Charles Melman, journées sur l’hystérie masculine

Transcription des interventions de Charles Melman au cours des journées sur l’hystérie masculine en juin 2000.

Je voudrais ici rendre hommage au livre que Christiane a publié chez Flammarion sous le titre de « l’inconscient ». C’est un livre qui est donc écrit à la demande d’un éditeur, et que Christiane a accepté pour témoigner du travail fait dans notre groupe. Et tous ceux dans notre groupe, qui ont eu l’occasion de le lire, ont pu voir qu’il était exposé à la nécessité de répondre à de multiples exigences, des exigences qui tiennent assurément aussi bien du milieu, je dirais, d’où il vient, psychanalytique, la formation psychanalytique, je dirais le milieu auquel dans cette collection qui est une collection équivalente au  » que sais-je « , qu’au milieu auquel il s’adresse. Et une de ses exigences, assurément rendue insistante par l’éditeur, fut celle de la lisibilité. Ce qui, je dirais, entre autres problèmes, n’a pas manqué de faire souci et de faire question à son auteur. En effet je voudrais rapidement vous faire remarquer que la lisibilité, le problème de la lisibilité, je veux dire le fait que ce soit compréhensible pour le profane, est un problème qui est en réalité plus complexe qu’il n’y parait, puisque, s’il s’agit de comprendre, de tout comprendre, cela veut dire que du même coup il n’y a plus rien à entendre, et l’on pourrait dire que l’exigence de lisibilité, de parfaite compréhensibilité est du même coup une façon de forclore, une façon de refuser la dimension de l’inconscient, ce qui présenté comme je le fais, témoigne bien déjà de ce qui était la difficulté d’écriture d’un ouvrage comme celui-là et dont Christiane, je trouve, se sort tout à fait à son honneur. Je voudrais faire remarquer encore ceci, nous parlons très facilement de problème du nom du père, du problème du déclin du nom du père etc., mais, la fonction paternelle, y a rien à comprendre, c’est justement ce qui échappe à toute compréhension, la fonction paternelle ne repose que sur un acte de foi, sur une croyance, sur le crédit, que l’on fait ici, à quoi ? À la dimension du réel. Et donc on pourrait aussi bien dire que l’exigence scientifique de la parfaite lisibilité ou de la parfaite compréhensibilité, est aussi une certaine façon d’évacuer justement ce qu’il en est au départ au principe de la relation à ce qui ne peut que se donner à entendre, c’est à dire la relation au père.

Alors l’inconscient ? Ce serait après tout un exercice peut-être salutaire si on demandait ici à chacun d’entre nous de se risquer et de savoir ce que devant sa page blanche il viendrait raconter, il viendrait dire sur l’inconscient, ce que c’est l’inconscient.

Le livre commence par une phrase, qui dit ceci : « Nous soutiendrons que l’inconscient est le champ inventé par la psychanalyse. » C’est une phrase comme vous le voyez, forte et qui est assez proche de ce que Lacan a pu dire, et qui néanmoins est un peu, je dirais, ne reprend pas de façon tout à fait exacte ce que Lacan a pu dire, et qui du même coup, je dirais, a le grand avantage, imaginons toujours que nous sommes chacun devant notre page blanche, a le grand avantage de nous reposer la question. L’inconscient, qui indiscutablement renvoie à une substance, renvoie à une matérialité de l’inconscient, ça ne renvoie pas à l’esprit, à l’art, ça renvoie à un support matériel. Tel croit à l’inconscient, (…) être matérialiste et pas non plus idéaliste. Mais l’inconscient, quel est son support, quelle est sa matière et en quoi pouvons-nous dire que c’est un champ inventé par la psychanalyse. Est-ce que cette première assertion si forte, est-ce que, je dirais, elle nous parait si simple ? Personnellement devant ma page, j’aurais écrit ceci : « L’inconscient, cela veut dire qu’il y a du signifiant dans le réel. »

Du signifiant, et c’est déjà une première complexité, peut-on dire « c’est du signifiant ? » Ou peut-être est-ce que c’est avant tout de la littéralité ? En tout cas dans le réel, il y a assurément de la littéralité. Et pour que cela existe pour chacun d’entre nous après tout, il n’est pas besoin d’une opération qu’on appellerait le refoulement, puisque nous savons par le travail de Lacan inaugural de ses écrits, que ce mécanisme d’évacuation dans le réel de la mère est un mécanisme relié à la physiologie propre de la littéralité. Pas besoin spécialement d’un commandement, d’un devoir refouler c’est à dire à faire (affaire) de ce qui est ainsi rejeté dans le réel, le support du sexe, cela n’est pas nécessaire pour qu’il y ait dans le signifiant, dans le réel de la littéralité, il y en a et sans doute c’est ce qui explique d’une certaine façon notre attachement particulier à tout ce qui est textuel, en tout cas ce qui fut notre attachement particulier à tout ce qui est de l’ordre textuel et notre attachement à déchiffrer ce qui se propose comme textuel. Alors si cela est un phénomène plus physiologique, si je puis dire interne au fonctionnement de la lettre, où se situerait l’intervention de ce (…)

Pour ne pas jouer au ping-pong ici à cette table avec Christiane, je vais me permettre de proposer ma propre interprétation. Ce que Freud découvre grâce à l’hystérie justement c’est que cette organisation littérale peut être organisatrice d’une adresse, c’est à dire que ça peut se mettre à parler. Une adresse qui suppose l’interlocuteur, le destinataire qui, lui, saurait, saurait déchiffrer, et il me semble que si l’inconscient auquel nous avons affaire de nos jours est bien l’inconscient freudien et est bien, comme l’écrit Christiane, un champ inventé par la psychanalyse, l’inconscient qui nous anime jusqu’à ce jour, et bien, c’est que cette littéralité, qui n’est pas forcement un langage, Lacan dit que c’est structuré comme un langage, ce « comme » est tout à fait énigmatique, il ne dit pas qu’il y a une langue qui est là enfouie dans l’inconscient, il dit qu’il y a là une structure qui est comme un langage, et dont il semblerait que ladite structure comme un langage puisse être le support d’une parole, d’une adresse, et que cette adresse invoque elle-même, semble-t-il, cherche à se faire reconnaître. En tout cas, c’est là l’invention de Freud, et en remarquant tout de suite que dès lors cet inconscient, c’est évidement l’inconscient hystérique car pourquoi ne pas le dire ce n’est pas du tout l’inconscient de l’obsessionnel. L’obsessionnel, ce qui différencie ses symptômes c’est qu’ils ne constituent aucunement une adresse. Et ils ne constituent aucunement l’interpellation de quelqu’un qui saurait, et comme on l’a déjà, je crois, fait remarquer, il faudra l’hystérisation produite chez lui par la cure pour que, je dirais, son inconscient devienne freudien. Il n’a pas l’inconscient freudien l’obsessionnel, c’est ça qui est bizarre. Alors vous voyez que cette première phrase de Christiane est très à la fois forte et problématique, nous amène donc à reprendre en nous-même des questions que nous préférons habituellement (…) Si l’on se met un peu trop à toucher au fondement on ne sait pas si l’édifice va parfaitement tenir puisque surgit en même temps cette autre question, Lacan situe ce lieu du réel, ce lieu donc investi par une littéralité, une littéralité qui par elle-même je dirais est inerte, pourquoi elle voudrait dire quelque chose après tout? Et bien il l’investit ce lieu, d’un sujet, c’est ça aussi qui nous pose question, il l’investit d’un sujet et en tant que cet investissement serait donc un effet de la science, discours de la science naissant avec Descartes.

Autrement dit, pour me servir d’une image qui va vous paraître peut être aussi bestiale que crue, voilà que le rat qui est la tapi dans le réel et bien avec le fait que le sujet vienne s’y loger brusquement voilà que son œil s’ouvre et qu’il se met à frétiller, voilà que le rat qui est là présent, ce déchet, se met brusquement à être animé. Ce déchet qui se nourrit (…) voilà que brusquement il se met à avoir une âme, que brusquement il se met à être vivant. Cette assertion de Lacan c’est à dire que le sujet dans l’inconscient, la présence d’un sujet dans l’inconscient qu’est-ce que ça veut dire, un sujet ? C’est à dire finalement d’un lieu d’où ça se met à parler. Cette littéralité, cet ensemble inerte dont je dirais à la limite qu’est-ce qu’on va en faire ? Voilà que ça se met à parler. Et donc, cette assertion de Lacan qui fait problème parce que l’hystérie pour exister, elle n’a pas attendu le discours de la science. Bon même si le discours de la science la faite flamber, nous avons tous les témoignages historiques, et, dans mon célèbre ouvrage passé complètement inaperçu, et bien je ne manque pas de faire ce rappel historique qui est, je crois, intéressant, qui m’avait en tout cas beaucoup amusé à l’époque, qui est que l’hystérie a commencé à exister 2000 ans avant, à être repérée par les médecins égyptiens 2000 avant le Christ, que Hippocrate n’a fait que traduire très fidèlement la façon dont les médecins égyptiens la nommaient, c’est a dire que les médecins avaient isolé chez les femmes une affection polymorphe, d’expression polymorphe, fonctionnelle sans lésions organiques et ils l’attribuaient au fait que chez ces femmes, l’utérus était desséché, l’utérus était en souffrance donc que l’utérus était à faire des siennes et que il convenait donc de guérir l’affection qu’il y a dans ce pays plutôt aride en versant, en humidifiant cet utérus autrement dit en traitant les jeunes filles et les jeunes veuves de la façon qui convenait pour que leur utérus ainsi se calme. C’était 2000 ans avant Jésus Christ, et aujourd’hui comme on le sait, l’hystérie n’a pas longtemps quitté la scène médicale. Donc, on aurait envie de dire que cet inconscient ainsi, cette littéralité ainsi animée, elle s’est donnée à entendre avant le discours de la science, quand le médecin de l’époque fonctionnait (…) ils étaient plus scientifiques que magiciens, des traumaturges, ils cherchaient une chaîne causale rationnelle ; à établir cette chaîne ils ont expliqué les phénomènes qu’ils observaient. Donc, cette assertion importante, essentielle de Lacan nous interroge, et, si j’avais à propos de ce livre qui est bourré d’informations et qui est excellent dans ses développements et justement sa rationalité, et bien, pour ma part je regretterai de ne pas y avoir trouvé, mais c’est ma question et ce n’est pas forcement celle de Christiane, de ne pas y avoir trouvé ce type n’est ce pas, d’interrogation. Ceci étant, pour que l’inconscient nous parle du sexe, car là aussi pourquoi nous parle-t-il toujours du sexe, pourquoi après tout ne nous parle-t-il pas de musique de philosophie, de belles lettres, je ne sais pas moi, les sujets sont après tout, comment se fait-il que l’inconscient y soit aussi mené, lui il est vraiment obscène, il ne pense qu’à ça. Alors comment cela se fait-il, car si vous reprenez le fonctionnement de la chaîne de Markoff, il n’y a rien dans la chaîne de Markoff spécialement qui prédestine ce qui va à un certain moment de la chaîne se trouver tomber dans les dessous c’est a dire passer dans le réel, et être capable de revenir dans le champ de la réalité, il n’y a rien qui prédestine ces éléments à être les supports de la sexualité. Alors, moi je poserai une question à Christiane, si elle veut y répondre, si ça l’inspire (…) J’aurai envie de dire que c’est avec notre religion que ce qu’il y a eu, que ce qui se trouvait refoulé, je dirais, de soi-même, c’est trouvé en un sens sexuel. C’est à dire que ce qui c’est trouvé ainsi retranché, retranché c’est déjà un mot qui vous voyez, est beaucoup trop fort, que ce qui c’est trouvé ainsi spontanément évacué et bien, est venu le support du sexuel, de ce qui ne faut pas, de ce qui ne doit pas être là présent dans la réalité, puisque dans la réalité nous devons nous présenter selon ce schéma très évocateur de Lacan lorsqu’il dessine le moins petit phi, c’est à dire un bonhomme avec à l’endroit du sexe un petit pointillé, c’est comme ça que dans la réalité nous nous présentons, nous ne savons plus parce que ça fait partie je dirais de nos convenances, imaginez un seul instant que celui qui est à la tribune par exemple ou dans la salle, se présente autrement, ça ferait mauvaise impression, un exhibitionniste, c’est un pervers, c’est quoi? Donc ce moment qu’on aurait envie de dire où, moi je l’attribue au type de notre rapport à la religion qui n’est pas du tout évidement la même que celle des anciens, je veux dire celle des grecs et des romains, qui fonctionnaient tout autrement. On peut penser que chez les grecs et les romains qui avaient un inconscient comme tout le monde, cet inconscient n’avait aucun, n’avait pas de rapport spécifique avec la sexualité, et aucunement sous forme de sexualité, et donc pour le coup n’avait rien à dire. Donc, nous le devons à notre religion et que Freud est venu entendre ce qui était là maintenant, un sujet qui cherchait donc à faire entendre, à faire reconnaître son indicible, dans la mesure où par la double opération celle de la religion, puis de la science, et bien, ce qui pouvait s’articuler n’était plus que mensonge. Non pas mensonge délibéré, mensonge voulu, mensonge cherché, je ne peux raconter que des blagues puisque ce qu’il en est en ce qui me concerne du sujet, de ce qui chez moi anime le désir et bien, ça ne peut plus s’articuler à ma volonté, à mon commandement. Ça s’échappe et ça s’exprime quand ça veut et la façon dont ça veut y a une façon qui manifestement cherche avant tout à se faire reconnaître. Le trauma, puisque aujourd’hui (…) l’hystérie et si je me souviens bien dont Christiane l’aborde n’est pas d’une façon que peut-être, des développements que j’aurais souhaité. Mais là aussi ça me regarde. La question du trauma, qu’est ce que c’est que le trauma, je crois que grâce à ce livre, et au point où nous en sommes de nos cogitations, je crois que nous pouvons dire ce que c’est que le trauma. Le trauma, c’est ce qui, je dirais, fait refoulement, sans pour autant me donner le droit de faire reconnaître mon désir. C’est ça qui est traumatique, me prive de l’expression possible de mon désir. Autrement dit l’interprétation traumatique de la castration, elle est toujours possible et il suffit que je sorte de la castration en position jugée défavorable c’est à dire en position féminine, je dis bien qu’elle est « jugée » défavorable, pour estimer que c’est l’interprétation traumatique qui prévaut. Si à part, je dirais donc, tout ce que je trouve de méritoire dans ce travail fait par Christiane dans les conditions que j’ai rappelées, pour les raisons que j’ai rappelées, je veux dire, la qualité aussi bien de son plan que je dirais le souci de rigueur de ce qu’elle avance et puis le nombre d’informations qu’elle apporte au lecteur, si j’avais un regret à formuler ce serait qu’elle s’arrête devant ce qui après tout, peut être la modification en cours de l’inconscient. Peut-être que l’inconscient tel qu’il se prépare chez nos jeunes dans les générations à venir ne sera pas du même type que celui que nous avons connu. Je pense que de nombreux collègues qui s’intéressent à la question, qui l’interrogent, de quelque façon que le sujet y soit n’est ce pas, c’est indiscutable puisque la science ne peut progresser dans, je dirais, son souci d’évacuer tout ce qui est cause, à ses yeux, de perturbations « d’irrationalité ». Je veux dire que la science peut forclore plus que jamais, et on le voit bien avec le développement du cognitivisme dont il faudra quand même que l’on parle un jour dans notre groupe pour en mesurer toute l’importance, ça devient non seulement une philosophie mais ça devient aussi une religion, vous croyez que je plaisante bien sûr, mais amusez vous à parcourir les bouquins de la scientologie, il faut si j’ai le temps, je ferais peut-être un papier là-dessus la scientologie, c’est la religion du cognitivisme. Vous pourrez toujours après dire que c’est une secte alors que le cognitivisme est évidemment la démarche qui se veut la plus rigoureuse, la plus nette, précise qui soit , c’est pas facile à montrer. Alors donc, dans le réel, présence du sujet et ça grâce à la science, pas de problème, ça c’est sûr. Mais est-ce que, est-ce que, ce qui se trouvera là en dépôt transitoire, passager, dans le réel cette littéralité, est-ce qu’elle sera toujours forcement je dirais, supportant le sexuel ? C’est pas sûr, à mes yeux, dans la mesure où si effectivement nous basculons dans une culture où je dirais (la diction), la présentification , la monstration de la sexualité n’est plus frappée par le refoulement comme cela a pu l’être pour les gens de ma génération, dans leur temps, dans leur jeunesse, dans leur histoire plus proche du 19ème, il n’est pas dit que cette littéralité, ce pendant pris en charge par le sujet, parle du sexuel, pas sûr. Alors elle parlerait de quoi ? Moi j’ai évidement une suggestion mais elle est tellement facile à faire, elle donnera l’impression que je retombe sur mes pieds que j’ai pris aucun risque, que je suis vraiment tranquille. Mais moi j’aurais envie de dire que par exemple ce dont elle pourrait parler c’est que ce sujet, il n’a plus rien d’autre à dire que son propre déficit. C’est à dire qu’il est là présent que par exemple (…) faille, qu’il n’a plus à parler que de son propre déficit autrement dit qu’il n’a plus à parler que de sa propre déprime. Et après tout, et après tout pourquoi est-ce que ce n’est pas de cela que le sujet (…)

Bon je me suis essayé à moi aussi à me mettre devant une page blanche comme Christiane l’a fait avec ses scrupules, avec son souci, avec les tourments que ce livre a pu lui donner et je me suis dit voyons, alors je vais vous dire comment je l’aurais commencé. J’aurais commencé en disant tout ce qui suit, tout ce qui suit, c’est des histoires, tout ce qui suit c’est des mensonges, néanmoins c’est grâce au développement de ces mensonges, voire à leur recoupement, que la vérité va pouvoir se donner à entendre. Mais alors là, je me sers aussitôt (…) Quand je commence en disant tout ce qui suit est mensonge, est-ce que ça c’est aussi un mensonge. Et bien évidement pour le logicien ce n’est pas décidable, mais pour le psychanalyste ça l’est. Puisqu’il distingue le sujet de l’énoncé du sujet de l’énonciation. Ce sujet de l’énonciation, c’est lui qui supporte (…) C’est donc grâce à tous nos mensonges que peut-être se donnera à entendre ce qu’il en est de la vérité de tout cela. Et pas moyen d’opérer autrement. Ce serait mon propre début ce qui prouve mon (…) est absolument irrecevable pour un éditeur. En tout cas merci à Christiane pour ce livre dont je recommande la lecture. Bien que je n’aies pas joué, ou introduis des questions (…)

Christiane L :

Je vais prendre un petit peu la parole. D’abord pour te remercier d’une lecture qui n’est effectivement pas (…) point par point, mais qui est tout à fait ce que je souhaitais c’est à dire que chacun se mette devant sa page blanche en essayant de dire ce que c’est que l’inconscient. Et puis, te remercier aussi parce que ce livre doit beaucoup à tes années d’enseignement et au travail commun de l’association. Pour reprendre la question que tu poses, c’est à dire pourquoi il n’est finalement pas évident que les littéralités, les textualités, on commençait à en parler hier après midi, soient liées au sexe c’est vraiment, tu parlais de scrupule, non pas du tout, l’angoisse, l’angoisse dans laquelle j’ai lutté de ce que ça ne se lit pas. Et j’ai été aidée tout à fait dans ce livre par (…) qui est philosophe historienne des sciences, qui a été d’une écoute tout à fait extraordinaire, ça a été un exercice pour moi d’écrire un livre comme psychanalyste sur l’inconscient en étant écoutée en faisant passer des choses à quelqu’un qui ne l’était pas du tout, c’est à dire de sortir de la complicité (…)

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Nous sommes tous un peu fatigués je vais essayer d’être simple et rapide si j’y parviens pour nous faire d’abord remarquer après ces excellents exposés qui nous ont retenus, pour remarquer d’abord que ce dont témoigne bien l’hystérie masculine c’est que l’anatomie n’est pas la question. Et que ce qui fait le destin c’est bien la structure. Alors cette structure donc qui fera que nous tacherons de pallier à ce type d’obstacle ce type de difficulté qu’elle nous présente, nous tacherons d’y pallier par la névrose, comme nous le savons. En ce qui concerne très précisément l’hystérie masculine, il me semble que deux concepts forts simples peuvent nous être d’un certain secours, c’est celui d’abord de place, place où l’on se tient, la place d’ou s’exerce son propos pour un sujet et puis celui d’objet petit a.

En ce qui concerne l’hystérie masculine j’aurais tendance à dire que celui qui endosse en quelque sorte cette destinée, d’abord a le privilège de se situer au lieu de l’autre, un homme donc anatomiquement et qui se met au lieu de l’Autre afin d’y tenir la fonction qui est propre à celle qui ordinairement occupe cette place, celle de la séduction, en charme. Pour quelles raisons ? Il y en a un grand nombre que je ne vais pas bien sûr ici évoquer, mais il y a en sûrement une je dirais majeure, qui est que dans la mesure où on se présente comme venant du champ de l’Autre, il importe tout d’abord de se faire admettre, de se faire recevoir, de se faire symboliser, autrement dit de forcer un petit peu la présence phallique, le grand unificateur, le grand universalisateur, si j’ose ainsi m’exprimer c’est pas très beau, et bien d’en forcer la présence entre les protagonistes. Et de la séduction et bien sûr comme nous le savons l’un des moyens de faire intervenir cette vieille arme qui fera dire que bien qu’il soit au lieu de l’Autre celui-là est parfaitement admissible, recevable puisqu’il s’avère porteur éventuellement de, cette séduction comme nous le savons, se soutient précisément, principalement de cet objet petit a. Nous voilà donc, quelqu’un qui anatomiquement est masculin et qui vient au lieu de l’Autre se présenter comme se soutenant de ce pouvoir de séduction, de l’objet petit a, autrement dit dans ce qui est à la fois la profusion la brillance la richesse, la qualité, l’aspect chatoyant, enfin tout ses traits qui ne peuvent manquer de le rendre aimable ; Il y a une autre façon sans doute de se faire recevoir, et je trouve qu’elle a été fort bien développée il y a quelques minutes par nos amis ici à cette table, c’est de se présenter en ce lieu de l’Autre comme marqué avec les stigmates, de la référence de l’indice, de l’index phallique mais en tant que celui là, au champ de l’Autre, se distingue par sa pure absence, par son pur manque et donc, dans la mesure où ces stigmates viendront justement illustrer ce défaut. (…) Dans le cas où l’hystérique mâle se soutient de ses stigmates il est bien évident là qu’il s’agit moins de susciter le désir que de provoquer l’amour, par ce manque-même, et nous savons que cela peut être facilement assez aisément le cas. On l’aimera parce qu’on a tellement besoin d’être secouru qu’on ne saurait refuser ce privilège.

En même temps, un aspect essentiel de l’opération est bien sûr de mettre une femme anatomiquement femme de l’autre coté, du coté que Lacan appelle celui de la (jambe) qui est aussi je dirais, la place d’où se tient le signifiant maître c’est à dire qu’il y a (…) que de sa référence phallique, du fait qu’il en aurait de ce signifiant-là. Et donc pourquoi pas l’évoquer ainsi chez l’hystérique mâle, une sorte de dévouement, pour que la femme qui s’est mise en position mâle ainsi voit sa plainte je dirais, entendue, résolue et que par, je dirais, cette mutation ainsi opérée et bien, il ait lui, l’hystérique mâle trouvé la solution à ce qui constitue le divorce habituel des sexes, le fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel puisque si d’un coté il y a là un homme qui vient occuper la position féminine et une femme qui se trouve en avoir du fait d’occuper la position virile, et bien on pourrait penser que du même coup ça devrait beaucoup mieux s’arranger. Et le diagnostic je dirais, de ce type de situation que nous faisons les uns et les autres au moins de façon intuitive je dirais, d’une façon fort courante car c’est une situation qui n’a évidemment rien d’exceptionnel lorsque nous voyons dans un couple que c’est lui je dirais, qui soit, est chargé de porter les couleurs qui sont les marques là, les supports de la séduction, ou bien encore que c’est lui qui est marqué, qui a les stigmates de la plus grande faiblesse et qui appelle donc je dirais au secours les témoignages d’amour et que sa situation (…) il est bien évident comme nous le savons que cette tentative, ce dévouement réciproque ne trouve pas là moins je dirais, sa tranquillité son repos son harmonie, ça nous le savons pas moins, puisqu’ il sera fréquent dans ces cas, je dirais, que finalement alors que l’hystérique mâle aura l’impression désagréable de devoir tout faire à la maison, il doit faire l’homme, il doit aussi faire la femme ce qui est évidemment pas mal de chose à faire, et bien je dirais, le reproche exercé à l’endroit de sa compagne je dirais que finalement malgré son dévouement, malgré son sacrifice, elle reste fondamentalement une incapable. Elle reste fondamentalement celle qui finalement n’a rien compris et qui je dirais est la cause de ce qui subsiste d’insatisfaction dans leur couple alors que de son coté il aura vraiment tout fait c’est le cas de le dire, pour que ça puisse marcher.

Alors vous direz, il y a là un point qu’on peut très rapidement survoler c’est celui de son rapport à l’homosexualité. Et bien justement ce n’est pas du tout un rapport évident dans la mesure où ce qui est investi, je dirais, dans sa virilité ce n’est pas du tout l’objet phallique en tant que tel. L’investissement ne porte pas éminemment sur le représentant phallique sur l’organe pénien, mais sur cet objet mystérieux cause du désir, sur ce fameux objet petit a, ou bien sûr la marque phallique mais en tant que ce phallus fait défaut.

Donc s’il y a bien entendu chez l’hystérique mâle une préoccupation ou des craintes homosexuelles et bien elles ont néanmoins du même coup une organisation qui est essentiellement différente et en général d’ailleurs pourquoi ne pas le dire, l’hystérique mâle est parfaitement hostile au machisme ça lui plaît pas du tout, ce n’est pas du tout ce qui lui paraît correct. A cet endroit, il conviendrait de vous faire remarquer ceci, je crois, c’est que l’expression somatique, ce que nous appelons la conversion, est en dernier ressort un fait tout de même qui si vous reprenez ce signifiant qui est donc celui de Freud la manière dont il le justifie par sa première métapsychologie et bien que cette conversion somatique, conversion entre guillemets, est complètement mystérieuse.

Comment après tout est-ce que vous expliquez, vous rendez compte de ceci c’est qu’il y a dans (…) l’expression somatique des symptômes et pas du tout je dirais aussi clair. Si je devais là-dessus puisque ça concerne l’hystérique mâle, si je devais là-dessus avancer une proposition, elle serait la suivante : c’est que dès lors que vous vous tenez au lieu de l’Autre vous fonctionnez à partir de ce moment-là dans un champ qui se spécifie du fait que les signifiants n’y ont pas de prise sur le réel puisque où que vous alliez il est toujours plus loin, il est toujours (…) autrement dit vous rencontrez pas dans ce champ de l’Autre le type d’obstacle le type de butée le type d’arrêt le type d’impossible actuel qui nous permettent l’action, ce que je veux dire et que je regrette que ça ne puisse être formulé de façon si rapide je crois que ça se prêtera sans doute à quelques reprises et à des réflexions plus développées, c’est qu’à partir du moment où vous trouvez en ce lieu, du champ de l’Autre, la question de la motricité est en suspend, je veux dire celui de ce qui serait la capacité le talent l’habileté de ladite motricité qu’aussi le fait (…) ne pouvait que générer une sorte de dysfonctionnement spontané que si les femmes témoignent en général d’une telle adresse et en particulier en ce qui concerne la mobilité de leur corps c’est que justement elles ont là à surmonter cette sorte de handicap premier fait de (…) au fait de se tenir à cette menace. Ceci ne vaut que pour dire qu’à partir de cet instant témoigner d’une dysfonction somatique d’un symptôme frappant la motricité et du même coup faire référence à l’instance phallique en tant qu’en ce lieu elle fait défaut c’est à dire comme si le symptôme hystérique était l’équivalent d’une érection négative, c’est assez bizarre de le formuler ainsi sauf que les vieux cliniciens, Charcot avait parfaitement pointé le caractère étrangement érotique parfois de façon manifeste explicite même des symptômes moteurs par défaut apparemment quelconque le caractère érotique de cette étiologie motrice.

En tout cas et avant qu’éventuellement vous-même ou à l’occasion d’autres rencontres vous proposiez là-dessus sur cette question, expression somatique des symptômes hystériques, qui s’appelle la conversion et je dis bien à partir de ce que Freud en a dit, c’est à dire, je ne vais pas reprendre ici ses études sur l’hystérie, mais absolument (…) je serai tout à fait ravi n’est-ce pas que vous-même ayez là-dessus des propositions qui relancent ou qui enrichissent ce questionnement. En ce qui me concerne, j’ai pu en avoir une illustration, je dirais, qui m’a parue saisissante à l’occasion de troubles moteurs que présentait un gars que j’ai vu il y a bien longtemps, que présentait celui qui à l’époque était un éminent concertiste et qui était donc venu me voir pour une crampe du pianiste ce qui était pour lui fort gênant puisqu’il ne pouvait plus sur la scène qu’interpréter les pièces pour la main gauche alors qu’il n’y en a pas tellement. Et ce symptôme était apparu chez ce garçon qui était jusque là un bon père de famille très soucieux dans son ménage ayant aussi des enfants, un garçon parfait, était apparu à l’occasion de l’imprévu d’une liaison tumultueuse avec une musicienne non moins émérite et où dans leur liaison à l’évidence il était amené pour la retenir pour la (…) à occuper, à déménager dans ce lieu de l’Autre, tenir pour elle la place de l’objet, d’être le représentant de l’objet capable de la séduire et il n’y avait dans l’évolution de son symptôme avec moi dont il a au bout d’un moment parfaitement pris conscience c’était que selon ses déplacements c’est à dire selon qu’il occupait ce qui était sa place c’est à dire banale traditionnelle qu’il tenait en tant que père, chef de famille honorant la lignée qui l’avait précédé, ce symptôme disparaissait et puis dès qu’il se mettait à voyager de l’autre coté pour retenir cette femme et bien son handicap permettait du même coup je dirais à cette femme de se faire valoir encore bien plus sur les scènes où elle était amenée à se produire, et dans la compétition implicite qu’ils avaient entre eux, elle était là tout à fait gagnante. Alors on dira oui bien c’est de la culpabilité, il se punit lui même etc. En réalité lorsqu’il revenait dans son foyer d’origine il ne restait pas moins attaché à cette personne. Il y a de fait qu’elle ne tenait à lui qu’à ce prix qu’à cette condition et je dirais, ce symptôme ainsi de l’hystérie à ressort était évidemment remarquable à la fois par sa netteté et je dirais par sa simplicité. Ah oui mais pourquoi est-ce que du même coup justement il ne surmontait pas son handicap une fois qu’il était au lieu, dans le champ de l’Autre etc. etc. Je ne suis pas en mesure de répondre à une telle question, mais tout ce que je peux dire c’est qu’en tout cas lorsqu’il avait appris la musique, il avait appris à jouer, il avait appris son art, il était à une place bien précise et puis (…)

Pour proposer une dernière remarque concernant l’hystérie masculine, je voudrais dire combien j’ai apprécié que nos amis qui ont organisé cette forte intéressante journée l’aient fait justement dans ce lieu, parce que pour parler de l’hystérie je trouve que cette scène, cet éclairage, le rideau derrière, c’est vraiment, c’est très gentil, c’est très bien trouvé, n’est-ce pas, je crois qu’on ne peut pas faire mieux.

Il faudrait que je vous pose la question de ce que c’est que la théâtralité dans l’hystérie. Et là encore je ne suis pas certain que votre réponse serait si facile, si aisée, pourquoi y a-t-il dans cette névrose, pourquoi y a-t-il cette inclination à se présenter comme si on était toujours sur une scène, c’est à dire dans un souci qui vient plus de représentation que de présentation. S’il devait y avoir une réponse que je puisse vous proposer, ce serait la suivante ; c’est que justement dans le lieu de l’Autre, il n’y a pas dans ce lieu de point à l’infini qui vienne organiser la perspective qui vienne donc faire scène et qui vienne donc permettre la présentation. Et si vous vous baladez, parce qu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre et que donc il n’y a pas dans le champ de l’Autre ce point de fuite, qui viendrait organiser le domaine de la présentation. Et si vous vous baladez dans un espace plat et où manque ce point de fuite, vous êtes contraint d’avoir sans cesse à le recréer c’est à dire à faire sans cesse par la représentation que vous donnez comme si il y avait là un regard qui était à contenter et à se réjouir éventuellement de la scène. C’est en tout cas, pour le moment, et l’occasion de m’aider puisque là-dessus vous pouvez vous-même apporter peut-être sur la question de la théâtralité de l’hystérie, c’est en tout cas ce que j’avance, je propose à votre réflexion.

Enfin, et ce sera le dernier point, et qui sera donc la question chez l’homme des névroses traumatiques. Car il est bien clair que jusque là je n’en ai pas dit un mot alors que ce thème a été fort bien abordé par notre ami AF en diverses circonstances et en particulier dans ces ouvrages. Il a été signalé que cette névrose traumatique cette hystérie post-traumatique survenait volontiers chez l’homme viril jusque-là courageux impeccable, c’est ce qui se passe très souvent dans les armées, les scènes militaires, tous ceux d’entre vous qui avez fait une période militaire le savent, c’est ce qui manque pas de surprendre (…) qui était jusque-là était absolument, était plutôt têtu et le parfait je dirais, de la (…) du titre et puis il arrive quelque chose, il prend une grenade qui pète malencontreusement à une extrémité, n’importe quoi, bing, on a brusquement affaire à un individu qui devient irrécupérable, souffre (…) est très gênant (…) souci. Ils se tournent évidemment les militaires vers les médecins. Alors premièrement est-ce qu’il est malade ou pas de cette assimilation de cette chose et deuxièmement qu’est-ce que vous faites pour le faire revenir normal, sur pied. Et bien ce que là aussi j’aurais envie de proposer c’est que ce qui se passe pour ces gaillards qui jusque-là seraient remplis de parfait narcissisme, c’est que pour des raisons que nous ne comprenons pas très bien, cet accident est perçu comme je dirais, soit le fait d’avoir été châtré soit comme le fait de devoir évacuer la place qu’ils occupaient jusque-là. C’est à dire qu’une portée symbolique étrange est donnée par une sorte d’avertissement une sorte de, qui leur est ainsi envoyé, et qui faisait qu’ils devaient évacuer ce champ et à partir du moment où ils viennent occuper le champ de l’Autre, et bien alors ils se trouvent exposés à ce que nous savons être une organisation centrée par la répétition onirique symptomatique du traumatisme c’est à dire de cet événement castrateur châtreur, comme s’il était devenu, cet événement, leur nouvelle origine, leur nouveau lieu de naissance, modalité de naissance. En tout cas c’est ce que je vous propose là-dessus si rapidement vous paraît un peu obscur, j’avancerais que c’est le déplacement, le changement de lieu qui vient là faire du traumatisme, c’est à dire d’une opération de castration qui ne donnerait pas accès à la sexualité, à la position sexuelle à l’identité sexuelle et bien qui donnerait au traumatisme cette singulière importance qui est prévalante.

Voilà à propos de l’hystérie masculine les quelques points que très rapidement comme vous le voyez, je voulais proposer à votre réflexion et avec l’idée que votre travail là-dessus, à ce sujet, votre travail sur ce thème ne peut qu’être poursuivi aussi bien à partir de ce que vous avez bien voulu apporter qu’à partir des (…) que peuvent nous donner ces cas dans notre difficile exercice. Merci de votre attention.

Question : Je voudrais poser une question sur, plutôt de l’histoire, dans le champ Autre, le sujet (…) Est ce que il ne faut pas considérer qu’il ne s’inscrit pas d’emblée dans le champ Autre, mais que c’est l’effet d’une migration secondaire parce que dans ce champ Autre il est tout de même vectorisé par la question phallique, le champ Autre est un champ complémentaire du champ phallique. Est-ce que ce n’est pas le fait que dans ce champ, c’est une sorte d’imposteur une sorte de fragilité qu’il incarne, la référence (…)

Réponse Charles Melman : C’est moins de l’imposture, Bernard, qu’un choix éthique, autrement dit, pourquoi commander par la brutalité ce qui est quand même vulgaire, alors qu’on peut si bien commander soit par la séduction, soit par le défaut. Donc ce n’est plus n’est-ce pas, s’il y a migration comme je l’ai évoqué, je dirais que c’est ce type de choix qui l’organise. Alors est-ce qu’il a d’abord été, en tout cas ce qui est certain c’est qu’il a été appelé à une certaine place et que pour des raisons qui peuvent tenir à ce que l’on voudra et peut-être aussi je dirais, au souci de sauver la femme aussi bien de sauver la mère, n’est-ce pas, se dévouer pour une mère, quelles que soient les satisfactions que par ailleurs (…) mais en tout cas s’il y a migration, vous avez raison, c’est pour ce genre de motif.

Question : En ce qui me concerne j’ai envie de soumettre cette proposition, est-ce que cette tentative de l’hystérique dans ce champ Autre ne consiste pas à tenter, à essayer de le faire parler, le phallus, précisément en un lieu où il ne peut pas parler, ce qui pourrait expliquer à la fois conversion, enfin je vais vite en disant cela (…)

Réponse Charles Melman : Oui bien sûr.

(…)

Réponse Charles Melman : la place de l’analyste (…), l’un des problèmes sensibles, (…) c’est que, en tant qu’analyste vous ne pouvez prendre appui (…) autrement dit vous vous trouvez réduit à ne pouvoir faire valoir une quelconque position de direction que de la position de la séduction ou celle de la radicale insuffisance, n’est-ce pas, de l’appel à l’amour. Et Lacan écrivait bien ceci c’est que cela introduisait du même coup dans l’enseignement un défaut radical dans la mesure où l’enseignement, tout enseignement, implique je dirais la dimension maîtresse du signifiant, de le reconnaître et si vous êtes sans cesse dans une position (…) faire escamoter éviter et bien du même coup il y a un pan entier de la possibilité de l’enseignement c’est à dire de l’autorité qui ne se réclame de rien que du signifiant lui-même qui vient faire défaut. Alors il évoquait cela, n’est-ce pas au passage à propos du maître zen, celui qui donne des coups de bâton n’est-ce pas, etc., et c’est assurément un point qui continue de masquer les difficultés de l’enseignement actuel, ça continue, c’est un problème qui n’est pas du tout résolu à cet égard et ce que je sais c’est par exemple la nostalgie de Lacan, son regret de ne pas avoir essayé d’exercer son influence par d’autres voies que celles qu’il avait prises c’est à dire par le biais de la philosophie où là le signifiant maître fonctionne à plein et avec des conséquences massives. Il ne faut pas oublier que toutes nos plus grandes aventures politiques depuis la fin du dix-huitième siècle sont entièrement organisées autour de l’influence du signifiant maître et donc si (…) Qu’est ce que voulez qu’il fasse ?

Question : Est ce que ça voudrait dire qu’une parole qui s’autoriserait que d’elle-même serait au regard de la structure une utopie, qui ne s’autoriserait pas du signifiant maître ?

Réponse Charles Melman : Une parole qui ne s’autorise que d’elle-même est à entendre comme ceci, qu’elle ne se réfère pas à une autorité dans le champ de l’Autre. Il n’y a pas dans (…) C’est à dire nous avons cessé de faire référence dans nos propos à un certain nombre d’autorité. Une parole qui ne s’autoriserait que d’elle-même, il suffit qu’il n’y ait pas d’autre référent que notre propre énonciation mais elle ne peut prendre effet d’autorité que si le caractère-même des signifiants que vous avancez est établi est reconnu comme tel, autrement ça reste une parole vaine, elle ne peut s’autoriser que d’elle-même mais rester une parole vaine si les signifiants que vous proposer ne sont pas (…)

Question : Une question qui n’a rien à voir, pouvez vous développer le statut du regard.

Réponse Charles Melman : Le statut du regard dans la mesure où comment dirais-je si vous vous tenez dans un lieu où vous n’êtes pas reconnu (…) où il n’y a rien qui fasse reconnaissance et bien je vous ai naturellement (…) à chercher à ouvrir un regard quelque part, à faire qu’une paupière je dirais baissée condescende à s’ouvrir pour admirer le numéro que vous êtes en train de produire et du même coup vous accordez une reconnaissance au (…) passage (…) au (…) et c’est le pourquoi dans ce cas(…) d’hystérie il y a cette provocation n’est-ce pas à ce qu’il y ait au moins au lieu de l’Autre un regard qui soit assez excité, assez titillé assez allumé n’est-ce pas pour condescendre à s’ouvrir . C’est une espèce d’appel, de forçage un véritable travail d’acteur pour faire que cette admission n’est-ce pas soit effective. Quitte à ce qu’il y ait comme on sait d’ailleurs chez les acteurs qui sont exposés à cela dans le réel, cette espèce de dépression qui suit la chute du rideau, n’est-ce pas, c’est à dire le moment où justement la paupière, le rideau se baisse et le sentiment qu’ils ne vivent en réalité que sur la scène n’est-ce pas. Et ce qu’il y a entre les représentations c’est l’entracte ; la vraie vie en quelque sorte elle est sur la scène.

Question :(…) Le problème essentiel dont on parlait c’est la castration. Comment se présente la castration il y avait une position lorsque si j’ai bien compris chez l’hystérique, tu as avancé, cette position (…) Une sorte de refoulé. Alors je me suis posé la question lorsque tu as parlé de la scène de l’hystérique sur scène cette scène bien sûr change et garde toujours la même position et les mêmes répétitions. Est-ce que l’hystérique ne cherche pas à y trouver la limite et à chaque fois qu’il accomplit cette opération il y a un échec qui fait qu’il doit toujours solliciter et recommencer et répéter ainsi de suite.

Réponse Charles Melman : Tu as tout à fait raison et je le reprendrais de la façon suivante, c’est à dire chaque fois que l’hystérique se présente justement dans ce lieu de l’ Autre comme dans le cas où il se présente dans ce lieu de l’Autre comme totalité, c’est à dire fascinant par le fait que justement il ne lui manque rien, c’est à dire dans la mesure où il se présente comme toute, et bien je dirais que systématiquement il va chercher le « pas », n’est-ce pas et d’une façon ou d’une autre il trouvera le moyen de le produire, soit par exemple en prenant la fuite au moment où sa séduction est parvenue à ses fins, ça c’est une issue assez banale, le fait qu’il foute le camp au moment où justement la totalité demanderait à s’accomplir, mais que en tout cas ce qui l’intéresse c’est à la fois de donner l’illusion d’une totalité et puis en même temps dans la relation de susciter ce type de défaut ce type d’arrêt ce type d’impossible complètement artificiel au moment de fixer un rendez-vous il constatera sur son agenda qu’il n’y a plus de place pour fixer un rendez-vous. Donc je dirais que le pas-toute pour rester dans un usage simple de ce que Lacan nous a amené, me semble-t-il se décompose assez bien, dans le registre là de la conduite donc aussi d’une certaine façon une recherche de la castration.

Question : Encore une question, juste une toute petite remarque, Lacan nous rappelle que le lieu de l’Autre c’est quand même le corps.

Réponse Charles Melman : OUI

Question Jean-Jacques Tysler : Moi c’est par rapport au point donc à l’infini. Actuellement la robotique à savoir ce qui se passe actuellement dans ce fantasme du cyborg à savoir que maintenant le corps va être en complément avec la machine, on est là dans des fantasmes qui sont complètement, d’ailleurs pas des fantasmes puisque c’est déjà en quelque sorte à l’œuvre dans la pensée de certains, c’est à dire que dans le corps humain sa représentation serait intégrée par la machine que certains appelle «artileg», donc nomment déjà ils mettent déjà en circulation des signifiants qui complémentent la présentation du corps. Je trouve que pour penser maintenant la conversion, le point à l’infini est repoussé effectivement donc à l’infini. Et je crois que là on rentre dans un débat très contemporain et qui oblige à une réflexion à la fois là précisément avant la structure à l’infini, à quel type d’infini.

 

« L’Inconscient » Concept présenté par JC Molinier

Alger, le 27 09 2009

Introduction

Paradoxalement sans doute pour nous c’est pour avoir rendu à la parole toute sa place dans la pratique analytique qu’il fut souvent reproché à Lacan de parler en philosophe. Beaucoup plus gravement ce dernier leur renverra une critique plus serrée : leur approche de la découverte freudienne relèverait quant à elle d’un refus du concept, de ces concepts
fondamentaux dont en ce qui concerne l’inconscient, j’ajouterai « freudien », nous allons
essayer de parler aujourd’hui.
Le propre d’un concept c’est qu’il se modèle d’une approche de la réalité et pour tout dire, si j’ose dire, d’une saisie de cette même réalité : il ne s’achève, ne se réalise, que par un passage à la limite. Comment effectuer ce bouclage par lequel l’ICS se réalise comme concept ? Deux termes sont à retenir comme « à-venir » dans cette élaboration : le sujet et le Réel.

L’ICS structuré comme un langage.

Nous en avons déjà parlé ici…Rappelons seulement que, contrairement à la linguistique, le
sujet parlant pour la psychanalyse n’est pas un locuteur utilisant le langage comme simple
instrument aux fins de communication. Le langage pour la psychanalyse n’est pas d’abord
pour communiquer. Au contraire le sujet parlant est bien plutôt parlé, effet de la parole dans le champ du langage qui lui ouvre ses failles, failles où trébuchent les pas de la parole…L’ICS le voici donc dit « structuré COMME UN langage »…on pourrait aussi ajouter comme l’UN du Langage. C’est sur ce « comme un » qu’il convient d’insister, cet «UN » du langage comme unité négative par excellence car différentielle, oppositive. Cet «UN » renvoie à UNE coupure, c’est l’UN de la coupure… « Comme UN » signifie quelque chose d’ouvert, le « comme UN » nous renvoie vers la langue de chacun dont se constitue pour cet « UN chacun » son Inconscient. Ainsi, aucune langue n’est toute, bouclée, fermée mais reste « ouverte » (au sens d’ensemble « ouvert »). De cette incomplétude se constitue une faille où le sujet « défaillant » se constitue comme effet. A ce niveau nous devons revenir vers ce qui fut évoqué de la structure fondamentale du langage isolée par le linguiste : la coupure signifiante, la pure différence, le + et le -, le jeu de l’absence et de la présence qui trouva son achèvement dans l’analyse phonologique de R. Jakobson. Lacan a pu ainsi soutenir que l’ICS est la CONDITION de la linguistique ; en effet comment, sans cette coupure que l’on peut dire « inaugurale » et qui est bien le fait de l’ICS freudien, la linguistique aurait-elle trouvée la voie d’un développement scientifique original ? C’est bien de là que Lacan, après avoir évoqué les travaux de Levi-Strauss issus eux-mêmes de l’approche structuraliste en anthropologie, ouvre sa propre analyse du concept psychanalytique d’ICS. Il le dégage de l’effet qui pourrait être réducteur de ce que l’on entend dans l’énoncé « L’ICS est structuré comme un langage », nous leurrant à penser partir du langage pour en venir enfin à l’ICS…

Au contraire il s’agit d’enrichir la définition de l’ICS autour de ce qu’il constitue fondamentalement : une coupure dite « inaugurale ». Evidemment cette faille s’ouvre sous les pas du parleur avançant dans le champ du langage : il s’y perd et se perdant il peut arriver que se brouillent les repères du conteur qui devenu compteur en voulant se compter s’embrouille dans ses comptes. Ainsi l’enfant qui dans un test va se compter (« j’ai trois frères…. ») lui-même se divise déjà entre celui qui est compté (« moi » dans l’énoncé) et celui qui compte (le sujet de l’énonciation). Le sujet aura donc, dans ce champ, à se retrouver…C’est donc bien la linguistique qui permet de donner son statut à l’inconscient en lui offrant le modèle d’un jeu combinatoire opérant tout seul d’une façon que l’on dira pré-subjective. Toutefois Lacan ne s’en tient pas là et va beaucoup plus loin en affirmant que l’ICS freudien est bien autre chose. Pour le réaliser conceptuellement il se trouve conduit à se pencher d’abord sur cette « coupure » dont l’étrange nature n’échappait sans doute pas aux linguistes et bien évidemment d’abord à Saussure lui-même. Mais justement Saussure, pas bête mais suffisamment canaille (comme a pu le dire Lacan), s’en détourna comprenant qu’il risquait bien, sinon, de mettre en péril l’édifice qu’il était en train de construire (de même l’approche de la fonction poétique chez Jakobson…). Lacan va donc poursuivre vers cet en deçà de la linguistique en rappelant l’ICS freudien dans la fonction même de la CAUSE.

Fonction de la Cause et Inconscient.

Il va se référer à l’ « Essai sur les grandeurs négatives » de Kant. Ce que Lacan lit dans les
développements du philosophe c’est qu’il y a là quelque chose de l’ordre d’un manque. La
fonction de la cause ouvre une béance, se dérobe à toute prise conceptuelle. Kant évoque dans la notion de cause un concept inanalysable, impossible à saisir par la raison. Question embarrassante donc pour les philosophes et, bien que Kant ait pu tout-de-même l’inscrire dans les catégories de la Raison Pure, elle ne paraît pas pour Lacan, au regard de la psychanalyse, pour autant ainsi rationalisée. Il accentue alors son trait essentiel qui est de se DISTINGUER de la LOI : par exemple de la loi physique de l’action-réaction ; la masse d’un corps qui s’écrase n’est pas la cause de ce qu’il reçoit en retour de sa force mais est intégrée à cette force qui lui revient pour le disloquer. Dans le contexte de la loi la béance est à la fin… Au contraire au niveau de la cause il y a quelque chose qui apparaît d’emblée anti-conceptuel, qui reste oscillant, indéfini. Dès que quelque chose « nous parle», nous paraît « vivant » dans la relation de causalité, comme par exemple les phases de la lune et le rythme des marées, nous percevons très bien simultanément que l’emploi du terme de cause est justifié et à la fois qu’il y a une béance : quelque chose comme un trou, une oscillation entre la cause et son effet. C’est bien dans ce qui « cloche » que Lacan situe, entre la cause et ce qu’elle affecte, l’ICS freudien. L’Inconscient est cette «clocherie»: qu’il puisse déterminer telle ou telle pathologie n’en constitue pas l’essentiel ; ce qui est fondamental c’est la béance qu’il introduit par où la névrose se raccorde à un Réel. Béance…Réel. Nous devons peut-être nous attarder un peu sur cette articulation entre ICS et Réel dont se fait la nature même de la béance en question. Nous sommes partis de la logique du signifiant reposant sur une coupure fondamentale d’où la linguistique a pris son essor en ne pouvant tenir compte de ce qu’elle ne pouvait pourtant ignorer c’est-à-dire cette fonction de la cause véritable cachée en cette faille inaugurale. Son développement scientifique en dépendait : celui d’exclure voire de forclore la question du sujet. Mais de toutes les sciences elle resta le plus susceptible à ses effets. Si la logique du signifiant, la loi de son fonctionnement, se trouve pouvoir par ailleurs décrire l’ordre Symbolique, Lacan introduit là la raison qui l’anime. Il s’agit de cette Autre Dimension, celle du REEL. Le Réel est situé au regard de cette coupure où se trouve une faille, la béance de la cause elle-même, dont se fait le gîte de l’ICS (à l’endroit donc du Réel). Ainsi, au regard de la CAUSE le Réel n’est nullement déterminé et se trouve échapper à l’ordre signifiant qui pourtant s’en soutient…disons qu’il s’en anime. Il est très important de saisir cette articulation au niveau de l’ICS selon Freud. Elle se trouve ici entre les dimensions du SYMBOLIQUE (ordre signifiant) et du REEL (ordre de la faille à l’endroit où s’anime la coupure). Cette béance peut-elle être bouchée ? Est-ce cela la guérison ? Lacan répond déjà qu’il s’agit plutôt, pour la névrose, de devenir autre, peut-être infirmité ou plus exactement une «cicatrice » (c’est le mot de Freud), pas une cicatrice de la névrose mais de l’ICS lui-même. Ainsi ce que Freud découvre dans cette « fente » (comme s’exprime Lacan) dans ce trou ouvert dans l’ordre signifiant c’est quelque chose de l’ordre du non-réalisé. Quelque chose se tient là dans l’aire du non-né, et c’est là que le refoulement déversera toujours quelque chose…
Comprenons bien ce dont il s’agit au niveau de la dimension d’un Réel qui demande à être
réalisé, à advenir. Il ne pourra le faire qu’en entrant dans le jeu du signifiant, dans l’ordre Symbolique. Grossièrement, il doit être « symbolisé », sans quoi bien évidemment on ne peut rien en dire…On sait toutefois que le procès de parole ne pourra se boucler définitivement sur quelque chose qui viendrait enfin boucher cette béance. Elle demeurera, mais entre-temps bien des choses se seront effectuées qui demandaient à être réalisées. On ne peut aller jusqu’au bout, réaliser le fin mot, comme je vous l’avais déjà indiqué lors de l’articulation psychanalyse-linguistique. La langue n’est pas toute. Pour avancer encore un peu sur cette question du Réel il convient de souligner la distinction entre Réel et Réalité. La réalité n’est pas le Réel. Elle est un tissage du symbolique et de l’ imaginaire; chacun a sa réalité, rien d’autre que les fantasmes à partir desquels s’ organise sa perception du monde. On ne voit le monde qu’au travers de nos fantasmes et ce sont eux qui tissent ce voile recouvrant le Réel qui, inaccessible en tant que tel, les supporte pourtant. C’est le voile de Maya si vous voulez qui, dans l’ hindouisme, désigne cette illusion que nous appelons le monde . Retenons que c’est dans cette faille du non-réalisé où gît un réel que Freud situe ce qu’il appelle l’ombilic de l’ICS (renvoyant au Refoulement dit Originaire donc sans espoir d’en venir à bout) ou le nombril des rêves d’où ,écrit-il, le désir sort tel un mycélium. Béance, centre d’inconnu comme ce point sur le ventre de l’araignée d’où sort ce fil dont se tisse sa toile. C’est bien cette dimension de l’ICS, Lacan nous le rappelle, que les analystes ont cessé de lire dans la découverte freudienne: c’était oublié, dit-il, comme Freud l’avait d’ailleurs prévu. Lacan ré-introduit donc, dans le domaine de la cause, la Loi du signifiant autour de l’endroit même où dans l’ordre Symbolique la béance se produit. Il se propose ainsi d’achever le concept d’ICS introduit par Freud en le portant à sa limite. L’ICS au sens freudien se distingue radicalement de tout ce que l’on a pu appeler ainsi, avant, pendant son élaboration et même après. L’ICS selon Freud n’a rien à voir avec ce qu’on peut ailleurs appeler ainsi voire sous les termes de subconscient. Il n’est nullement le gîte d’obscures divinités ni celui, romantique, de la création imaginante auquel s’est rattachée une certaine tradition jungienne. A tous ces ICS conçus dans l’ordre d’une volonté obscure d’avant la conscience Freud va opposer la révélation d’un ICS au niveau duquel ça parle et ça fonctionne de façon aussi élaborée qu’au niveau de la pensée consciente. L’ICS freudien est ce qui s’anime, tente de se dire autour d’une béance, d’une faille inaugurale et constitutive.
Freud est aimanté par les phénomènes de fêlures, de défaillances, dans lesquels il va chercher et découvre l’ICS: rêves, actes manqués, lapsus et mots d’esprit…n’est-ce pas ce qui apparaît toujours sur le mode d’un achoppement, d’un faux pas et c’est là que quelque chose demande à naître, à être réalisé en cherchant encore et encore son issue dans la parole. Ce sera pourtant dans un cadre temporel bien singulier dont la notion freudienne d' »après-coup » donne déjà quelque idée. Car ce qui se produit autour de cette faille est de l’ordre d’une trouvaille qui aussitôt deviendra re-trouvaille . Aussi incomplète, aussi inachevée soit-elle elle s’offre à moi dans la surprise et me touche parfois intensément.
Il s’agit là de la dimension essentielle de l’ICS , cet ordre temporel dont il est fait et qui le caractérise. Freud a pu dire que l’ICS ignore le temps; C’est bien d’ailleurs ainsi qu’il le saisit, sur une scène hors du temps, ne pouvant dés lors le décrire que par un mythe, un mythe qu’il doit inventer: celui du Père de la Horde Primitive. Le meurtre du Père est en effet un acte beaucoup plus qu’immémorial et à situer sur une autre scène, à proprement parler hors du temps et aussi bien à l’origine du temps lui-même et de l’Histoire. Ceci permet d’approcher la dimension du Réel, toujours actuel, hors-temps. Nous avons repris ces termes de béance, de trou, mais le Réel n’est pas de l’ordre du trou lui-même…Peut-être est-il plein, lisse….S’il est à situer au niveau de la béance, dans l’ordre de l’achoppement, de la fêlure, c’est bien au contraire qu’il est en cause dans la déchirure de la parole, dans ce qui va venir trouer le tissu symbolique en train de se tramer dans le jeu du signifiant. Ainsi ce qui va se réaliser en ce point d’achoppement sera peut-être un mot inattendu, un acte imprévisible, un acte manqué. Du non-réalisé, de l’encore-à-naître ce qui surgit dans la surprise comme trouvaille va devenir re-trouvaille c’est-à-dire va apparaître comme venu du passé.
L’encore-à-naître vire à l’encor-né comme Lacan s’en amuse. C’est quelquefois dans l’après-coup un « je l’ai toujours su » qui vient, alors que, justement, nous ne le savions pas auparavant. Ainsi M. Mannoni parlera de l’ICS comme d’un « Savoir qui ne se sait pas ». Et ce n’est pas pour pour toujours que va s’ouvrir la re-trouvaille car, l’instant d’après, cela peut à nouveau se perdre.

Le manque en cause, la discontinuité, la perte.

L’Oubli, la perte. Quelque chose semble effacer le signifiant là même où il se produit dans la surprise. C’est la dimension du manque et de la perte qui, passé l’émoi de la retrouvaille, semble principalement à l’oeuvre. Lacan indexe la perte comme l’un des termes clés de l’ICS freudien. Ainsi parlera-t-il dans les termes d’Orphée du rapport de l’analyste à l’ICS:
Euridyce deux fois perdue. Nous avons parlé du Réel qui, en un sens, peut-être toujours plein, lisse…retrouvons-le dans le terme « Oblivium » avec nous dit Lacan le « e » long de levis, poli, lisse, uni…c’est-à-dire ce qui efface et qui efface le signifiant comme tel. Ceci va instaurer une discontinuité, trait essentiel de l’ICS où se manifeste cette vacillation. C’est bien ce versant de l’oubli chez Freud que les analystes après lui ont justement oublié sans toutefois en venir à l’oubli de l’oubli heideggérien et pas non plus à l’audition d’une célèbre conférence de M. Foucault…passons. Ce qu’ils ont oublié, eux, c’est cet aspect de l’inconscient au profit d’une visée de totalité. Par exemple dans l’idéal de l’amour dit génital où viendrait se rassembler, s’unifier, au niveau de la sexualité la dispersion, le « drive » (in english !), la dérive pulsionnelle antérieure: visée d’accomplissement, d’achèvement, vers l’idéal de l’UN unique, voire celui de l’Union. Et pourtant ça n’arrive jamais, quoi qu’en revendique l’amour, de faire UN avec deux…L’ICS quant à lui se met bien en travers de tout cela: il fait discord, il est discordant et son UN à lui vient d’ailleurs, de là où Freud le découvre. Cet UN là bien au contraire, nous en avons déjà parlé à partir de la linguistique qui l’a dressé dans son propre champ, le définissant de façon différentielle, oppositive et surtout négative. Conforme à la logique du signifiant c’est le UN de la fente, de la coupure. De l’ordre d’une grandeur négative en effet. C’est l’UN de L’UNbewuste dira Lacan (terme allemand désignant l’ICS), l’UN aussi de l’UNbegriff, qui signifie non pas non-concept mais concept du manque. Par lui le fond n’est pas l’absence mais c’est le trait (cet UN là) de l’ouverture qui, jailli dans la surprise, fera après-coup surgir l’absence comme le cri fait surgir le silence. Ce dont il s’agit au niveau de l’inconscient c’est du sujet de l’énonciation (et non des énoncés) qui ne cesse tout autant de se perdre que de se retrouver. L’ICS se manifeste comme ce qui vacille dans la coupure du signifiant dont se fait la coupure du sujet lui-même, du sujet ainsi divisé par le signifiant. Avec l’ICS on a toujours à faire à une moitié, mais toujours l’autre manque: pas d’union possible. Ni UN de l’unique ni UN de l’union. Et c’est toujours en quelque point inattendu que le désir surgit pour un temps seulement car ce sera toujours de façon évanouissante. Quant au sujet de l’énonciation, il n’est pas à confondre bien sûr avec ce qui se désigne comme sujet des énoncés ; sa marque, en leur lieu, apparaît tout autrement : dans le « ne », par exemple, « ne » dit « explétif » en français. « Je crains qu’il NE vienne » : c’est bien ce « ne » qui indexe la présence du sujet de l’énonciation et justement à l’endroit d’un doute, « doute » avec lequel nous allons maintenant poursuivre.

Le sujet de la certitude; le doute, le statut éthique de l’inconscient.

Concevoir ainsi le concept d’ICS autour de la fonction structurante du manque, d’une béance que Lacan dira pré-ontologique, nous rappelle qu’il ne s’agit là ni d’être ni de non-être mais plus fondamentalement de ce qu’il y a de non-réalisé. Le désir rencontre en cela sa limite et c’est dans ce rapport à la limite qu’en tant que tel il se soutient. Ainsi franchit-il le seuil du principe de plaisir dont on sait qu’il est, lui, réglé par l’homéostase (retour de la tension à son niveau le plus bas). Ce désir Freud le qualifiera d’indestructible. Ce qui pose question : en effet la fonction de l’ICS est la fente par laquelle quelque chose est amené au jour (moment d’ouverture de l’ICS) pour disparaître en un second temps (moment de fermeture de l’ICS). Il ya donc une fonction de « battement », un moment d’éclipse entre ces deux temps d’ouverture et de fermeture qui confère à l’ICS ce caractère fondamentalement évanouissant. Par ailleurs ce qui se passe reste inaccessible au principe de contradiction nous dit Freud mais aussi bien à la fonction du temps, plus exactement à la localisation spatio-temporelle ordinaire. Comment donc pouvoir qualifier d’indestructible ce qui n’apparaît que pour disparaître, le désir véhiculant vers un avenir toujours court et limité ce qu’il soutient d’une image du passé ? C’est là la question que Lacan pose à Freud. Ce faisant il est contraint de construire une réponse en accord avec le texte freudien. C’est ce qui le conduira à élaborer la façon dont s’ordonne le temps dans l’ICS. Ce qu’il décrira sous la forme d’un temps logique différent des catégories spatio-temporelles habituelles énoncées par la psychologie. Nous ne pouvons en parler plus longuement ici mais retenons seulement qu’à côté de la durée dont se fait la subsistance des choses nous devons concevoir une autre modalité temporelle, le temps logique, dont se façonne la nature du désir inconscient. Ce battement de l’ICS, cette apparition évanouissante entre le point initial et le moment terminal c’est le temps logique tendu entre l’instant de voir où quelque chose est élidé, perdu et ce moment élusif où la saisie de l’ICS achoppe, ne conclut pas car la récupération est toujours leurrée. Le statut de l’ICS c’est l’évasif, cerné par l’ordre temporel du temps logique mais sont statut véritable pour Freud comme pour Lacan est éthique. Ce qui est, dans nos pratiques, en effet, d’une telle importance qu’à l’oublier notre pratique elle-même se perd. Lorsque Freud avance vers l’ICS, il est prêt, comme il l’écrira dans sa citation en introduction de la Science des rêves, à avancer vers l’enfer…Ne larmoyons tout-de-même pas trop, pris dans le lyrisme de la chose…Car ce qu’il rencontrera en effet d’abord, un peu avant, c’est l’hystérique. Le découvreur ne s’arrêtera pas sur le signe dont elle se trouve marquée : celui de la tromperie. Avançons donc nous aussi vers la question que l’hystérie nous pose quand il est bien évident qu’elle est articulée à la découverte de l’ICS et de la psychanalyse elle-même. Si le statut de l’ICS est éthique et non ontique ce n’est pas parce que Freud l’a défini ainsi mais parce qu’il est lié à la passion qui l’animait. Lié donc à celui qui le découvre au niveau de l’enjeu de son propre désir. Les interrogations sur le désir de l’analyste ne semblent pas proches d’une réponse possible toutefois l’analyse est unepratique qui ne peut oublier que l’expérience ne s’anime qu’à partir du désir, ce dont le praticien en charge de l’orienter doit être suffisamment averti dans le moindre des actes où s’engage sa responsabilité. Cette passion qui animait Freud n’était pas d’abord de l’ordre d’une recherche acharnée de la vérité, vérité qui, avec lui, prendra pourtant un autre tour.
Non…c’est plutôt celle qui lui permet de soutenir envers et contre tous que le rêve est la réalisation d’un désir au moment même où, dans l’introduction du dernier chapitre de la
Science des Rêves, il nous rapporte celui qui paraît le moins propice à l’illustrer: « Père ne vois-tu pas que je brûle? ». Freud n’analyse pas ce rêve, il l’apprécie, le soupèse, le goûte
nous dit Lacan. Je dois dire et je ne suis sans doute pas le seul qu’il n’y a là nul besoin d’analyse pour saisir du moins à certains moments de la vie la portée de ce que véhicule le feu d »un tel rêve… Le Père endormi, alors que son fils mort repose dans la pièce d’à côté, voit son enfant s’approcher de lui et l’entend: « Ne vois-tu pas Père que je brûle? » Et, en effet, alors que la personne chargée de veiller auprès de l’enfant s’est elle-même endormie, les bougies tombant sur le linceul ont mis le feu au lit. Mais c’est sur la scène du rêve que s’offre le mystère le plus angoissant de ce qui unit un père à son enfant mort comme s’exprime Lacan. Autre scène au-delà de toute réalité où vient jouer on ne sait quel secret partagé entre un père et son fils. L’enfant qui brûle des pêchés du Père mais Père pourtant qui soutient la structure du Désir avec celle de la Loi. Le feu nous cache le lieu même de ce Réel d’une rencontre immémorable entre un père endormi et son enfant mort. Freud est au plus près là de ce qui fut sa passion, au plus près de ce qui touche à sa propre relation à la question du Père de laquelle, Lacan le souligne, il ne viendra finalement jamais à bout.
Mais tel que nous l’enseigne le fantôme d’Hamlet, sorti tout droit du lieu de ses pêchés, le Père ne donne pas tout bonnement les interdits de la loi sans poser aussi sur le texte dont se fait l’ICS le colophon du DOUTE. C’est ce qu’avance ici Lacan suivant Freud se détournant du point de fascination que constituait ce rêve. Car ce n’est pas en termes de vérité que Freud poursuit son élaboration mais autour d’une question concernant le fondement de la CERTITUDE. Comment en effet Freud va-t-il fonder une certitude au sein de l’expérience qui est la sienne? Expérience dans laquelle il est possible de faire surgir ce qui ponctue sans cesse le texte de toute communication et qui connote tout ce qu’il en est du contenu de l’ICS en des termes qui pourraient s’énoncer ainsi: « Je ne suis pas sûr, je doute ». Lacan poursuit alors en pointant que c’est bien là, à l’endroit du doute, que Freud trouve l’appui de sa propre certitude. A cet endroit ponctué par le doute il y a bien pour Freud quelque chose à préserver alors que le doute devient lui-même le signe de la RESISTANCE. Lacan souligne alors la convergence de la démarche freudienne et de la démarche cartésienne. Si Descartes nous dit « Je suis assuré, de ce que je doute, de penser » et ainsi que « de penser, je suis » il oublie qu’il ne peut le formuler le « je pense » qu’à nous le dire c-a-d qu’il oublie que son « je pense » ne peut être détaché d’un dire. Si Freud quant à lui soutient de la même façon que là où il doute c’est bien qu’une pensée est présente il convient d’ajouter que pour lui elle est INCONSCIENTE c’est-à-dire qu’elle est bien là à l’endroit du doute mais s’y révèle comme ABSENTE. Et c’est à cette place que Freud appellera le « je pense » où se révèlera le SUJET de l’ICS. Cette pensée toute seule grosse de tout son « Je suis » nous dit Lacan est bien là à condition, pour Freud, que quelqu’un PENSE A SA PLACE. Ce qui joue sur une toute autre portée que le « Je pense » cartésien. On saisit là la différence, le point de divergence entre Freud et Descartes. Freud n’est pas dans la certitude du « je suis » car il n’est pas dans celle du « je pense » et la certitude qu’il retire du doute n’est pas certitude du sujet mais cette autre certitude que dans le CHAMP de L’INCONSCIENT LE SUJET EST CHEZ LUI car c’est bien dans ce champ, que Lacan nomme le champ de l’Autre, que le sujet trouve sa place, son habitat.
C’est par cette certitude que Freud a changé notre appréhension du monde comme Lacan nous le rappelle. Le sujet non cartésien mais freudien, le sujet de l’ICS ne se saisit pas en un « je pense » mais là même où un « ça pense » précède toute certitude.

Tromperie et Vérité.

Revenons donc pour finir vers cette question de la tromperie ouverte par l’hystérie. Nous savons que Descartes a introduit une coupure entre savoir et vérité; la science dès lors a pu se préoccuper de savoir alors que la clé de la vérité Descartes la remet finalement à Dieu: si Dieu nous dit que 2 et 2 font cinq et bien ça fera 5, ce n’est pas ce qui empêchera la science d’avancer…Nous savons toutefois le souci qui fut le sien de devoir établir le fondement de la science, quoi qu’il en soit, sur un Dieu non trompeur. En effet se pourrait-il que Dieu nous trompe ? On sait que la question du Dieu trompeur fut en débat et jusqu’à Einstein qui l’a réactualisée d’une certaine façon dans un échange fameux (le principe d’incertitude semble impliquer que l’Univers obéit au libre jeu du hasard et de la nécessité. Albert Einstein affirma à ce sujet : « Dieu ne joue pas aux dés », ce à quoi Niels Bohr répondit : « Einstein, cessez de dire à Dieu ce qu’il doit faire ! » (selon d’autres: «Comment savoir à quoi Dieu joue? »)). Au niveau de la psychanalyse en tout cas le corrélatif du sujet n’est plus l’Autre trompeur, pour reprendre les termes de Lacan, mais bien l’Autre trompé. Le sujet peut craindre de nous tromper et plus encore que nous puissions nous tromper. En d’autres termes ce que Freud va accentuer c’est que l’inconscient peut aller bien loin dans la voie de la tromperie, par la voie du rêve notamment : sa patiente homosexuelle n’en finit pas de rêver qu’elle désire des hommes…Mais il n’en demeure pas moins qu’il peut répondre à ses détracteurs (« elle vous trompe») que l’ICS n’est pas le rêve. Ce qu’il veut dire, en effet, peut s’énoncer très simplement : si quelqu’un produit l’énoncé « je mens », au niveau de l’acte de parole c’est-à-dire non plus de l’énoncé mais de son énonciation, il est possible de lui répondre que ce faisant il dit la vérité. Le problème donc de la vérité, que nous retrouvons ici, est ailleurs.
Et Freud ne peut s’en laver les mains à la façon de Descartes en en confiant le soin à Dieu lui-même. La vérité est aussi dans ce que souligne Lacan indiquant ce que Freud rate au niveau de son interprétation tant avec la jeune homosexuelle qu’avec Dora. Il s’agit de ce qui se réalise ainsi et que Lacan a bien souvent répété : le désir de l’être parlant c’est le désir de l’Autre (lieu de l’Inconscient du sujet). Au niveau de l’Hystérie pour la jeune Dora il s’agit de soutenir le désir de l’Autre en l’occurrence celui du Père, dont le sien selon la règle dépend ; soutenir ce désir comme insatisfait, ce qui fait la nature du sien. Soutenir le désir comme désir insatisfait est en effet pour Lacan la définition du désir dans l’hystérie. Quant à la jeune homosexuelle son désir, dans la rencontre du désir de l’Autre, s’actualise comme provocation : voilà comment la vérité soutient, quoi qu’il en soit, les formes manifestes de la tromperie. La jeune homosexuelle s’adresse en rêve à Freud sous la forme d’un défi qui se manifeste à la rencontre du désir de Freud lui-même. Mais c’est selon une même structure qu’elle défie celui de son Père en lui manifestant ce qu’elle voudrait sous son regard incarner elle-même : un Phallus idéal qui saurait, lui, comment se tenir à l’endroit de la Dame de ses pensées….
Nous ne pouvons continuer à parler de l’ICS sans nous pencher davantage sur le fonctionnement du signifiant et son articulation à la faille primordiale de l’ordre, elle, du
Réel. Tuché et Automaton, le principe de répétition et la rencontre, c’est ce dont J.Marc vous parlera lors d’une prochaine session.
L’essentiel sans doute aujourd’hui était de situer cette « Autre Scène », celle de l’ICS, sur laquelle Freud s’adressant à nous le fit en ces termes : « Wo es war soll ich werden ». Oublions les traductions douteuses (« Le moi doit déloger le çà »….) pour garder en mémoire le devoir freudien que sa passion peut nous transmettre:
« Là où c’était il me faut advenir »…

Jean-Claude Molinier