Charles Melman : Le bilinguisme : un fait général

Colloque «Pawol pa ni Koulé»

le 27 Octobre 2013 en Guadeloupe

( transcription, non relue par l’auteur)

….Il y a néanmoins ce qui va faire Un, ce qui sera chaque fois strictement le même, c’est terrible ça la genèse de la langue de ce qui va faire Un, ou de ce qui va originer l’idée du même. C’est la différence qui va faire Un, et qui va originer cette fascination du même là où il n’y a que des éléments différentiels. Et si je me souviens de Saussure, ce qu’il dit bien c’ est qu’ au départ il n’ y a que la parole. Ce qui me paraît problématique c’est justement d’apprécier le fait que tous ces organismes ne sont discernables, tous ces éléments ne sont discernables que dans la mesure où il y a ce curieux animal, qui va émettre ses bruits, autrement dit il faut que ça commence à parler, pour qu’il y ait discernement possible de cette organisation dont cet animal dépend.

Et en particulier ce fait tout de même majeur, c’est que là où il se tourne vers le monde, vers l’environnement, vers le monde pour son appétit, je ne parle même pas encore de son désir, qu’est-ce qu’il va avoir à se mettre sous la dent ? Un autre signifiant. Avec donc ce que la psychanalyse je dirais évidemment recueille, puisque c’est à la limite ce dont le sujet parlant vit, ce qui dans l’opération est perdu. Ces quelques indications, voilà ce que me suscite ta brillante intervention immédiatement.

Ceci étant, avant d’aller un peu plus loin car je dois dire que je me réjouis de la présence de Bernabé et de toi-même, Jacques Coursil, mais j’espérais que nous parlerions de la structure de la langue créole. Je comprends très bien que cela n’ait pas été abordé, mais peut-être n’est-ce que partie remise.

En ce qui me concerne, moi je parle de quelle position ? Lacan disait quand il faisait son séminaire qu’il parlait en tant que patient, en tant qu’analysant, pas en tant que maître. En tant que analysant, cela veut dire qu’il poursuivait dans son élaboration, la recension des aliénations dont un parlêtre est forcément la victime du fait de son passage dans la langue. Et donc il continuait comme ça, jusqu’à ce qui lui est devenu comme temps de conclure. Moi je ne parle pas ici en analysant, je parle en praticien. En praticien, c’est à dire quelqu’un qui est amené à travailler avec des personnes qui entre autres, ont connu la colonisation. Qui ne viennent pas seulement des Antilles, mais avec l’obligation de remarquer, qu’au-delà des singularités bien entendu qui se manifestent il y a du fait de ce processus de colonisation, un certain nombre de concepts. Et dès lors évidemment l’interrogation, qu’est-ce qui là produit une sorte de clivage qui fait que le destin de ce qui connurent cette opération misérable, que fût la colonisation, comment se fait-il qu’ils en soient marqués d’une manière qui évidemment nous interroge, et sans doute nous sommes aussi ici réunis pour cela.

Et avec de ma part cette proposition, c’est que le père, la relation au père dans le cas de ceux qui furent victimes de la colonisation, n’est pas du tout la même que celle du père que Freud invoque, à propos par exemple de son rôle décisif dans l’Oedipe. Ce n’est pas du tout le même. Est-ce que c’est vrai ce que je dis, c’est à voir. Mais en tout cas le père de l’oedipe, tel que Freud le trouve dans l’inconscient de ses patients, c’est celui qui opère la séparation de l’enfant avec sa mère, promettant à celui qui se trouve ainsi amputé, une accession à la dignité de pouvoir être un jour quand il sera plus grand, son semblable. Il aura la dignité d’être comme lui, il sera son fils. Donc le passage je dirai par l’acquisition de l’identité, le fait de devenir Un __ c’est bizarre puisque l’on voit resurgir à cette occasion cette affaire du Un dans la langue __ , cette possibilité d’être Un, à la condition de cette perte décisive, essentielle. Ce qui a pour conséquences, pour effets, d’une part des attaques répétées, la tentative d’annuler, de défaire cette autorité aussi arbitraire. Et donc au risque de perdre sa dignité, de trouver l’accès à une jouissance qui soit enfin satisfaisante, qui ne soit pas marquée systématiquement par une amputation, par un sacrifice. La question mérite de se poser : où se situe aujourd’hui pour chacun d’entre nous ce sacrifice, alors même qu’il semble avoir disparu dans la collectivité, dans la vie collective ? On n’envoie plus aujourd’hui nos plus beaux adolescent sur un bateau vers Delphes en disant voilà ce que nous sacrifions, c’est extraordinaire. Qu’est-ce que le sacrifice pour nous aujourd’hui, sinon pour chacun d’entre nous cette espèce d’amputation volontaire de la jouissance.

C’est ce dont Darmon nous parlait ce matin à propos du faux-trou.

Dans le cas de celui qui fût colonisé, la relation se trouve (inaudible) à une autorité, qui justement a refusé à ceux qui se trouvaient ainsi pris sous sa coupe, toute identification possible, mais au bénéfice d’une jouissance parfaite  » reste avec ta mère, n’en décolle pas ! ». Donc tu n’auras pas l’identification, mais en revanche du côté de la jouissance n’est-ce pas, tu n’auras pas de problème. Ce qui en résulte dans un cas pareil, c’est évidemment la recherche d’une identification, mais en refusant de renoncer à quelque perte que ce soit de la jouissance. C’est à dire la possibilité d’avoir un accès à la jouissance au moins égale de ce qu’on peut prêter à ce maître, ainsi venu d’Outre-Atlantique. Et donc de pouvoir réaliser en face, ce qui serait en s’identifiant à lui, malgré lui ou contre lui, de réaliser une maîtrise tellement parfaite, que précisément elle ne serait plus amputée d’aucune jouissance. Je suis en train de parler de Haïti. Pour situer l’opération quelque part.

La question est éminemment de savoir si aujourd’hui nous disposons de quelques outils qui nous permettent quoi ? Par exemple moi me permettraient, éventuellement lorsque j’ai affaire au problème qui se trouve posé aux patients pris par cette opération, de savoir si je suis en mesure de leur répondre valablement, en sachant ceci : c’est que le traumatisme, ce que révèle toute expérience clinique, parce qu’il y a des traumatismes de toute sorte, ça peut-être un accident de voiture, un accident de guerre, les névroses de guerre c’est ça, eh bien on y est terriblement attaché, on arrive pas à s’en défaire. On n’arrive pas à s’en défaire de cette rencontre avec le traumatisme.

Et de telle sorte que __ je ne sais pas si vous accepterez ma brutalité, et si vous ne l’acceptez pas tant pis pour moi__ on devient les enfants du désastre ! Ce n’est pas réservé aux post-colonisés, il y a des tas de peuples ainsi qui ont pu se retrouver les enfants du désastre, alors qu’ils pouvaient éventuellement se référer à d’autres origines. Mais il faut voir ce que ça provoque l’attachement au désastre, c’est à dire qu’il faut bien sûr des psychanalystes pour aller barboter, je dirai plonger dans cette marmite qui n’est pas tellement attrayante. Peut-on dire que finalement, si le traumatisme vient être la représentation gagnante d’une possible jouissance, comment pourrait-on y renoncer ? Comment peut-on l’abandonner, au profit de quoi ? Car chacun de nous a besoin de se soutenir d’une jouissance, d’une manière ou d’une autre, on peut renoncer à sa filiation, on peut renoncer à sa femme, à tout ce que vous voudrez, à la culture, néanmoins ce qu’il est nécessaire d’entretenir, nous sommes les addict d’une jouissance quelle qu’elle soit.

Il se trouve évidemment que dans l’opération traumatisante, à laquelle il est difficile de se soustraire, d’autant que je dis bien qu’elle n’a aucune incomplétude. On dirait « oui, mais elle est masochiste ». Alors là-dessus référence incontournable de Freud, qui à partir de 1925 et au vu de ses échecs thérapeutiques, a bien été obligé de dire ceci : il y a chez la créature parlante un masochisme irréductible. Moi je trouve cela extrêmement déplaisant, cela n’a pas plu à ses élèves, ils n’en ont pas voulu, Eros c’était déjà difficile à accepter, c’était pas Eros de l’accepter, mais Thanatos alors pas question ! il faut quand même pas exagérer.

Il me semble que cette affaire se complique, et d’une manière qui personnellement me sollicite, lorsque dans l’affaire survient une langue originale, de création récente, si particulière. Je conclurai très rapidement, je ne vais pas être long, j’évoquerai l’importance du conte, du roman, Freud d’ailleurs a fait une fiction historique qui s’appelle L’homme Moïse, sous-titre « roman historique », alors moi je propose, je vais faire du créole une fiction historique: Ceux qui ont débarqué ici au 17e siècle, et dont on sait qu’ils étaient en majorité des pauvres bougres, et en plus je dirais les délégués d’un entrepreneur privé, ils ne venaient pas au nom de la France, c’était Richelieu qui investissait, pas pour la France, cela a commencé ensuite avec Colbert qui lui était d’un autre calibre. Mais ceux qui ont débarqué là je dirais venaient pour faire des affaires, avec l’argent que Richelieu voulait investir dans ce coin. Pauvres bougres, dont on sait qu’ils ne parlaient pas le français. On lit chez Chaudenson par exemple, ou même chez Waldman on lit « le français vulgaire », moi je ne sais pas ce que c’est, où est-ce qu’il est écrit ce français vulgaire ?

Ils parlaient des langues régionales, dont il est avéré, cela est vérifiable, que la syntaxe, que la morphologie n’est pas très éloignée de celle de la langue d’oïl. Je suis toujours dans le conte, alors qu’est-ce qui s’est passe ? On sait que c’était principalement des hommes, il est facile d’imaginer qu’arrivant sur ces îles merveilleuses,  on ne peut pas le dire autrement le terme a été utilisé c’était « l’Eden », et y compris bien entendu la proximité des femmes, avec lesquelles leurs relations se trouvaient sans contrainte, sans devoir, sans obligation. N’est-ce pas l’Eden ? Il se trouve que de ces unions sont évidemment nés des enfants, nés sur place.

Et comment dans ce contexte où s’opère ainsi le détachement de la contrainte politique, voire religieuse __ je sais qu’il y avait des prêtres parmi eux mais je n’aurais pas la méchanceté d’épiloguer sur ce que fût leur conduite, après tout pour être prêtre on n’en est pas moins homme __ , ce détachement du pouvoir politique, des devoirs qui sont à lui rendre, le seul livre dont on est certain qu’ils l’aient amené c’est la Bible, qui était rédigée en latin. Qu’est-ce qu’ils avaient comme livres, est-ce qu’on le sait, comme témoins écrits de la langue française ? Donc ce détachement ainsi offert __ je continue mon propos__ à l’endroit du pouvoir politique, à l’endroit du pouvoir religieux, d’une langue dont l’usage posait des problèmes pour la communication entre eux, mais de quelle façon est venue une morphologie, puisque pour les lexèmes cela ne pose pas problème, mais dont il est évidemment merveilleux, tellement extraordinaire, que à l’autre bout, à la Réunion on va retrouver la même ! C’est ça le problème ! Comment se fait-il qu’à l’autre bout on va retrouver la même morphologie ?

J’avais envie tout à l’heure d’entrer en vous disant :  » vous savez j’ai fait une rencontre extraordinaire, là dans le hall, j’ai rencontré Marie, __ vous connaissez Marie, nous connaissons tous Marie __, j’ai rencontré Marie-enseinte «  , Ah oui ! ce n’est possible à dire en français, ce qui est à peine une équivoque, que parce qu’il y a de l’écriture, sans l’orthographe cela ne passe pas, cela n’a aucun sens s’il n’y a pas l’orthographe, parce qu’on peut l’ écrire différemment. C’est à dire que le français est une langue qui se parle à partir d’une écriture. Il est bien évident que ce n’est pas le cas du créole. On peut évidemment ensuite chercher à lui donner une orthographe, mais tout monde est sensible au fait que cette orthographe ne va pas conférer à la langue créole, je dirais ce même caractère que peut avoir par exemple l’exercice que je viens d’évoquer à l’instant.

Comment ça fonctionne une langue donc __ car cela a quand même été posé par de nombreux linguistes __ , une langue dont l’oralité est le support ? Est-ce qu’on supportera de dire que dès lors les éléments distinctifs de cette langue, ça ne peut pas être la lettre s’il n’y a pas d’écriture, et moi j’en trouve le justificatif par exemple dans une formulation que je trouve extrêmement plaisante: « Mon z’enfans« , un enfant c’est forcément une marmaille, alors « Mon z’enfans » c’est l’un de cette marmaille. Mais cela témoigne bien que le découpage de la chaîne sonore ne s’est pas fait en fonction de l’isolement littéral de la lettre. Et que donc du même coup dans cette langue il n’y a rien qui choit.

Autrement dit pour le dire dans un autre domaine et qui est le mien, est-ce il y a un Inconscient écrit en créole ? Est-ce que le parler créole peut-être infiltré de ce qui en créole viendrait de l’Inconscient ? Je crois que c’est un problème, je n’y réponds pas, peut-être même jamais. Mais je crois que c’est un problème, ensuite si ce que j’avance est vrai est-ce que je peux dire que dès lors des éléments distinctifs de la chaîne sonore ce sont des phonèmes ? D’où d’ailleurs (inaudible) que ce soit bien distingué. Vous vous rendez compte, est-ce qu’on pourrait dire que le créole peut utiliser comme le français cette nuance entre le futur et le conditionnel ? Est-ce que c’est pensable ? Je ne parle pas seulement de ce qui va être inévitablement l’abolition du caractère flexionnel de la langue __ mais c’est aussi présent en français.

Alors j’y répondrai peut-être à cette question, est-ce que les éléments constitutifs de cette langue sont des phonèmes. Avec une conséquence: c’est que dès lors cette articulation renvoie à cette instance qui s’appelle la Voix, Y a d’la voix, la Voix comme on sait sauf lorsqu’elle sert au chant, la voix c’est toujours la voix du maître, c’est toujours l’ impératif, toujours la voix qui commande, c’est la voix qui dit « jouis ! » __ ça c’est du Lacan __ «  jouis hein!» , «  j’ouïs ! , à fond, tu entends ? »

Avec le fait que cette occupation de cet espace par la Voix, est-ce qu’elle laisse la place à un sujet qui pourrait venir prétendre s’en autoriser pour articuler lui-même, ou est-ce qu’au contraire son énonciation possible est éventuellement écrasée, devant la nécessité d’un énoncé clair, précis, distinct, et qui ne donne rien à entendre mais qui aille directement à l’objet. Et qui spécifie aussi bien l’émetteur, moi et qui aille directement à l’objet, toi.

Une petite remarque : Jacques Coursil nous a fait remarquer au départ, que la copule puisqu’elle fait défaut en créole, que la copule après tout est un ornement superflu au point de vue fonctionnel. Est-ce si sûr ? Je ne vais pas aller m’étaler sur les équivoques du mot « copule » hein, ce serait trop facile, mais en tout cas sujet-verbe-complément qui est la manière dont les langues romanes se sont détachées de la langue latine radicalement __ cela n’existe pas dans les langues latines cette organisation sujet-verbe-complément, moi j’ai une thèse là-dessus, mais là aussi ça relève du conte, c’est qu’il a fallu la prise du latin par le christianisme pour que la morphologie latine qui se passe complètement de cette structure et de la place des mots, de ce ternaire, il a fallu que passe là-dessus le christianisme pour qu’une réorganisation syntaxique opère, qui va donner au sujet la responsabilité, le choix de son acte dans son rapport à autrui et à l’objet. La mise en place d’une syntaxe contrairement aux inventions de la grammatologie, ce n’est pas dans la nature ni dans les gènes, une syntaxe est évidemment culturelle. Si je fonctionne en supprimant la copule entre le sujet, entre l’émetteur et l’objet, j’annule le tiers, celui dont précisément va s’autoriser ce qui réunit le sujet et l’objet. Et qui va introduire entre eux une éventuelle tempérance, voire une restriction, voire peut-être même des sacrifices, ce qui d’ailleurs n’est pas très marrant.

Dans le cas remarquable que nous a rapporté Roberte Copol-Dobat, comme elle, comme vous, j’ai bien entendu : Kes-ka-lié,  » qu’est-ce qui a fait le lien ? »,  » qu’est-ce qui est a lié ? », quel est le tiers qui est venu ainsi faire lien entre le français et le créole. Cela s’appelle comment là, ce qui fait lien entre le français le créole, qui évidemment a inventé cette novlangue qui serait spécifique à ce tiers, dont je dirais que le créole tout en le mettant en place, a refusé je dirais de lui reconnaître quelque dette, quitte à ce que pour les enfants, les petits-enfants, et les autres, puisse surgir à la question de ce qu’il y aurait à lui rendre, c’est à dire ce pouvoir générateur hypothétique initial qui ne lui aurait pas été reconnu, l’identité créole.

Kes-ka-lié,  » qu’est-ce qui a fait lien ? », puisque les enfants qui naissaient là, il n’était pas possible de les raccorder dans ce tissage, ni avec une lignée, ni avec l’autre, alors de qui ? Evidemment, de ce tiers imaginaire qui a fait lien entre les uns et les autres, mais où l’évolution même je dirais de la langue des créolophones, et de leur sentiment à l’endroit de cette langue dont on voit bien de quelle manière elle a laissé pour eux la question ouverte, de ce qu’ils lui devaient.

Et je terminerai par cette remarque : Igabé , hein, que Roberte a eu l’intelligence de nous conserver, Igabé qu’est-ce que ça veut dire, Roberte nous dit ça veut dire « i tombé » , c’est une lecture métaphorique évidemment. Je passe sur la question de savoir si dans la langue créole fonctionne la métaphore et la métonymie, ce serait beaucoup trop long. Qu’est-ce que c’est Igabé ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Eh bien vous l’avez tous déchiffré. Igabé c’est le signifiant essentiel dans une langue et qui ne veut rien dire, dans notre langue française cela s’appelle le phallus, le phallus n’a aucune signification, il ne signifie rien par lui-même. C’est en tout cas la lecture que je donne à ce qui dans cette observation arrive comme cela.

Et donc pour conclure, __ moi aussi vous voyez, je me parjure, je traîne, tout de même une dernière remarque __ , le bilinguisme, on connaît des cas, celui par exemple d’un jeune pris entre un père français et une mère allemande, et chaque fois qu’il s’adressait à sa mère qu’est-ce qu’elle lui répondait : elle lui faisait des corrections grammaticales ! Pour lui rappeler de quelle manière il s’exprimait incorrectement dans la langue de sa mère. Qu’est-ce que cela donne à l’arrivée ? Eh bien cela donne que l’identification, ce fameux Un que j’évoquais au départ, où la situer pour nous ? Je n’ai pas besoin de vous le dire, vous l’imaginez, vous le savez, la difficulté pour lui de se reconnaître, de reconnaître son identité d’un côté ou de l’autre. Le bilinguisme pose d’autres problèmes quand la langue numéro deux s’est trouvée interdite et donc refoulée. Et ça c’est arrivé ici, à la révolution française, et l’abbé Grégoire bourré de bonnes intentions. L’universalisme de la langue des droits de l’homme, est-ce qu’on peut trouver quelque chose de mieux ?

Donc le passage de cette langue, le créole, à l’état de langue interdite et donc refoulée. Et qu’est-ce qui se passe pour un individu normalement constitué, quand ce qui va se trouver dans l’Inconscient c’est non pas un langage __ l’inconscient est structuré comme un langage, c’est à dire comme une succession de lettres, d’éléments différentiels qui sont des lettres et qui n’ont aucun sens, si ce n’est que leur résurgence dans le langage effectif parlé vient témoigner d’un désir interdit, du désir qu’il ne faut pas. Mais quand ce qui est ainsi passé dans les dessous, c’est une langue constituée, qu’est-ce qui se produit à ce moment-là ? A ce moment-là ce qui va inévitablement revenir de la langue refoulée, ce ne seront pas tant les manifestations d’un désir, que les manifestations insupportables de ce qui a dû être consenti, sacrifié, le rappel de ce à quoi il a fallu renoncer, et donc du même coup l’engagement dans un conflit inévitable ! , entre deux positions devenues de la sorte exécutrices l’une pour l’autre. Comment on se débrouille avec ça, du point de vue subjectif ? Comment on s’en débrouille ?

Voilà donc le conte que j’étais en mesure de vous rapporter. Qu’est-ce qu’il y a dans un conte, c’est admirable, ou dans un roman ? Ce qu’il y a dans un conte ou dans un roman  c’est la présence de ce qui vient ordonner les séquences successives. Il y a dans la suite des séquences aussi arbitraires d’ailleurs puissent-elles paraître, une présence qui fait que tout se passe comme si c’était écrit, comme s’il y avait là quelqu’un qui faisait que cette suite avait un sens. Et donc l’émerveillement là encore que cette enfant a terminé par un conte, c’est à dire la présence dans l’histoire de Igabé.

Merci beaucoup pour votre attention.

(applaudissements)