tout une opération langagière. Cela passe aussi à travers la question de la jouissance (puisqu’il s’agit du corps). La jouissance de l’enfant est réglée sur le primat du phallus, c’est la jouissance phallique. Il précise que les adolescents garçon et fille vont être conviés à la rencontre avec la Jouissance Autre lors de la destitution du père phallique imaginaire.

    Par rapport au stade du miroir, S. Lesourd rappelle que c’est le stade au cours duquel l’anatomie avait déjà joué un rôle puisque ce qui différenciait garçon et fille c’était la présence du pénis comme visible, spécularisable pour le regard du grand Autre maternel ou son absence. Ce qui veut dire que l’anatomie n’est pas exclue de l’accès au féminin et fait d’ailleurs que pour la fille la pulsion privilégiée sera le regard à travers ce qui ne se voit pas sur son corps. S. Lesourd poursuit en disant qu’elle va représenter par son corps entier le fait que la mère est une fille aussi et par ailleurs elle n’a pas dans son corps le représentant de ce que la mère désire.

    Donc la fille est prise dans un désir de l’Autre dont elle attendra le regard (sans doute source de ce que Freud a repéré en termes de pudeur ou d’importance de l’apparence. Aujourd’hui cela se traduit par l’attrait à faire circuler des photos sur les blogs, portables et autres sites internet). Par rapport à la question du regard, les conséquences logiques à l’adolescence vont être pour la fille que le corps peut « prendrevaleur imaginaire de signifiant phallique » ce à quoi elle va pouvoir réagir de différentes façons qui sont autant de façons de refuser de renoncer à « être » imaginairement le phallus: S Lesourd donne 3 voies possibles à laquelle j’en rajoute une :

  11. exhibitionnisme de l’hyper séduction : cf string, cuissardes, vêtements moulants et décolletés, maquillage, coiffure etc

  12. refus de la féminité : cf tenues unisexes, jogging larges

  13. déni de son corps de femme : cf l’anorexique

  14. le port du voile intégral (quand il est voulu par les jeunes filles et n’est pas politisé) me semble pouvoir être aussi une façon de refuser de renoncer à être le phallus puisqu’il faut cacher le corps. Ce n’est pas un refus de la féminité toutefois mais c’est une sorte d’exhibitionnisme en négatif.

    Pour le garçon, S. Lesourd dit qu’au au stade du miroir, la présence spécularisable de l’objet pénien fera que la pulsion privilégiée sera la voix. Le garçon sera pris dans un désir de l’Autre auquel il lancera un appel (sans doute source de l’attrait pour la tchatche, la drague, bien qu’aujourd’hui la voix le cède à l’écriture sous forme de textos, SMS, MMS etc). Dans Le cours du phallus, J.C. Brunat dit que si le référent commun aux femmes et aux hommes renvoie à l’image de l’organe mâle, c’est je cite :

    « parce qu’il est possible de faire un nouage borroméen avec le sexe masculin :

    1/ C’est un organe en relief possédant une image spéculaire. [ imaginaire]

    2/ Il est impliqué dans le réel de la différence anatomique des sexes et de la reproduction. [réel]

    3/ Enfin et surtout, son fonctionnement physiologique est compatible avec la physiologie du symbolique [symbolique]:

  15. quand il n’est pas en état de marche il est quand même là et quand il est en état de marche il peut se dérober, donc présence sur fond d’absence et vice versa

  16. il échappe au contrôle de la volonté et il semble répondre à un commandement Autre, à savoir qu’il lui arrive de marcher quand il ne faudrait pas et vice versa

  17. enfin, son implication dans la reproduction et la filiation nécessite une certaine foi, ‘ pater incertus’ »9

    Mais l’anatomie ne recouvre pas la question, car l’enjeu du regard et de la voix du grand Autre maternel au stade du miroir sont étayés et renforcés par les dires parentaux précise S. Lesourd. En effet, il rappelle que dès la plus petite enfance, il n’y a pas la même adresse des parents à un bébé fille ou un bébé garçon, la place du regard et de la voix de la mère est déterminée par la différence sexuelle et est déterminante pour l’accès de l’enfant à son image sexuée mais le corps se constitue comme sexué avant tout dans le langage.

    Cette identité sexuée précoce au stade du miroir va faire que l’Oedipe, qui n’est que la remise en forme de l’image narcissique du stade du miroir, ne sera pas abordé de la même façon pour le garçon et pour la fille. L’entrée et sortie différente dans l’Oedipe est plus articulée à la façon dont le corps a été constitué comme sexué dans le langage au temps du stade du miroir, qu’au réel du corps.

    La fille va être confrontée à l’angoisse de castration du fait de la non spécularisation du pénis et va rester dans l’Oedipe alors que le garçon sera confronté à la menace de castration du fait de la présence du pénis ce qui le fera sortir de l’Oedipe. L’Oedipe qui va venir réordonner les raisons signifiantes et langagières du désir autour de la construction d’un signifiant maître :le phallus. L’Oedipe c’est ce qui sert à constituer le phallus comme objet symbolique comme le dit S. Lesourd. Cela répond à la nécessité pour l’enfant d’élaborer autour de ce qui lui manque pour répondre au désir de la mère, pour la satisfaire. D’une logique de « l’avoir ou ne pas l’avoir » imaginaire et pré-oedipienne, va devoir se construire une logique autour de « l’être et de l’avoir  (le phallus)» dans laquelle le phallus doit se constituer comme objet non plus imaginaire mais symbolique. C’est par le biais du devenir de l’attribution phallique faite au père dans l’enfance que cela va passer. Dans l’enfance, le phallus est attribué au père car « le père serait pourvu de ce qui satisfait le désir de la mère »10 c’est lui qui l’a par un don que lui fait l’enfant mais avec cette attente que cela lui soit rendu quand il sera grand. Pour la fille, le manque de pénis sur le plan anatomique va lui indiquer plus facilement qu’elle ne l’a pas et qu’il n’y aura pas réalisation future de la promesse oedipienne d’où l’angoisse de castration. Cette angoisse de castration est une signe du manque fondamental du phallus, de son inexistence ce qui facilite son passage au registre du symbolique et fait qu’elle va tenter de l’être. Il semble qu’aujourd’hui, pour de nombreuses petites filles et petits garçons, cette attribution phallique faite au père est très souvent problématique : le père est rejeté par la mère ou n’assume plus rien ou est humilié socialement etc : il est réellement déphallicisé. Comment alors constituer le phallus symboliquement, il va au mieux fonctionner sur un registre imaginaire du côté de la mère ou de l’être le phallus ou ne fera plus référence ou sera réduit à un objet comme un autre. Par exemple, on voit de plus en plus d’hommes faire la « mère bis », ils mettent leur honneur à faire mieux que la mère comme le dit J.P Lebrun dans La condition humaine n’est pas sans conditions.

    Mais pour revenir à la féminité, c’est donc en tant que « n’étant pas sans l’être (le phallus) que la jeune fille construit sa féminité », on la verra par exemple s’investir dans ce qui satisfait le désir des parents pour ne pas perdre leur amour (la petite fille modèle). Le danger pour une fille est qu’elle tente de le devenir, de l’être imaginairement ce phallus. La difficulté étant pour elle d’articuler les registres du réel du symbolique et de l’imaginaire sans tomber dans le registre hystérique. Le passage de la fillette à la jeune fille doit être parlé et notamment par la mère car c’est un moment crucial de reconstruction narcissique.

    Lors de journées de l’ALI qui ont eu lieu à Chambéry et qui s’intitulaient aliénation-séparation : qu’apprend une fille avec sa mère ? Il a été dit qu’il ne peut y avoir « transmission » d’un savoir sur le féminin que dans une communauté de différence : une fille ne peut apprendre que le pas tout de la féminité et éventuellement comment faire avec cette féminité dans le lien social avec la position masculine. Càd qu’elle apprend à « tisser », à faire du lien avec cette position Autre mais le reste, ce qui relève du phallique, elle l’apprend avec le père. Pour qu’une mère puisse apprendre quelque chose à sa fille, il faut qu’elle puisse supposer être apprise elle aussi par sa fille, qu’elle suppose à sa fille un savoir y faire autrement avec la différence. S. Lesourd pour sa part avance que sous l’effet de la désillusion phallique, l’image de la mère va être mise à mal car jusque là, elle était prise dans une pure logique phallique et l’enfant ignorait qu’elle est aussi une femme. Si elle est une femme désirante ailleurs que sur son enfant, si elle n’est « pas toute » dans la jouissance phallique et a elle même un accès à la jouissance Autre, elle va permettre à la fille comme au garçon de découvrir la position féminine. « par l’ex-istence de la femme dans la mère, par cette mise à l’extérieur de la femme dans la mère, du fait de la reconnaissance de la valeur symbolique du phallus, s’ouvre, pour l’adolescent, garçon ou fille, la question de la jouissance Autre de la femme ». J.P. Lebrun ne dit pas autre chose quand il avance « qu’il n’y a pas de mère sans femme » et que c’est seulement à condition de prendre en compte le sexuel, le mortel et le féminin qu’une mère peut être au service du symbolique.11

    Mais précisons un peu plus ce qu’il se passe pour une fille avec S. Lesourd. Pour la fille, les formes et les fonctions du corps changent donc à l’adolescence avec la puberté. Le corps devient contenant des représentants phalliques : le pénis et le bébé. L’image inconsciente du corps s’invagine. S. Lesourd rappelle qu’Annie Anzieu disait « le pénis est un objet, le vagin est un lieu ». Ce que Ch. Melman a pu formuler différemment en disant que « les organes en creux ne peuvent pas valoir comme un trait »12 càd qu’il ne peut y avoir un référent féminin symbolique comme le phallus côté homme. La jeune fille va donc devoir constituer le phallus comme symbolique et se positionner :

    1/ comme objet a, comme celle qui fait désirer l’homme avec pour corollaire l’acceptation d’un corps contenant du phallus. Le vaginisme étant un exemple de refus imaginaire et réel de ce type de positionnement du corps. Une autre défense plus classique se fait sur le mode hystérique du rapport à l’Autre, le corps restant le lieu fantasmatique du désir et de la revendication phallique. La défense dépressive existe aussi, le corps étant dévalorisé et ne pouvant plus servir de support narcissique. La défense obsessionnelle n’est plus si rare avec une mise en avant de l’ignorance de la transformation de son corps et une érotisation des rapports intellectuels. Il existe aussi la défense anorexique qui est un refus de la sexuation du corps

    2/ L’autre positionnement c’est d’accepter que son corps puisse être un lieu contenant d’un bébé. Comme on le sait, le symptôme étant là le surgissement d’une grossesse réelle précoce qui vise le bébé comme représentation du phallus. Je cite S. Lesourd : «  l’adolescente peut être tentée de mettre en acte une réassurance narcissique ‘en tombant enceinte’ ou au moins en en prenant le risque »13 ce qui constitue une « réassurance sur son corps en tant que lieu contenant qui constitue son être phallique » ces grossesses étant à distinguer d’un désir réel de maternité et finissent souvent par un avortement, elles sont des passages à l’acte qui situent imaginairement l’adolescente du côté masculin de la sexuation.

    S. Lesourd soutient que les règles, qui sont une perte sanguine réelle vont aider la fille à marquer symboliquement son accès au statut de jeune femme (ce qui est différent d’un statut de symbolique de femme et ne veut pas dire que ce sang soit Le signifiant féminin). Il me semble que le « sang » perdu tous les mois renvoie inexorablement au signifiant du manque, au « sans »; mais le sang vient aussi dire la possibilité future d’un bébé, il peut toutefois faire office d’un « pas tout sans » ou d’un pas « sans rien » qui diffère du pas tout. La perte d’un contenu vital vient inaugurer un corps de femme mûre qui peut être mère et contenir en son sein un bébé et qui peut être amante et contenir en son corps un pénis. Pour S. Lesourd, les règles ont fonction de rappel récurrent de, je cite, « la vacuité du contenant, qui l’empêche d’être tout à fait le phallus »14. C’est ce qui fait office de surmoi à une femme. Mais on sait aussi comment les règles peuvent être vécues de façon totalement différente d’une femme à l’autre. Par contre on peut se demander la pertinence du traitement scientifico-médical des règles à travers les pilules et hormones qui les suppriment.

    En définitive revenons sur les traits « féminins » décrits par Freud :

  18. On a vu que Freud disait qu’une femme avait un surmoi moins rigide que l’homme. Or le surmoi est un effet de la fonction symbolique du phallus. Si une femme n’est pas toute phallique, Freud avait raison,

  19. Sur le fait de préférer être aimée qu’aimer et sur l’importance de son apparence: cela vient de sa propension à fonctionner comme si elle était le phallus. Si le regard d’un garçon la constitue mieux dans son désir d’être le phallus, le corps entier étant pris comme objet d’amour, elle va se tourner vers lui et sera renforcée narcissiquement. C’est pour cela que les ruptures subies provoquent de graves failles narcissiques. Elle peut alors s’identifier à un déchet rejeté et peut passer à l’acte suicidaire.

  20. Sur la question du type de lien social à partir du féminin : Cl. Noëlle Pickman dit que le pas tout fait objection à l’exception et se présente comme une figure non ségrégative car il supprime la norme universelle qui fonde l’exception mais sans lui substituer un autre universel non phallique. Ce qui fait que le pas tout est « une critique radicale de la prise en masse des groupes », « c’est le dernier obstacle qui s’oppose à la stratégie en marche de la mondialisation, stratégie d’éradication de l’hétéros au profit de l’Un tout seul »15. Le pas tout remet en cause la norme de façon logique et non imaginaire, il n’implique pas le pas du tout (tout pas phallique).

1 Vannina Micheli-Rechtman, l’anorexique une hystérique contemporaine, JFP n°32 anorexie-boulimie, approche clinique et théorique, érès

2 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions, Denoël, 2010

3 Vannina Micheli-Rechtman, l’anorexique une hystérique contemporaine, JFP n°32 anorexie-boulimie, approche clinique et théorique, érès

4 Ch. Melman, clinique de l’homosexualité féminine, Le bulletin lacanien n°4, Sex and gender, publié par l’Association lacanienne internationale, 2008, p. 40

5 Ch Melman, la psychopathologie : état des lieux, inventaire et projet, conférence faite le 16 décembre 2010 à l’Ephep, Paris

6 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009, avant propos

7 Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

8 C.N. Pickmann, Le pas-tout….ou la déception, in La clinique lacanienne de la féminité n° 11, érès, 2007

9 Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

10 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009, p. 30

 

11 Jean-Pierre Lebrun, La condition humaine n’est pas sans conditions, Denoël, 2010

12 Ch. Melman cité par Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

13 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009

14 S. Lesourd, in Adolescences…rencontre du féminin, érès, 2009

15 C.N. Pickmann, Le pas-tout….ou la déception, in La clinique lacanienne de la féminité n° 11, érès, 2007

le continent noir ? Espace du ravage? Le ravage entre mère et fille par Ghislaine Chagourin

 

Dans la suite de la dernière séance au cours de laquelle nous avons parlé de la féminité et de l’amour, je voudrais aujourd’hui revenir sur un point que je n’ai fait qu’aborder succinctement mais qui me paraît essentiel à propos de la féminité. Il s’agit en effet de ce qui se passe entre une mère et sa fille.

La dernière fois, j’avais juste rappelé que chez Freud, le devenir d’une femme passe pour la fillette par le rejet de l’amour pour la mère (et de la mère ?). J’avais rappelé qu’il disait que ce rejet doit s’accompagner d’un refoulement du désir sexuel phallique. Il dit aussi que c’est la haine de ne pas avoir été pourvue de pénis par la mère qui conduit principalement la fillette à rejeter l’amour pour la mère et à renoncer à la sexualité phallique, ce qui emporte la question du statut du corps dans ce rejet. Selon cette articulation, sa capacité à aimer et sa sexualité futures s’appuieront sur la haine d’avoir du renoncer à l’amour et au désir ce qui revient à dire qu’elle a été privée par la mère de la jouissance de celle-ci (ce qui n’est pas pareil qu’être castrée par le père). Freud insiste pour dire que les rapports amoureux et le développement de la sexualité féminine dépendent beaucoup de ce premier attachement à la mère.

Lacan a repris cette version freudienne du premier attachement à la mère et de la haine pour la mère à travers la logique du non rapport sexuel et des formules de la sexuation (pas tout phallique, jouissance phallique et Autre) mais aussi avec le NB. Pour avancer sur cette question, je me suis appuyée sur des citations de Lacan, puis sur 3 textes de femmes : un article de Jessica Choukroun Schenowitz : « Le ravage au féminin : une quasi-structure inscrite dans la logique de l’amour » 1le livre de Marie-Magdeleine Lessana (ex Chatel) : « entre mère et fille : un ravage »2 avec le magnifique exemple clinique que constitue le cas de la marquise de Sévigné et de sa fille la comtesse de Grignan et enfin, le livre de Caroline Eliacheff et Nathalie Heinich : « Mères-filles, une relation à trois »3Nous n’aurons sans doute pas le temps de tout traiter aujourd’hui et je vous propose de poursuivre sur la séance prochaine (Mme de Sévigné et d’autres situations cliniques de ravage mère fille).

 

 

Concernant Lacan, comme vous le savez, il s’est servi de la logique du non rapport sexuel et des formules de la sexuation pour avancer sur la question du féminin et la sortir de l’imaginaire freudien du pénis rabougri et du continent noir. En 1973, dans « l’Etourdit », il disait que « l’élucubration freudienne du complexe d’oedipe qui fait la femme poisson dans l’eau de ce que la castration soit chez elle de départ (Freud dixit) contraste douloureusement avec le fait du ravage qu’est chez la femme, pour la plupart, le rapport à sa mère d’où elle semble bien attendre comme femme plus de subsistance que de son père, ce qui ne va pas avec lui étant second dans ce ravage ». Ainsis’il n’y a pas de rapport sexuel inscriptible comme tel entre un homme et une femme, il y aurait un rapport entre une femme et sa mère ? Mais alors de quelle nature est-il, concernerait t-il la jouissance, laquelle ? Est-il inscriptible et sous quelle forme puisque les femmes se comptent une par une et ne sont pas toutes ? De quelle subsistance parle Lacan ? Comment s’articulent les questions du phallus de l’amour et de la haine dans ce dit rapport ?

Une façon d’appréhender ces questions c’est de considérer avec JCS que le ravage est une alternative au symptôme (à entendre comme ce qu’une femme peut représenter pour un homme sans doute) et une suppléance au non rapport sexuel au prix d’une désubjectivation, parce que dit-elle :« le ravage est une mise à l’épreuve de l’amour avec la volonté de faire exister l’Autre (un Autre consistant pour le coup) au lieu de s’éprouver soi-même comme Autre ». Le ravage est ainsi toujours affaire d’amour et de haine mais aussi de corps dans sa logique. Voyons comment : JCS à la suite de Lacan avance qu’une femme à travers le pas tout et la jouissance Autre est en proie à l’illimité du hors phallique. Or, l’amour surgit à partir du manque càd hors logique phallique (aimer c’est donner ce que l’on a pas). Ce qui fait que pour aimer, il faut être une femme comme a pu le dire Lacan. JCS dit que « les territoires intérieurs marqués par l’illimitation sont ceux du ravage». Du fait de l’absence d’un trait identificatoire féminin, et à partir de ce trou dans le symbolique, se déploie donc le ravage du fait de ce que S. Lesourd a appelé « le dévoilement de la vacuité de l’Autre ». De ce fait, « L’amour mène au ravage quand il demande encore plus d’identité, encore plus d’être. (…) c’est dans cette logique du non rapport sexuel qu’il convient d’inscrire et d’étudier le ravage. Nourri des passions de l’être, le ravage est lié à l’impossible subjectivation du corps de jouissance de celle qui se dit femme par le langage mais que la logique phallocentrique ne suffit pas à identifier ». La subsistance dont parle Lacan est réclamée dans la demande massive d’une fille à sa mère.

 

Ce qui m’a évoqué le cas de Liliane, 4 ans, (cas supprimé pour raison de confidentialité) le risque qui se profile c’est que Liliane s’empare de l’objet oral pour manifester son désir que la mère n’entend que comme demande et que l’opposition se transforme en prémices d’anorexie qui est le paradigme du ravage mère-fille en vertu de ce que JCS appelle : « la folle demande d’amour à un Autre tout-puissant, de la négation du corps comme substance vivante et de la haine du féminin qu’illustre et qu’opère le sujet anorexique ».

Car, comme le dit JCS, si la mère demeure incastrable – càd si elle est trop prise dans la jouissance Autre, celle qui désubjective – alors le ravage se déploieCe que JCS énonce ainsi : « La mère ravage quand elle ne peut faire l’objet de cette disjonction entre mère et femme». L’enjeu selon JCS est que « devant l’incapacité du symbolique à dire le réel du corps dont le ravage rend compte, il s’agira de réconcilier une femme avec son sexe, quelle que soit son histoire ». Liliane et sa mère ont du travail.

Cette approche du ravage rejoint assez celui de MML qui reprend aussi la citation de Lacan dans L’Etourdit en 1973. A son sens, le mot « ravage » éclaire la difficulté que Freud avait à cerner la féminité au point d’en parler comme d’un continent noir. S’appuyant sur Lacan, elle situe le ravage entre mère et fille dans le champ du pas tout phallique et reprend ce « comme femme » de la citation de l’Etourdit. En effet, qu’est ce qu’une femme « comme femme » attend de sa mère bien plus que de son père si ce n’est de savoir comment habiter son corps ?

Car MML souligne que pour une femme, la question du corps est centrale, qu’il s’agisse d’être mère, épouse ou amante. C’est ce dont se font écho les thèmes traités par les magazines féminins qui sont autant de témoignages « sans cesse relancés sur une énigme qui fait difficulté » et qui ne sont pas à lire comme une tentative de transmission d’un savoir entre femmes. En effet, à mon sens, il faudrait même lire le ravage comme le fait même de l’impossibilité d’une transmission, car c’est dans le corps qu’il s’éprouve, selon une modalité de dénouage qui le rapproche de la folie dans le sens d’un hors phallique. Comme le dit MML : « le ravage est l’épreuve d’une impossible transmission du sexe ». Ce côté de folie, la clinique en témoigne quand il est question des relations entre mères et filles. Et ce dès le plus jeune âge comme le cas de Liliane le montre bien.

Ainsi, pour MML , je cite: « que la fille se tourne vers sa mère, ou vers une autre femme, pour trouver les repères de ce qui l’attend, qu’elle connaisse avec celle-ci une relation amoureuse torturante, passionnelle, minée par les reproches, qu’elle se sente trop ou mal aimée, qu’elle ait des curiosités sur les jouissances érotiques de sa mère comme énigmes auxquelles elle se mesure, qu’elle soit bouleversée par l’approche du corps féminin, lieu du désirable, obscène et fascinant, constitue peut-être ce dont le mot ravage fait écho ». La thèse principale de MML est de dire qu’au cœur du ravage, on trouve « l’image fascinante d’un corps de femme désirable, (qui) s’édifie à l’endroit où il n’y a ni identité sexuelle, ni transmission de traits féminins de mère à fille ».

MML donne ces quelques autres définitions du ravage : « le ravage entre fille et mère n’est pas un duel, ni le partage d’un bien, c’est l’expérience qui consiste à donner corps à la haine torturante, sourde, présente dans l’amour exclusif entre elles, par l’expression d’une agressivité directe. Le ravage se joue entre les deux femmes touchées par l’image de splendeur d’un corps de femme désiré par un homme. Il relève l’impossible harmonie de leur amour qui se heurte à l’impossible activité sexuelle entre elles ». Selon elle, sortir du ravage pour la fille, c’est s’arracher à cette emprise érotique maternelle, c’est quand cette image sera déchue. Parfois cet arrachement ne se fait pas et du coup la fille reste privée de s’accepter comme Autre et comme désirable dans la sexualité. Pour la mère il s’agira de renoncer aux plaisirs érotiques de la première enfance avec sa fille, MML évoque le nourrissage, la surveillance, l’enveloppement, la présentation de sa fille etc. Ce renoncement laisse la mère blessée.

MML : « Il arrive que la mère glisse en position de fille pour se faire réparer par sa fille du dommage qu’elle appréhende, dans une sorte de chantage à la maladie ou à la mort. Les enfants nés ou à naître, de la fille sont souvent négociés dans ce chantage ».

Exemple de ravage mère-fille.  Cas supprimé pour raison de confidentialité

 

1In L’évolution psychiatrique 2011 ; 76 (1)

2Ed Hachette, 2000

3Ed Albin Michel, 2002