De quelques difficultés rencontrées dans la clinique avec les adolescents par Ghislaine Chagourin

Préambule :

 

Cet enseignement s’inscrit dans le département de psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent de l’ALI-Provence qui est une école régionale de l’Association lacanienne internationale. Ce département a été tout récemment créé en vue de fédérer et de coordonner l’ensemble de ses séminaires d’enseignement autour de la clinique avec les enfants et les adolescents. Et ce afin de favoriser des échanges au niveau régional ou national (avec l’EPEP notamment) pour toutes celles et ceux intéressés par ces questions quelles que soient leurs pratiques auprès des enfants ou des adolescents. Vous trouverez le détail des enseignements proposés par le département sur le site de l’ALI-Provence.

 

Quel sera le fil conducteur de ce séminaire ? Plusieurs d’entre vous m’ont fait savoir leur souhait de participer à un séminaire théorico-clinique concernant les particularités et les difficultés rencontrées dans leurs diverses pratiques auprès des adolescents en institutions ou en cabinet. On va donc tenter de faire fonctionner ce séminaire comme un lieu d’enseignement psychanalytique où peuvent s’éclairer, à partir de la théorie psychanalytique, ces difficultés cliniques. Afin d’éviter un glissement vers la supervision, je propose de ne pas partir d’une présentation de cas faite par moi-même ou par l’un d’entre vous comme je l’avais plus ou moins laissé entendre dans l’argument de présentation de l’enseignement. Je pense mieux répondre à votre demande et éviter l’écueil d’une supervision « sauvage », tout en conservant la dimension clinique, en abordant le travail par quelques grandes questions concernant les adolescents et quelques repère pour une écoute analytique avec eux. Chacun pourra alors amener des vignettes cliniques, voire des cas, autour des thèmes et des questions abordés.

 

Pour ma part, sur le plan clinique, je m’en référerai à la clinique qui est la mienne, celle que je rencontre en cabinet d’une part où je pratique des cures analytiques et surtout celle que je rencontre aux urgences pédiatriques de la Timone d’autre part. Un mot sur les urgences pédiatriques : il s’agit d’un service d’urgences médico-chirurgicales pour les enfants de 0 à 15 ans 3 mois, théoriquement, depuis peu, les urgences doivent aussi pouvoir accueillir des adolescents plus âgés (jusqu’à 18 ans) quand il n’est pas souhaitable que leur prise en charge se fasse par les urgences adultes ou par la psychiatrie (TS notamment).

 

 

 

Si les urgences pédiatriques n’ont pas pour vocation d’être un lieu d’adresse psychiatrique, psychologique ou psychanalytique on note que depuis 10 ans déjà – je n’y suis pas pour rien – une équipe de pédopsychiatrie de liaison peut être sollicitée par les pédiatres. Son rôle est d’indiquer un éventuel traitement et la nécessité ou non d’une hospitalisation en service pédiatrique ou autre puis d’organiser un suivi post hospitalisation ou post urgences. J’y ai pour  ma part créé une activité de consultations post urgences où j’assure des entretiens ponctuels ou des suivis pour les patients passés par les urgences et adressés par les pédiatres ou les internes, je suis aussi sollicitée pour des entretiens dans le cadre de l’urgence de la même façon que les pédopsychiatres sauf pour la partie traitement médicamenteux bien sûr. Les urgences sont donc un lieu de clinique de l’adolescent un  peu particulier car l’adresse initiale, qui est souvent celle des parents ou du social, s’y fait avant tout à la médecine et à la chirurgie et à moindre niveau à la pédopsychiatrie et à la psychologie, encore moins à la psychanalyse.

 

Pourtant, les urgences donnent un vaste aperçu de la psychopathologique adolescente car elles reçoivent les ados présentant divers signes ou symptômes engageant leur corps, relevant de la médecine ou de la chirurgie – ou ni l’un, ni l’autre – mais n’étant jamais sans lien avec le psychisme. Ainsi, un  part importante de ma consultation, concerne des ados ou préados, souvent des filles, mais pas seulement, venus aux urgences pour une crise de spasmophilie ou d’angoisse, pour un malaise  hypoglycémique ou une atteinte fonctionnelle sans lésion ou pathologie organique ou se plaignant de douleurs diverses non fondées sur le plan médical ou encore ayant été blessés ou choqués suite à de la violence agie ou subie. Les entretiens menés dans le cadre de l’urgence concernent des plaintes initiales plus variées : TS, conflits familiaux, violence, fugue, intoxication alcoolique, dépression, addiction à l’ordinateur, délire, inhibition etc. On note toutefois la constance de l’engagement du corps et la fréquence des mises en acte que nous aurons l’occasion de spécifier notamment avec les travaux de J.M. Forget. Mais d’ores et déjà je peux dire que cliniquement, ce sont autant de manifestations qui marquent, comme le dit J.M. Forget, « le désarroi d’un sujet en mal de reconnaissance » [1]et que ce n’est jamais un hasard si ça passe par le corps. Ce qui m’amène à me demander si l’enjeu de la clinique avec les adolescents n’est pas sous tendu par ce qui sous tend l’enjeu de la pratique psychanalytique à savoir rendre possible que du sujet advienne ! Toute la question étant de savoir pourquoi cette subjectivation semble si problématique  et de repérer quelles sont les conditions pour que cela cesse de passer par le corps et puisse passer par le transfert?

 

Sur le plan pratique, je vais vous laisser la parole pour exprimer les difficultés  que vous même rencontrez avec les adolescents mais avant je vais vous préciser un peu plus ce qui me fait personnellement question dans la clinique avec les adolescents :

 

1erécueil : celui du contexte de société dans lequel nous vivons. Quels sont les liens entre les symptômes des adolescents et les discours qui organisent la société néo-libérale d’aujourd’hui ? En d’autres termes comment prendre cette dimension collective en compte sans réduire le symptôme de l’ado à un comportement ou à un mimétisme et sans aller dans le sens d’une désubjectivation de type : « elle est devenue anorexique parce que les magazines donnent à voir des mannequins squelettiques » ? Ou encore, « il est violent à force de voir de la violence à la TV » ? Comment sortir de ces relations simplistes de cause à effet sans nier le lien ? C’est là qu’une pratique aux urgences n’est pas inintéressante car ce qui fait « urgence » pour les adolescents ou pour leurs parents semble être révélateur de ce qui sous tend le malaise de la société dans laquelle vivent les adolescents et où ils tentent de s’inscrire: corps souffrant et sans sujet, consommations anarchiques et excessives de produits, violences diverses faites à soi même ou à l’autre, dépression, …. entre autres.

 

2ème écueil: celui que représente les parents ou les éducateurs ! Faut-il les prendre en compte dans la prise en charge et si oui, comment et pourquoi ? Il m’arrive assez fréquemment de me dire que ce n’est pas tant l’adolescent qui devrait s’engager dans un travail mais plutôt sa mère et/ou son père, ou encore l’institution à laquelle il a été confié.  Et….ce n’est pas sans effet quand cela se produit !

 

3ème écueil: celui du transfert. Est-il toujours possible et à quelles conditions ? De quels outils dispose t-on pour mener la cure ? Comment ne pas tomber dans le social ou l’éducatif ou au contraire comment s’y tenir sans compromettre la subjectivation ?

 

Afin d’élaborer sur le plan théorique, nous nous référerons bien sûr à Freud et à Lacan et à leurs successeurs comme Ch. Melman, J.M. Forget, J.J. Rassial, J. Bergès et G. Balbo et quelques autres. En appui sur la clinique et en analysant la structure des ouvrages écrits par ces psychanalystes, je vous propose d’aborder quelques grandes questions cliniques et quelques outils théoriques au fil de ces 4 séances que j’ai découpées ainsi.

 

 

 

 

–          La récente notion d’adolescence et son lien au contexte social actuel, avec comme outils , la NEP (et la construction du lien social (prévalence du narcissisme et sa fragilité ?).

 

–          la question du corps et de la sexualité avec comme outils, le stade du miroir, le NDP, la question du féminin, la construction de la subjectivité.

 

–          La question des mises en acte de l’adolescent : inhibition, opposition, acting out, symptôme out, passage à l’acte, l’angoisse, la dépression. Avec comme outil la distinction entre perversion et perversités. Ce qui s’en déduit des modalités d’écoute des adolescents et de leurs parents avec la question du transfert et de la direction de la cure.

 

–          La question de l’addiction, de l’anorexie et de la délinquance avec comme outils, le rapport à l’Autre, à l’autre, à l’objet à la jouissance.

 

A vous de parler ! Quelles sont les difficultés que vous rencontrez et qui voudrait s’engager pour apporter une ou plusieurs vignettes cliniques selon chacun des thèmes proposés ?

 

L’enjeu psychique de l’adolescence

 

L’adolescence est avant tout à prendre au sérieux pour ce qu’il s’y  joue au niveau du psychisme. Dans un registre très réducteur et néantisant, on entend souvent dire « il fait sa crise », « c’est de son âge ! »  ou « il faut que jeunesse se passe » ce qui témoigne d’une profonde méconnaissance des enjeux psychiques de l’adolescence. On peut en donner quelques définitions qui se rejoignent desquelles je partirais:

 

J.M. Forget : « l’adolescence (…) est un temps où le sujet est contraint à articuler la sexualité envahissante de sa puberté à ce qui sert d’assise à sa subjectivité. (…) C’est un temps de mise en jeu de sa subjectivité »[2].

C. Tyszler : “ L’adolescence est un temps logique, où vont se déployer les différentes modalités mises en jeu dans le nom du père. (..) L’adolescence vise à remobiliser la métaphore paternelle ”[3].

Ch. Melman : “Maturité sexuelle frappée d’incapacité sociale, voilà qui pourrait définir l’âge de l’adolescence ou du moins ce que nous appelons ainsi ” [4].

 

Adolescence, société et  lien social:

 

Beaucoup d’auteurs psychanalystes s’accordent à dire que l’adolescence est un temps de passage, une sortie de l’enfance, dont les caractéristiques sont en lien avec l’évolution de notre culture. C’est un phénomène récent, un fait de société, qui est apparu au milieu du 19ème siècle[5] avec le déclin de l’autorité paternelle et de la transmission patrimoniale puis la généralisation de la scolarisation avec la révolution industrielle. Aujourd’hui du fait du développement explosif de la science et de l’économie libérale de marché c’est un phénomène qui se modifie, nous y reviendrons avec la NEP et Ch. Melman. Mais ce qui s’est passé à partir du 19ème siècle fait que contrairement à ce qui se passait avant, la maturité sexuelle ne coïncide plus avec la responsabilité, l’autonomie et le statut d’adulte. L’adolescence c’est l’écart entre les deux. J.M. Forget dit même que « c’est la société qui crée l’adolescence du sujet pubère »[6], ou encore : « l’adolescence est un effet de la société, et du frein de celle-ci à ce que le sujet ait un libre accès à sa sexualité »[7]Il me semble qu’il faut entendre que si c’est la société qui fait l’adolescence cela ne veut pas dire que c’est une maladie même si on constate souvent que les symptômes des ados sont aussi ceux de la société : rapport à l’image, à l’argent, à l’objet, à l’autre, au corps, au sexe etc. Par ailleurs il ne faut pas confondre « libre accès à la sexualité » et consommation d’un sexuel devenu marchandise.

 

Aujourd’hui, l’adolescence se situe entre 10 et 20 ans mais parfois plus et représente un période de plus en plus importante de l’histoire individuelle. Au-delà du malaise individuel qu’elle suscite souvent, elle provoque parfois le malaise collectif – cf des événements comme colombine ou les meurtres perpétrés en bande par des adolescents sur d’autres adolescents.

 

Dans la grande majorité des cas, elle provoque d’ailleurs surtout le malaise des parents.  Au point que G. Balbo a pu dire : “ j’appelle crise d’adolescence le traumatisme par lequel des parents sont brusquement privés, par leur enfant, des symptômes qu’à son insu celui-ci entretenait pour leur compte, afin de leur permettre de n’avoir pas à être confrontés à leur propre vérité ”[8].

 

 

 

 

L’adolescence est ainsi ce temps de construction du lien social. S. Lesourd  développe que l’adolescence est ce passage où il va s’agir de s’inscrire dans un lien social sous un signifiant partiellement autre que celui sous lequel l’enfant l’était dans le roman familial. L’adolescent, fille ou garçon, va devoir découvrir un signifiant qui le représente dans le social[9]. Pour cela, il faudra qu’il reconnaisse la place symbolique du phallus et qu’il rencontre le féminin en soi, cela est vrai pour les deux sexes. Il me semble que ceci est aujourd’hui complexifié par le fait que dans le social la valeur primordiale du phallus n’est plus soutenue ce qui peut faire croire à l’adolescent comme à l’adolescente que le phallus lui même n’est qu’un leurre et n’est pas symbolique alors même que ce n’est que par la destitution du phallus imaginaire de l’enfance qu’ils vont être confrontés à la jouissance Autre et à la position féminine. Jean Christophe Brunat dans son article le cours du phallus avance que « le phallus n’est plus en position d’exception, le seul à organiser notre social. Nous voilà passés d’une société toute phallique à une société pas toute »[10]Cliniquement on peut rendre compte des difficultés des ados à trouver ce signifiant qui les représente dans le social à travers les quêtes identitaires comme « metrosexual », « hubersex », etc.

 

De son côté, voici plus de 10 ans que Ch. Melman nous parle d’une NEP. Il s’agit de l’émergence d’une Nouvelle Economie Psychique liée au développement du néo-libéralisme et de l’échangisme globalisés : « cette NEP, c’est l’idéologie de marché » précise Melman. Il dit que notre culture qui au préalable était fondée sur le refoulement du sexuel et du pulsionnel – ce qui la rendait très névrotique – est aujourd’hui organisée autour de la jouissance de l’objet, notamment d’objets réels. Pourquoi ne pas considérer cela comme un progrès après tout ?! On peut se dire qu’un peu moins de refoulement du sexuel c’est pas mal, mais le souci c’est que la jouissance de l’objet dont il est question est une jouissance qui n’est plus limitée par la castration, par le symbolique, ce qui veut dire qu’elle est sans limite et sans fin. Melman nous dit que de ce fait, notre culture  promeut de plus en plus la perversion, une perversion « ordinaire », au sens d’un « état de dépendance à l’endroit d’un objet dont la saisie réelle ou imaginaire assure la jouissance »[11]Cette Nouvelle Economie Psychique joue donc sur la subjectivation et la rend plus difficile car ce n’est plus le désir qui y préside mais une jouissance sans limite ce qui produit un sujet non responsable mais à qui tout est dû ou qui se pose en victime en droit de réparation quand il n’est pas satisfait quant à la jouissance.

 

 

 

Dans ce contexte, si on pose que l’adolescence est le passage au cours duquel le sujet passe de l’enfance à l’âge adulte, cela n’est pas sans faire problème car si être adulte c’est quand un sujet occupe sa place de sujet dans le social et assume son désir et sa position sexuée alors on conçoit que l’adolescence  s’éternise et que les adolescents aient de plus en plus de mal à se trouver comme sujets et se maintiennent en position d’enfants. Melman et Lebrun parlent d’une « carence de la dimension subjective ou de carence en symbolisation donc de carences concernant la dette symbolique à l’égard de l’Autre » et donc d’un désarrimage des jouissances eu égard au phallique. Ce qui les rend indépendantes et anarchiques, encore organisées sur le mode de jouissances pulsionnelles infantiles. J.M. Forget ne dit pas autre chose, quand il écrit, je le cite : «  les points de souffrance de l’adolescence se situent souvent dans une expérience de contradiction entre la dimension symbolique réintroduite par la référence au désir sexuel – où ce que vise l’adolescent dans le désir est insaisissable -, et la logique d’une économie où ce qu’il cherche serait accessible à condition d’y mettre le prix »[12].

 

Sur le plan clinique, cela rend assez bien compte de ce qui se passe pour nombre d’ados à qui tout semble dû ou qui sont pris dans des modalités addictives aux marques, aux jeux vidéos, à l’ordinateur, à certaines drogues etc.  Cela rend aussi compte de l’incapacité dans laquelle sont nombre de parents pour dire « non » à leurs enfants et leurs ados, pour leur mettre des limites.

 


[1] J.M. Forget, l’Adolescent face à ses actes…et aux autres, Erès, 2005, p.8

[2] J.M. Forget, l’Adolescent face à ses actes…et aux autres, Erès, 2005, p.21

[3] C. TYSZLER , Adolescences…ou la remise en jeu de la métaphore paternelle, in Journal Français de Psychiatrie N° 9 Adolescences imprévisibles, 1erTrimestre 2001

[4] C. MELMAN, Artifices, in Journal Français de Psychiatrie N° 9 Adolescences imprévisibles, 1erTrimestre 2001

[5]P. Huerre, in JPF N° 14 P. 6

[6] J.M. Forget, l’Adolescent face à ses actes…et aux autres, Erès, 2005, p. 9

[7] J.M. Forget, l’Adolescent face à ses actes…et aux autres, Erès, 2005, p. 120

[8] G . BALBO, La crise d’adolescence aujourd’hui, in Journal Français de Psychiatrie N° 9 Adolescences imprévisibles, 1erTrimestre 2001

[9] S. Lesourd, Adolescences…Rencontre du féminin, Erès, 1997, 2009

[10] Jean Christophe Brunat, Le cours du phallus, article paru sur site internet de l’ALI

[11] Ch. Melman, L’Homme sans gravité, jouir à tout prix,

[12] J.M. Forget, ces ados qui nous prennent la tête, Ed. Fleurus, 1999

 

Les mises en acte des adolescents comme mises en scène de la défaillance symbolique actuelle – par Ghislaine Chagourin

 

Séminaire clinique de l’adolescent, Séance du 19 mars 2012

Pour cette séance, je me suis appuyée sur le livre de JM Forget : L’adolescent face à ses actes….et aux autres. 3 constatations cliniques pour démarrer : Montre à quel pointles ados sont perméables au monde  qui les entoure et peuvent s’en faire les révélateurs.

 

1/ au niveau collectif, on entend beaucoup parler au sujet des ados de comportements à risque, de conduites addictives (au point qu’il existe des mots pour spécifier ceux « accros » de diverses façon aux jeux vidéo sur internet : les geek, les nerd, les nolife [1] etc), de troubles du comportement alimentaire ou sexuel, de TS pour tentative de suicide, de délinquance ou de violence (qui désignent toujours des écarts de comportements à la loi ou à la norme sociale). La psychanalyse nous a appris qu’un signifiant c’est ce qui représente un sujet pour un autre signifiant. On entend bien que tous ces signifiants réduisent le sujet à son comportement, sa conduite ou son geste, élidant ainsi la question de la subjectivité. D’où mon titre qui renvoie à des mises en acte qui est une expression que j’ai emprunté à JM Forget. Je vais y revenir.

 

2/ 2ème Constatation qui  me vient de ma pratique aux urgences pédiatriques : Bien sûr, quand un ado est en crise et se retrouve aux urgences – que la crise soit la sienne ou celle des parents – il y a toujours à interroger le lien avec son contexte familial et/ou affectif et/ou scolaire et/ou institutionnel sans le réduire à une relation de cause à effet. Mais prioritairement, c’est son rapport à ses parents ou à l’institution à laquelle il est confié qui est en jeu. Le plus couramment – banalement – pathogène étant bien sûr les conflits et les situations générés par le divorce ou la séparation des parents mais aussi les modalités éducatives et la façon dont l’ado est pris en compte, ou pas, par ses parents ou ses éducateurs.

 

 

3/ 3ème constatation qui découle de la seconde, dans ma pratique aux urgences, il m’est rapidement apparu impossible de ne pas prendre en compte les parents des ados, même quand l’adolescent est « grand » et ce selon des modalités adaptées à chaque cas car je ne peux en aucun cas me référer à une modalité de prise en charge identique pour tous les adolescents et ce pour des raisons purement cliniques et de structure.  Ainsi, seule la psychanalyse aide à repérer la position qu’il faut occuper vis à vis de l’ado ou des parents et sa compatibilité ou pas avec une offre d’un suivi. Par exemple, dans des cas de TS, il est arrivé que mon intervention aux urgences consiste uniquement à faire se déplacer les parents, au sens propre comme au sens figuré, afin de sortir l’ado de l’urgence  – au sens propre comme au sens figuré là aussi – et afin de pouvoir nommer ce qui fait crise et pour qui, et d’indiquer un mode de prise en charge post urgences car la position que j’ai occupée rend difficile tout suivi de l’ado ou des parents. Ou, au contraire, je propose un suivi à l’adolescent après avoir rencontré son ou ses parents. D’autres fois, je n’entends que l’adolescent  au départ puis par la suite, quand l’ado est prêt et y consent, je rencontre son ou ses parents. Enfin, il n’est pas rare que quelques séances suffisent pour dénouer une situation de crise ou de deuil.

 

Exemple : cette adolescente de 12 ans venue aux urgences suite à une série de crises de spasmophilie se manifestant par une difficulté respiratoire et des engourdissements aux jambes et aux mains qui la mettent au bord de l’écroulement, ce qui a fait symptôme pour ses parents et l’école qui a appelé les pompiers. Il y a quelques mois, elle a perdu son ami d’enfance, qu’elle considérait comme un grand frère. Il a eu un accident de scooter devant ses yeux. Elle l’a vu se faire faucher par une voiture alors qu’il venait de tomber de scooter. L’image de son ami s’écroulant devant ses yeux continue de la hanter. Les manifestations de ces crises d’angoisse donnent à voir ce qu’elle ne peut dire : L’angoisse de mort et la culpabilité de ne pas l’avoir empêché de partir faire une course avec son scooter et surtout la difficulté à faire ce deuil. Elle ne peut pas parler de sa peine à ses parents, encore moins à son père par peur de le peiner. Car cette perte renvoie a un accident de moto qu’a eu le père. C’est lui qui conduisait et son copain assis derrière lui sur la moto est décédé lors de cet accident survenu quand il était jeune homme. Après quelques entretiens qui semble t-il lui ont fourni les appuis symboliques nécessaires, les malaises ont cessé et elle a pu reprendre à son compte le deuil à faire. J’ai rencontré le papa en présence de sa fille, il était très inquiet de voir que sa fille ne lui parlait pas et le lui a dit. Sa  fille a toujours refusé que je parle avec lui de son deuil à lui, arguant que c’est elle qui évoquera cette question avec lui. Ce que j’ai respecté.

 

 

Dans son ouvrage, JMF se donne comme objectif de rendre lisibles les actes des adolescents qu’il tient pour être toujours adressés à l’instance sociale à travers ceux qui la représentent qu’il s’agisse des parents ou de travailleurs sociaux. C’est original puisque d’habitude, la psychanalyse aborde l’acte en terme de ce qui n’est plus analysable ou relève d’une erreur de l’analyste. Il semble donc s’adresser aux parents mais également aux travailleurs sociaux en charge d’adolescents afin que tout un chacun soit éclairé sur sa position propre vis à vis de l’adolescent. D’après lui, ces actes peuvent être analysés comme des symptômes qui ne sont pas sans lien avec les conditions de leur surgissement. Ces conditions éclairent le pourquoi de la tonalité perverse de ces actes car elles sont liées à ce dont nous avons parlé lors des précédentes séances et qui ont trait à l’évolution de notre culture vers une économie de marché (financier) qui donne lieu à une Nouvelle Economie Psychique dominée par la jouissance de l’objet, ce qui promeut une perversion ordinaire généralisée. Comme nous l’avons vu, ce contexte rend plus compliquée le travail de subjectivation à l’œuvre lors du passage adolescent et de surcroît, comme le dit JMF : « certaines formes de mises en acte témoignent du défaut de prise en compte de sa subjectivité par les autres qui l’entourent ».

 

Ces actes d’adolescents, JMF les appelle donc des mises en acte. Il prend soin de distinguer l’acte des mises en acte.   Ainsi, il rappelle qu’ « un acte, s’il est véritable, est un pas, un franchissement qui engage le sujet dans une affirmation, une orientation, un choix » (p. 13), dans l’acte véritable dit-il encore, « le sujet engage un trait inconscient de lui-même. Il perçoit dans l’après-coup la conséquence de son acte, s’y retrouvant ou non. Ce trait de lui-même reste inconscient, sauf à l’élucider dans un travail psychanalytique » (p 44). Il y a 3 temps de l’acte : le temps d’incertitude (j’y vais, j’y vais pas), le temps de l’acte proprement dit et finalement le temps où le sujet se retrouve dans ses choix ou non. Dans le 3ème temps, le sujet est différent de ce qu’il était initialement.

 

Voilà qui est posé, un acte emporte avec lui la question de l’inconscient et celle du sujet. Pour que ce type d’ace puisse avoir lieu l’entourage de l’ado doit lui en laisser la possibilité quoiqu’il lui en coûte. C’est par exemple pour un ado le fait de se mettre au travail en vue d’exercer tel métier, qu’il s’agisse de poursuivre des études ou au contraire de les arrêter pour entrer dans la vie professionnelle. Le choix du  métier est souvent déterminé inconsciemment tout comme l’est celui de poursuivre ou pas des études. Pb aujourd’hui, cette dimension inconsciente est déniée, récusée et le choix du métier semble se réduire à ce qu’il faut choisir en fonction de critères objectifs et non plus subjectifs. Les parents se posent donc souvent en frein quant aux décisions des ados.

 

Voici l’exemple d’un choix amoureux incestueux (acte incestueux) qui relève d’actes qui engagent le sujet même si c’est à son insu. Cet ado français choisit une Daniela italienne comme 1ère petite amie, alors que Danielle est le prénom de sa mère dont il est très, trop, proche et ce d’autant plus qu’il porte un prénom très proche de celui de son père. Avec Daniela il ne  parle qu’italien comme si seule la langue faisait rempart à l’inceste. Puis il finit par épouser une Dioni brésilienne (dont la mère s’appelle Diva) avec qui il parle italien au début puis français et brésilien lors de la venue d’un 2ème enfant. Ce 2ème enfant sera psychotique (passé pas loin de l’autisme) alors que le 1ère enfant ne l’ai pas. Quand il a été conçu ils parlaient encore tous les deux dans une autre langue que leurs langues maternelles respectives.

 

Ce qui distingue les mises en acte des actes véritables selon JMF c’est qu’elles n’engagent pas le sujet. Elles sont souvent révélatrices des freins exercés par l’entourage ou des freins que l’ado rencontrent de son fait à lui. Pour JMF, « l’enjeu de ces mises en acte est toujours vital pour l’ado et marque le désarroi d’un sujet en mal de reconnaissance » (p. 8)

 

JMF identifie 4 types symptomatiques de mises en acte qui ne doivent en aucun cas être réduites à des troubles du comportement. Pour chacune, il en définit la logique, ce qu’elle révèle du rapport du sujet à l’Autre et il en déduit la façon de se positionner face à l’adolescent et à ses parents. Ces 4 mises en acte sont L’inhibition, l’opposition, l’acting out, le passage à l’acte. A ces mises en acte, il rajoute deux autres manifestations cliniques fréquentes de nos jours : le symptôme out, les perversités et la dépression. Qui sont autant de manifestations qui viennent dire l’élision du trait signifiant phallique.

 

1/ l’inhibition

 

Il s’agit là de s’abstenir de l’acte. A la suite de Freud, JMF rappelle que « l’inhibition d’une fonction témoigne de l’ érotisation dont elle est chargée dans l’imaginaire du sujet ». C’est une modalité qui va à l’encontre de ce qui se joue dans le social actuel qui pousse plutôt à la levée de l’inhibition mais que l’on rencontre encore chez les ados.

 

J’ai en tête cet adolescent que j’ai commencé à suivre alors qu’il avait 13 ans. Maximien souffrait de céphalées qui survenaient tous les matins avant de partir à l’école. Seules ces céphalées font symptôme pour la mère et pour lui. Maximien, qui fait plus âgé que son âge, se présente comme un jeune homme et un élève très sérieux, très sage, très raisonnable, très poli, il rit, sourit et parle  très peu et seulement de son travail scolaire et de ses résultats, il n’a pas d’amis, ne sort pas et ne s’accorde aucune distraction. Chez lui, c’est la fonction sociale qui était inhibée et cela a mis un certain temps à faire symptôme pour lui.  Tout au plus reconnaissait-il qu’il était un peu trop « stressé » par le travail scolaire auquel il accordait une grande importance. Il n’allait pas vers les autres car ces autres, notamment les filles, pouvaient susciter un désir chez lui et le pousser à « quitter » sa mère qui vit seule et recluse avec lui et vis à vis de qui il se positionnait comme celui qui devait racheter le père qui était parti alors que son fils était très jeune et qui avait laissé sa mère sans ressources ce qui l’obligeait à travailler beaucoup. Maximien se faisait un devoir de ne pas quitter sa mère et de s’en faire le protecteur, le consolateur et le confident. Il ne voulait la décevoir en aucun point ce qui incluait ses résultats scolaires puisque celle-ci est enseignante.

 

JMF indique que le danger quand l’ado s’abstient de l’acte c’est que l’entourage y réagisse soit par le forçage ce qui le fige un peu plus soit en se substituant à lui et en prenant à sa place des initiatives ce qui peut générer des réactions violentes de l’adolescent. Il faudra donc rencontrer les parents pour éviter cela. Dans cette occurrence, il recommande de solliciter l’ado de manière active en l’interrogeant sur lui-même, sur ses projets, ses embarras et sur ses liens aux autres. Le but étant qu’il prenne une position de sujet. Maximilien a aujourd’hui plus de 15 ans, il m’a fallu effectivement mouiller mes chemises pour stimuler Maximien et pour qu’il consente à laisser se manifester son désir.  Cela n’ a pu se faire non plus sans rencontrer périodiquement la mère afin qu’elle puisse devant Maxime prendre sa part de responsabilité tout en étant assurée de mon estime et du respect que j’ai de sa position en tant que mère. Par ailleurs, je l’ai enjointe à laisser Maxime prendre seul ses décisions en pointant à l’occasion qu’elle disait toujours « on » quand elle parlait de Maxime et en l’assurant de ma confiance dans la capacité de Maxime à se déterminer car elle se substituait beaucoup à lui.

 

Donc dans l’inhibition, le sujet est en retrait d’une manifestation inconsciente.

 

2/ l’opposition

 

C’est une mise en acte qui consiste à « faire obstacle à…. Objection à », cela se produit quand l’adolescent est pris dans une impasse imaginaire en lien avec la constitution de son narcissisme. L’opposition revêt ainsi une consistance paranoïaque. « L’opposition révèle le refus de l’ado de se plier à l’exigence d’un autre dont il suppose qu’elle vise à le réduire à l’identique ». En d’autres termes, l’opposition est l’indice que l’adolescent « souffre d’être l’objet de l’autre ». C’est souvent le cas quand l’adulte en charge de l’adolescent s’en tient exclusivement à de l’éducatif ce qui élude la subjectivité de l’ado. (éducatif : exige une reproduction à l’identique de la prestance imaginaire de l’autre).

 

Je pense à cette jeune fille de moins de 15 ans qui arrive aux urgences pour une TS médicamenteuse faite à l’école pendant la classe. Ce n’est pas du tout sérieux sur le plan médical fort heureusement mais à y regarder de plus près c’est beaucoup plus embêtant sur ce que ça emporte psychiquement. La veille, elle avait pris des médicaments dans la pharmacie de sa mère qui l’avait vu faire, et qui dans un registre strictement éducatif l’en avait empêchée en lui disant que c’était interdit de prendre des médicaments sans autorisation (sic !) sans l’interroger sur le pourquoi de cet acte. Dès que sa mère a tourné le dos, l’ado est allée prendre les médicaments et les a ingérés le lendemain en classe devant les copines. En fait, cette jeune fille venait de vivre une rupture douloureuse avec son petit ami. Bien sûr ses parents n’étaient pas au courant de cette relation car ils considéraient que leur fille était trop jeune pour cela aussi il lui avait été impossible de leur en parler. Toujours dans un souci éducatif, ses parents lui interdisait aussi de « chatter » sur internet avec ses copines qui étaient selon elle les seules à pouvoir la comprendre et la consoler de ce chagrin.

 

Cette jeune fille se défendait à son détriment d’être porteuse des rêves de ses parents en étant une petite fille selon leur modèle à eux. On peut considérer que la relation amoureuse  puis le fait de prendre des médicaments dans la pharmacie devant la mère sont du registre de l’opposition en réponse au positionnement très éducatif de ses parents qui élude sa subjectivité de jeune fille moderne. Quant à l’ingestion de médicaments en public elle est à considérer comme une surenchère en lien avec la surdité des parents qui relève de l’acting out ou un symptôme out dont nous allons parler ensuite.  Pour stopper cette surenchère et éviter que cela vire au passage à l’acte, il fallait resubjectiver cette jeune fille et faire bouger les parents pour que cesse la logique mortifère à l’œuvre sous couvert de bonne éducation. J’ai donc choisi d’écouter cette jeune fille en tout premier lieu. Après m’avoir exposé la situation, elle m’a dit qu’elle n’avait pas voulu mourir mais se soulager de sa peine. Tout le travail a consisté à ce que le dialogue se renoue entre elle et ses parents. Une fois qu’elle y a consenti, j’ai parlé longuement aux parents qui hésitaient entre l’incompréhension et la colère. JMF recommande une rencontre initiale avec eux pour désamorcer l’impasse dans laquelle se trouve pris l’ado et ses parents puis des rencontres répétées avec les parents et des entretiens individuels avec l’ado.

 

Donc dans l’opposition, le sujet s’étaye sur les initiatives de l’autre et non en fonction de son désir.

 

3/ l’acting out

 

Tout de suite un cas clinique emprunté à JMF : C’est l’ado qui va voler le haschich de son père après que celui ci l’ait amené consulter le psy pour un échec scolaire et une inhibition. Il dévoile ainsi l’économie de jouissance du père (haschich = recours à la parole en défaut + défaillance symbolique du père). Là la mise en scène = vol à l’égard de son père.

 

JMF définit cette mise en acte comme une  mise en scène « d’un trait de son identité » dont l’ado ne veut rien savoir et dont il lui est impossible de dire quoique ce soit. C’est donc la mise en scène « d’une parole  récusée » et dans ce sens, il  y a récusation de la portée symbolique de l’acte et cette récusation se rapproche d’un déni, elle témoigne d’un clivage et non d’un refoulement (je sais bien mais quand même). Dans notre société actuelle, la subjectivité en souffrance se manifeste souvent sous cette forme du fait de la structure de l’acting out qui est affine à celle qui organise nos liens sociaux dans sa dimension de récusation de la portée symbolique pour privilégier la dimension pulsionnelle de l’objet (perversion généralisée). Par ailleurs, les interlocuteurs ont de plus en plus de mal à occuper une position symbolique.

 

Dans l’acting out, qui dit mise en scène dit spectateur, il s’agit là d’un spectateur réduit à un regard et attendu comme une instance symbolique nous dit JMF. Mais du fait de la récusation de la portée symbolique, le spectateur ne peut rien dire de ce qu’il voit sinon il risque de précipiter l’ado dans le passage à l’acte. Quand un ado se manifeste dans ce qui est un acting out, il y a toujours à supposer que celui à qui il s’adresse est défaillant dans sa structure ou dans sa fonction symbolique (Dans la cure, quand le patient fait un acting out, il faut chercher l’erreur de l’analyste mais c’est dans 1 registre différent : dans la cure il s’agit d’une  mise en scène de ce que l’analyste n’a pas entendu). Du côté de l’ado, cela vient dire à quel point chez les ados la frontière entre l’autre et l’Autre est fragile. La subjectivité de l’ado vient emprunter à l’assise symbolique des petits autres pour s’affirmer. Cela dénote un défaut du rapport du sujet à l’Autre comme c’est le cas dans le monde actuel. Donc la mise en scène de l’acting out s’adresse à une instance Autre et non à un semblable mais par le biais du regard ce qui l’imaginarise. La question de l’acting out pose aussi la question du transfert : il ne faudra pas interpréter ou décoder cette mise en acte avant la mise en place du transfert. Quand les proches saisissent le sens de la mise en scène et tentent de réparer cela peut précipiter l’ado dans le passage à l’acte ou l’acte suicidaire. C’est aussi pourquoi la mise en place du transfert  passe parfois par l’entourage et qu’il faudra l’inclure dans la prise en charge.

 

Donc l’acting out, « articule le trait inconscient de l’objet dont le sujet ne veut rien savoir, à la mise en scène du trait de sa division, alors qu’il ne peut y trouver une légitimité pour sa parole ».

 

JMF recommande à la fois un travail individuel et des rencontres répétées avec les parents afin de préserver l’ado des propres mises en acte des parents (forçage symbolique : ex, dire que leur séparation n’en est pas une, dire que l’enfant est pris en otage ou passé à la trappe etc). Quand l’ado parvient à compter sur lui même, les entretiens avec les parents ne sont plus  nécessaires.

 

3/ le passage à l’acte

 

Dans cette mise en acte, « le sujet s’éjecte d’une place qui lui est insupportable, où sa qualité de sujet, la liberté qu’il puisse engager une parole, ne lui est pas possible ». Je vous renvoie au cas de cette jeune fille qui a commencé par une mise en acte d’opposition et a fini par un passage à l’acte.

 

Ce genre de situation où la parole n’est plus possible est fort courante notamment quand « les parents confondent l’ado avec l’objet de leur jouissance, (quand) ce dernier présentifie un tel objet ». (p34). Le passage à l’acte est soit la conséquence logique d’une série d’acting out, soit résulte du désespoir de se trouver identifié au réel de l’objet, soit le fait d’un sujet pervers qui suscite ainsi l’angoisse du petit autre mis en place d’instance Autre, soit le fait de toxicomanes en lieu et place de répétition.

 

Exemple clinique : C’est un ado de 17 ans qui s’est pendu. Ses parents sont des « nolife » du commerce. Plus particulièrement le père qui du coup ne fait pas de place à sa femme en tant que cause de son désir. L’objet de  la jouissance du père est son commerce et la reconnaissance sociale que pourrait lui valoir une réussite financière. Du coup sa femme ne peut que travailler avec lui et pour lui, ce qui fait que leur lien est fondé sur un trait positivé : le commerce, l’argent, la reconnaissance sociale. Donc pas de différence de places sexuées dans ce couple qui fonctionne à l’économie de jouissance. Ce passage à l’acte fait suite à une mise en acte qui relève de l’acting out : il tente de rencontrer des filles par le biais d’internet, il y dévoile des photos de lui nu (aménagement pervers de sa sexualité en réponse à la perversité du couple parental) et découvre avec effroi que celle a qui étaient adressées ces photos est en fait un homme qui va faire circuler les photos sur la toile. Mise en scène du défaut de recours à la parole de la tonalité perverse de la jouissance parentale. Les parents et l’ado vont déposer une plainte mais faute de temps les parents ne changent rien à leur emploi du temps et à leur mode de fonctionnement de couple et rien n’est proposé à cet ado comme prise en charge afin qu’il puisse avoir un recours à la parole. Son passage à l’acte est la mise en scène de la modalité « nolife » de ses parents (ils sont eux mêmes morts au désir) en venant présentifier dans le réel la perte de jouissance qu’ils récusent.

 

Donc le passage à l’acte, « marque le désarroi extrême du sujet quand l’autre ne lui ménage aucune place ni aucune possibilité d’exister ».

 

JMF recommande un travail avec les parents notamment quand ils sont dans une économie de groupe. Et l’ado doit être adressé ailleurs.

 

4/ le symptôme out

 

C’est une structure proche de l’acting out, c’est un symptôme dont le sujet n’assume pas le réel de la douleur. C’est donc l’indice d’un symptôme qui a du mal à se structurer. C’est par exemple une dépression récusée : l’ado maintiendra mordicus qu’il va bien alors même que toutes les manifestations de la dépression sont là et ses effets : par exemple l’échec scolaire comme mise en scène d’une dépression récusée. Dans la symptôme out, la mise en scène porte sur un trait imaginaire et non pas réel comme dans l’acting out. C’est une mise en scène de l’objet de la perte en lien avec la défaillance symbolique.

 

5/ perversités

 

JMF parle de perversités car cela ne relève pas d’une structure perverse. Le pervers, c’est celui pour qui le désir et la loi sont confondus : « ce que je veux, je le prends ». Alors que quand JMF parle de perversité, il parle de manifestations qui sont l’effet du discours pervers ambiant sur l’ado. Et ce du fait que l’ado se laisse marquer par l’économie psychique de ceux qui l’entourent au point d’adopter leur aménagement pervers. Sur le plan clinique, cette adoption consiste à épouser la logique à dénoncer pour exprimer sa souffrance (identification au symptôme ? comme on parle d’identification à l’agresseur ?). C’est quand par exemple, le sujet se dit homosexuel pour dénoncer l’homosexualité du couple parental.

 

Dans notre monde actuel, l’objet de désir semble être accessible notamment à travers la consommation avec du coup une sorte de garantie de la satisfaction (je veux, je prends) du coup cela n’est pas sans effet dans les relations de couple : homme et femme sont des partenaires dans des positions identiques alternant entre consommateur ou objet de consommation, ce qui abolie la différence des sexes. S’instaure alors un rapport homosexué fondé sur un trait positivé : l’argent, la profession, le logement etc. JMF parle alors de couples-groupe (groupe car le couple se retrouve réuni à partir d’un trait positivé). Dans ces couples-groupe, l’enfant peut venir fixer le couple dans la perversion quand il en vient à représenter pour eux l’objet positivé, l’objet de jouissance (il ne représente plus le phallus symbolique, l’objet du désir). Ce qui fait que l’enfant puis l’ado vient présentifier le lien des parents, la perte qui est la visée de leur déni. Cette situation pousse l’ado à des passages à l’acte : « le sujet se précipite hors de  la scène où il est réduit à un statut d’objet » et à toutes les mises en acte dont nous venons de parler mais il est aussi exposé à des récusations et à des violences de tous ordres de la part de ses parents.

 

Dans ce contexte, il y a étouffement de la problématique névrotique de l’ado du fait d’une carence de l’articulation au signifiant phallique.

 

6/ la dépression

 

Dans la dépression, le sujet reste en retrait d’un engagement de sa subjectivité pou éluder la prise en compte d’un perte et d’un travail de deuil (comme dans le social où la perte est déniée).

 

JMF recommande un travail individuel. Mais si dépression est l’effet d’un aménagement pervers du couple parental : intervention auprès des parents (ex : vraie fausse séparation lors d’un divorce)

 

JMF souligne la particularité du transfert avec l’ado : l’acting out et le symptôme out, sont des mises en acte sont à considérer comme des « appels au transfert » selon une expression de Lacan. Il faudra laisser le temps qu’un symptôme se constitue.  Le psychanalyste doit lire « pour lui «  et « pour plus tard » le trait inconscient que l’ado montre de lui même.


  • [1] Geek : Un geek est une personne passionnée, voire obsédée, par un domaine précis. À l’origine, en anglais le terme signifiait « fada », soit une variation argotique de « fou ». D’abord péjoratif — son homographe désigne un clown de carnaval — il est maintenant revendiqué par certaines personnes.
  • Nerd : Un nerd, est un terme anglais désignant une personne à la fois socialement handicapée et passionnée par des sujets liés à la science et aux techniques. Le terme de nerd est devenu plutôt péjoratif, à la différence de geek. En effet, comparé à un geek, un nerd est plus asocial, et plus polarisé sur ses centres d’intérêts, auxquels il consacre plus de temps.
  • Nolife : le terme no-life ou sans vie en français, désigne un joueur de jeu vidéo qui consacre une très grande part, si ce n’est l’exclusivité de son temps à pratiquer sa passion au détriment d’autres activités, affectant ainsi ses relations sociales.