Séminaire ALI PROVENCE Carpentras – L’Identification. Jacques Lacan – D’après les leçons 14 et 15

Causation du désir et Identification au père

Lundi 17 mai 2021

Les leçons (14/15) qui suivent l’introduction à la topologie de l’objet (a) par Lacan font état de l’identification au père, mais dans une dimension particulière, car il s’agit du père mort.

Dès lors, il convient de situer à quel registre nous avons affaire, c’est à dire d’où ça parle, car à ce stade du séminaire nous touchons à un aspect très précis de l’objet dans ce qui le fonde, à savoir l’origine de sa causation, et on pourrait même dire par là, l’origine de tout humain.

Après tout, c’est quoi l’origine d’une chose ou d’un individu ? Si ce n’est ce qui le remonte au déluge, au travers d’une généalogie vers celui que l’on nomme l’ancêtre.

Étonnant d’ailleurs que l’on fasse bien plus cas dans ce que l’on appelle l’évolution de la descente plutôt que de la montée.

Aussi quand on dit que l’homme descend de quelque chose …(singe ou autre), ça ne dit rien de savoir à quoi ou à qui il remonte, ni le nom du singe dont il pourrait être question.

Coté phallique, le phallus en question n’est pas bien bavard, sans dire puisque non parlant.

Pardonnez l’idée simpliste, mais pour descendre un escalier, il faut en avoir préalablement monté les marches, ou avoir été déposé en un certain point.

Ce dont la datation souvent approximative ou erronée viendra témoigner, c’est bien de l’après et de l’avant sur la frise chronologique, c’est à dire une suite, une sérialité, un comptage.

Car pour se compter, c’est à dire être un élément comptabilisable dans une chaine, il faut une opération particulière, un truc en plus, le joujou extra chanté par monsieur Dutronc, le piège tabou qui fait crac boum hu.

Ceci n’est pas sans rappeler les efforts de Lacan dans les leçons précédentes pour lier le névrosé à ses problèmes de comptage, dont la demande n’a pas d’autre visée que d’obtenir « le blâme » p 275, c’est à dire le reproche continuel de ce qui revient toujours à la même place, la question de la faute dont la jouissance se satisfait.

Pour illustration, j’accorderai simplement  un moment à cette phrase que quelquefois nous disons tous après un récit des plus empreint « et bien mon pauvre ! Ma pauvre) » …

Voyez comme nous plaignons, notre plaignant, et contribuons ainsi à sa plainte, pire de cette insoutenable  situation,  combien en disant cela nous ne permettons pas à celui ou celle qui le vit d’affronter sa seule vérité, c’est à dire sa causation.

C’est important car là où la réponse est attendue, il ne s’agit pas de plaindre mais de répondre, et de rappeler que répondre, c’est de l’ordre de la responsabilité.

Que si la réponse vient de l’Autre, d’avoir à céder sur son désir, on ne serait tenir un lieu pour seul responsable.

Car à la valeur numérale, l’enfant ne fait pas que compter les choses ou les êtres qui l’entourent, il se compte aussi lui même.

J’ai évoqué préalablement dans un travail précédent la question de la filiation, mais aussi celle de la fratrie par exemple, où il faut bien s’accommoder d’un numéro, ainsi quand l’affaire n’est pas tronquée, il y a celui qui né avant, et celui qui né après, ce qui s’ordonne au niveaux des signifiants sous les termes de puiné, ainé, cadet …

Rajoutant que l’inscription se double pour mieux induire le trait distinctif, comme pas un, dira Lacan.

A ces règles de comptage, s’établit un ordre, qui par exemple dans une famille regroupera tous les enfants sous un même patronyme, un métier de père en fils … mais à cela pas un pareil…

Le nom propre a d’ailleurs comme particularité d’être un désignateur rigide.

C’est là qu’intervient la trouvaille de Lacan.

Si le désir s’attrape selon Picasso par la queue, Lacan évoque sa causation et définit celle-ci par une lettre phonétiquement identique à celle de l’inconscient, mais dont l’écriture est différente : a ≠ A.

Cette différence d’écriture constitue une double inscription, à savoir le marquage du trou (a) dans l’insconcient A, très bien représenté dans la topologie du Tore du sujet et le Tore de l’Autre.

Cette configuration relève également des précédents apports de Lacan à propos du cogito (là où je pense je ne suis pas, là où je suis je ne pense pas) et la trahison des images de René Magritte entre l’image et son descriptif, équivoque relevant du leurre, différence aussi entre énoncé et énonciation.

Sens opposé, inversé faisant fonctionner la demande, en la faisant passer par

le lieu de l’Autre, lieu originellement empreint de la causation qui fait trou (p 275).

L’image figure comme la supercherie de la possibilité d’attrapable lié au supposé savoir, alors que le double tore indique clairement que le sujet construit son extérieur à partir d’un intérieur p 270.

Que le petit (a), se borne à partir des tours de la demande formant trou, mais que ce trou passe comme point central dans l’Autre.

Induisant entre a et A une différence qui s’ignore, mais une responsabilité totalement solidaire et interdépendante.

Pour comprendre ce qui se passe à ce niveau, Lacan nous parle du terrier animal relaté dans l’œuvre de Kafka p 286.

Dans le texte un humain, mi homme/mi bête se crée un abri.

Il vit dans une tanière et pour parfaire à sa sécurité (ennemis potentiels) il crée de manière adjacente  à ce terrier un deuxième trou, qui fait office de fausse vraie entrée, c’est à dire une double issue qui vise à tromper, qui ne mène à rien, pas tout a fait issue de secours, mais un leurre.

L’idée est d’éviter une confrontation réelle, avec un potentiel adversaire pour ne pas dire rival, qui faute d’arriver au bon endroit se retrouvera déporté sur une voix de garage.

Evitant ainsi tout combat.

Précisons que l’œuvre de Kafka « Le terrier » est la dernière de l’auteur, celle précédant sa mort.

Et puisqu’il nous faut donc descendre au tombeau, quelques pieds sous terre, parce là est notre sujet, c’est à dire le père mort, où se trouve son désir enfoui à lui ?

Saperlipopette et galipettes !

C’est  parce que le père peut faire d’une femme son objet (a) et par la même son pur symptôme, que la mère est pour l’enfant un objet désirable.

Que la perte de la jouissance inscrit l’équation Œdipienne, élève le père au rang de respectable par ses insignes et une femme au désir du phallus, désir d’enfant, désir d’enfant du père, désir d’un homme porteur du phallus.

Ainsi le désirable, c’est ce qui aurait été préalablement désiré, c’est ce qui précède, ce quoi après le névrosé court, ce qu’il pense être et qui aura déjà été.

Métaphoriquement si je dis « cet homme est un lion », je crée par la métaphore un déplacement de l’homme vers l’animal, et si le désirable du père c’est cette part qu’il faut à l’enfant et bien il va la lui falloir, désignant pour lui un certain chemin à emprunter.

Sauf que là, il y comme qui dirait, ce que l’on trouve habituellement au fond des terriers : un os.

A vouloir se tailler la part du lion, il va falloir aussi, descendre dans le terrier et affronter l’obstacle, la butée, le censeur, l’emmerdeur du foyer qui se pose comme ce qui interdit non pas le désirable, mais son acquisition, celui qui dit non, le tiers entre l’enfant et sa mère, mais aussi entre l’enfant de son désir comme interdit pour que celui ci puisse poursuivre sa route ailleurs, dans l’ordre des générations.

Ainsi la causation du désir, c’est cette identification au désirable marquée des insignes paternels, ou tout du moins ce qui apparait au début comme le truc en plus.

De monnayeur à fossoyeur, le père est un symptôme, le mur, le rempart sur lequel bute l’incertitude …et la question du savoir organisé à la jouissance phallique.

Car pour peu qu’il tienne le coup, comme dirait monsieur Melman, le père dans la famille c’est celui qui fait acte de coupure entre la mère et l’enfant, parce que tel est le prix pour que l’humanité avance.

Ce que la fonction paternelle vient organiser par la différence, c’est le trait unaire au travers du complexe de castration.

Ce qui ordonne un désir articulé à la loi qui par l’absence du père, assimile au trou la perte de la jouissance.

Alors quand Œdipe rencontre son père sans le savoir sur sa route, il est face à son destin, du lion, dont il ne connaît ni le nom, ni le visage qu’il découvre pour la première fois.

Il ne s’écarte pas du chemin, et le tue.

Laïos est roi, et s’il est mort c’est de n’avoir pas su affronter sa propre angoisse de castration.

Laïos, pensait qu’en se débarrassant du fils, celui-ci voué à une mort certaine n’engendrerait pas la sienne.

De l‘envoyer ailleurs loin du terrier, le névrosé roi pensait garder sa couronne en posant un lapin à la mort, alors que le fils aura su remonter jusqu’à lui, tout en n’en rien sachant, par le trou du non savoir, ombilication dans l’Autre.

Comme tout humain est passé par le corps de la mère, faisant de lui au passage un être doublement troué, Lacan nous invite dans ce rapport à l’origine du monde et la fonction du trou, à la cause du sujet.

Le petit (a) s’écrit (a) avec parenthèses (thèse parentale), mais nul ne peut le lire, petit a, sauf à le différencier de ce qui est plus grand que lui, le grand A, c’est à dire grand Autre qui s’écrit avec une majuscule.

L’objet cause du désir, on peut donc l’écrire (a), et on le dit « petit », ce n’est donc pas du tout pareil de l’écrire et de le lire.

Equivoque avec le grand Autre qui est le lieu où se succèdent tous les un …(1 +1+1+1) de la sérialité.

A partir de là, j’aimerai introduire quelque chose d’un peu osée, mais quand même déjà révélée par d’autres (Myriam Szejer) concernant une communication de cellule à cellule.

Imaginez une fécondation, et un ovule avec l’imagerie grossissante des spermatozoïdes

autour.

Lors de la pénétration d’un spermatozoïde, il y a échanges de messageries et sélection, celui ci perd sa flagelle (queue) aussitôt une  opération périmétrique se met en place, faisant le tour de l’ovule, soit un tour complet de la sphère, créant la limite, à ce qui entré, et ce qui ne peut plus y rentrer, bouclant la boucle, quand à l’issue, rendez-vous au trou dans 9 mois.

Imaginons qu’il soit demandé à notre spermatozoïde élu, le mot de passe à l’entrée ou la l’énigme à résoudre serait la suivante :

– «  Quel est l’être qui marche sur quatre pattes au matin, sur deux à midi et sur trois le soir ? »

Alors que le non-savoir d’Œdipe lui permet de répondre, son savoir inconscient ne lui permet pas de dire qui est son père.

Par cette énigme, nous définissons là comment l’humain a besoin d’image pour se sentir exister, mais aussi comment seule la métaphore permet une représentation de l’indicible et de la création.

Création, au 1er, 2e, 3e  jour qui chez l’homme correspond à la division cellulaire par un ordre fonctionnel pour scinder en deux le matériel génétique ou encore ce tiers, le fameux  jour numéro 3 dans les religions, quand Dieu le père sépara religieusement les eaux de la terre.

Notez à ce troisième jour, la tierce de la séparation et rupture de l’écorce terrestre qui se remplie d’eau et se différencie…

Loi originelle nous dira Lacan p 276, qui fait du père, l’irremplaçable de sa présence absolue.

« En quelque sorte, là où il n’y a pas de père, il faudra en mettre, absolument. »

Lacan nous indique comme la mort vient organiser cela, c’est a dire que finalement pour qu’il y ait du père, il faut que celui ci soit mort pour que son nom soit « sanctifié », passant de la plainte à la prière.

Un père mort, n’est plus à combattre.

Mieux, la mort confère les honneurs et la postérité, mais le père une fois mort, pose la question du savoir « qu’est ce qu’un père ? » qui peut le savoir ? Celui qui voudra bien le devenir, c’est à dire celui qui suit les traces de son propre père.

Que le trou dans l’Autre est une opération symbolique, effet de la nomination par le père qui, en tant qu’acte d’énonciation, produit un savoir troué par le réel de la vérité du sexuel.

Le monothéisme est une marque de l’Un et de l’omniprésent.

Trouthéisme, pourrions nous dire.

Et si l’image est un leurre, la fabrication des idoles nous en dit long sur le fonctionnement du fantasme, à tenter de borner un sauveur, le père passé par le trou d’évacuation processus de sauvetage ou d’évitement organisé par la double  trouure.

Quand on récite la prière (et non la plainte), au niveau du nom sanctifié, on consent à une relation d’amour réciproque avec le père, sans doute est il peut être plus facile d’aimer un père mort.

Que l’idolâtrie existe par la demande et le besoin de représentation.

C’est aussi cette demande qui fabrique les héros, pour mieux les honorer comme des exemples, images identifiables …

J’aimerai juste amener là combien le cas des héros (0, zéro de chiffre), ça n’est possible que par la mort, comme si le zéro conférait la différence comptable.

C’est étrange d’ailleurs, comme le mot héros, contient l’Eros, c’est à dire l’amour, que finalement il est moins connu de vivre en héros que de mourir comme tel.

Le héros étant, ce qui nous ramène au père.

Le héros mort, c’est le père mort celui auquel on peut s identifier comme à un nom du père, sauvé par la trace de son nom.

Ainsi va la naissance des premiers patriarches, comme ce qui a changé l’histoire des hommes, tel Abraham (nom signifiant père d’une multitude) dont le premier nom Abram (nation) a été requalifié  de nouvelles lettres par la fonction paternelle.

Et quand Moise vint à questionner Dieu le père sur son nom, et ce qu’il faut dire sur celui ci à son peuple, voici la répondre reçue :

« Dieu dit à Moïse : Je suis ce que je suis. Et il ajouta : C’est ainsi que tu répondras aux enfants … »

Réponse d’une parole à double trou, entre le Je suis du verbe être, et je suis du verbe suivre.

De celui que l’on invoque au fond du trou, quand tout va mal, au vide du ciel que de ne savoir s’il existe, garde pourtant un lieu, une adresse et une parole pleine.

Danielle Roussel