Jean-Claude Molinier: Conte à lire de la folie ordinaire

Alger, 27 avril 2014
(Exposé présenté à l’hôpital Maillot, Bab-El-Oued Service de psychiatrie du Dr Benouniche)

« Par la folie qui l’interrompt, une oeuvre ouvre un vide, un temps de silence, une question
sans réponse, elle provoque un déchirement sans réconciliation où le monde est bien contraint
de s’interroger. » M. Foucault, « Histoire de la folie ».
La folie, absence d’oeuvre. On a souvent critiqué cette position de Foucault. Et pourtant
sans doute a-t-il raison, sans-doute elle fut mal comprise. Cela me paraît juste, ça tombe
juste à partir de ce que je voudrais vous dire aujourd’hui au regard de la folie, d’une folie
native, originaire, pour l’être parlant, distincte de la psychose qui est, elle, déjà réponse à
cette folie, invention voire création qui fait réponse, suppléance, à ce « vide » qu’ouvre la
folie. Suppléance différente seulement de ce qui fait finalement aussi suppléance dans la
névrose…
Il ne suffit pas d’entendre…
Je voulais aujourd’hui revenir peut-être en deçà de ce qui vous a été présenté,
revenir vers la naissance de la clinique borroméenne, car il y a là un passage un moment de
rupture et de changement dans l’enseignement de Lacan qui bouleverse la clinique de la
psychose tout en permettant de reconsidérer celle de la névrose.
En outre il m’apparaît que son acte de naissance est indispensable à son usage et à sa
lecture. Ce passage est celui d’une clinique structurale, que l’on peut qualifier de
discontinue, on verra pourquoi, à une clinique du continu, celle qui se réalisera grâce à une
écriture, car je pense que l’on peut qualifier la clinique des noeuds comme une écriture
borroméenne.
Je me limiterai aujourd’hui à essayer de vous préciser ce moment de rupture qui force Lacan
vers cette nouvelle écriture, cette « autre écriture » comme il le dira lui-même. Sachons
seulement que cette clinique que nous dirons borroméenne permet non seulement
d’aborder la psychose, mais aussi un ensemble d’évènements que l’on situait mal entre
névrose et psychose et que l’on ne savait aborder faute de les avoir situés au travers de ce
que l’on pourrait appeler leur mode de suppléance, ce qui est en jeu dans le « sinthome »
(écrit comme cela). En effet la clinique structurale issue, dans la psychanalyse, de la théorie du
signifiant (d’où sa discontinuité) en accord avec cet énoncé radoté très souvent,
« l’inconscient est structuré comme un langage », permet par exemple d’opposer psychose
et névrose en qualifiant la névrose par le refoulement et en isolant la psychose autour du
concept de forclusion, forclusion du NdP.
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Dans la clinique liée à l’écriture borroméenne le Nom du Père apparaîtra de plus en plus luimême
comme une suppléance, mise à disposition pour le névrosé, outil permettant de
bricoler ses symptômes. Dans la psychose, Lacan lisant James Joyce, lecteur donc d’un
écrivain flirtant avec l’illisibilité, met en évidence l’invention présente dans l’écriture
Joycienne. Cette invention, Lacan la définira comme une suppléance singulière qu’il
nommera sinthome. Grace à ce sinthome Joyce suppléera à la carence paternelle en se
faisant un nom. Il « tiendra » selon une position subjective singulière qui lui permettra de ne
pas sombrer dans une psychose déclenchée.
La clinique borroméenne prenant en compte non le langage mais lalangue, non le signifiant
mais le signe, non la parole mais avant tout l’écriture, posera, dans une même continuité,
névrose et psychose tout en les différenciant selon leur mode de suppléance : particulier
dans la névrose, absolument singulier au regard de la psychose. Cela suppose en tout cas
qu’il faille dans tous les cas suppléer, réparer quelque chose qui ne tient pas, qu’il y a dans
tous les cas une rupture qui ne permet pas à un sujet de « tenir ».
Autrement dit nous pouvons tous devenir fous ou bien plutôt encore, nous portons tous en
nous une folie native originaire si vous voulez. La question est de savoir où elle se tient.
Bien sûr nous avons par formation, déformation, coutume d’identifier psychose et folie. Il
serait peut-être temps au contraire de réhabiliter ce terme de folie. Afin de distinguer de la
psychose cette folie qui conformément à un énoncé de Lacan, mais pas seulement, nous
accompagne toujours sur cette limite que nous devons tous inscrire et inventer par les
trouvailles de nos symptômes.
Certains analystes parlent de forclusion généralisée pour évoquer cette forclusion
fondamentale dévoilée par la carence du Nom du Père et qui lui est, de fait, antérieure. Elle
est le fait d’un trou, d’une disjonction entre Réel et Symbolique, où la jouissance forclose du
symbolique apparaît dans le Réel et par rapport à quoi nous avons tous à inventer un mode
de suppléance. Mais je reviens vers la folie justement en tant que cette forclusion
généralisée a un lieu, un lieu où l’Autre Symbolique, celui du signifiant, n’existe pas, où
l’Autre est troué incomplet, inconsistant, inexistant à l’endroit du Réel et du fait du Réel. Ce
lieu étant ce qu’on appelle la langue, langue maternelle ou lalangue comme l’écrira Lacan.
Celle-ci recelant, dans ce qui s’y dépose et ce qui s’inscrit du Réel, une ressource toujours
offerte à la folie.
Nous pouvons entendre aujourd’hui parler de psychoses ordinaires qui sont ces psychoses
non-déclenchées, psychoses suppléées, sinthomées, qui ne présentent pas les phénomènes
élémentaires de la psychose ni l’expression manifeste et « extra-ordinaire » (hallucinations,
délire …) des formes caractéristiques de la psychose (« style » Schreber). Nous pourrions
parler également de ces dites toxicomanies (certaines en tout cas) dans lesquelles la
toxicomanie n’est que suppléance parfois à une psychose non déclarée parce qu’elle est
ainsi compensée. Il peut s’agir aussi de ceux que l’on regroupe sous le nom de borderline,
état limite… faute de savoir les classer. Comme s’ils se baladaient dans l’entre deux entre
psychose et névrose … Mais nous pouvons aussi rencontrer dans l’anorexie, la boulimie, la
fibromyalgie comme dans certaines pathologies psychosomatiques des évènements
corporels (non hystériques) qui sont aussi de l’ordre du sinthome tel que Lacan le définit. On
sait, par exemple, que certaines maladies graves qui pourraient être de l’ordre
psychosomatique peuvent venir s’inscrire en opposition d’un déclenchement psychotique …
Tout cela reste énigmatique dans la mesure où nous nous heurtons à l’inanalysable, à
quelque chose qui est de l’ordre d’une écriture (parfois sur l’organe) mais qui reste illisible,
comme le remarquait Lacan (en effet on est sûr en tant que clinicien qu’il y a une écriture
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mais on ne sait pas la lire). Une écriture donc qui ne se réaliserait que par sa lecture dans la
mesure où l’analyste rencontre le patient dans le cadre d’un transfert inversé, d’une
certaine façon. Le savoir n’est pas supposé du côté de l’analyste (ce qui est le moteur
habituel du transfert i.e. le sujet supposé savoir) mais il se trouve de façon énigmatique dans
la langue du patient. J’ai bien dit dans lalangue. Il n’ y a qu’accord premier, par lequel nous
accusons réception d’un signe qu’il nous envoie pour pouvoir le suivre et l’accompagner
dans sa lecture d’une écriture énigmatique qui pourra ainsi se réaliser. Les effets
thérapeutiques ou leur absence sont ainsi imprévisibles et parfois, même après-coup,
inexplicables … Il suffit de se nouer à lalangue propre et toujours très singulière du patient
pour lui permettre l’élaboration de ce que Lacan appellera suppléance ou sinthome.
En ce sens le psychanalyste se distingue du médecin sans s’y opposer. Qu’un dit toxicomane,
qu’une fibromyalgie soient traités médicalement, il n’y a aucune raison et il serait en outre
dangereux de s’y opposer. Car il peut s’agir d’une suppléance dont le patient ne peut se
passer sauf à devenir complètement fou … et de plus il y trouve temporairement sans doute
un nom au travers d’une désignation médicale qui fait lien social … ne serait-ce que dans
l’institution qui l’accueille. Son nom de (comme dirait M. Duras)… toxicomane. Il suffit alors
pour le psychanalyste de l’accompagner vers l’évolution de ce qui s’inscrit ainsi comme
sinthome.
Origine de la clinique borroméenne :
Le langage et la langue
Dans la psychanalyse, l’approche structurale relève d’une pratique qui a concerné
d’abord et toujours de façon privilégiée le traitement de la névrose. Ainsi Freud qui percevait
le délire psychotique par exemple comme une « tentative de guérison », le situant ainsi déjà
dans le registre d’une invention (c.a.d non en terme de déficit), pensait toutefois que la
méthode psychanalytique devrait sans doute évoluer afin de pouvoir aborder la psychose.
Toutefois aussi, la méthode qu’il avait inventée ne l’empêchait pas de reconnaître quelques
limites au travers de ce qui reste du symptôme dans la névrose, restes qui, pour lui,
exigeaient une reprise du travail analytique au bout de quelques temps mais aussi… restes
de fait … incurables. Simultanément il rencontrait ce qui restait pour lui en impasse du côté
de ce qui est irreprésentable au niveau de l’ICS, concernant la sexualité féminine (cf. sa
fameuse question « Que veut une femme ? », mais pas seulement …).
Il semblerait que je sois en train de nouer ainsi trois choses, l’inabordable de la psychose, les
restes symptomatiques incurables dans la névrose et l’énigme de la sexualité féminine, les
nouer autour d’un trou.
Lacan situe ce trou dans une disjonction fondamentale entre Réel et Symbolique, ce qui
renvoie à cette problématique que Freud nommait refoulement originaire. Il ne faut pas
succomber à cette manie de « chercher toujours l’origine » car nous l’avons peut-être à tout
moment prête à s’ouvrir sous nos pas, exactement comme le traumatisme qui, bouleversant
l’ordre habituel du temps, revient à certains moments de la vie à la même place, comme un
Réel qui ignore le temps, comme un chaos dont nous sommes toujours contemporains
(l’amour, en tout cas un certain amour, en ce sens, pourrait bien être de l’ordre du
traumatique …).
Ce que je nouais ainsi entre l’incurable de la névrose, l’inabordable de la psychose par
laquelle le psychotique se trouve contraint d’inventer seul quelque chose (métaphore
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délirante par exemple) et la sexualité féminine ne doit pas, pour les dames qui sont ici
particulièrement, apparaître sur le versant d’une carence, bien au contraire c’est plutôt un
hommage (pas bon pour moi parce que ça résonne avec homme âgé … vous voyez, là, je suis
bien dans la langue … d’équivoque en équivoque nous passons au dommage qui a lui-même
plus d’un sens … imaginez un psychotique entendant tout ceci dans hommage , il y réagirait
sans doute, et il y a là de quoi devenir fou …). Hommage donc qui se porte vers une folie
native, précoce, par laquelle nous devons tous passer. C’est elle qui nous poussera à inventer
une suppléance que l’on soit par la suite névrosé ou psychotique. Folie commune donc mais
folie quand même, originelle, car elle a son berceau dans quelque chose qu’il faut distinguer
du langage et qui s’appelle la langue, la langue bien nommée maternelle, que Lacan
introduira en un seul mot, pas pour rien, et on verra pourquoi, à partir du séminaire
« Encore » : lalangue donc. Un seul mot pour évoquer la lalation, mais aussi le fait qu’elle est
faite de l’Un seul, du signifiant UN tout seul, car il n’y a plus ou pas le couple de signifiants
S1->S2 qui joue dans le langage, mais nous allons y revenir.
Il est là, ce berceau de notre folie, dès les premiers cris et balbutiements, dès les premiers
appels de cet être parlant que Lacan nommera « parlêtre » au moment même où il
désignera la langue maternelle dans le terme, en un seul mot, de « lalangue ». Celui qui ne
tient son être que de la parole se trouve mis en souffrance d’être, ou de n’être (bonheur
parfois de l’équivoque du naître) … de n’être que celui dont le corps se disjoint à l’endroit
d’une jouissance énigmatique qui l’affecte au point le plus vivant mais aussi le plus réel.
Ainsi, selon certaines remarques de Freud, lorsque Lacan dira que les femmes « ont la
parole mais pas le langage », c’est presque la même chose que lorsqu’il dit que « les japonais
n’ont pas d’inconscient » ou que l’écrivain James Joyce « est désabonné à l’ICS … ». Là
encore rien de péjoratif, bien au contraire, car c’est le même ordre d’hommage qu’il se
rendra à lui-même en prononçant « avoir inventé quelque chose qui va plus loin que l’ICS »,
que l’ICS parfois nommé freudien. Et il l’a inventé à partir de cette dimension touchée par
Freud en certains points de butée mais dégagée et nommée par Lacan en tant que telle
comme Réel.
Est-ce à dire que l’ICS symbolique freudien serait effacé par cet « inconscient réel » dont le
terme fut prononcé par Lacan une fois ? Il ne faut sans doute pas le penser ainsi.
Rappelez-vous que Lacan disait de l’ICS chez Freud qu’il est d’abord (je vous ai déjà parlé de
ça) de l’ordre d’une faille qui rejoint ainsi la question de l’être telle que l’énonce Lacan
comme « une faille inscrite en son essence ». Dès lors cette faille qu’est l’ICS on va l’aborder
selon l’ordre symbolique (quand il s’agit de la névrose) ou au plus près de ce qui s’inscrit
d’un trou dans le réel quand il s’agit de la psychose.
Il y a un trou lié au symbolique, une forclusion fondamentale qui concerne tout parlêtre:
c’est le lieu d’un Réel d’où fait retour la jouissance, en tout cas une jouissance hors sens non
soumise au signifiant et au symbolique, folle … énigmatique. Cette jouissance est celle qui
peut envahir le psychotique mais concerne aussi celle que Lacan interrogera comme
jouissance du corps au travers de la jouissance féminine ou de la jouissance mystique. Ainsi
pourra-t-il dire que « les femmes sont folles », au sens où elles ont à faire avec une
jouissance qui est de l’ordre de la folie … mais à la fois il ajoutera qu’elles sont … « pastoute
» folles. Et il y a là quelque chose d’essentiel concernant la psychose (nous verrons sur le
tableau des formules de la sexuation ce qui peut distinguer au regard de la jouissance le féminin du
psychotique).
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Une femme ayant cet « arrimage » au semblant phallique (jouissance qui se dérobe au
phallus) qui fait défaut au psychotique du fait de la forclusion du NdP … cela peut rendre
compte en effet de ce qui fut désigné comme « pousse à la femme » du côté de la psychose
(cf le « fantasme » du Pdt Schreber), ce qu’il faut suivre sans doute avec le psychotique pour
l’ « accompagner » vers un « pousse à CREER » (sinthome). De fait c’est la langue qui fait le
berceau de cette folie.
Ce qui s’introduit là c’est un ordre de rupture différent de la coupure signifiante, rupture par
rapport à laquelle quelque chose se détache et ne tient plus. Moyennant quoi la structure
subjective elle-même ne peut plus tenir.
Entre le séminaire « Encore » et celui sur « le Sinthome » Lacan reprend la question du Nom
du Père symbolique en le renversant comme père du nom, moyennant quoi il le pluralise : les
noms du père. Il s’agit alors de ce qu’il puisse y avoir un nom du père imaginaire, un nom du
père réel, un nom du père symbolique. En fait, l’essentiel, antérieurement à l’opération
symbolique du NdP, à la métaphore paternelle, c’est la nomination en tant que telle.
C’est ce qui nous conduira sur la voie du sinthome. Sinthome qui rejoint ainsi le père du nom.
Le père du nom est un bricoleur, le sinthome est de l’ordre de l’art au sens premier d’artisan
(ce qui peut faire aussi artiste). Le père du nom c’est celui qui, à l’endroit d’une disjonction
entre le symbolique et le réel, va bricoler tel un artisan ou un artiste c.a.d nommer comme il
peut ce noyau de réel, ce bout de réel que Lacan désignera dans le « non-rapport-sexuel ».
C’est grâce à son désir, son désir engagé vers une femme qui en est la cause, comme objet a,
qu’il pourra ainsi nommer, je dirai … les « choses de la vie » …
Ainsi, dira Lacan, concernant ce père du nom,
« Toute rationalisation est un fait de rationnel particulier, c’est-à-dire non pas d’exception,
mais de n’importe qui. Il faut que n’importe qui puisse faire exception pour que la fonction de
l’exception devienne modèle. Mais la réciproque n’est pas vraie. Il ne faut pas que l’exception
traîne chez n’importe qui pour constituer, de ce fait, modèle. Ceci est l’état ordinaire.
N’importe qui atteint la fonction d’exception qu’a le père. On sait avec quel résultat : celui de
sa Verwerfung, ou de son rejet, dans la plupart des cas, par la filiation que le père engendre
avec les résultats psychotiques que j’ai dénoncés. Un père n’a droit au respect, sinon à
l’amour, que si le dit, le dit amour, le dit respect, est, vous n’allez pas en croire vos oreilles,
père-versement orienté, c’est-à-dire fait d’une femme, objet petit a qui cause son désir. »
(Nous retrouverons cela au niveau des formules de la sexuation).
Dans la dernière partie de l’énoncé vous entendez que Lacan évoque ici le père du nom, celui
qui peut être n’importe qui mais pas pour celui ou celle dont il est le père, c’est-à-dire au
niveau de ce Réel disjoint du symbolique qu’il nomme pour son enfant du fait qu’il est
engagé lui-même dans ce réel de l’absence de rapport sexuel où il se débrouille comme il
peut avec ses propres fantasmes et ses symptômes, tourné vers cette femme qui cause son
désir … De là il se constituera comme père imaginaire et comme père symbolique au temps
de l’OEdipe … Nous sommes là dans la névrose, entre particulier et universel, où se constitue
le Nom-du-Père comme opérateur symbolique, métaphore séparatrice dont se structure
l’ordre signifiant (l’Autre symbolique). Le père, dira Lacan, « on peut s’en passer à condition
de s’en servir ». Ce bricoleur qu’est le père du nom affronté à l’impossible d’un réel révèle,
c.a.d dénonce, la forclusion fondamentale qui est celle du Réel de l’absence du rapport
sexuel. Et à la fois sachant « faire avec », il peut devenir pour son enfant le Père symbolique.
Si ça ne se produit pas (forclusion du NdP) alors, à son tour, son enfant devra inventer cette
suppléance qui fera de lui le père du nom … C’est ce que fera Joyce dans son sinthome. Ainsi
Lacan dira « Joyce-le-sinthome » pour indiquer que ces trois mots liés forment le nom de
Joyce. Car le sinthome qui est de l’ordre de l’écriture, et dont Lacan dira dans un séminaire
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ultérieur qu’il est bien de l’ordre du signe et non du signifiant, le sinthome chez Joyce est un
savoir-faire avec lalangue, grâce auquel Joyce se fait un nom pour suppléer à la carence
paternelle, sans sombrer dans la folie. Lacan alors reprend le sinthome à son compte pour
présenter le Réel comme étant sa réponse sinthomatique à Freud. Il répond ainsi au
privilège donné par Freud à la fonction paternelle, précisant ce faisant que celle-ci ,au regard
du réel, n’est qu’un mode de suppléance parmi d’autres. Le NdP, le père symbolique, la
métaphore paternelle, pourrait être le symptôme de Freud mais parce qu’il est aussi ce que
Freud découvre dans la névrose comme suppléance particularisée dans les symptômes
névrotiques au regard de l’ « universel » du complexe d’OEdipe.
Ce que nous pouvons avancer d’ores et déjà de lalangue c’est qu’il s’agit de quelque chose
qui concerne le signe en tant que tel (au-delà du signifiant qui est le propre du langage) mais
aussi de la dimension d’une écriture autonome, indépendante de la parole et au plus proche
d’un réel dont s’articule la parole. Ou plus exactement dans l’articulation silencieuse de la
parole. Et ceci est le fait de lalangue, non du langage. Par ailleurs Lacan insista toujours sur le
fait qu’il n’y a d’invention que d’écriture et, en effet, le sinthome est une invention et il est
fait d’un savoir-faire avec la langue qui concerne avant tout une écriture. Ainsi déjà dira-t-il
dans « RSI » à propos du symptôme au regard de la névrose, et peut-être justement à
l’endroit d’un « incurable » reste :
«L’important est la référence à l’écriture. La répétition du symptôme est ce quelque chose
dont je viens de dire que, sauvagement, c’est écriture, ceci pour ce qu’il en est du symptôme
tel qu’il se présente dans ma pratique. »
Mais qu’en est-il de cette écriture ?
Il s’agit d’une invention qui est là pour faire suppléance, pour tenir subjectivement dans la
névrose, face à un point de rupture d’où pourrait émerger dans le Réel une jouissance folle,
insoumise au signifiant. Celle-là même qui dans la psychose envahit et déborde le parlêtre,
d’abord sans recours. Cette dite « sauvagerie » évoquée par Lacan s’approche en outre sans
doute de ce que Freud relevait en ce qui, chez les femmes, lui apparaissait dans l’ordre du
non civilisé. Car la langue n’est pas, d’abord, civilisée et pour Freud la civilisation commence
par un meurtre, le meurtre du père.
La fonction paternelle, ce que Lacan théorisera comme NdP, est bien ce qui fonde l’ICS
comme … structuré. Ainsi la phrase de Lacan « L’inconscient est structuré comme un
langage » renvoie à la théorie du signifiant par laquelle il formalisera, au plus juste de ses
formules, l’ICS freudien.
L’ICS structuré comme un langage, c’est le fait d’une opération, celle du Nom du Père,
opérateur structural qui ordonne la langue, la lalangue maternelle, selon un discours, celui
dont elle se structure. L’introduction de ce discours comme lien à l’Autre (à l’Autre maternel
premièrement) fait médiation entre le Sujet et L’Autre. C’est ce qui fait que l’Autre existe en
tant que Symbolique et devient le lieu par rapport auquel le Sujet va apparaître comme
signifiant. Ceci est lié à l’appel de l’enfant par exemple, appel qui le fige en l’inscrivant au
lieu de l’Autre comme S1. Pourtant l’Autre dans le meilleur des cas répond à l’appel qui
finalement anticipait, sans le savoir vraiment lui-même, sa réponse. D’où ce S2 en réponse
de l’Autre Symbolique qui a sans doute effet de sens mais aussi d’éclipse pour le sujet. En
effet si Lacan peut dire que « le signifiant représente le sujet pour un autre signifiant », ce S2
du couple signifiant S1-> S2, ainsi mis en relation, fait que le sujet inscrit comme S1
disparaît, s’élide en tant que tel dans le S2. De là on peut dire que le sujet ex-siste (en deux
mots donc) à l’ordre symbolique et au signifiant. Sujet divisé par le signifiant (S). Car cette
relation S1-> S2 est liée à une coupure entre deux signifiants. Cette coupure est ce
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qu’introduit la métaphore paternelle qui est donc à l’origine de cette structure de discours,
qui est le discours du Maître, entendons-le comme nommé ainsi à partir du signifiant S1 en
position d’agent, signifiant maître qui, à proprement parler, est le discours de l’ICS freudien
(que je vous écris au tableau). La coupure n’est rien d’autre que la castration symbolique, car la
métaphore paternelle introduit la signification phallique et, de là, l’effet du signifiant
manquant qui hante la coupure comme -1 : ce qui s’appelle le phallus (comme support du
manque-à-être du sujet). L’effet de cette castration c’est que la disparition du sujet s’articule
à ce qui se produit comme objet, l’objet premier de la pulsion, qui se retrouve là comme
manque, perte, objet cause du désir.
En effet si Lacan écrit la pulsion comme cela S <> D c’est pour dire que c’est par l’appel, et
donc la Demande qui suppose que l’Autre existe, que celui qui n’est pas encore sujet,
simplement sujet à venir, mais déjà parlêtre, saisit grâce à un trajet en boucle, qui lui revient
par la réponse de l’Autre, l’objet comme pur vide (Ecriture et schéma de la pulsion au tableau).
C’est là sans doute, comme le dit très bien Lacan, que l’amour entre aussi en jeu : l’objet du
besoin à l’origine de la demande ou de l’appel, disons d’abord le sein maternel, est oblitéré
par ceci, que la mère donne en réponse son amour au-delà de l’objet du besoin, qui s’en
trouve ainsi forclos et réapparaîtra comme perte, objet perdu en cause dans le désir. On
saisit là deux choses : c’est pour que se mette en place la problématique du désir et aussi du
sujet il faut une symbolisation primordiale (liée à la métaphore paternelle qui permettra le
refoulement et la structure du fantasme qui soutient le désir (que vous voyez là au tableau dans le
discours du maître). Si ça ne se produit pas (et je vous le montrerai sur un exemple issu de mon expérience
clinique) c’est parce qu’il y a cette forclusion qu’on appelle forclusion du Nom du Père. La
demande peut bien continuer son circuit mais l’Autre symbolique n’existant pas, il devient
cet Autre inconsistant, incomplet, auquel le phallus ne peut donner la solution d’un signifiant
manquant et se trouve donc réduit au niveau de son Réel, où l’Autre en tant que tel n’existe
pas ou, ce qui revient au même, se « barre » (comme le dit Lacan) … à tous les sens du
terme.
C’est ce que le névrosé rencontre vers la fin d’une psychanalyse. Mais c’est aussi le
problème de ce qui est en jeu dans la psychose pour laquelle l’Autre n’existe pas et dont
tout le problème consiste à y suppléer. Car il y a bien quelque chose qui ne cesse d’insister
pour qu’à la fin de la cure d’un névrosé reste un noyau irréductible de ses symptômes, la
même chose que ce qu’un psychotique rencontre d’emblée … Ce qui insiste c’est une
jouissance irréductible au signifiant, hors symbolique et hors sens qui concerne le corps
vivant du parlêtre à l’endroit d’un réel, singulier pour chacune et chacun. L’être ou même le
non-être, qui n’est qu’une façon de se poser la question de l’être pour l’être parlant, trouve
ses racines dans une jouissance énigmatique et sa question il la pose à travers le signifiant,
on appelle ça le sujet de l’ICS … Dans la névrose le sujet à recours au Phallus comme support
de son manque-à-être au travers du signifiant. Il en développe sa question. Le psychotique
ne peut s’en poser la question et c’est pourquoi, comme le dira Lacan, la réponse lui est
venue avant que la question ne se pose…
De fait cet Autre qui n’existe pas, inconsistant, troué à l’endroit d’un Réel, est donc
incomplet. Mais il a un lieu, et le lieu de cet Autre inexistant c’est lalangue.
C’est au regard de cette incomplétude, et face à ce trou, que la métaphore paternelle
introduit, grâce à la signification phallique, le phallus comme signifiant manquant
(castration). Elle répond au trou par un « moins un » si vous voulez. Mais ce faisant elle
constitue l’Autre symbolique comme existant, autour d’un pur symbole. Le Phallus deviendra
le signifiant de la jouissance, vidant le corps de sa jouissance, le corps devenant ce « désert
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de jouissance » comme l’exprimera Lacan. La jouissance dite phallique, donc « passée » au
signifiant, s’appareille comme jouissance sexuelle au moyen du fantasme où, par l’effet de la
castration, coupure, elle se donne en se dérobant en cet instant qui s’appelle l’orgasme …
Lire le sinthome
Mais revenons vers la Demande lorsque l’Autre ne se structure pas comme existant
symboliquement, demande qui n’est alors plus qu’un appel qui devient comme une bouteille
à la mer, si j’ose encore ce mauvais jeu de mot … Alors le sujet à venir, même pas sujet
encore mais, pour son malheur ou son bonheur, ce qui revient au même à ce niveau, déjà
parlêtre, va se trouver rester dans cette sorte d’autisme qu’est la langue, lalangue en un seul
mot. Un seul mot et pour cause…car en effet dans lalangue il n’y a que du S1 et … pas de
réponse de l’Autre qui vaille comme séparatrice entre eux deux car l’Autre n’existe pas ; cet
Autre dans lequel, s’il n’y a pas de coupure en lui, entre deux, dans l’entre deux signifiant, si
la mère en l’occasion n’en a pas indexé l’ailleurs de son désir pour un homme à l’endroit de
son amour, la réponse en S2 ne fera pas « réponse » mais amalgame de deux signifiants (S1
S2, si vous voulez). C’est l’holophrase dont parle Lacan, le gel signifiant que l’on retrouve
dans la psychose (et je vous le montrerai à travers un exemple clinique). C’est sans doute le cas aussi
dans certaines « pathologies » dites psychosomatiques. Les signifiants peuvent s’amalgamer
comme une suite de S1, essaim de S1 comme dira Lacan mais ils ne feront jamais que du
S1….sans S2. Ou bien, ce qui revient au même c’est du S1 tout seul qui a pris la place du S2.
De plus, du fait de la non-réponse au niveau de S2, il ne se produit pas ce retour vers le
« sujet » en puissance et donc pas de séparation de l’objet comme objet perdu (celui qui
devient cause du désir). Ainsi Lacan dira que le psychotique à son objet « dans la poche ».
En effet le S1 tout seul est signe et donc marque d’une commémoration de jouissance qui
fait disjonction de jouissance et s’inscrit simultanément comme objet « gros de jouissance ».
C’est par exemple la voix hallucinée de la psychose (dans son double jeu dedans-dehors …
mais pas pour lui) qui commande la jouissance, « voix » à la fois extérieure pour le
psychotique (disjointe) et qui réellement est en lui (non séparée et non perdue). De même le
sujet ne peut venir à l’existence car il n’est pas représenté pour un S2 en tant qu’autre
signifiant. Il se produit un amalgame de deux signifiants en un seul. C’est le principe de toute
équivoque, de l’homophonie, qui est si présente dans la psychose (revoilà mon
« hommage » et mon « dommage » !) et qui est à la racine de la langue, en elle-même.
Avec le névrosé on peut en jouer pour interpréter. Du fait du symbolique existant il y aura
effet de sens, effet « thérapeutique » au niveau de la souffrance des symptômes jusqu’à ce
point limite, ininterprétable, du trognon du symptôme où il va devoir passer d’un savoir
acquis à un savoir troué, quand l’Autre ne répond plus.
Il ne lui restera qu’à apprendre à lire ce qui s’écrit là, donc à savoir faire avec lalangue sans
aucun recours à l’Autre symbolique. Là il rejoint le psychotique avec lequel, dès l’abord, nous
ne saurions jouer de l’effet de sens, nous ne pouvons jouer, nous ne pouvons interpréter car
c’est elle, l’équivoque, qui se joue de lui. (ex d’équivoque utilisée par Lacan: les non dupes errent
… les noms du père (à développer car cela concerne bien ce dont il s’agit…))
L’interprétation dans ce cas étant même à éviter car elle ne pourrait avoir que des effets
aggravants, effet, par exemple, de persécution. Car il s’agit de signes ici et non de signifiants
et le signe peut avoir une infinité de sens ou pas du tout, sans jamais s’arrêter sur une
signification établie.
L’effet majeur du signe n’est pas de sens mais d’affect et de jouissance.
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Nous le voyons avec l’interprétation possible dans la névrose et impossible dans la psychose:
il va y avoir un déplacement de la clinique de ce qui est de l’ordre du langage, du symbolique,
donc du désir, du sujet, du sens, vers une clinique recentrée par le Réel et donc vers lalangue
où il s’agira du parlêtre, de la lettre et du signe, donc du réel de la jouissance.
Lalangue donc vers laquelle nous sommes renvoyés du fait de la forclusion du NdP,
face à l’Autre inconsistant, inexistant, n’est faite que de S1 tout seul et c’est pourquoi ce
signifiant S1 tout seul … devient signe.
Ce signe se constitue d’une écriture qui lui est inhérente. Lalangue, ce sont des traces, des
inscriptions qui, comme au fond d’un fleuve pas tranquille car habité d’un réel à l’endroit de
ses trous, se forment comme autant de dépôts, illisibles d’abord, ceux que son histoire a
recueilli. Ce qui s’inscrit ainsi au creux de la langue vient de ce Réel que Lacan désignera
ainsi : « Il n’y a pas de rapport sexuel ».
Ce qui s’écrit dans lalangue s’écrit au regard, à la place de ce qui ne cesse pas de ne pas
s’écrire (le rapport sexuel) comme rapport entre un sexe et l’Autre sexe qui est celui qui ne
se trouve pas, celui qui a le plus grand rapport avec ce trou dans l’Autre.
Évidemment chaque parlêtre donne à sa lalangue ce tour bien singulier qui en devient
comme une signature et donc pourra faire signe. Derrida remarquait ainsi à propos de Joyce,
dont je vous disais qu’il s’agissait pour lui de se faire un nom, que ce dernier ne cessait de
signer son nom tout au long de son oeuvre. Il ne cessait d’écrire à la limite de l’illisible ce qu’il
lisait, sans doute pour ne pas l’entendre, dans les moindres équivoques de lalangue. Pour ne
pas l’entendre car la parole faisait sur lui effet de parasite, comme le notera Lacan. Pour
savoir faire avec la langue (ce dont il s’agit dans le sinthome) en retrouver la dimension
d’écriture il faut savoir lire et d’abord apprendre à lire, lire ce qui fait équivoque.
C’est pourquoi la clinique de l’entendre se déplace vers cette autre clinique qui consiste à
LIRE le sinthome.
La dimension d’écriture qui se trouve mise en jeu dans le signe n’est toutefois pas
réductible à la première conjecture de Lacan sur l’origine de l’écriture, qui la situait dès la
naissance du signifiant tout en la rendant dépendante, secondaire, par rapport à la
dimension du signifiant. Il devra, à partir de « Encore », reprendre la question du signe et de
l’écriture, d’une autre dimension de l’écriture, pour aller vers sa propre invention, invention
d’une autre écriture, ce que nous allons voir maintenant.
Le signe, l’écriture.
Lacan déclarait, le 5 juin 1970 :
« {…} sous prétexte que j’ai défini le signifiant comme ne l’a osé personne, (qu’) on ne s’imagine
pas que le signe ne soit pas mon affaire ! Bien au contraire c’est la première, ce sera aussi la
dernière. Mais il y faut ce détour. Ce que j’ai dénoncé d’une sémiotique implicite dont seul le
désarroi aurait permis la linguistique, n’empêche pas qu’il faille la refaire, et de ce même nom,
puisqu’en fait c’est de celle à faire, qu’à l’ancienne nous le reportons. »
Il dira sept ans plus tard, en 1977 :
« Tout ce qui est mental, en fin de compte, est ce que j’écris du nom de « sinthome »,
s.i.n.t.h.o.m.e. c’est -à-dire signe. Qu’est-ce que veut dire être signe ? C’est là-dessus que je me
casse la tête ».
Le séminaire « Encore »
Comment vous faire toucher du doigt, si j’ose dire, que nous sommes tous fous ?
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Lalangue c’est ce à quoi on a toujours à faire, névrosé au bout de son « incurable » ou
psychotique beaucoup plus directement … Mais pas seulement car elle court toujours là, en
ce moment, entre nous. Même si nous sommes dans le discours, dans ce qui se structure
comme un langage, en faisant lien social, lien de « communication » si vous voulez, entre
nous, il peut y avoir un « couac », lapsus ou autre chose … C’est la présence de lalangue qui
un instant est apparue. Elle est ce lieu où l’on habite tous, cette folie qui nous hante.
Cette folie nous la rencontrons bien en nous-mêmes, et dans le quotidien, aussi, ça peut se
faire. « Ca peut LE faire », comme disent les ados … Car la langue est faite de signes et il peut
arriver qu’à certains moments de notre vie, pour nous qui sommes dans le langage, dans le
signifiant, le signifiant devienne signe. Ce qui nous replonge alors dans lalangue, toujours là,
quoi qu’il en soit de nos refoulements et de notre « non forclusion »…. Et je peux vous
révéler tout-de-même que vous avez, au regard de votre propre expérience, rencontrer
cette folie, cette folie qui s’appelle l’Amour…
Car l’Amour est un signe et, en ce sens, directement branché sur cette folie qui gite au coeur
de lalangue. Mais dites-moi en quoi c’est interprétable ? En quoi ça a un quelconque sens ?
Que l’amour soit de la folie, il n’y a pas que Lacan qui le dise. Ecrivains, poètes, artistes
ne font que le répéter et nous le savons tous au fond, sans vouloir trop le savoir. En tout cas,
avec l’amour nous ne sommes plus dans l’interprétable, dans le sens.
Nous ne savons plus lire ce qui s’est inscrit ainsi, entre deux, alors que justement nous
avons su lire au moment d’une rencontre, nous avons su lire ce quelque chose … qui sinon
ne se serait pas inscrit.
Quelque chose s’est inscrit du fait qu’un moment, ne serait-ce qu’un instant, nous avons su
le lire … Cet entre-deux n’est pas de l’ordre de la coupure signifiante, mais d’une écriture
illisible d’abord. En effet Lacan dira dans son séminaire « Encore », très justement, que
l’amour est ce qui s’inscrit de la rencontre de deux savoirs inconscients et à la fois qu’il ne
s’agit pas de savoir dans l’Amour.
Mais ça s’inscrit et ça s’inscrit dans l’ordre d’un savoir, d’un savoir issu d’un Réel
inaccessible. D’un savoir qui habite la langue mais d’un réel dont nous ne pouvons rien
savoir : impossible… et non pas seulement interdit. Le signe, signe d’amour nous affecte mais
en tant que tel il n’a ni queue ni tête, si j’ose dire, … aucun sens.
Et pourtant on ne peut que s’y précipiter à tous les sens du terme, on se précipite vers ce
précipité de la langue, ce qui s’y est précipité comme dépôt, qui ne s’est pas réalisé tant qu’il
n’a pas trouvé son lecteur. Moyennant quoi c’est un précipice qui peut s’ouvrir à nous … et
c’est tant pis car on ne pouvait faire autrement que d’affronter cette folie. Avec l’amour il
n’y a aucun savoir possible car ce qui s’y inscrit est produit d’un savoir qui gîte dans
l’impossible, ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, et qui est le rapport sexuel, entre deux.
Moyennant quoi l’amour est l’illusion de ce qui, un instant, (et il faut tenir compte de ce
moment qui est celui du signe), cesse de ne pas s’écrire ce qui… autrement, ne cesse pas de
ne pas s’écrire. C’est ce que dit Lacan dans « Encore ». C’est-à-dire qu’il y a là une dimension
d’écriture en jeu dans lalangue, dimension qui est autre que celle que nous concevons
ordinairement.
Nous avons, René Marchio, qui n’a pu intervenir lors de la session précédente, et
moi, animé un séminaire en trois après-midi à Marseille autour d’une approche de l’écriture,
qui ne se saisit que dans l’instant, et du fait d’un acte de lecture. C’est par la mise en acte
d’un tracé qui est contemporain d’une lecture. Comme, si vous voulez, le premier homme
qui lit dans les étoiles, qui lit les constellations en les fondant ainsi comme signe et écriture …
du Lion, du Sagittaire, de la Licorne ou de la Grande Ourse … Et celles-ci fonctionnent dès
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lors comme signe et comme écriture, alors que dans les étoiles il n’y avait à proprement
parler … ni signe, ni écriture. C’est la très belle phrase d’Hofmannsthal :
« C’est dans le ciel que les hommes apprirent à lire ce qui n’a jamais été écrit ».
Il y a du Réel là-dedans, il y a du Réel dans les étoiles … comme dans l’Amour.
Autrement dit il y a une dimension d’écriture qui touche à un Réel, qui s’écrit d’un Réel dont
nous ne savons rien et qui ne dépend pour se réaliser comme écriture que de celui qui arrive
à la lire … Ecriture inventée par son lecteur, écriture comme invention.
Vous allez me dire … « c’est de la folie ! ». Oui justement … mais c’est aussi l’invention
joycienne, l’invention d’écriture dans le sinthome. Celle qui contre aussi bien cette folie … et
qui est un « savoir-faire avec ».
Cette dimension de l’écriture nous l’avons retrouvée dans les travaux d’une linguiste, Anne-
Marie Christin, sur l’intervalle entre signes en tant que caractères, intervalle comme blanc et
comme écriture c’est-à-dire le blanc comme signe lui-même. Un intervalle donc inscrit en
tant que tel et non comme coupure entre deux signifiants. En effet au niveau du signifiant
(et non du signe) l’intervalle de la coupure est manque, perte, comme il en va dans la logique
du signifiant. Mais l’intervalle entre signes est un « blanc » qui est lui-même écriture et non
perte ou manque.
Ainsi ce sont aussi les travaux de celui qui fut l’interlocuteur de Lacan, François Cheng,
autour de l’ « Unique trait de pinceau de Shitao » qui renvoie au Taoïsme : il s’agit de
l’inscription d’un trait comme vide médian (dans le Taoïsme, il s’agit d’un souffle,
mouvement issu du corps et vide médian entre le Yin et le Yang, pas pour rien sans doute, le
trait d’un vide qui les réunit …). C’est un pur et unique trait d’écriture, de pinceau qui, d’une
attaque et d’un suspens, ce qui est un pur évènement de corps et de la souplesse d’un
poignet, inscrit un trait, un seul trait, comme le S1 dont j’ai parlé dans la langue, inscrit donc
un trait et son effacement en un seul moment, en un seul acte. Lacan remarquera cette
prouesse dans un article intitulé « Lituraterre » qu’il a écrit à son retour du Japon où il eut
l’occasion d’admirer ces peintures calligraphiques qui à partir de la Chine ancienne ont
essaimé dans la zone sino- coréo-japonaise.
Lacan remarquera que, contrairement au signifiant qui nécessite deux temps pour son
engendrement, celui d’un trait et celui de son effacement, comme nous l’avons approché
dans la relation S1->S2, le trait unique fait « bouquet (dit-il) du trait premier et de ce qui
l’efface » en un seul temps, donc en un seul acte.
Mais ce faisant, comme l’écrit Lacan, il inscrit ce petit supplément de l’ « Hun-en-peluce »,
c’est à-dire il s’inscrit aussi, simultanément, comme objet a, plus de jouir.
Ce qui est bien en jeu dans le S1 de la psychose comme je vous en ai parlé à propos de la
voix. Il s’agirait donc bien de l’un seul de l’écriture en jeu dans le signe (S1 tout seul).
Du moins ce fut notre hypothèse.
Un seul trait qui fait disjonction, à la fois écriture et effacement. Dès lors dans le signe
d’amour il s’agirait aussi de cet Unique trait, tout le monde peut se rendre compte qu’il y a
de l’Unique dans la rencontre d’amour, qui à la fois cesse de ne pas s’écrire (illusion que le
rapport sexuel s’écrit) et pourtant ne cesse pas de ne pas s’écrire (impossibilité du rapport
sexuel) : un trait et son effacement, en un seul acte, en une seule fois.
Imaginez ce qui en résulte pour le couple formé de ce qui en provient (à moins pour chacun
justement de se ré-inventer sans cesse … de savoir-faire avec (comme un poète écrivant) …
ça peut bien filer vers le couple du langage S1->S2 qui réalisera en deux temps (signifiant) ce
qui s’est produit en une seul temps lors de ce qui s’inscrit d’une rencontre (écriture) : après
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la réunion viendra (ça durera un certain temps) la séparation …) En effet ce qui s’inscrit
dans le signe est trait disjonctif, un trait qui fait lien d’un pur vide entre deux en donnant
simultanément l’illusion d’un rapport.
Ainsi Lacan reprend la question du signe dans « Encore » où il le retrouve dans une
définition différente, en tout cas plus « élaborée » que celle qu’il avait maintenue, à partir de
Pierce, durant des années (le signe en tant qu’il représente quelque chose pour quelqu’un).
Il la reprend de la grammaire de Port Royal : le signe est alors défini « comme disjonction,
rupture de deux substances qui n’ont en commun rien d’identique». Disjonction et non pas
division car cette dernière est le fait du signifiant et non du signe. Or la disjonction est à
entendre comme disjonction dans le champ de la jouissance, alors que la division, division
du sujet par le signifiant, concerne plutôt celui du désir.
On voit le déplacement d’accent de la clinique, du champ du langage, du désir, du sujet et
du signifiant vers celui de lalangue, de la jouissance, du parlêtre et du signe. Du signe et de
l’écriture.
Mais qu’en est-il de cette écriture en jeu dans le signe ?
Elle est disjonctive, autonome (comme le démontre à partir de la Chine ancienne, de
la calligraphie et du devin chinois (mais pas seulement, cf Anne-Marie Christin) donc
indépendante par rapport au signifiant et si elle sert à transcrire la parole, elle se développe
avant tout dans une dimension autonome qui ne s’y réduit nullement.
Les devins chinois inventèrent l’écriture en lisant sur les carapaces calcinées des tortues, c’est
ce que nous rappelle à son tour, en passant, Patrice Maniglier dans son ouvrage récent « La
vie énigmatique des signes ». Ouvrage justement consacré aux récentes découvertes de
notes de Saussure qui relativisent beaucoup ce que l’on a pu faire de sa définition du
signifiant dans le cadre du structuralisme en ignorant son approche du signe. Et sur un
même fil, Foucault dans « Les mots et les choses » écrit :
« Le signe n’attend pas silencieusement la venue de celui qui peut le reconnaître: il ne se
constitue jamais que par un acte de connaissance ».
Il faudrait, en ce qui nous concerne, dans la psychanalyse, parler plutôt d’ « acte de lecture »
et donc de ce qui le reconnaît, et ainsi le constitue comme écriture. L’opération est bien celle
que décrit Foucault : le signe se constitue comme écriture au moment même de l’acte qui le
lit, de l’acte de lecture.
Ainsi le noeud borroméen comme écriture ne tient que dans l’acte de le faire, il faut « se le
faire » disait Lacan comme mise en acte d’une lecture, « clinique », si vous voulez. Ça ne tient
pas tout seul éternellement. Mais sans cesse ça se reprend pour faire oeuvre, comme celle de
Joyce. Ainsi Lacan est-il conduit, aussi, lors de ce séminaire où il introduira lalangue et le
parlêtre autour de la question du signe, de l’Amour et d’une jouissance qui reste folle,
énigmatique, pas toute prise dans le signifiant, à inventer une autre écriture… la sienne,
propre à son sinthome, le Réel. Et il ne cessera de la reprendre, encore et encore…
A la fin du séminaire « Encore », justement, Lacan précise, comme je vous l’ai dit plus haut,
ce dont il s’agit dans l’ICS, moyennent quoi l’ICS freudien, symbolique, celui de l’ICS structuré
comme un langage, celui de la métaphore paternelle tel qu’il le reprendra lui-même pour le
définir, ne s’efface pas au regard de l’ICS en tant que tel que Freud situait lui-même déjà de
l’insondable refoulement originaire. Ce à quoi Lacan répondra …
Il répondra de son Réel comme impossible.
l’ICS n’est que faille, faille d’un savoir qui choit dans le Réel, dans le Réel d’un savoir qui ne
se sait pas. Moyennant quoi il n’y a, à partir de lui, que moments d’invention qui permettent
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de l’appréhender jusqu’au point où il reste rebelle à toute appréhension. C’est l’analyse
infinie de Freud, c’est l’incurable et la folie, c’est le travail de Freud et de Lacan … jusqu’à ce
que la mort inscrive le mot « FIN ». L’ICS n’est qu’une hypothèse écrivait Freud.
Lacan, à la fin du séminaire « Encore » précisera :
« Si j’ai dit que le langage est ce comme quoi l’inconscient est structuré, c’est bien parce que le
langage, d’abord, ça n’existe pas. Le langage est ce qu’on essaye de savoir concernant la
fonction de lalangue. » De fait ajoute-t-il : « L’inconscient est le témoignage d’un savoir en
tant que pour une grande part il échappe à l’être parlant. Cet être donne l’occasion de
s’apercevoir jusqu’où vont les effets de lalangue, par ceci, qu’il présente toutes sortes d’affects
qui restent énigmatiques. Ces affects sont ce qui résulte de la présence de lalangue en tant
que, de savoir, elle articule des choses qui vont beaucoup plus loin que ce que l’être parlant
supporte de savoir énoncé. Le langage sans doute est fait de lalangue. C’est une élucubration
de savoir sur lalangue. Mais l’inconscient est un savoir, un savoir-faire avec lalangue. Et ce
qu’on sait faire avec lalangue dépasse de beaucoup ce dont on peut rendre compte au titre du
langage. Lalangue nous affecte d’abord par tout ce qu’elle comporte comme effets qui sont
affects. Si l’on peut dire que l’inconscient est structuré comme un langage, c’est en ceci que les
effets de lalangue, déjà là comme savoir, vont bien au-delà de tout ce que l’être qui parle est
susceptible d’énoncer. C’est en cela que l’inconscient, en tant qu’ici je le supporte de son
déchiffrage, ne peut que se structurer comme un langage, un langage toujours hypothétique au
regard de ce qui le soutient, à savoir lalangue. » (cmqs).
Retenons qu’il définit ici l’ICS comme savoir qui, au-delà de son élucubration sur lalangue
comme langage, même si elle est un moment obligée, est avant tout savoir-faire, artisanat
donc bricolage qui va au-delà de ce dont peut rendre compte ce moment où lalangue vient se
structurer comme un langage. Ce qui donc permet d’aborder par l’ICS en tant que savoir-faire
ce à quoi le psychotique doit s’affronter : lalangue qui a du mal à se structurer pour lui
« comme un langage », faute d’un discours établi. Et justement c’est pourquoi il faut
accompagner le psychotique afin de lui permettre d’élaborer comme suppléance ce qui
serait à sa façon un lien social, donc un discours fut-il bien singulier à lui-même.
L’ICS alors devient source d’invention et non d’un savoir qui ne peut être rejoint mais qui
nous fait ressource.
Sur le chemin de lalangue, du signe et de l’écriture, Lacan est alors conduit à l’invention
d’une autre écriture, proche de cet UN, S1 tout seul ou ce qui revient au même, essaim de
S1, signe et marque de jouissance en jeu dans lalangue :
« Le Un incarné dans lalangue est quelque chose qui reste indécis, entre le phonème, le mot, la
phrase, voire toute la pensée. C’est ce dont il s’agit dans ce que j’appelle signifiant-maître.
C’est le signifiant Un, et ce n’est pas pour rien qu’à l’avant-dernière de nos rencontres, j’ai
amené ici pour l’illustrer le bout de ficelle, en tant qu’il fait ce rond, dont j’ai commencé d’interroger
le noeud possible avec un autre. »
Comme il le dira, l’essaim de S1, se caractérise d’un « enveloppement » par où toute la
chaîne subsiste. Enveloppement qui conduit bien au rond, au rond de ficelle comme un-toutseul.
Lalangue comme « Une » et Pas Toute à la fois car elle ne fait qu’enserrer un trou.
C’est l’acte de naissance de la clinique des noeuds qui conduira à l’écriture borroméenne, à
l’écriture du sinthome, du sinthome comme écriture.
L’essaim de S1 s’écrit ainsi, comme une droite à l’infini, qui donc peut faire cercle et donc
avec un trou central … : S1(S1(S1(S1(S1….(S2))))). Le S2 recule à l’infini et devient lalangue
elle-même, pur « enveloppement » du S1 tout seul qui n’enveloppe qu’un trou … qui vient à
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la place du S2. L’essaim de S1 peut résulter du déchiffrage dans la névrose qui au S2
substitue le S1 ou de la forclusion dans la psychose.
Au bout du compte, quoi qu’il en soit, le S2 reflète la division du sujet dans le champ du désir
et du langage ; il est porteur du S1 tout seul comme disjonction dans celui du parlêtre et de
la jouissance. S1 disjoint en, ou entre, symbole et sinthome… S1 comme écriture de l’objet
a. Le S1 tout seul devient « Un », l’Un comme l’ un seul rond de ficelle donc …
L’écriture borroméenne est cette écriture, indépendante du signifiant, « os, ossature », « osbjet
» comme l’exprime Lacan dans le « sinthome », écriture disjonctive de l’objet a (« a »
comme le « a » d’une «(a)utre écriture » comme il le précise également). Ossature à quoi,
ajoute-t-il, on accroche du signifiant par cette dimension, dit-mention, qui est la mention du
dit.
Ce que certains écrivains, poètes ou artistes et d’abord, avant tout, artisans de lalangue,
réalisent autrement comme autant de « performances » dans un style qui leur est propre, et
donc, bien singulier.
On y saisit ce renversement : cette « autre » écriture n’est pas seulement l’écriture inventée
par Lacan mais une « autre » dimension de l’écriture qui existe en effet. Dimension de
l’écriture non seulement comme inventée mais écriture comme invention.
**Je vous ai écrit au tableau les formules de la sexuation, qui vont nous permettre de
visualiser, ce que j’ai pu vous dire sur la jouissance, lalangue et la folie… sur la distinction
entre « femme pas-toute folle » et… psychose au niveau de la jouissance. Ce qui rend compte
du « pousse-à-la femme » chez le psychotique mais aussi du « pousse-à-créer »…
S( A) est ce trou qui habite lalangue, lieu d’un réel, impossible à dire mais non pas à
écrire…c’est le lieu de la folie, folie native de lalangue où l’Autre symbolique défaille… Autre
incomplet, inconsistant, Autre réel inexistant ou Réel (d’une jouissance) qui ex-siste sans
consister comme Autre.. en tant que tel. Ce serait la place d’un nom et comme le dit
remarquablement Marguerite Duras, un mot-trou où s’engouffreraient tous les mots,
ajoutant « il est impossible à dire mais il existe… »

**

molinier

Fantasme: $ <> a                             Pulsion: $ <> D                                    (D= Demande)

Discours du Maître: S1 ——-> S2
.                                    .$              .a

Frank Salvan, LES MORTS

LES MORTS

 Ce texte est une tentative de sensibilisation à la lecture de Joyce, à la connaissance de sa vie, son œuvre et leur entremêlement (si je puis dire).

J’ai tenu, à vous parler d’un des écrits de Joyce que je considère comme pivot dans son œuvre. Il s’agit de la dernière nouvelle de « Gens de Dublin » intitulée « Les morts ». Pourquoi ? Est-ce l’émotion éprouvée à la découverte de ce texte ? Ce que je savais de la vie de Joyce ? Avançant dans la lecture de Joyce et des lectures sur Joyce, j’ai depuis été conforté, par les points de vue de certains analystes, sur l’importance de ce texte.

De quoi nous parle-t-on dans ce récit ? :

A Dublin, une soirée à l’époque de Noël (certains analystes mentionnent l’épiphanie) dans la maison de deux sœurs, Kate et Julia qui vivent avec leur nièce Mary-Jane, se retrouvent amis et parents et surtout Gabriel, un neveu, Gretta, sa femme, couple sur lequel se fixe l’objectif dans la seconde partie de la nouvelle.

Discussions, danse, musique, chants, repas avec le discours d’usage obligé. L’attention est souvent portée sur Gabriel. Chargé du discours il manifeste à la fois fierté et inquiétude et son propos sera un bel hommage, quoiqu’un peu conventionnel, à l’hospitalité irlandaise. Mais Gabriel est parfois quelque peu distant. Nous reviendrons peut-être sur ce sentiment de malaise comme prémonitoire.

Puis l’attention se porte sur le couple Gretta- Gabriel au moment où les convives prennent congé de leurs hôtesses.

Je vous lis la fin de la nouvelle à l’instant où Gabriel au rez de chaussée, à la recherche de sa femme, l’aperçoit en haut de l’escalier et semble ne pas la reconnaître…

Remarquons la subtilité du récit à ce moment : Il ne la reconnaît pas, de ne l’avoir jamais connue et le dramatique est qu’il va apprendre à la connaître par la suite.

LECTURE

« Gabriel n’était pas allé à la porte avec les autres… c’est ainsi qu’il appellerait le tableau s’il était peintre » (Les Morts, p297 T1 Pleiade du milieu de page… fin de la page).

Petit commentaire avant de poursuivre.

Ce passage de la nouvelle est remarquablement illustré dans le film d’Angelica Huston intitulé « Gens de Dublin » qui traite de façon très fidèle au texte et à son esprit la dernière nouvelle « Les morts ».

Je reviens sur la phrase « Il se demanda ce qu’une femme, debout dans l’escalier, écoutant une lointaine musique, symbolise. »

Si je résumais en une formule lapidaire ce paragraphe je l’intitulerais « Contagion du désir ». En effet Gretta est sidérée par l’objet a voix à l’écoute du chant (la fille d’Aughrim) qui la replonge dans le souvenir de son amour et c’est l’objet a regard qui sidère Gabriel, à son tour. Lui aussi voudrait figer cet instant en une peinture qu’il intitulerait « lointaine musique »

Belle transmission et mutation de l’objet a. C’est la vision de sa femme désirante qui attise le désir de Gabriel.

Je me suis souvent demandé comment Gabriel pouvait ne pas reconnaître immédiatement Gretta parmi les convives de cette fin de soirée. Comme je vous l’ai déjà dit, la suite du récit va nous montrer que Gabriel ne connaissait pas vraiment Gretta. C’est tout l’art de Joyce que de créer ce moment d’incertitude.

Je résume la suite : remerciements, salutations et départ de Gretta et Gabriel ; ils se dirigent vers leur hôtel en compagnie d’autres convives.

En route Gabriel, empli de désir, se remémore des souvenirs tendres de sa vie avec Gretta. Je cite le passage d’un souvenir qui l’assaille :

« Dans une lettre qu’il lui avait alors écrite, il avait dit : Pourquoi de tels mots me paraissent si ternes et si froids ? Est ce parce qu’il n’est point de mot assez tendre pour être ton nom 

Telle une lointaine musique, ces mots qu’il avait écrits des années auparavant se portaient vers lui du fond du passé.»

J’insiste sur cet extrait car il s’agit d’une phrase que l’on trouve dans la correspondance de Joyce à Nora1. On voit là comment vie et écrit sont intimement mêlés dans l’oeuvre de Joyce. Il nous parle de lui au travers des pensées de son personnage, c’est ce qui fait la force et la beauté de la fin de cette nouvelle.

Les voici maintenant à l’hôtel, dans leur chambre,

Gabriel questionne Gretta sur sa tristesse. Eclatant en sanglots, elle dit :

« Oh je pense à cette chanson, La Fille D’Aughrim. »

Au travers du dialogue qui s’engage Gabriel va découvrir de réplique en réplique que Gretta aimait un jeune homme de santé délicate, Michael Furey, qui chantait souvent cette chanson. Il mourut peu de temps après son départ de Galway où elle vivait, pour Dublin. Et elle apprend à Gabriel, saisi d’une vague terreur à cette révélation, « je pense qu’il est mort pour moi ».

Je me suis permis de résumer de façon sommaire ces échanges d’une gradation subtile mais je vous invite à lire ces pages d’une grande finesse.

LECTURE de la fin de la nouvelle :

«  Ainsi il y avait eu dans son existence cet épisode romanesque : un homme était mort pour elle …

tandis qu’il entendait la neige tomber, évanescente, à travers tout l’univers, et, telle la descente de leur fin dernière, tomber, évanescente, sur tous les vivants et les morts. »

Je considère cette dernière nouvelle comme une œuvre pivot dans l’œuvre de Joyce ; elle est écrite à la fin des Gens de Dublin après l’échec de son séjour à Rome mais bien après les autres nouvelles du recueil. Et ceci à un moment où Joyce va assumer un statut d’exilé permanent. Il signe là un texte de grand écrivain. C’est à cette période qu’il réécrit « Stephen le Héros » pour en faire le « Portrait de l’artiste en jeune homme » ; il va écrire « Les exilés », « Ulysse » et « Finnegans Wake ».Toute son œuvre à venir pourra être considérée comme des chants de l’exil et Ellman son biographe présente « Les morts » comme le premier des chants de l’exil.

Lisant et relisant « les morts » je suis arrivé à penser cette nouvelle comme un rêve de Joyce. Son contenu serait le rêve manifeste et me substituant à Joyce, j’ai tenté de faire le travail du rêve pour découvrir deux ou trois choses de l’art de Joyce.

J’en commente quelques éléments.

  1. Ce travail (du rêve) nous permet d’identifier dans l’écrit les différents acteurs proches de l’entourage de Joyce (père, amis irlandais, en particulier l’importante Mrs Ivors puisque c’est elle qui renvoie à la référence symbolique à l’Ouest, le pays de Gretta, c’est à dire de Nora, le pays de l’Irlande authentique, en conflit avec le choix de l’exil vers le continent.

  2. Le chant « la fille d’Aughrim » renvoie au fantasme d’enfant mort. C’est un fantasme que l’on retrouve dans de grandes œuvres : Mort à Venise de Mann, Les affinités électives de Goethe, les Kinder Totenlieder de Mahler…

  3. Ce chant joue par ailleurs un rôle important dans le couple Nora-Joyce comme chez Gretta-Gabriel. Joyce était tourmenté par un amour d’adolescence de Nora, histoire similaire à celle de la nouvelle : mort du jeune Michael, ami de Nora, comme le Michael de la nouvelle. Le parallèle rêve – réalité est étonnant. En outre Joyce ressemblait au Michael de la réalité.2 Cet épisode de la vie de Joyce et Nora est plusieurs fois transposé dans les autres écrits de Joyce.

  4. Le personnage de Gabriel est une belle condensation de Joyce père (le discours de la réception est une réplique de ce que faisait le père de Joyce ) et de James Joyce lui même (épisode de la fille d’Aughrim).

  5. Le rêve révèle des conflits inconscients qui agitent l’esprit de Joyce au moment où il est prêt à s’exiler définitivement : choisir la vie en Europe et sa modernité ou faire le voyage vers l’Ouest, le pays authentique de Gretta-Nora, pays de l’amour absolu, même si la mort arrive tôt pour achever le voyage. Dans une lettre à Nora restée à Trieste pendant un court séjour de Joyce à Dublin, il lui écrit : « Je pars pour Cork demain matin mais je préférerais aller vers l’ouest, vers ces étranges lieux dont les noms me font trembler quand tes lèvres les prononcent, Oughterard, Clare-Galway, Coleraine, Oranmore, vers ces champs sauvages du Connacht où Dieu a fait pousser « ma belle fleur sauvage des haies, ma fleur bleu sombre trempée de pluie » ». 3

  6. Pour illustrer le caractère onirique de la nouvelle, je finirai par l’épisode du bruit sur la vitre que j’ai souligné pendant la lecture. Gretta l’évoque dans le récit de son adieu à Michael qui mourra quelques jours plus tard et Joyce le reprend à la toute fin du récit quand Gabriel épuisé, en larmes, s’endort. Cette fois, c’est la neige qui provoque ce bruit à l’instant où Gabriel a cru voir au travers de ses larmes le fantôme de Michael entouré d’une cohorte de morts. La neige recouvre morts et vivants et apaise le conflit mort – vivant qu’avait attisé sa frustration de n’avoir pas vécu un amour aussi absolu que celui qu’a vécu sa Gretta-Nora.

J’ai ainsi choisi de présenter ce texte majeur qui clôt Dubliners comme un rêve et j’ai essayé de repérer quelques éléments du travail du rêve.

Cependant, les nombreux éléments personnels de la vie de Joyce évoqués dans la nouvelle, et repris plusieurs fois dans son œuvre à venir, suggèrent de considérer « Les morts » comme une tentative d’autoportrait de l’auteur, je pense à un titre qui pourrait être « Portrait de l’artiste en amant ». C’est aussi une lecture possible.

1 James Joyce Lettres à Nora P 64-66 et note de fin.

2 Ibid.,Lettre du 3 décembre 1909 p 132-137 et R. Ellmann : Joyce 1 p.293 TEL Gallimard

3 Ibid., Lettre du 11 décembre 1909 p.150 dernier §;

Séminaire Le sinthome : Leçon II du 9 décembre 1975 : Travail de Cartel par Sylvie Liotard avec Odile Boccard, Elisabeth Fradet, Astrid Ha et Frank Salvan

Frank nous a suggéré ce début très intéressant : « De retour des Etats-Unis, où il a passé 15jours, Lacan reprend ses considérations sur le nœud borroméen et cette leçon est pour lui l’occasion d’insister sur le rôle du 4ème rond. Le nœud rosace du tout début de la leçon, est bien là pour illustrer l’intérêt qu’il va porter au nouage du nœud borroméen par le 4ème rond ».

Cela nous ramène effectivement à ce que Lacan nous dit à la fin de la leçon, sous une forme interrogative en parlant de Joyce : « ….ce 4ème terme, celui à propos de quoi, aujourd’hui, j’ai voulu simplement vous montrer qu’il est essentiel au nœud borroméen lui-même ? ».

Après avoir terminé de lire cette leçon, je me suis dit : « Mais où nous a-t-il dit que c’est essentiel ? », ceci m’a fait reprendre ma lecture, d’autres personnes dans le cartel ont eu ce même sentiment.

 

Nous avons donc suivi la leçon pas à pas, comme nous le dit Lacan concernant le nœud borroméen ou la fonction du nœud, il nous dit cela : « C’est en effet pas par hasard, n’est-ce pas, c’est peu à peu que vous avez vu… que vous avez pu voir, c’est à dire entendre, pas à pas, comment j’en suis venu à exprimer par la fonction du nœud ce que j’avais d’abord avancé comme, disons, triplice du Symbolique, de l’Imaginaire et du Réel » p.34.

On dirait que Lacan nous suggère qu’avec le nœud borroméen, pour en saisir quelque chose, il faudrait voir, entendre et manipuler par le mouvement du pas à pas.

Ne pas aller trop vite, c’est également ce que Charles Melman nous suggère en nous proposant de revenir cette année sur les séminaires des « Non-dupes errent » et « RSI ».

 

Avec nos difficultés, nos hésitations et nos divergences, petit à petit, ce que nous pouvions en dire a pris forme, ce qui ne serait peut-être pas identique à un autre moment, dans un autre contexte.

Tout ceci me semble en relation avec ce que nous dit Lacan concernant son cheminement avec le nœud borroméen dans cette leçon.

Il nous dit ceci : « Il est très difficile de penser au nœud », un peu plus loin il reprend : « Le nœud borroméen est constitué par une géométrie qu’on peut bien dire interdite à l’imaginaire », il poursuit  « qui ne s’imagine qu’à travers toutes sortes de résistances, voire de difficultés », ceci donnant sa substance au nœud. On peut remarquer la forme négative devant « s’imagine ».

Il nous dit également que « le désir de connaître rencontre des obstacles », ce qui peut être mis en lien avec le Réel et la science qu’il évoque plus loin. Il termine dans cette leçon sur le registre de la difficulté de penser le nœud par : « C’est pour incarner cet obstacle que j’ai inventé le nœud, et que au nœud il faut se rompre ».

La première définition de se rompre est « se casser, se briser », on trouve ensuite « s’accoutumer à », dans le « il faut se rompre », nous pouvons entendre  toute la difficulté du nœud borroméen. Dans la même leçon Lacan nous dit que le nœud sert à nous repérer.

 

Dans son texte : « La Dentellière » du 19/06/2012, sur le site de l’ALI, Marc Darmon débute son texte par un extrait d’un texte de Descartes que Lacan citait et qui est celui-ci : « Il ne faut pas s’occuper tout de suite des choses difficiles et ardues, mais qu’il faut approfondir tout d’abord les arts les moins importants et les plus simples……ceux des femmes qui brodent ou font de la dentelle…..tous ces arts exercent admirablement l’esprit pourvu que nous ne les apprenions pas des autres mais que nous les découvrions par nous mêmes….. ».

Ce court extrait, aborde l’importance de pouvoir manipuler, en commençant par le plus simple et en découvrant par soi-même. Il permet également de faire une transition avec la suite du texte de Marc Darmon sur notre difficulté à manipuler les ronds de ficelle pour faire les nœuds, il parle même de « répugnance », peut-être due au fait, d’après ce que nous dit Lacan dans RSI, que le nœud borroméen serait du côté du refoulé primordial lui-même.

 

D’après Darmon le concept donne une image rassurante d’un cercle qui contient, nous pourrions dire du côté de l’Imaginaire, avec les ronds de ficelle les cercles sont évidés  et donc de cette façon, il faut faire avec ce qui leur ex-siste, ce qui se tient au dehors, peut-on dire du côté du Réel ?

 

Il nous invite ensuite à faire un nœud à 4, mais avant, nous allons revenir sur le nœud borroméen à 3, en s’appuyant sur la partie du livre de Jeanne Granon Lafont « La topologie ordinaire de Jacques Lacan » concernant les nœuds borroméens.

Le nœud borroméen est une certaine façon de nouer des brins de ficelle et dès qu’il y a plusieurs ficelles, on peut parler de chaîne, ce qui est important pour le nœud à 4.

Le nœud borroméen désigne en fait une chaîne borroméenne et bien sûr, une chaîne borroméenne est telle que si l’on coupe un rond, n’importe lequel, tout se sépare.

 

Avec la chaîne, nous voyons une certaine linéarité du nœud et la possibilité de multiplier le brin central en forme de croissant, ce qui permet de passer au nœud à 4. Lacan utilise le plus souvent la représentation permettant de voir dans le tracé « la fonction identique de chacun des ronds ». Le compte commence à 3, le nœud borroméen apporte la nécessité du 3.

Les 3 ronds jouent chacun le même rôle, 2 ronds sont posés l’un sur l’autre et le 3ème vient les lier ensemble, ce qui permet de voir les intersections et les coincements. L’écriture du nœud à 3 montre l’homogénéité des 3 consistances du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire. Dans le nouage, ils ont la même fonction, ils sont de « communes mesures ». Dans le nœud à 4, il y a toujours apparition de sous-groupes 2 à 2.

 

Pour revenir à l’invitation de Marc Darmon de fabriquer un nœud à 4, j’en ai effectivement fabriqué un, peut-être pour me sortir de l’imaginaire du nœud, en effet, sur le papier, je ne voyais pas comment en coupant l’un des ronds, les autres se détacheraient (voir figure p.34).

Avec la manipulation des ronds de ficelle, il me semble avoir avancé dans ce que peut représenter un nœud à 4. J’ai pu ainsi visualiser où se situent les faux-trous, notion qui jusque-là m’était totalement abstraite.

Dans un nœud à 4, il y a 2 faux-trous et les ronds sont solidaires 2 à 2. Marc Darmon nous dit que le milieu est composé du 3ème et du 4ème rond, faisant faux-trou et venant lier le 1er et le 2ème. Un faux-trou est le trou situé entre les deux consistances pliées en demi-oreille.

 

La manipulation permet également de s’apercevoir que le nœud à 4 introduit un certain ordre, il n’y a plus d’indifférenciation des ronds comme avec le nœud à 3 puisque le 4ème rond vient s’accrocher à un particulier.

Il faut noter l’importance de ce « un particulier » pour la question de la nomination. Je cite Marc Darmon pour passer de 3 à 4, en introduisant la nomination comme 4ème terme : « Il faut le nombre 3 pour que ça tienne, mais aller dire là-dedans lequel est le réel….., lequel fait nœud…..Il semble qu’avec le 4ème une distinction s’introduise : le Nom-du-Père avec le 4ème comme nomination, Lacan nous dit que c’est la seule chose dont nous soyons sûrs que ça fasse trou ; mais il n’est pas obligé que ce soit au trou du symbolique que soit conjointe la nomination ». A la fin  de la leçon, nous reviendrons sur le 4ème terme et la nomination.

 

Ce 4ème terme resterait noué à l’une des consistances, par exemple R et S noués par le quatrième et le I. De cette configuration nous dit Marc Darmon, Lacan parle de nomination imaginaire qui serait le faux trou, c’est une nomination qui ferait faux trou avec les trous du corps, si l’on peut dire.

Cette nomination imaginaire reste liée au rond imaginaire, il y a donc une distinction des ronds par rapport au nœud à trois.

Marc Darmon en déduit que l’on pourrait penser de la même manière à une nomination symbolique, entre réel et imaginaire, liée au rond du symbolique et une nomination réelle, entre imaginaire et symbolique, liée au rond du réel.

 

Lacan, dans sa relecture de Inhibition, Symptôme et Angoisse de Freud, dans le séminaire R.S.I, rapporte l’inhibition à la nomination imaginaire, le symptôme à la nomination symbolique et l’angoisse à la nomination réelle.

 

Colette Soler, dans son livre L’aventure littéraire ou la psychose inspirée, nous dit que pour Joyce, le quatrième rond aurait permis de faire tenir le nœud de façon borroméenne.

Ce serait par la publication de ses livres que Joyce parviendrait à la nomination symbolique.

 

Patrick Guyomard, lors des journées du séminaire d’été sur RSI, nous a dit que la question de la  nomination, c’est de « se faire un nom », c’est avec la question de la nomination que le nœud à 4 s’imposait et que Joyce, dans son œuvre, se fabriquait du père. Ceci introduisait le séminaire sur le Sinthome.

 

Dans la suite de la leçon, Lacan passe, a priori sans transition, à la problématique de l’initiation en psychanalyse, il nous dit «  qu’il n’y a pas à proprement parler d’initiation ». Si l’initiation suppose un savoir défini à transmettre, la psychanalyse, elle, transforme sur la base d’un savoir supposé avec l’ambiguïté que souligne Lacan d’un sujet non seulement double, mais divisé.

 

Dans la dernière leçon de RSI, du 13 Mai 1975, Lacan écrit : « Je n’y suis, moi, que pour peu de choses, étant déterminé comme sujet par l’inconscient, ou bien, par la pratique, une pratique qui implique l’inconscient comme supposé. Est-ce à dire, que comme tout supposé, il soit imaginaire ? C’est le sens même du mot sujet, supposé comme imaginaire. »

 

Colette Soler dans une émission de France Culture, Les nouveaux chemins de la connaissance, intitulée « le réel est-il supportable ? », nous dit : « qu’il n’y a qu’une façon pour la psychanalyse de se transmettre, c’est qu’il y ait des analystes ».

Tout ce qui est théorie bien sûr est capital, tout ce qui est de l’enseignement, l’étude de la clinique, est essentiel, aucun analyste ne s’avance dans la psychanalyse seulement avec son analyse. Mais, c’est par son analyse qu’il est supposé avoir été transformé comme sujet de telle sorte qu’il puisse assumer la tâche analytique.

On ne peut pas dire que cela se transmette de l’un à l’autre, ça se perpétue, par le fait qu’il y ait des analystes qui continuent : il y a de l’un, de l’un, de l’un…

 

Lacan dans RSI, leçon du 18 février 1975, nous dit que la pratique du nœud s’apparente à la pratique analytique.

Je le cite : « Il n’y a pas à ma connaissance, quoi que ce soit, sauf à apprendre à le constituer et à l’apprendre par la tresse, ce qui assurément n’est pas à proprement parler une façon mentale de résoudre la question… »

A la suite, toujours dans RSI, Lacan évoque le fait qu’il y aurait une relation entre l’expérience analytique et le nœud, est-ce dans son « il faut en user bêtement », ne pas être dans le savoir mais dans un décryptage.

Nous voyons courir dans cette leçon 2 du Sinthome, une intrication entre la pratique analytique et le nœud borroméen.

 

La parution contemporaine d’un ouvrage d’Erich Fromm intitulé La mission Sigmund Freud, va être l’occasion pour Lacan de revenir sur ce qu’il entend par vérité.

Il résume ainsi les propos de l’auteur « en quoi donc, si j’ai bien lu, Freud, un bourgeois, et un bourgeois bourré de préjugés, a-t-il atteint quelque chose qui fait la valeur propre de son dire, et qui n’est certes pas rien, qui est la visée de dire, sur l’Homme, la vérité ? ».

Lacan souhaite y apporter cette correction : la vérité dont la quête est l’objet ne peut que se mi-dire.

 

Toujours dans l’émission de France Culture, Colette Soler nous donne comme point de vue concernant la vérité ceci : «  Au début, Lacan valorise beaucoup la vérité. Puis il en est venu, à la dévaloriser. A dire, la vérité est trompeuse, c’est un mirage. De toute façon, elle ment. Pourquoi, il la dévalorise ? Parce que d’une part elle ment, -avec les mots on n’arrive pas à rejoindre le réel- (c’est ça son mensonge), mais en plus, elle n’est jamais que mi-dite ».

Comme il le dit, au début de Télévision en mars 74, les mots manquent. Le début du texte Télévision est celui-ci : « Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. La dire toute, c’est impossible, matériellement : les mots y manquent. C’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. »

 

Dans « L’envers de la psychanalyse » p.71, Lacan nous dit que la vérité n’est pas d’accès facile, comme certains oiseaux, quand il était petit, on lui disait qu’il fallait leur mettre du sel sur la queue pour les attraper.

Il évoque également son premier livre de lecture, qui  s’intitulait « Histoire d’une moitié de poulet », qui n’est pas plus simple à attraper quand il faut lui mettre du sel sur la queue. Il fait le rapprochement avec son enseignement qui pourrait s’intituler « Histoire d’une moitié de sujet ».

Sur l’image, le poulet était du bon côté. Il écrit : « on ne voyait pas l’autre, la coupe, celle où elle était probablement, puisqu’on voyait sur sa face droite : sans cœur, mais pas sans foie, dans les deux sens du terme. »

 

Il en conclut que la vérité est cachée, mais qu’elle n’est peut-être qu’absence. Freud montre par  le mot d’esprit, le mot sans queue ni tête, l’importance du non-sens. Lacan reprend que la vérité s’envole quand on ne veut plus la saisir, il écrit : « d’ailleurs puisqu’elle n’avait pas de queue, comment auriez-vous pu ? ».

 

Concernant la vérité et le savoir, dans un texte de Slavoj Zizek sur « Désir : pulsions= Vérité : savoir » dans le livre « La subjectivité à venir », l’auteur fait un rapprochement entre vérité, désir et interprétation, alors que le savoir serait du côté de la pulsion et de la construction mentale. Si l’on prend le sujet supposé d’un savoir inconscient et divisé, qui ne peut que mi-dire sa vérité, nous pourrions faire l’hypothèse que la vérité ne s’approche que par l’interprétation et l’émergence du sujet de l’inconscient et du désir.

En considérant également le nœud borroméen à 3 mis à plat, on remarque que Lacan place l’inconscient du côté du symbolique mais aussi pour une petite part du côté du réel et de l’imaginaire (schéma dans RSI p.25).

Peut-on ainsi penser que cette vérité ne pourrait que se mi-dire par le fait qu’elle ne peut s’approcher du Réel qui n’est pas pensable ? Une partie de la vérité fait partie du Réel.

 

 

Quatre points, dans la leçon 2 du séminaire de Lacan, nous ont interrogés et vont dans le travail de Sylvie, permettre un éclairage plus clinique.

   Sylvie vous a parlé de l’initiation  de la psychanalyse, que Lacan évoque p.35 du Sinthome et des problèmes que cela soulève, et Lacan continue, dans l’analyse : « tout sujet y livre ceci qu’il est toujours et n’est jamais qu’une supposition ».

 

  Nous avons cherché dans le Littré la définition du mot supposition: « Hypothèse de l’esprit, un point géométrique est une supposition, une conjecture de l’esprit ».

 Cette définition s’adapte parfaitement à la théorie lacanienne du sujet supposé savoir, qui est la position dans laquelle l’analysant met l’analyste dans le transfert, mais aussi s’applique à l’analyste qui suppose lui aussi un sujet qui doit advenir.

 

La définition du sujet,  qui a évolué au cours des années  chez Lacan, a toujours été mise au travail dans tous ses séminaires. On peut citer le dictionnaire  de la Psychanalyse de l’ALI, dans la partie étymologie, le sujet est le sujet du  désir que Freud a découvert dans l’inconscient, c’est un effet de l’immersion de l’homme dans le langage, il ex -siste ce sujet, au prix d’une perte, la castration.

       Lacan, dans la suite de la phrase commentée, écrit : « Je veux dire que le sujet comme tel  est toujours,  non pas seulement double,  mais divisé. Il s’agit de rendre compte de ce qui, de cette division, fait le réel ». Cela m’évoque le langage  et  la castration, nous ne pouvons jamais dire ce que nous voulons dire, nous sommes pris dans un réseau langagier qui ordonne et sociabilise, mais en même temps nous fait perdre sans cesse quelque chose,  que nous ne pouvons  jamais dire et quand nous parlons  nous disons  autre chose  que ce que nous croyons. Dire le réel ne peut être symbolisé dans la parole.

 

Je voudrais raccrocher ceci, à ce que dit Mr Melman dans sa conférence sur le Réel. Je le mets volontiers à la discussion critique. Ces éléments « discrets » qui  tombent dans le réel,  sont pris dans une  combinatoire.  Je peux écrire a b c mais pas a c b  dans une langue donnée et donc certains chutent dans le réel. Ces déchets de lettre ne pourraient- ils pas former la  lalangue, à travers le prisme de l’Autre ?

 

    Au  paragraphe  suivant, Lacan parle du livre d’ Erich Fromm, qu’il nomme  « la psychanalyse appréhendée à travers son père »,  en travaillant sur le père réel nous citerons dans le séminaire sur «  la relation d’objet »  page 220 : « le père  réel dont l’enfant n’ a jamais qu’une appréhension très difficile en raison de l’interposition des fantasmes  et de la nécessité de la relation symbolique…s’ il y a une chose qui  est au fondement de notre expérience analytique,  c’est bien que nous avons énormément de peine à appréhender ce qu’il y a de plus réel autour de nous,  c’est à dire les êtres humains. »

Cette citation de Lacan,  nous permet de saisir d’une autre manière, qu’il n’y a pas d’initiation de la psychanalyse  puisqu’il n’y a que de l’un, ce qui rejoint ce que disait Freud « chaque histoire est singulière ».

 

Dans notre cartel, Astrid se rappelait avoir écouté une émission de radio où Michel Onfray  parlait de son livre sur Freud, il ne cessait de citer Fromm. Il prenait la biographie de Freud et en sortait  une psycho- analyse, il cherchait  le sens, tel fait entraîne tel caractère, il était dans une explication  de l’œuvre par la biographie.  Je me  sers de ce que dit  Colette  Soler,  dans « L’aventure littéraire ou  la psychose inspirée » où elle met en avant que  Lacan s’est efforcé de montrer,  que nous pouvons apprendre,  aussi bien de l’œuvre que de l’auteur,  de sa personne ou de sa vie,  mais sans pouvoir déduire l’une de l’autre. La psycho- biographie est possible mais elle n’explique pas l’œuvre.

Rien,  ni personne ne peut expliquer pourquoi Lacan est Lacan et Joyce est Joyce.  Les trois dimensions lacaniennes et le quatrième rond,  peuvent- ils nous permettre de saisir quelque chose du sujet dans ce nouage?

 

     Une amie magistrate,  me disait combien l’explication psychologique,  dont certains se servent pour expliquer la délinquance, est un  effet pernicieux  de la vulgarisation de la psychanalyse. De plus, depuis  Freud,  nous savons qu’un enfant qui a subi des violences, ne devient pas obligatoirement un délinquant mais qu’un délinquant  a souvent  subi des violences dans sa jeunesse.  L’après- coup est une des grandes découvertes de Freud.

 

 Nous reprenons le texte de la leçon 2. Lacan parle de son voyage aux Etats Unis et raconte qu’il a été « soufflé » par sa rencontre avec Chomsky. J’ai écouté une émission de radio sur France Culture,  où un linguiste parlait de Chomsky, il nous apprenait  que Chomsky avait une formation de mathématicien  et travaillait pour la CIA. Pour lui,  le langage  et la biologie sont des sciences à rapprocher et le chiffrage de l’ADN pouvait faire lien. On  ne peut pas ne pas penser à l’écriture de la lettre dans l’inconscient,  mais le rapprochement s’arrête là. Pour Chomsky il n’y a pas de sujet, cela fait penser à l’homme neuronal de Changeux,  qui avait fait grand bruit,  il y a quelques années. Dans un autre séminaire  Mr H parlait de l’impossibilité de discuter entre neurologue et psychanalyste  au sujet du schéma corporel,  pour les uns et de l’image du corps propre pour les autres.  Ce sont deux représentations différentes d’un même sujet (ce paragraphe mériterait un approfondissement, il est réducteur par rapport au travail de Chomsky).

 

A propos de ce qu’écrit Lacan p.39 : « le langage mange le réel », Colette Soler, dans l’émission  de radio déjà citée, dit que dès qu’ il y a émission d’un signifiant, il y a évidage du réel; c’est ainsi que l’on peut dire, que la découverte de l’ADN a permis à la médecine de faire de grands progrès . Par  exemple, la police scientifique a fait une grande avancée grâce à la recherche de l’ADN,  qui permet d’élucider des crimes,  mais on sait aussi que le réel se referme toujours sur une nouvelle opacité.

 

  Page 44,  Lacan écrit le mot pense et panse, cela nous a fait repenser à l’ émission  de  Colette Soler, où elle  disait que  les mots  font « mouche »  sur le corps, le tout petit apprend les mots à travers le discours de l’Autre pendant le nourrissage et les soins corporels, il les enregistre aussi  avec le discours  fait autour de son corps, de son sexe…

Nous pensons aussi à ce que dit Mr Melman au cours de sa conférence, quand il parle  de la pensée du névrosé obsessionnel ou hystérique (de mémoire : « il pense avec sa tête,  l’obsessionnel ? Non et l’hystérique ? Non ». Nous attendons la suite avec impatience.

 

Pour terminer, un cas clinique. Une analysante,  qui a perdu ses parents jeunes,  vers  20 ans, commence à pouvoir évoquer des souvenirs heureux que la famille a connu,  en évoquant  l’ un d’ eux , un pique nique dont elle avait pu  regarder la photo  en pleurant mais heureuse elle dit: « j’aurais aimé  manger cette photo pour les mettre à l’abri »,  je précise que cette analysante n’est pas psychotique. 

 

              E F

 

 

 

 

Dans la dernière leçon du 13/05/75 du séminaire RSI, Lacan nous dit que : » Le Réel tient dans ces termes que j’ai déjà fomentés du nom d’ek-sistence, de consistance et de trou, de faire de l’ek-sistence écrite comme je l’écris, à savoir ce qui joue jusqu’à une certaine limite dans le nœud, cela supporte le Réel. Ce qui fait consistance est de l’ordre Imaginaire comme le suppose ceci qui nous est vraiment tangible que s’il y a quelque chose de quoi relève la rupture, c’est bien la consistance, à lui donner le sens le plus réduit. Il reste alors, mais reste-t-il ? Pour le Symbolique l’affectation du terme trou… ».

Dans la leçon 2, il amène ces notions de consistance, de trou et d’ek-sistence du côté de la triplicité du nœud et de son rôle fondamental. Il écrit ainsi :  « la triplicité qui résulte d’une consistance qui n’est affectée que de l’Imaginaire, d’un trou comme fondamental qui ressortit au Symbolique, et, d’autre part, d’une ek-sistence qui, elle, appartient au Réel ».

 

Jeanne Granon-Lafont dans « La topologie ordinaire de Jacques Lacan » part du fait qu’il faudrait définir les relations entre les 3 ronds (Réel, Symbolique, Imaginaire) par l’existence, le trou et la consistance. En fait, ces 3 ronds ont une consistance (la corde), une ek-sistence ( ce qui se tient au dehors), et un trou ( ce qui vient faire bord), donc pour chaque rond, comme pour le nœud borroméen, il y a triplicité de la consistance, du trou et de l’ek-sistence, est-ce là la commune mesure ?

La consistance est du côté de l’imaginaire et l’imaginaire renvoie au corps, à la problématique de l’image dans le miroir. Lacan a montré la fonction structurante, pour le sujet, de la découverte de l’image de son corps dans le miroir. Jeanne Granon-Lafont nous dit, je la cite : «  Image d’un petit autre auquel l’enfant s’identifie dans une précipitation qui signe son entrée dans le symbolique. Il s’agit d’un nouage de 3 registres ».

 

Nous avons réfléchi à ce nouage, au moment du stade du miroir, et nous avons pensé que le Réel pourrait être ce qui est avant que l’enfant que l’enfant se reconnaisse dans le miroir, l’Imaginaire serait l’image de l’enfant dans le miroir et le Symbolique la nomination par l’Autre maternel avec un grand A, de cette image dans le miroir : « oui, là, c’est toi, Pédro mon fils ». Par le nouage, dans cette image, Jeanne Granon-Lafon nous dit que « l’enfant reconnaît l’objet du désir de sa mère. Il s’y identifie, il s’en habille et, par ce moyen, se met à consister le trou symbolique, auquel équivaut le manque que présentifie le regard de la mère ».

 

En conclusion, nous nous rapportons à la dernière interrogation de Lacan pour  cette leçon 2. Il nous dit ceci : « Comment un art peut-il viser, de façon expressément divinatoire, à substantialiser dans sa consistance, sa consistance comme telle, mais aussi bien son ex-sistence, et aussi bien ce troisième terme, qui est le trou…. ce quatrième terme, celui à propos de quoi, aujourd’hui, j’ai voulu simplement vous montrer qu’il est essentiel au nœud borroméen lui-même ? ».

Comme je j’ai dit au début de l’exposé de notre travail, le fait qu’il nous dise comme ça, tout simplement à la fin qu’il a voulu nous montrer dans cette leçon, que ce quatrième est essentiel au nœud borroméen lui-même, nous laisse toujours dans cette interrogation par rapport au nœud à trois.

 

Claire Duguet dans un texte s’intitulant « Quelques notes sur le père dans RSI et le Sinthome », nous dit que dans RSI, Lacan aborde la question de la nécessité d’un quatrième terme qui pourrait représenter les Nom-du-Père en s’appuyant sur la théorie freudienne où la réalité psychique et le complexe d’Œdipe représente le quatrième terme. L’interdit représente le trou dans le symbolique car le symbolique est nécessaire pour qu’il y ait du Nom-du-Père. Le trou dans le symbolique est le trou du refoulé originaire, celui du réel de la castration.

A partir de son travail sur Joyce, Lacan pense le quatrième rond impliqué dans le nœud borroméen. La topologie des nœuds est telle, qu’il faut un quatrième rond pour distinguer les trois autres.

Dans le Sinthome, la fonction des Nom-du-Père devient nommante et Joyce permet de saisir, que si les trois registres ne sont pas noués, il est possible, si la personne se fait un nom aux yeux d’un public, que cet «événement de nomination » fasse acte de filiation.

 

Pour terminer, elle nous dit que pour Lacan, le nœud est une représentation de l’inconscient, c’est à dire, et elle le cite « nous sommes dedans, nous y sommes pris ».

Le sinthome, leçon IV du 13 Janvier 1976 par Mireille Lacanal-Carlier

 

Lacan dans cette leçon insiste sur le réel. C’est le fil qu’il nous donne à suivre.fil pour nous guider à travers le corps et l’écriture, le corps comme écriture, la lettre «  a letter, a litter » pour arriver à la question « Qu’est ce qui opère dans la cure ? »

 

7 décembre 1921 , 7 rue de l’Odéon, Jacques Lacan, il n’a que 20 ans assiste chez Adrienne Monnier à une lecture d’Ulysse par nul autre que James Joyce., Ainsi l’Irlandais ne quittera plus Lacan.

 

Lacan commence donc  la leçon en posant la question  « Qu’est ce que le savoir faire ? »

Il ébauche une réponse en disant que c’est l’art, l’artifice, ce qui donne à l’art dont on est capable une valeur remarquable « .Remarquable en quoi, puisqu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour opérer le Jugement dernier » (fresque de Michel Ange peinte entre 1536 et 1541 alors qu’il avait une soixantaine d’année dans la chapelle Sixtine à Rome. Une des figures en bas à droite serait une représentation de lui-même qui enlève sa vieille peau) Pas de complétude à attendre.

Une limite est posée à la jouissance Quelque chose dont nous ne pouvons jouir.

Le sinthome comme nous le verrons sous-entend un savoir faire, un talent, quelque chose que le sujet a et propose.

 

Lacan prend appui dans ce séminaire sur le savoir faire de Joyce pour illustrer  ce point de rebroussement du symptôme au sinthome dans une création artistique.

Il nous propose comme paradigme le sinthome de Joyce.

« Joyce a orienté son art comme symptôme.

L’ics forme une consistance de nature langagière. Dans son œuvre c’est l‘embrouille des nœuds qui se trouvent faire le tissu, le texte essentiel de ce qu’il nous apporte ». Lacan 24 janvier 1976 Centre universitaire de Nice

Lacan fait l’hypothèse d’une suppléance au Nom du Père par un travail par rapport à l’art de la lettre qui s’appuie sur la vie et l’œuvre de Joyce.

 

Symptôme et sinthome

 

Philippe Julien dans Du symptôme au sinthome article cairn info nous informe que

le mot symptôme est né en 1495 dans la langue française en traduction du latin médical symptoma, pour signifier une co-incidence (cum incidere), c’est-à-dire ce qui « tombe ensemble » : telle maladie et tel signe pour le médecin.

Or le dico d’un certain  Bloch et von Wartburg nous dit que ce nom là s’écrivait « sinthome » qui vient du grec « suntithémi » qui veut dire  «  mettre ensemble. »

Equivocité homophonique

On voit donc là ce qui « tombe » du symptôme et ce qui se rassemble du sinthome.

 

Lacan a définit le symptôme de plusieurs façons : comme une métaphore, comme ce qui vient du réel, comme ce qui ne va pas et à la fin de son enseignement, comme un fait de structure dont la nécessité doit être interrogée.

A partir de 1953 Lacan fait valoir que le symptôme analytique est soutenu par une structure de langage, par des signifiants et par des lettres qui en sont les éléments matériels.

Le symptôme névrotique est l’équivalent d’une parole enclose à entendre et à déchiffrer. Lacan y voit à l’œuvre le mécanisme de la métaphore : la substitution du signifiant d’un trauma sexuel à un élément de la chaîne signifiante actuelle fixe le symptôme et produit son sens…..

Avec le nœud à quatre ronds, c’est la fonction du symptôme qui est précisé. La réalité psychique qui détermine avec Freud la formation du symptôme organisée par le complexe d’Œdipe ; cette réalité, Lacan l’a dit religieuse parce que fondée sur la croyance que le père est le castrateur, alors que ce sont les lois du langage qui imposent à renoncer à être ou à avoir le phallus. Le symptôme apparait comme ce qui maintient avec le Père un lien qui soutient l’identification et la jouissance sexuelle : le rond du symptôme dit aussi « rond du Nom du Père » permet de nouer RSI.

Pour Lacan le symptôme est la façon dont chacun jouit de son inconscient.

Dictionnaire international de la psy. Article de Valentin Nusinovici.

 

A partir de RSI (73-74) Lacan va donc montrer un nœud, un autre nœud, un nœud à quatre éléments. Le quart élément est compensatoire ; il a fonction de suppléance, dans la mesure où le nœud à trois ne tient pas de lui-même. Telle est la fonction du sinthome comme quart élément.

Le sinthome est réel c’est ce à quoi veut  arriver Lacan. Le sinthome comme réel et non comme « manifestations/formation » de l’Ics.

Le sinthome produit un tout autre abord du symptôme qui n’est plus forcément ce qui doit être réduit par l’interprétation. Lacan en vient à formuler le travail de l’analyse comme  produisant « un savoir y faire » avec son symptôme.

Et pour Lacan Joyce n’a pas un sinthome il est le sinthome. Il est ce quart élément de part son ego. Celui-ci à fonction  réparatrice grâce à l’art de Joyce. Cela lui permet de se faire un nom.

Il nous propose le sinthome de Joyce dans la mesure où il illustre par son écriture l’effet de l’usage du sens au point limite du hors sens, le sinthome donc inanalysable. Joyce est pour lui celui qui « sait y faire » avec son symptôme.

 

« l’ics c’est la face du réel…c’est la face du réel dont on est empêtré.

L’analyse ne consiste pas à ce qu’on soit libéré de ses sinthomes, l’analyse consiste à ce  qu’on sache pourquoi on est empêtré. » Le moment de conclure 10/01/78 Lacan

« Cela se produit du fait qu’il y a le symbolique. Le symbolique c’est le langage : on apprend à parler, ça laisse des traces,, ça laisse des traces et de ce fait ça laisse des conséquences qui ne sont rien que le « sinthome » et l’analyse consiste à rendre compte pourquoi on a ces « sinthomes » de sorte que l’analyse est lié au savoir »

Un savoir qui ne s’acquiert qu’à travers la perplexité.

Et Joyce l’illustre dans sa littérature par son opération de hachage de la langue, de brisure, de dislocation, de déchirure. Il dégage ainsi la langue de tout usage de communication et même de tout effet de littérature. Joyce arrive à être illisible.

Il laisse une œuvre qui pose mille énigmes pouvant entretenir les universitaires  pour de longues années. C’était d’ailleurs son souhait.

L e symptôme serait la non acceptation de la castration symbolique du père, alors que le sinthome serait de l’ordre d’une création de la part du sujet, comme dans Joyce, qui avec son art vidait de sens ce qui s’imposait à lui comme symptôme ( Hiltenbrand La clinique du réel)

 

Les vérités premières : le ronron des vérités premières : dieu et le jugement dernier. Les vérités premières qui sont une connaissance trompeuse.

Peut-on sortir du ronron des habitudes qui nous endorment ?

Ce ronron serait celui des religions qui induisent une manière de penser. Ce serait le ronron d’un Dieu créateur, du rapport du créateur à sa créature. Dans la perspective chrétienne nous parlons d’un dieu –père. C’est de cette religion dont Freud en la traitant d’illusion essayer de nous débarrasser.

L’idée de Dieu voir la croyance soutient la fonction et le sens du symptôme névrotique.

La psychanalyse peut-elle nous sortir de ce ronron ?

« Le ronron c’est la jouissance du chat »  ( La troisième Lacan 31/10/74)) Pour ne pas ronronner servons-nous des ronds de ficelle, de la topologie.

 

Le Nom du père est la forme laïque de cette présence dans la doctrine psy, de nos attaches à ce fond religieux.

Lacan va alors chercher à élaborer un nœud pour support des vérités premières. Le nœud ce qui supporte notre consistance .Et il pointe ici la différence entre une chaîne et un nœud ( le nœud se déduit de la chaîne).La chaîne est  au-delà  de 2.(Marie PierreBossy nous faisait remarquer que pourtant nous disons noeud.) D’ailleurs Lacan  p83, fin de la leçon  pose la question s’il n’y a pas abus à dire :

« faire un nœud avec ce que j’appellerai une chaî-neoud »

 

Il revient sur les vérités premières et nous amène à ce qu’on appelle la pensée. La pensée est liée à l’acte sexuel, elle gravite autour de cet acte. Cet acte qui de par sa nature implique une polarité actif-passif ce qui déjà engage dans un faux-sens. C’est ce qu’on appelle la connaissance

Mais la connaissance est trompeuse car l’actif c’est ce que nous connaissons mais comme nous faisons un effort pour connaître nous nous imaginons que nous sommes actif.. La pensée nous imaginons qu’elle est active . La connaissance participe du fantasme d’une inscription au lien sexuel.

En effet le sexuel ne fonde en rien quelque rapport qu’il soit. Il n’y a de rapport sexuel que sinthomatique

Le phallus n’appartient à aucun sexe, c’est ce qui circule entre, ce qui fait coupure. On ne peut saisir ce qui fait rapport, il n’y adonc pas de rapport. La fonction phallique c’est l’entre deux, le vide qui fait distinguer les choses.

« C’est en ça que consiste la pensée, que des mots introduisent dans le corps quelques représentations imbéciles » Lacan La troisième

Le sens se loge dans l’imaginaire. La pensée introduit des mots qui nous « rengorge », qui nous dégorge, que nous vomissons, ce qui va nous donner à vomir une vérité de plus.

« Vous vous imaginez que la pensée c’est ça,… se tient dans la cervelle…Moi je suis sûr …que ça se tient dans les peauciers du front….Enfin, si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds » La troisième

Les pieds qui eux permettent de se mettre en marche. Ils permettent de faire un pas de côté.

 

Ainsi si la connaissance est trompeuse il nous faut repartir du début, de l’opacité sexuelle. Opacité car du sexuel ne fonde en rien quelque rapport que se soit. Et de nous rappeler qu’il n’y a de responsabilité dans le sens de réponse à côté que sexuelle. On est responsable que de notre position sexuelle .p 70 « On impute à Dieu ce qui est affaire de l’artiste » L’Autre de l’Autre c’est-à-dire impossible ce serait cela l’artifice ?

L’artiste est responsable au sens où c’est sa réponse c’est-à-dire son symptôme par rapport au fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel.  Comment l’homme peut-il  être créateur si dieu l’est ? J. RUFF institut du champ freudien

« L’homme et non pas Dieu est un composé trinitaire » Lacan séminaire XXIII

 

Il revient sur la notion de Réel, distincte du symbolique et de l’imaginaire. Un Réel qui ne se fonde, n’existe qu’à en exclure le sens.

Le réel se fonde n’existe qu’à en exclure le sens.

 

Et il prend la consistance comme la forme la plus dépourvue de sens et qui pourtant s’imagine. Il n’y a de consistance que du nouage de RSI ( nœud c’est lier, relier, lire : c’est ce qui fait consistance).

La consistance c’est ce qui tient ensemble et c’est symbolisé par la surface ce qui nous donne l’idée du sac. Et de prendre l’exemple du corps qui se présente comme peau retenant dans son sac un tas d’organe et c’est comme ça que nous le sentons. Le corps comme amas de pièces détachées. C’est cette consistance qui nous montre la corde. Une corde comme résidu de la consistance et  qui exclut le nœud. Ainsi dans une corde le nœud est tout ce qui ex-iste à l’élément corde.

« Un nœud donc ça peut se faire » p 72 Le sinthome

 

Qu’est ce qu’un fait ? Il n’y a de fait que d’artifice car il n’y a de fait que du fait que le parlêtre le dise.

Il nous amène sur la voie de l’imagination. Le parlêtre parce qu’il parle ment et par là instaure dans la reconnaissance de faux faits. Et de revenir sur le corps qui est la seule consistance du sujet parlant et qui entretient avec son corps un rapport  d’adoration, un rapport imaginaire ( Je le pense donc j’essuie p72) imaginaire. Pour Lacan « Je suis où je ne pense pas » cad « Je suis où je n’articule pas, où je ne produis pas de sens ». Quand je pense, quand j’articule du sens je ne suis pas.

C’est le sexuel dit il qui ment la dedans à trop s’en raconter.

Mais finalement le seul concret que nous connaissons c’est toujours l’adoration sexuelle qui conduit à la méprise autrement dit au mépris même quand il adore un autre corps c’est le même mépris –véritable puisqu’il s’agit de vérité. (qui  elle ne peut être que mi-dite)

 

Alors qu’est ce que la vérité, qu’est ce que dire le vrai sur le vrai ? : suivre à la trace le réel qui ne consiste et qui n’existe que dans le nœud.

Mais ne nous hâtons pas et faisons comme si nous avions trouvé (« Je ne cherche pas je trouve » Picasso) Et pour cela Lacan repart de l’hystérie et sur la réalité de ce qu’il en est du rapport sexuel.

La tache de l’hystérique est de faire exister l’homme en l’incarnant, car il n’est pas question de laisser cette place vide. La douleur mal située de l’hystérique cherche dans son corps un lieu d’inscription.

Il y a toujours un problème majeur qui est celui de l’hystérique et de son corps, car ce corps lui

ek-siste parce que c’est le lieu de l’Autre

. « Ce lien de son corps est effectivement un lien étrange puisqu’il fonctionne comme un dépotoir, dépotoir de cet objet immonde qui est l’objet a, cause du désir de son partenaire » Melman  Problèmes posés à la psychanalyse

En tant qu’elle est – l’hystérique- la dernière réalité perceptible (husteron voulant dire « dernier » en  grec) pour nous rappeler que Freud n’a pu poser la question qui le taraudait «  Que veut la femme ?

(avec le sinthome il ne s’agira plus de résoudre l’énigme de la jouissance)

W w d W        Was will das Weib ,

Pour Lacan l’erreur de Freud c’est d’avoir pensé das weib au lieu de ein weib (une femme)

WweW

On ne peut pas parler de « La femme » qui n’ek-siste pas, une femme, pas toute.

« Toutes les femmes est un ensemble vide mais en revanche les femmes font série, une par une  Et si ça ek siste c’est donc du réel. Mais c’en est la consistance donc imaginaire du Réel. (Marie Charlotte Cadeau commentaire de RSI leçon du 21/01/1975)

L’énigme pour l’Homme c’est que la jouissance féminine n’est pas toute réglée par la loi de la castration. La jouissance féminine est hors langage, au-delà du phallus.

Cet excès de jouissance que la loi de la castration échoue à régler un symptôme peut l’appareiller et donner naissance à un art. Lacan écrit alors ce symptôme sinthome c’est-à-dire coupé du pêché.

«  sinthome » « sin » pêché.  «  Lacan fait le lien avec le pêché originel, la 1ère faute, de la doctrine chrétienne. Dans l’œuvre de Joyce le pêché en question c’est celui du père. Son père carent à suivi la même chute qu’Adam et Eve, et le sinthome de Joyce, sans la ptoma, sans la chute compense l’erreur de son père (Matinées lacaniennes Tom  Dezell)

 

Le sens en question révèle une énigme. En grec la parole est le radical d’énigme « ainos » « ainigma », en français parole et énigme n’ont aucune parenté. Enigme et réponse aussi énigmatique l’une que l’autre : registre de l’équivoque interprétative.

L’énigme c’est autre chose qu’une simple question. Chez les grecs c’est le Dieu qui prononce l’énigme par la voie de la Phytie : parole obscure qui défie l’entendement.

Ainigma l’énigme vient donc de ainos, parole prophétique. La puissance de l’énigme tient à ceci elle est une parole qui fait signe vers ce qui dépasse toute parole, fait vaciller la frontière du symbolique et du sens. Et au-delà  c’est le réel.

Le névrosé cherche à résoudre l’énigme des symptômes.

Joyce qu’en à lui croit à son sinthome et n’a pas intérêt à leur résolution. Il ne veut pas accepter la dette, l’héritage paternel.

Et Lacan présente cela comme une énigme : E énonciation e énoncé.

L’énigme c’est une énonciation tel qu’on en a pas trouve l’énoncé. L’énoncé se trouve dans la langue dans laquelle l’enfant a reçu ses premiers soins, celle de sa prime enfance, sa lalangue, la langue dans laquelle s’est constitué son symptôme ; ce qui fait retour en tant que lettre en est l’énonciation.

La lettre c’est le signifiant en tant que détaché de sa valeur de signification, détaché du signifié. Ce qui revient comme lettre n’est pas à lire puisque telle qu’elle elle ne nous dit rien du signifiant refoulé.

Lacan avec le travail sur la lettre nous indique que le travail de l’analyse consiste à réduire ce qui fait sens pour le patient, à réduire la lettre à un déchet. Il reprendra l’équivoque de Joyce sur «  a letter, a litter » «  une lettre, une ordure »

Avec ce glissement représentant la transformation de la lettre en déchet, Lacan montre l’usage que l’on peut faire pour aborder et réduire le symptôme dans l’analyse.

( Patricia Dahan La lettre entre savoir et jouissance)

La lettre contient une dimension de réel, elle n’est pas du côté du sens, elle est du côté du hors sens

L’énigme c’est l’art d’entre les lignes (allusion à la corde). et cela à un rapport avec l’écriture. C’est par des petits bouts d’écriture qu’on est entré dans le Réel, qu’on a cessé d’imaginer. L’écriture des petites lettres, des petites lettres mathématiques, c’est qui supporte le réel.p 75

Lacan  nous propose que l’écriture ça devait avoir un lien avec la façon dont nous écrivons le nœud et il fait référence à l’instance de la lettre. En dessinant un S avec une barre pour écrire un noeud. Cela nous rappelle aussi un corps.

La lettre est le support matériel que le discours concret emprunte au langage S/s  signifiant/signifié

« Ni dans ce que dit l’analysant, ni dans ce que dit l’analyste il n’y a autre chose que l’écriture »

leçon du 20/12/77 Lacan

Notre corps n’est-il pas porteur des traits, d’une écriture qui si nous savions les interpréter nous lirait.( lier) Marque sur le corps.

Histoire de Rémi.qui est en ULIS …….lui aussi aura à affronter de terribles épreuves avant de pouvoir peut être un jour mettre pied sur une terre d’accueil un Heim dont parle Freud. En attendant il se débat comme il peut avec une histoire de père dénié jusqu ‘à l’âge de 12 ans et mis en mots il y a quelques temps sous les signifiants « ordures déchets » induits «  Ton père je l’ai trouvé dans la rue tu ne crois pas que je me souviens de qui c’est ! »

Rémy tache sur les mains avec stylo de la mère en svt en cours sur les volcans. Il ne peut plus faire et cache ses mains dans ses poches.

Histoire de la banderole, prolongement du corps. Un corps de cortège avec sa tête et sa queue. Banderole comme un tatouage sur le corps.( Le Monde des livres 25 avril 2013)

MARINA

Revenons à Stephen ( S) qui est Joyce dans le roman. Il déchiffre sa propre énigme mais il ne va pas loin car il croit à tous ses symptômes. Le père de Joyce est un père carrant, toujours absent. Dans le livre Bloom cherche un fils. Stephen lui répond «  Non merci, trop peu pour moi. »

Ulysse est un témoignage de ce par quoi Joyce reste enraciné dans son père tout en le reniant : c’est ça son symptôme. «  J’ai dit qu’il était le symptôme » Lacan

 

Pour Lacan toute l’œuvre de Joyce est un long témoignage de cet enracinement du père tout en le reniant. Il fait référence à Exiles(1918). C’est l’unique œuvre théâtrale de Joyce. Le personnage est exilé de son propre pays comme l’était Joyce au moment d’écrire Exiles à Trieste. Lacan traduit « Les exils » : les différents exils du parlêtre ?

L’homme veut entraîner la femme à la trahison et il met en jeu une dialectique du doute qui accomplit un cycle en 4 temps  qui aboutit à « une blessure sans cause , ni origine, une blessure autonome qui ne peut se refermer »

Dans sa vie pour Joyce il n’y a qu’ « une seule femme » cad que Nora est alternativement la Vierge et la putain. Il  voudrait ne former qu’un seul être avec elle. L’Une femme c’est Nora.

« …qu’au regard de sa femme, il a les sentiments d’une mère…. » p 83

Exils exprime le non rapport sexuel, le fantasme de faire Un à deux.

Joyce : se faire livre aurait du se faire nœud.

 

Lacan revient à Ulysse et à l’énigme que propose Joyce sous les traits de Stephen (p 42 Ulysse folio)

Ulysse écrit entre 1914 et 1915, raconte un jour de la vie de L. Bloom le 16 juin 1904. Joyce rencontra sa femme cette journée là.

Lacan nous dit analysons Ulysse : mettons nous en position d’analyste et à cette énigme donnant ce fait  qu’elle est incompréhensible, et la réponse tout autant. L’analyse c’est la réponse à une énigme.

Réponse r tout à fait « conne » cad bête, déplacée, absurde. Et c’est pour cela qu’il faut garder la corde

L’analyste devra ainsi tenir la corde et apprendre à nouer d’un fil singulier les trous de cette singularité particulière. Nouages qui comme chez Joyce supposent une articulation  qui serve à retarder la rencontre fatidique avec les excès de la jouissance (Hétérité J. Adams ))

L’analyste celui qui peut soutenir la corde et devient ainsi « causeur de noeud. »

Il n’y a que des lettres dans l’ics, il n’y a que des cordes avec ses chaines et ses nœuds. La corde du noeud borroméen c’est l’écriture du réel, donc bien tenir la corde. Cela aboutit au nœud du non rapport sexuel.

« Le symptôme est le langage dont la parole doit être délivré » Les ecrits p 235 Lacan

 

Le sens résulte d’un champ entre Imaginaire et Symbolique. Faire une épissure pour obtenir un sens  qui se déplace : c’est l’objet de la réponse de l’analyste à l’exposé de l’analysant.

Quand nous faisons une épissure nous en faisons une autre entre symptôme et le Réel.

Qu’est ce qui opère dans l’analyse, c’est de suture et d’épissure qu’il s’agit dans l’analyse. C’est de structure et d’épissure qu’il s’agit. Qu’est ce qui opère dans la cure ?

Le statut de l’interprétation tient son efficacité à deux opérations : épissure et suture.

L’épissure consiste en un raccordement qui permet à une discontinuité de disparaître, de s’évanouir. C’est un raboutage. La suture (opération inverse de la coupure- métaphore est une coupure-) de 2 bords ou d’un bord sur lui-même- établit une nouvelle surface dont les propriétés dépendront de son articulation aux autres surfaces.

Cela permet le passage du 2 au 1 sans rupture.L’épissure comme mise en continuité.

La seconde qui procède de la première permet la fermeture, la clôture et installe donc une limite.et à un effet de surface avec la mise à plat du nœud.

La suture comme avènement d’une surface fermée.

Dans l’analyse il s’agit d’un raccordement d’une formation imaginaire avec le savoir inconscient. Cela produit un sens qui serait cette suture.

Qui produit une nouvelle épissure où symbolique vient toucher au réel : entrelacs entre symptôme et réel, réel parasite de la jouissance. Cela rend ainsi cette jouissance possible (par la suture) sous la forme  j’oui-sens cad ouïr un sens (ordinairement la compréhension d’un sens se met en travers d’un ouïr)

P83 « Trouver un sens implique de savoir quel est le nœud, et de le bien rabouter grâce à un artifice. » Sinthome Lacan

Ainsi le couple épissure suture contribue à résorber l’effet de sens dans un effet d’apprentissage ( un effet de faire, de savoir y faire) celui qui consiste à se faire une certaine jouissance.

 

L’analyse ne peut opérer qu’à partir de ce que se présentifie d’un réel par rapport au désir. ( Clinique du réel  Hiltenbrand leçon du 15 nov. 1995)

Le Réel se manifeste exclusivement sous la condition du désir cad que si vous vous abstenez, si vous inhibez votre désir vous êtes parfaitement tranquilles. Parce que ce réel alors à aucun moment ne risque de surgir.

Le Réel fait partie de la structure soit avec RSI soit avec le 4ème rond : l’impossible comme nécessaire ;

Lacan situe le réel en tant que c’est un heurt, un obstacle rencontré (Melman Ste Tulle le redit)

« Le réel n’est pas pour être su «  nous dit Lacan

Ca nous fait suer mais ce n’est pas pour être su, parce que c’est toujours de l’Autre que vient à se présenter le Réel pour un sujet. Et ce qui vient de l’Autre on ne sait pas. Et c’est dans cette perception de la réponse du manque qui est le sien ( réponse aperçue dans l’ Autre ) et où le sujet entrevoit sa propre perte, c’est là que se dessine la 1ère appréhension du Réel( ex ; du commandement de l’Autre)

 

La troisième : «  Le nœud il faut l’être…il n’en reste pas moins que de l’être, il faut que vous n’en fassiez que le semblant »

Le monde est imaginaire : fonction de représentation est dans le corps. Le réel n’est pas le monde. Aucun espoir d’atteindre le réel par la représentation.

« J’appelle symptôme ce qui vient du réel. »

Melman Travaux pratiques clinique psychanalytique p 57…………………..(à lire)

Le Réel dans la structure, c’est, pour reprendre une image de Lacan, la gueule d’un crocodile.

 

 

 

Mireille Lacanal-Carlier Juin 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE SINTHOME JACQUES LACAN

LECON IV  13 janvier 1976

Lacan dans cette leçon insiste sur le réel. C’est le fil qu’il nous donne à suivre.fil pour nous guider à travers le corps et l’écriture, le corps comme écriture, la lettre «  a letter, a litter » pour arriver à la question « Qu’est ce qui opère dans la cure ? »

 

7 décembre 1921 , 7 rue de l’Odéon, Jacques Lacan, il n’a que 20 ans assiste chez Adrienne Monnier à une lecture d’Ulysse par nul autre que James Joyce., Ainsi l’Irlandais ne quittera plus Lacan.

 

Lacan commence donc  la leçon en posant la question  « Qu’est ce que le savoir faire ? »

Il ébauche une réponse en disant que c’est l’art, l’artifice, ce qui donne à l’art dont on est capable une valeur remarquable « .Remarquable en quoi, puisqu’il n’y a pas d’Autre de l’Autre pour opérer le Jugement dernier » (fresque de Michel Ange peinte entre 1536 et 1541 alors qu’il avait une soixantaine d’année dans la chapelle Sixtine à Rome. Une des figures en bas à droite serait une représentation de lui-même qui enlève sa vieille peau) Pas de complétude à attendre.

Une limite est posée à la jouissance Quelque chose dont nous ne pouvons jouir.

Le sinthome comme nous le verrons sous-entend un savoir faire, un talent, quelque chose que le sujet a et propose.

 

Lacan prend appui dans ce séminaire sur le savoir faire de Joyce pour illustrer  ce point de rebroussement du symptôme au sinthome dans une création artistique.

Il nous propose comme paradigme le sinthome de Joyce.

« Joyce a orienté son art comme symptôme.

L’ics forme une consistance de nature langagière. Dans son œuvre c’est l‘embrouille des nœuds qui se trouvent faire le tissu, le texte essentiel de ce qu’il nous apporte ». Lacan 24 janvier 1976 Centre universitaire de Nice

Lacan fait l’hypothèse d’une suppléance au Nom du Père par un travail par rapport à l’art de la lettre qui s’appuie sur la vie et l’œuvre de Joyce.

 

Symptôme et sinthome

 

Philippe Julien dans Du symptôme au sinthome article cairn info nous informe que

le mot symptôme est né en 1495 dans la langue française en traduction du latin médical symptoma, pour signifier une co-incidence (cum incidere), c’est-à-dire ce qui « tombe ensemble » : telle maladie et tel signe pour le médecin.

Or le dico d’un certain  Bloch et von Wartburg nous dit que ce nom là s’écrivait « sinthome » qui vient du grec « suntithémi » qui veut dire  «  mettre ensemble. »

Equivocité homophonique

On voit donc là ce qui « tombe » du symptôme et ce qui se rassemble du sinthome.

 

Lacan a définit le symptôme de plusieurs façons : comme une métaphore, comme ce qui vient du réel, comme ce qui ne va pas et à la fin de son enseignement, comme un fait de structure dont la nécessité doit être interrogée.

A partir de 1953 Lacan fait valoir que le symptôme analytique est soutenu par une structure de langage, par des signifiants et par des lettres qui en sont les éléments matériels.

Le symptôme névrotique est l’équivalent d’une parole enclose à entendre et à déchiffrer. Lacan y voit à l’œuvre le mécanisme de la métaphore : la substitution du signifiant d’un trauma sexuel à un élément de la chaîne signifiante actuelle fixe le symptôme et produit son sens…..

Avec le nœud à quatre ronds, c’est la fonction du symptôme qui est précisé. La réalité psychique qui détermine avec Freud la formation du symptôme organisée par le complexe d’Œdipe ; cette réalité, Lacan l’a dit religieuse parce que fondée sur la croyance que le père est le castrateur, alors que ce sont les lois du langage qui imposent à renoncer à être ou à avoir le phallus. Le symptôme apparait comme ce qui maintient avec le Père un lien qui soutient l’identification et la jouissance sexuelle : le rond du symptôme dit aussi « rond du Nom du Père » permet de nouer RSI.

Pour Lacan le symptôme est la façon dont chacun jouit de son inconscient.

Dictionnaire international de la psy. Article de Valentin Nusinovici.

 

A partir de RSI (73-74) Lacan va donc montrer un nœud, un autre nœud, un nœud à quatre éléments. Le quart élément est compensatoire ; il a fonction de suppléance, dans la mesure où le nœud à trois ne tient pas de lui-même. Telle est la fonction du sinthome comme quart élément.

Le sinthome est réel c’est ce à quoi veut  arriver Lacan. Le sinthome comme réel et non comme « manifestations/formation » de l’Ics.

Le sinthome produit un tout autre abord du symptôme qui n’est plus forcément ce qui doit être réduit par l’interprétation. Lacan en vient à formuler le travail de l’analyse comme  produisant « un savoir y faire » avec son symptôme.

Et pour Lacan Joyce n’a pas un sinthome il est le sinthome. Il est ce quart élément de part son ego. Celui-ci à fonction  réparatrice grâce à l’art de Joyce. Cela lui permet de se faire un nom.

Il nous propose le sinthome de Joyce dans la mesure où il illustre par son écriture l’effet de l’usage du sens au point limite du hors sens, le sinthome donc inanalysable. Joyce est pour lui celui qui « sait y faire » avec son symptôme.

 

« l’ics c’est la face du réel…c’est la face du réel dont on est empêtré.

L’analyse ne consiste pas à ce qu’on soit libéré de ses sinthomes, l’analyse consiste à ce  qu’on sache pourquoi on est empêtré. » Le moment de conclure 10/01/78 Lacan

« Cela se produit du fait qu’il y a le symbolique. Le symbolique c’est le langage : on apprend à parler, ça laisse des traces,, ça laisse des traces et de ce fait ça laisse des conséquences qui ne sont rien que le « sinthome » et l’analyse consiste à rendre compte pourquoi on a ces « sinthomes » de sorte que l’analyse est lié au savoir »

Un savoir qui ne s’acquiert qu’à travers la perplexité.

Et Joyce l’illustre dans sa littérature par son opération de hachage de la langue, de brisure, de dislocation, de déchirure. Il dégage ainsi la langue de tout usage de communication et même de tout effet de littérature. Joyce arrive à être illisible.

Il laisse une œuvre qui pose mille énigmes pouvant entretenir les universitaires  pour de longues années. C’était d’ailleurs son souhait.

L e symptôme serait la non acceptation de la castration symbolique du père, alors que le sinthome serait de l’ordre d’une création de la part du sujet, comme dans Joyce, qui avec son art vidait de sens ce qui s’imposait à lui comme symptôme ( Hiltenbrand La clinique du réel)

 

Les vérités premières : le ronron des vérités premières : dieu et le jugement dernier. Les vérités premières qui sont une connaissance trompeuse.

Peut-on sortir du ronron des habitudes qui nous endorment ?

Ce ronron serait celui des religions qui induisent une manière de penser. Ce serait le ronron d’un Dieu créateur, du rapport du créateur à sa créature. Dans la perspective chrétienne nous parlons d’un dieu –père. C’est de cette religion dont Freud en la traitant d’illusion essayer de nous débarrasser.

L’idée de Dieu voir la croyance soutient la fonction et le sens du symptôme névrotique.

La psychanalyse peut-elle nous sortir de ce ronron ?

« Le ronron c’est la jouissance du chat »  ( La troisième Lacan 31/10/74)) Pour ne pas ronronner servons-nous des ronds de ficelle, de la topologie.

 

Le Nom du père est la forme laïque de cette présence dans la doctrine psy, de nos attaches à ce fond religieux.

Lacan va alors chercher à élaborer un nœud pour support des vérités premières. Le nœud ce qui supporte notre consistance .Et il pointe ici la différence entre une chaîne et un nœud ( le nœud se déduit de la chaîne).La chaîne est  au-delà  de 2.(Marie PierreBossy nous faisait remarquer que pourtant nous disons noeud.) D’ailleurs Lacan  p83, fin de la leçon  pose la question s’il n’y a pas abus à dire :

« faire un nœud avec ce que j’appellerai une chaî-neoud »

 

Il revient sur les vérités premières et nous amène à ce qu’on appelle la pensée. La pensée est liée à l’acte sexuel, elle gravite autour de cet acte. Cet acte qui de par sa nature implique une polarité actif-passif ce qui déjà engage dans un faux-sens. C’est ce qu’on appelle la connaissance

Mais la connaissance est trompeuse car l’actif c’est ce que nous connaissons mais comme nous faisons un effort pour connaître nous nous imaginons que nous sommes actif.. La pensée nous imaginons qu’elle est active . La connaissance participe du fantasme d’une inscription au lien sexuel.

En effet le sexuel ne fonde en rien quelque rapport qu’il soit. Il n’y a de rapport sexuel que sinthomatique

Le phallus n’appartient à aucun sexe, c’est ce qui circule entre, ce qui fait coupure. On ne peut saisir ce qui fait rapport, il n’y adonc pas de rapport. La fonction phallique c’est l’entre deux, le vide qui fait distinguer les choses.

« C’est en ça que consiste la pensée, que des mots introduisent dans le corps quelques représentations imbéciles » Lacan La troisième

Le sens se loge dans l’imaginaire. La pensée introduit des mots qui nous « rengorge », qui nous dégorge, que nous vomissons, ce qui va nous donner à vomir une vérité de plus.

« Vous vous imaginez que la pensée c’est ça,… se tient dans la cervelle…Moi je suis sûr …que ça se tient dans les peauciers du front….Enfin, si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds » La troisième

Les pieds qui eux permettent de se mettre en marche. Ils permettent de faire un pas de côté.

 

Ainsi si la connaissance est trompeuse il nous faut repartir du début, de l’opacité sexuelle. Opacité car du sexuel ne fonde en rien quelque rapport que se soit. Et de nous rappeler qu’il n’y a de responsabilité dans le sens de réponse à côté que sexuelle. On est responsable que de notre position sexuelle .p 70 « On impute à Dieu ce qui est affaire de l’artiste » L’Autre de l’Autre c’est-à-dire impossible ce serait cela l’artifice ?

L’artiste est responsable au sens où c’est sa réponse c’est-à-dire son symptôme par rapport au fait qu’il n’y a pas de rapport sexuel.  Comment l’homme peut-il  être créateur si dieu l’est ? J. RUFF institut du champ freudien

« L’homme et non pas Dieu est un composé trinitaire » Lacan séminaire XXIII

 

Il revient sur la notion de Réel, distincte du symbolique et de l’imaginaire. Un Réel qui ne se fonde, n’existe qu’à en exclure le sens.

Le réel se fonde n’existe qu’à en exclure le sens.

 

Et il prend la consistance comme la forme la plus dépourvue de sens et qui pourtant s’imagine. Il n’y a de consistance que du nouage de RSI ( nœud c’est lier, relier, lire : c’est ce qui fait consistance).

La consistance c’est ce qui tient ensemble et c’est symbolisé par la surface ce qui nous donne l’idée du sac. Et de prendre l’exemple du corps qui se présente comme peau retenant dans son sac un tas d’organe et c’est comme ça que nous le sentons. Le corps comme amas de pièces détachées. C’est cette consistance qui nous montre la corde. Une corde comme résidu de la consistance et  qui exclut le nœud. Ainsi dans une corde le nœud est tout ce qui ex-iste à l’élément corde.

« Un nœud donc ça peut se faire » p 72 Le sinthome

 

Qu’est ce qu’un fait ? Il n’y a de fait que d’artifice car il n’y a de fait que du fait que le parlêtre le dise.

Il nous amène sur la voie de l’imagination. Le parlêtre parce qu’il parle ment et par là instaure dans la reconnaissance de faux faits. Et de revenir sur le corps qui est la seule consistance du sujet parlant et qui entretient avec son corps un rapport  d’adoration, un rapport imaginaire ( Je le pense donc j’essuie p72) imaginaire. Pour Lacan « Je suis où je ne pense pas » cad « Je suis où je n’articule pas, où je ne produis pas de sens ». Quand je pense, quand j’articule du sens je ne suis pas.

C’est le sexuel dit il qui ment la dedans à trop s’en raconter.

Mais finalement le seul concret que nous connaissons c’est toujours l’adoration sexuelle qui conduit à la méprise autrement dit au mépris même quand il adore un autre corps c’est le même mépris –véritable puisqu’il s’agit de vérité. (qui  elle ne peut être que mi-dite)

 

Alors qu’est ce que la vérité, qu’est ce que dire le vrai sur le vrai ? : suivre à la trace le réel qui ne consiste et qui n’existe que dans le nœud.

Mais ne nous hâtons pas et faisons comme si nous avions trouvé (« Je ne cherche pas je trouve » Picasso) Et pour cela Lacan repart de l’hystérie et sur la réalité de ce qu’il en est du rapport sexuel.

La tache de l’hystérique est de faire exister l’homme en l’incarnant, car il n’est pas question de laisser cette place vide. La douleur mal située de l’hystérique cherche dans son corps un lieu d’inscription.

Il y a toujours un problème majeur qui est celui de l’hystérique et de son corps, car ce corps lui

ek-siste parce que c’est le lieu de l’Autre

. « Ce lien de son corps est effectivement un lien étrange puisqu’il fonctionne comme un dépotoir, dépotoir de cet objet immonde qui est l’objet a, cause du désir de son partenaire » Melman  Problèmes posés à la psychanalyse

En tant qu’elle est – l’hystérique- la dernière réalité perceptible (husteron voulant dire « dernier » en  grec) pour nous rappeler que Freud n’a pu poser la question qui le taraudait «  Que veut la femme ?

(avec le sinthome il ne s’agira plus de résoudre l’énigme de la jouissance)

W w d W        Was will das Weib ,

Pour Lacan l’erreur de Freud c’est d’avoir pensé das weib au lieu de ein weib (une femme)

WweW

On ne peut pas parler de « La femme » qui n’ek-siste pas, une femme, pas toute.

« Toutes les femmes est un ensemble vide mais en revanche les femmes font série, une par une  Et si ça ek siste c’est donc du réel. Mais c’en est la consistance donc imaginaire du Réel. (Marie Charlotte Cadeau commentaire de RSI leçon du 21/01/1975)

L’énigme pour l’Homme c’est que la jouissance féminine n’est pas toute réglée par la loi de la castration. La jouissance féminine est hors langage, au-delà du phallus.

Cet excès de jouissance que la loi de la castration échoue à régler un symptôme peut l’appareiller et donner naissance à un art. Lacan écrit alors ce symptôme sinthome c’est-à-dire coupé du pêché.

«  sinthome » « sin » pêché.  «  Lacan fait le lien avec le pêché originel, la 1ère faute, de la doctrine chrétienne. Dans l’œuvre de Joyce le pêché en question c’est celui du père. Son père carent à suivi la même chute qu’Adam et Eve, et le sinthome de Joyce, sans la ptoma, sans la chute compense l’erreur de son père (Matinées lacaniennes Tom  Dezell)

 

Le sens en question révèle une énigme. En grec la parole est le radical d’énigme « ainos » « ainigma », en français parole et énigme n’ont aucune parenté. Enigme et réponse aussi énigmatique l’une que l’autre : registre de l’équivoque interprétative.

L’énigme c’est autre chose qu’une simple question. Chez les grecs c’est le Dieu qui prononce l’énigme par la voie de la Phytie : parole obscure qui défie l’entendement.

Ainigma l’énigme vient donc de ainos, parole prophétique. La puissance de l’énigme tient à ceci elle est une parole qui fait signe vers ce qui dépasse toute parole, fait vaciller la frontière du symbolique et du sens. Et au-delà  c’est le réel.

Le névrosé cherche à résoudre l’énigme des symptômes.

Joyce qu’en à lui croit à son sinthome et n’a pas intérêt à leur résolution. Il ne veut pas accepter la dette, l’héritage paternel.

Et Lacan présente cela comme une énigme : E énonciation e énoncé.

L’énigme c’est une énonciation tel qu’on en a pas trouve l’énoncé. L’énoncé se trouve dans la langue dans laquelle l’enfant a reçu ses premiers soins, celle de sa prime enfance, sa lalangue, la langue dans laquelle s’est constitué son symptôme ; ce qui fait retour en tant que lettre en est l’énonciation.

La lettre c’est le signifiant en tant que détaché de sa valeur de signification, détaché du signifié. Ce qui revient comme lettre n’est pas à lire puisque telle qu’elle elle ne nous dit rien du signifiant refoulé.

Lacan avec le travail sur la lettre nous indique que le travail de l’analyse consiste à réduire ce qui fait sens pour le patient, à réduire la lettre à un déchet. Il reprendra l’équivoque de Joyce sur «  a letter, a litter » «  une lettre, une ordure »

Avec ce glissement représentant la transformation de la lettre en déchet, Lacan montre l’usage que l’on peut faire pour aborder et réduire le symptôme dans l’analyse.

( Patricia Dahan La lettre entre savoir et jouissance)

La lettre contient une dimension de réel, elle n’est pas du côté du sens, elle est du côté du hors sens

L’énigme c’est l’art d’entre les lignes (allusion à la corde). et cela à un rapport avec l’écriture. C’est par des petits bouts d’écriture qu’on est entré dans le Réel, qu’on a cessé d’imaginer. L’écriture des petites lettres, des petites lettres mathématiques, c’est qui supporte le réel.p 75

Lacan  nous propose que l’écriture ça devait avoir un lien avec la façon dont nous écrivons le nœud et il fait référence à l’instance de la lettre. En dessinant un S avec une barre pour écrire un noeud. Cela nous rappelle aussi un corps.

La lettre est le support matériel que le discours concret emprunte au langage S/s  signifiant/signifié

« Ni dans ce que dit l’analysant, ni dans ce que dit l’analyste il n’y a autre chose que l’écriture »

leçon du 20/12/77 Lacan

Notre corps n’est-il pas porteur des traits, d’une écriture qui si nous savions les interpréter nous lirait.( lier) Marque sur le corps.

Histoire de Rémi.qui est en ULIS …….lui aussi aura à affronter de terribles épreuves avant de pouvoir peut être un jour mettre pied sur une terre d’accueil un Heim dont parle Freud. En attendant il se débat comme il peut avec une histoire de père dénié jusqu ‘à l’âge de 12 ans et mis en mots il y a quelques temps sous les signifiants « ordures déchets » induits «  Ton père je l’ai trouvé dans la rue tu ne crois pas que je me souviens de qui c’est ! »

Rémy tache sur les mains avec stylo de la mère en svt en cours sur les volcans. Il ne peut plus faire et cache ses mains dans ses poches.

Histoire de la banderole, prolongement du corps. Un corps de cortège avec sa tête et sa queue. Banderole comme un tatouage sur le corps.( Le Monde des livres 25 avril 2013)

MARINA

Revenons à Stephen ( S) qui est Joyce dans le roman. Il déchiffre sa propre énigme mais il ne va pas loin car il croit à tous ses symptômes. Le père de Joyce est un père carrant, toujours absent. Dans le livre Bloom cherche un fils. Stephen lui répond «  Non merci, trop peu pour moi. »

Ulysse est un témoignage de ce par quoi Joyce reste enraciné dans son père tout en le reniant : c’est ça son symptôme. «  J’ai dit qu’il était le symptôme » Lacan

 

Pour Lacan toute l’œuvre de Joyce est un long témoignage de cet enracinement du père tout en le reniant. Il fait référence à Exiles(1918). C’est l’unique œuvre théâtrale de Joyce. Le personnage est exilé de son propre pays comme l’était Joyce au moment d’écrire Exiles à Trieste. Lacan traduit « Les exils » : les différents exils du parlêtre ?

L’homme veut entraîner la femme à la trahison et il met en jeu une dialectique du doute qui accomplit un cycle en 4 temps  qui aboutit à « une blessure sans cause , ni origine, une blessure autonome qui ne peut se refermer »

Dans sa vie pour Joyce il n’y a qu’ « une seule femme » cad que Nora est alternativement la Vierge et la putain. Il  voudrait ne former qu’un seul être avec elle. L’Une femme c’est Nora.

« …qu’au regard de sa femme, il a les sentiments d’une mère…. » p 83

Exils exprime le non rapport sexuel, le fantasme de faire Un à deux.

Joyce : se faire livre aurait du se faire nœud.

 

Lacan revient à Ulysse et à l’énigme que propose Joyce sous les traits de Stephen (p 42 Ulysse folio)

Ulysse écrit entre 1914 et 1915, raconte un jour de la vie de L. Bloom le 16 juin 1904. Joyce rencontra sa femme cette journée là.

Lacan nous dit analysons Ulysse : mettons nous en position d’analyste et à cette énigme donnant ce fait  qu’elle est incompréhensible, et la réponse tout autant. L’analyse c’est la réponse à une énigme.

Réponse r tout à fait « conne » cad bête, déplacée, absurde. Et c’est pour cela qu’il faut garder la corde

L’analyste devra ainsi tenir la corde et apprendre à nouer d’un fil singulier les trous de cette singularité particulière. Nouages qui comme chez Joyce supposent une articulation  qui serve à retarder la rencontre fatidique avec les excès de la jouissance (Hétérité J. Adams ))

L’analyste celui qui peut soutenir la corde et devient ainsi « causeur de noeud. »

Il n’y a que des lettres dans l’ics, il n’y a que des cordes avec ses chaines et ses nœuds. La corde du noeud borroméen c’est l’écriture du réel, donc bien tenir la corde. Cela aboutit au nœud du non rapport sexuel.

« Le symptôme est le langage dont la parole doit être délivré » Les ecrits p 235 Lacan

 

Le sens résulte d’un champ entre Imaginaire et Symbolique. Faire une épissure pour obtenir un sens  qui se déplace : c’est l’objet de la réponse de l’analyste à l’exposé de l’analysant.

Quand nous faisons une épissure nous en faisons une autre entre symptôme et le Réel.

Qu’est ce qui opère dans l’analyse, c’est de suture et d’épissure qu’il s’agit dans l’analyse. C’est de structure et d’épissure qu’il s’agit. Qu’est ce qui opère dans la cure ?

Le statut de l’interprétation tient son efficacité à deux opérations : épissure et suture.

L’épissure consiste en un raccordement qui permet à une discontinuité de disparaître, de s’évanouir. C’est un raboutage. La suture (opération inverse de la coupure- métaphore est une coupure-) de 2 bords ou d’un bord sur lui-même- établit une nouvelle surface dont les propriétés dépendront de son articulation aux autres surfaces.

Cela permet le passage du 2 au 1 sans rupture.L’épissure comme mise en continuité.

La seconde qui procède de la première permet la fermeture, la clôture et installe donc une limite.et à un effet de surface avec la mise à plat du nœud.

La suture comme avènement d’une surface fermée.

Dans l’analyse il s’agit d’un raccordement d’une formation imaginaire avec le savoir inconscient. Cela produit un sens qui serait cette suture.

Qui produit une nouvelle épissure où symbolique vient toucher au réel : entrelacs entre symptôme et réel, réel parasite de la jouissance. Cela rend ainsi cette jouissance possible (par la suture) sous la forme  j’oui-sens cad ouïr un sens (ordinairement la compréhension d’un sens se met en travers d’un ouïr)

P83 « Trouver un sens implique de savoir quel est le nœud, et de le bien rabouter grâce à un artifice. » Sinthome Lacan

Ainsi le couple épissure suture contribue à résorber l’effet de sens dans un effet d’apprentissage ( un effet de faire, de savoir y faire) celui qui consiste à se faire une certaine jouissance.

 

L’analyse ne peut opérer qu’à partir de ce que se présentifie d’un réel par rapport au désir. ( Clinique du réel  Hiltenbrand leçon du 15 nov. 1995)

Le Réel se manifeste exclusivement sous la condition du désir cad que si vous vous abstenez, si vous inhibez votre désir vous êtes parfaitement tranquilles. Parce que ce réel alors à aucun moment ne risque de surgir.

Le Réel fait partie de la structure soit avec RSI soit avec le 4ème rond : l’impossible comme nécessaire ;

Lacan situe le réel en tant que c’est un heurt, un obstacle rencontré (Melman Ste Tulle le redit)

« Le réel n’est pas pour être su «  nous dit Lacan

Ca nous fait suer mais ce n’est pas pour être su, parce que c’est toujours de l’Autre que vient à se présenter le Réel pour un sujet. Et ce qui vient de l’Autre on ne sait pas. Et c’est dans cette perception de la réponse du manque qui est le sien ( réponse aperçue dans l’ Autre ) et où le sujet entrevoit sa propre perte, c’est là que se dessine la 1ère appréhension du Réel( ex ; du commandement de l’Autre)

 

La troisième : «  Le nœud il faut l’être…il n’en reste pas moins que de l’être, il faut que vous n’en fassiez que le semblant »

Le monde est imaginaire : fonction de représentation est dans le corps. Le réel n’est pas le monde. Aucun espoir d’atteindre le réel par la représentation.

« J’appelle symptôme ce qui vient du réel. »

Melman Travaux pratiques clinique psychanalytique p 57…………………..(à lire)

Le Réel dans la structure, c’est, pour reprendre une image de Lacan, la gueule d’un crocodile.

 

 

 

Mireille Lacanal-Carlier Juin 2012

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Leçon I du séminaire « Le sinthome » par Catherine Prudhomme

Cette première leçon fait le lien entre le travail en devenir dans le séminaire, soit les pistes que Lacan va emprunter, et le travail effectué dans le dernier séminaire R.S.I. qui se poursuit ici : Le symptôme, dans la triade Inhibition, Symptôme, Angoisse, localisé dans le nœud borroméen entre Symbolique et Réel, les trois nominations, seule la nomination symbolique sera reprise, et le nouage par le Nom du Père.

L’écriture du mot sinthome montre d’emblée le lien entre :

– L’écriture de Joyce et le rôle qu’elle a tenu dans sa structure, soit la fonction de l’écriture pour Joyce. L’écriture comme un effet du dit, du langage.

– et L’écriture de Lacan, écriture du nœud borroméen, élaboré à partir de sa pratique analytique, écriture primaire qui appelle un dit.

Lacan dit helléniser sa lalangue pour réinventer ce mot sinthome en fait ancienne graphie du symptôme, passage dû à Rabelais, sous tendu par la  science, la médecine. Cette nouvelle graphie sinthome fait apparaitre la chute (ptôme), le sin, la faute, au cœur de l’œuvre de Joyce ainsi que la nomination le saint homme en référence à l’admiration qu’avait Joyce pour saint thomas d’Aquin, sous la forme d’une discussion que l’on retrouve dans Portrait de l’artiste en jeune homme, autour de la claritas et du beau. Cette nomination de Joyce en Saint Homme éclaire cette identification à son symptôme que Lacan met en évidence dans le titre de sa conférence « Joyce le symptôme ».

L’écriture de Joyce, celle d’Ulysse et de Finnegans wake, par l’intermédiaire de la langue anglaise et non sa lalangue gaélique,  joue sur la langue, les langues, les homophonies, allant du sens au hors sens, devenant quasi illisible sinon à la lecture à haute  voix, jouissance à ciel ouvert. La langue pour Joyce n’a pas trouvé à s’ordonner dans le régime du Père dont c’est pourtant la mission celle de délivrer un sens, la jouis-sens phallique, à la langue. Mais cette langue a été recrée d’une certaine façon, ce devoir auquel Joyce se tient comme il l’exprime à la fin du Portrait, point de bascule vers une écriture plus singulière, «Je pars rencontrer la réalité de l’expérience et façonner dans la forge de mon âme  l’esprit incréé de ma race ». De renouer sa lalangue à sa langue cela amène son écriture qui fait tenir sa structure.

Avec le nœud borroméen, ce n’est pas seulement la parole qui a une fonction chez le sujet, ce nœud intéresse la manière par laquelle un sujet s’accommode de l’existence du langage. Lacan a promu le concept de parlêtre à la place du sujet dès lors qu’il ne repère plus celui-ci de la seule articulation du signifiant mais de l’articulation du nouage du Réel, Symbolique ,Imaginaire .Dans les névroses, cette articulation s’organise par un nouage entre les trois registres enserrant un trou, le nœud est borroméen, mais à la fin du séminaire R.S.I.lacan  introduit le Nom du Père pour renforcer ce nouage toujours borroméen. Ce nouage est différent dans les psychoses, soit d’une part, par la mise en continuité des trois registres : le nœud de trèfle, soit d’autre part, par l’impossibilité pour l’un de ces registres de se lier aux autres, donc ratage du nœud. Chez Joyce, la possibilité d’existence d’un symptôme psychotique a permis à Lacan de souligner que le rond de l’imaginaire ne se nouait pas aux ronds du symbolique et du réel. Par contre, l’absence avérée du développement d’un délire psychotique et l’originalité de l’écriture de Joyce amènent Lacan à considérer que l’écriture comme œuvre d’art avait une fonction particulière dans ce nouage ; elle ferait tenir les trois R.S.I. à la condition d’un quatrième rond. Mais ce nouage à quatre sera –t-il encore borroméen ,et le sinthome sera-t-il  le nom de ce quatrième rond ou bien le nom de cette équivalence du nom du père et du symptôme , ou bien encore le nom de cette identification au symptôme ? Pour Joyce, mal structuré sur du trois, dont l’imaginaire fuit de façon indépendante et qui agit en son insu, son écriture, création d’un objet condensateur de jouissance, son sinthôme, va consolider ce nouage lui permettant d’en faire un usage logique. Lacan parle de lapsus du nœud chez Joyce.

En ce début de séminaire, Lacan revient sur la nomination : «La nature ne se spécifie que d’être un potpourri de hors nature. » Elle est donc nommée c’est-à-dire appartenant aux trois registres R.S.I. L’unité du corps vivant le UN n’est plus supporté par la seule image et opération symbolique du passage par le A mais des trois dimensions, le réel participant de l’animation du corps vivant. Ainsi le parlêtre est donc ce passage relatif à un déplacement du sujet du signifiant au corps parlant. Ceci impliquant d’une part que le Un n’existe pas dans la nature, autrement dit qu’il  il n’y a pas de rapport naturellement sexuel, et d’autre part que pour comprendre le clivage entre nature et chaos, il nous faut saisir en quoi une part de réel est informé par le symbolique alors, qu’une autre part ne reçoit aucune information. Dans le séminaire R.S.I, « On ne remarque pas que l’idée  créationniste du fiat lux inaugural n’est pas une nomination. Que du symbolique surgisse le réel c’est ça l’idée de la création, n’a rien à faire avec le fait que dans un temps second, un nom soit donné. »

Ainsi dans la clôture des journées d’avril 75, « c’est à ce niveau qu’intervient la distinction du trou de l’urverdräng (non pas fiat lux mais fiat trou) et la nomination de ce trou. » Cela amène la question de la différence entre ce que Lacan nomme nomination symbolique où il repère l’activité de nomination par laquelle un nom est donné, par Adam, à chacun des animaux, et la nomination du réel qu’il impute au père nommant, ce dans R.S.I.

Lacan reprend   cette nomination   en pastichant Joyce dans Ulysse.  Joyce lequel par le nom de Joyce va nommer son père. Dieu charge Adam (jeu avec la dame chez Joyce) de nommer. Mais cette nomination ne peut se faire que dans lalangue, « l’Evie », Eve étant la première personne qui se sert de la langue pour parler au serpent, le serre-fesse, faille, phallus pour faire un faux-pas. La faute, sin du sintome, de la femme sera attribuée par Joyce à la femme, soit une autre façon de la désigner. La faute, le péché, sin du sinthome contre lequel Stephen règle sa conduite face à la défaillance du père. Donc il y a jeu entre la nomination et le jeu des signifiants A barré pour que ne cesse pas la faille. Le symptôme, comme on l’a vu antérieurement est  ce qui ne cesse pas de s’écrire. Pour Joyce, il en va un peu différement,ce que Lacan décrit en reprenant  la proposition logique « ce qui cesse de s’écrire » modalité du possible, Lacan  dit «  il faut y mettre la virgule , une petite verge  », ce que désigne la latin virgula, «  qui joue comme coupure, comme cesse de la castration. » Le sinthome. Le sinthome est une nomination, réponse au défaut d’un Autre du nom. C’est en raison de sa fonction connectrice  partagée du Nom du Père, réduit à sa fonction de nomination et du symptôme que Lacan peut finalement faire équivaloir le père et le symptôme, d’où l’équivalence sémantique entre symptôme et saint homme dont se fonde le terme de sinthome.

Mais note Lacan, pour Joyce la position de la femme, liée à la faute, serait une position d’exception particulière, non pas pas-toute, le pas tout écarté de la logique aristotélicienne mais plutôt du côté de « mais pas ça ».Le tout mais pas ça, de Socrate qui se voulant dans cette position d’exception donc immortelle, ne veut pas que sa femme vienne assister à sa mort. « Le mais pas ça, c’est ce que j’introduis sous mon titre de cette année le sinthome » faisant apparaitre que pour Joyce le sinthome pourrait faire exister le rapport sexuel. Cela ouvre des conséquences importantes :  jusque-là quand Lacan disait la femme est le symptôme de l’homme, cela conservait cet impossible du rapport sexuel sous tendu par : La femme n’existe pas et elle n’est pas-toute dans le rapport phallique.

Le sinthome apparait comme une construction  par le travail d’écriture de Joyce, entre le sinthome madaquin et le sint’home rule, du religieux au politique, comme un choix, un autre rapport à la Vérité, une hérésie. Hérétique du Nom du Père mais soumettant son hérésie à L’Autre. Il faut en passer par l’Autre pour qu’il y ait réalisation du sinthome, Lacan parle d’une soumission à la confirmation de l’Autre. « La bonne façon est celle qui, d’avoir bien reconnu la nature du sinthome, ne se prive pas d’en user logiquement c’est-à-dire d’en user jusqu’à atteindre son réel, au bout de quoi il n’a plus soif. »

Le symptôme de Joyce crée artificiellement un Nom-du Père qui fait défaut, il ne s’agit pas d’une forclusion du Nom-du Père mais d’une autre façon d’atteindre le Réel. Joyce décrit son père comme un père carent : « Etudiant en médecine, champion d’aviron, ténor, acteur amateur,  politicien braillard, petit propriétaire terrien, petit rentier, grand buveur, bon garçon, conteur d’anecdotes, secrétaire de quelqu’un, quelque chose dans une distillerie, percepteur de contributions, banqueroutier et actuellement laudateur de son propre passé ». De même sur sa manière d’être père « je te parle en ami Stephen, jouer les pères rigides ce n’est pas mon genre. Je ne crois pas qu’un fils doive craindre son père. Non je te traite comme ton grand-père me traitait quand j’étais jeune. Nous étions deux frères plutôt que père et fils »

Le sinthome de Joyce est cette suppléance au Père, suppléance du phallus, et Lacan ajoute que comme il avait un phallus un peu lâche, c’est son art qui a suppléé à la fonction phallique, son art comme vrai répondant de son phallus.

Joyce soutient le père, il va être chargé de père, projet qu’il énonce à la fin du livre Le Portrait : « façonner dans la forge de mon âme la conscience incréé de ma race » Joyce se fait un nom lequel soutient le père, et ce qui a fondé son S1 c’est la notoriété de son nom, S1 qui ne tient que par les appuis de l’Imaginaire et du Réel. La particularité de Joyce de son symptôme ou plus précisément sinthome c’est qu’il est le produit d’un art, d’un savoir-faire, l’inconscient n’intervenant pas dans sa fabrication, Lacan dira Joyce est désabonné de l’inconscient. Qu’en est-il alors du S2 ?

Lacan propose de mettre en relation le nœud à quatre et l’inscription dans le discours du Maître.

Lacan revient sur L’imaginaire. L’Imaginaire serait un sac non pas infatué d’un Un mais un sac vide, l’ensemble vide où l’Un trouve son origine dans les mathématiques modernes, c’est le réel qui est ici en jeu.

Chez Joyce l’Imaginaire ne serait lié au symbolique que par le réel. On peut illustrer cela par :

– Le déplacement de L’imaginaire de sens. Dans son écriture le sens évacué, évidé  se déverse au niveau phonologique, donnant du sens décalé, du hors-sens. C’est du niveau de la lettre.

– L’analyse de la scène de la raclée, narration où Stephen coincé contre des barbelés reçoit une raclée de Héron et ses deux amis. Se remémorant la scène, Stephen, dans l’après-coup « se demandait pourquoi il ne portait pas malice à ceux qui l’avait tourmenté. Il n’avait pas oublié un seul détail de leur lâcheté mauvaise, mais leur souvenir n’éveillait en lui aucune colère. Toutes les descriptions d’amour et de haine farouches qu’il avait rencontrée dans les livres lui paraissaient, de ce fait, dépourvues de réalité. Même cette nuit-là, pendant qu’il s’en retournait en titubant par la Jones’road, il avait senti qu’une certaine puissance le dépouillait de cette colère subitement tissée aussi  aisément qu’un fruit se dépouille de sa peau tendre et mûre ». Il n’y a pas morsure du signifiant sur le corps, mais ce n’est pas du côté de la perversion car il n’y a pas trace de jouissance dans le récit, mais il y a écriture.

– Les épiphanies, où la langue est en semi-extériorité. Le signifiant à l’extérieur produit un effet sur le corps. Joyce reçoit ces signifiants pour en faire quelque chose, un écrit. Les sons, fragments sonores qui se détachent de la langue prennent une valeur d’extériorité (scène du réfectoire, de l’infirmerie) de même le regard, ces lettres inscrites sur le bureau, Joyce écrit, il décide d’épiphaniser. Lacan rappelle que les pulsions ne sont que l’écho dans le corps du fait qu’il y ait un dire.

On voit donc là et dans l’écriture de Joyce comment c’est par le réel, réel de la lettre que tiennent ensemble Symbolique et Imaginaire

C’est par l’objet voix que Joyce rejoint ce qui permet à la pulsion de faire le tour du vide, d’en passer par l’Autre avant de revenir, trajet de la pulsion qui permet à Joyce de se faire artiste.

Donc l’imaginaire serait noué mais alors cela implique que S2, lieu du savoir inconscient, non opérationnel chez Joyce, à la place de l’Autre dans le discours du Maître, soit divisé en symbole et sinthome, division qui permet le nouage à quatre.

Le symbolique se trouve divisé entre le symbole qui selon Lacan en remet sur l’imaginaire et un symptôme qui vise le réel.

En citant Pierre-Christophe Cathelineau : « Lacan parle d’une division du savoir qui coïnciderait avec celle du symbole et du symptôme. Il est plausible d’y reconnaître  la division qu’institue la pensée médiévale entre les vérités de Foi et les vérités de raison, celles qu’on accepte et celles qu’on démontre. C’est le nouage de ces deux savoirs en une seule tresse, qui constitue la division du symbole et du symptôme. Le rond est successivement appelé sinthome ou symptôme. Lacan le désigne comme une version du Père, une père-version. Sans doute, il y a une différence entre la révélation comme savoir et le savoir rationnel qui répond à cette révélation par le Saint Homme (Saint Thomas). Ainsi le Saint Homme apparait-il à la frontière de la Trinité chrétienne pour en faire tenir par la raison les trois dimensions, en y ajoutant une quatrième, celle du sinthome. C’est du moins l’assertion que je souhaite soutenir. »

« En quoi l’art, l’artisanat peut-il déjouer ce qui s’impose du symptôme ? – à savoir la vérité ». Lacan reprend le discours du maître, où la vérité est la division subjective du sujet. Cette vérité est déjouée par cet artifice qu’est l’art. Joyce soutient le père et déjoue par cette suppléance la vérité de la faillite paternelle. Symptôme et symbole ne forme qu’un faux trou, cela s’entend par le fait que le symbole que propose l’artiste, c’est son symptôme, identifiable à son œuvre, donc selon Lacan Joyce en rajouterait sur S1 et déjouerait la vérité de sa division à travers la production de son œuvre, l’artiste avec son œuvre illustre son nom.