Le traitement du cancer chez l’enfant : de la parole au choix – Thèse d’anthropologie par Marie Bonnet

POUR UNE ANTHROPOLOGIE LACANIENNE.

Décembre 2008
Analyse anthropologique et écoute psychanalytique à partir d’une étude de terrain de 30 mois (2004-2007) dans un service hospitalier d’oncopédiatrie universitaire à Marseille du Professeur Jean-Louis BERNARD. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Thèse dirigée par Monsieur Yannick Jaffré, anthropologue, directeur de recherche au CNRS.

Vous pouvez télécharger la thèse Marie Bonnet sur le site du Comité de protection des personnes Sud-Méditerranée II.

Au cours des trente dernières années, l’oncopédiatrie a été marquée par d’importants progrès médicaux mais aussi par une plus grande autonomie octroyée à l’enfant malade. Cette évolution s’inscrit dans un contexte de montée en puissance des droits de l’enfant, mais aussi d’influence rétroactive de la psychanalyse sur les pratiques soignantes, et d’une attention accrue aux questions éthiques soulevées par l’inclusion des enfants dans des essais cliniques. Ainsi, l’évolution de la place de l’enfant dans la société trouve sa traduction dans le discours et les pratiques biomédicales. C’est cette place de l’enfant gravement malade à l’hôpital que cette thèse vient questionner.
Le fil de lecture, tiré de l’enquête de terrain et guidé par la recherche de la parole de l’enfant, a été tissé au gré de la progression de l’enfant dans sa trajectoire de malade. L’étude a été menée à partir d’une observation participante dans le service d’oncologie pédiatrique de l’hôpital d’enfants de la Timone à Marseille, mais aussi à partir d’un travail spécifique avec d’anciens patients, ou par l’étude de blogs de mamans d’enfants soignés à la Timone.
Le travail présenté est avant tout un témoignage des situations difficiles vécues dans un tel service par les enfants gravement malades, leurs parents et les soignants. Par l’approche interdisciplinaire qui a été privilégiée, le travail a pris une dimension d’anthropologie clinique générant par lui-même des effets. Au moyen de ce que la psychanalyse nomme le transfert, les données inconscientes ou refoulées par les personnes ethnographiées ont été parties prenantes de ce travail.
La thèse vient confirmer l’efficacité symbolique du pouvoir de nomination dont le médecin est investi dans les premières phases de la maladie. Toutefois, pour atténuer la brutalité de l’annonce du cancer, les acteurs usent les uns envers les autres de formes d’évitement discursif, comme gage de stabilité de l’organisation des relations.
La thèse propose ensuite une lecture du soin comme métonymie de la maladie. L’enfant se conçoit malade du moment où il est soigné. En outre, la manière dont les soins sont pratiqués et vécus va constituer la mémoire de l’enfant sur sa maladie. C’est par exemple dans la prise en charge de la douleur, et notamment par la forme de narration associée aux « bonshommes douleurs », que les soignants nouent avec les enfants des relations de confiance. La ritualisation des soins institue pour sa part une fonction de contenance pour l’enfant malade et facilite sa progression dans sa trajectoire.
Dans ce contexte, le fait de conférer à l’enfant une autonomie déléguée, au moyen d’une participation aux choix thérapeutiques, vient le confronter à des choix impossibles. On voit alors apparaître des situations de « double bind », ou des figures de « nourrissons savants » qui constituent autant d’artefacts susceptibles d’altérer les éléments de contenance évoqués précédemment. Si le soin fait métonymie de la maladie, devoir choisir entre deux traitements, n’est-ce pas devoir choisir entre deux maladies ? Ainsi, la lecture sur le terrain des effets des nouvelles pratiques vient mettre en lumière un paradoxe : la recherche trop poussée d’autonomie déléguée peut mettre l’enfant dans une situation de plus grande vulnérabilité.
En revanche, la parole adressée à l’enfant sur la maladie apparaît plus fructueuse si elle vise à alimenter sa narrativité, immédiate ou différée. Des cas cliniques illustrent le travail réalisé avec des patients guéris devenus adultes. Le corps est affecté par le langage, par « les mots qui n’entrent pas dans la tête » et qui font maladie psychique quand la maladie biologique semble pourtant vaincue. Par contraste, ces signifiants qui n’ont pas été donnés, conduisent l’enfant devenu adulte à les chercher pour les intégrer dans une narrativité. La narration effectuée par ces adultes auprès de l’anthropologue a aidé à la recomposition de leur identité. Ainsi, le dialogue noué entre l’ancien patient et l’anthropologue a acquis une dimension clinique : le travail de mise en mots, fonctionnant comme une relecture de la trajectoire, a été riche en effets de sens et de liens.
La conclusion de cette thèse ouvre sur un questionnement méthodologique. Etre psychanalyste en même temps qu’anthropologue est-il un mode d’enclicage comme un autre ? En démontrant que l’approfondissement des rapports en dyades avec les sujets ethnographiés ne fait pas obstacle à la triangulation de l’information et à la compréhension des interactions, la thèse donne aussi à entendre ce qui peut en être d’une anthropologie lacanienne.